QUAND LES MEDICAMENTS DEVIENNENT LE NERF DE LA GUERRE - Le Moniteur des Pharmacies n° 2977 du 30/03/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2977 du 30/03/2013
 
SYRIE

Reportage

Auteur(s) : Garance Le Caisne

Guérir les blessures de guerre, soigner les maladies chroniques, trouver les médicaments introuvables. Les cacher, les distribuer. Organiser les soins d’un hôpital à l’autre. Et toujours circuler, soigner, opérer clandestinement. Pharmaciens, chirurgiens et infirmiers bénévoles risquent chaque jour leur vie dans une Syrie démunie de tout système de santé.

C’est une enfant de la révolution. Sur les routes depuis plus d’un an, elle va là où les blessés ont besoin d’elle. Maryam a 30 ans et un sourire qui éclate. En décembre 2011, la jeune femme a dû abandonner sa pharmacie d’un quartier de Damas. Par deux fois, des membres des services de sécurité sont venus la chercher. Une chance, la pharmacienne était absente. Quelques mois plus tôt, cette jeune femme de bonne famille avait accepté qu’un révolutionnaire entrepose pansements et médicaments au deuxième étage de son officine. « Les manifestants qui se font tirer dessus par le régime ne peuvent pas aller dans les cliniques et les hôpitaux publics, explique Maryam. On les arrête et ils sont torturés. Il faut les soigner de manière clandestine. » L’homme qui stocke du matériel chez Maryam se fait prendre et donne son nom sous la torture.

Maryam doit fuir. Ce sera d’abord une ville assiégée, quelque part dans la province de Hama, au nord de la capitale. La pharmacienne se fait infirmière dans un hôpital clandestin. Quand la ville est « libérée » par les combattants, elle part pour Alep, plus au nord, où les rebelles ont lancé une offensive contre l’armée régulière de Bachar el-Assad. Pendant deux mois, elle aide dans un hôpital d’un quartier tenu par les insurgés. Elle y soigne, elle y dort, elle y mange. Puis Maryam reprend la route une troisième fois. Direction Saraqeb, à quelques dizaines de kilomètres, en territoire contrôlé par les rebelles.

Réapprendre à soigner

Dans les centres d’urgence improvisés, les blessures sont de plus en plus complexes, les médicaments nécessaires manquent. Deux ans après le début de la révolution, il ne s’agit plus seulement de fusillades sur les manifestants qui réclament pacifiquement la fin de la dictature. Le régime largue des barils de TNT et bombarde des quartiers de civils avec des missiles Scud, armes de destruction massive. Il y a des tirs de snipers, des tirs d’obus de mortier aussi.

Alors, quand la pharmacienne entend parler, mi-février, d’une formation pratique sur les blessures et les traumatismes de guerre, elle fonce. Organisé par l’UOSSM (l’Union des organisations syriennes de secours médicaux), le stage est dispensé par quatre médecins franco-syriens et un ancien médecin militaire français pendant trois jours dans un centre de formation à Bab el-Hawa, un poste frontière avec la Turquie tenu par les rebelles. Avec 32 « stagiaires », des médecins et infirmiers venus de tout le pays, Maryam va réapprendre les gestes qui sauvent, découvrir les automatismes à acquérir pour faire vite et mieux. Comment sortir un blessé des décombres sans aggraver ses lésions. Comment organiser un hôpital, trier et séparer physiquement les urgences absolues des urgences relatives pour être plus performant. Et comment soigner quand on n’a pas assez de médicaments, ou pas les bons. Antibiotiques, anesthésiques, antalgiques, notamment de palier 3 comme la morphine… « Il en manque tellement », s’inquiète Hassan el-Abdullah, urgentiste à Bar-le-Duc (Meuse), l’un des formateurs franco-syriens. Le médecin connaît déjà le coin. Fin décembre, lui et une dizaine d’autres sont venus de France au volant de cinq ambulances, remplies à ras bord de médicaments, appareils médicaux, vêtements. Trois jours et demi de voyage pour rejoindre les camps de déplacés d’Atmé.

La destruction du système pharmaceutique est en marche

Atmé est à 5 kilomètres de Bab el-Hawa. Une bourgade posée au milieu de champs d’oliviers et de petites fleurs jaunes de printemps. Près de 7 000 habitants avant la guerre, 10 000 aujourd’hui, sans compter les 17 000 réfugiés installés dans trois camps alentours. Collée à la frontière turque, dans une sorte de renforcement naturel, Atmé est protégée : impossible aux avions du régime syrien de viser les habitations sans violer l’espace aérien turc et impossible à l’artillerie de bombarder sans risquer de toucher le sol turc. Depuis que les rebelles ont commencé à contrôler le nord-ouest de la Syrie, l’été dernier, Atmé est un carrefour qui offre un semblant de calme. On y croise des combattants de l’Armée syrienne libre, kalachnikov en bandoulière, des membres d’ONG qui interviennent sans l’autorisation de Damas et même des intermédiaires de diplomates occidentaux arrivés en secret apporter de l’argent liquide aux comités locaux révolutionnaires qui gèrent les villes et villages libérés. Et puis il y a le pharmacien.

L’homme, un grand-père rugueux, officie dans une pièce d’une vingtaine de mètres carrés. Glaciale et humide. L’électricité n’arrive que quelques heures par jour. Sur la porte vitrée, une feuille a été scotchée il y a une semaine : « Les médicaments qui coûtaient de 1 à 50 livres syriennes ont été augmentés de 40 %, ceux qui coûtaient entre 51 et 100 livres de 25 % et ceux qui coûtaient plus de 101 livres de 10?% ». « C’est de plus en plus dur de se fournir », justifie Amin, le pharmacien, lunettes cerclées de métal doré sur le nez. La faute au manque de matières premières dû aux sanctions internationales et au coût élevé de l’essence. Auparavant, les usines pharmaceutiques produisaient 90 % des médicaments. Difficile d’avoir des chiffres précis, mais environ plus de la moitié des quelque soixante usines du pays sont installées dans la province d’Alep. Depuis l’offensive des rebelles en juillet et la destruction d’une partie de la deuxième ville du pays, elles sont presque toutes à l’arrêt. Détruites ou désertées par leurs ouvriers. Originaires de quartiers visés par le régime ou les rebelles, les rebelles ont peur de circuler et d’être victimes de tirs de snipers ou de bombardements. Certains ont fui la ville et sa campagne, grossissant le nombre de déplacés à l’intérieur du pays ou de réfugiés dans les pays voisins.

Résultat, une absence cruelle de médicaments. « Il en manque plus de 50 %, estime le pharmacien d’Atmé, regardant les étagères qui l’entourent. Surtout ceux qui soignent les maladies chroniques. » Diabète, épilepsie, hypertension, asthme, cancers… Une pénurie à l’échelle du pays. Environ 70 000 cancéreux dans le pays étaient suivis avant la guerre. Ce n’est plus le cas. Le système de santé s’est effondré. Fin janvier, l’OMS a estimé que 55 % des hôpitaux publics et 10 % des centres de santé avaient été endommagés ou détruits par les combats.

Les soignants en première ligne

Visés par le régime, les médecins sont devenus les ennemis à abattre. Depuis le début du soulèvement populaire il y a deux ans, 65 ont été tués, plus de 700 arrêtés sans qu’on ait de nouvelles d’eux. Combien de pharmaciens ? Impossible à dire. Le deuxième pharmacien d’Atmé, lui, est mort il y a quatre mois. Parti aider dans un hôpital clandestin près de Damas, il a été tué dans un bombardement. Sa pharmacie est fermée. Reste celle d’Amin, le grand-père.

La nuit tombe. Un homme arrive, médecin justement, et se gare. La banquette arrière de sa voiture est chargée de sacs en matière plastique noir. Des médicaments. L’homme a une clinique à Alep dans la partie de la ville tenue par le régime. Il est plus facile d’y trouver des médicaments qu’en zone rebelle. Chaque semaine, il vient donc approvisionner des pharmacies dans les villages du coin.

Une heure de route en empruntant celles tenues par le régime ou trois heures en roulant sur celles de la rébellion qui évitent les poches gouvernementales. Il préfère souvent la plus rapide. Quand il revient, il cache alors les sacs de médicaments sous des vêtements, de la nourriture. Parfois, il paye des bakchichs aux check points de l’armée régulière pour passer sans être interrogé.

En revanche, quand Nader l’Alépin quitte les quartiers tenus par le régime pour aller dans ceux tenus par la rébellion, lui, ne paye rien. Il « joue sa vie à la loterie ». Alep est aujourd’hui coupée en deux, comme l’était Berlin. La « frontière » est parsemée de check points de l’armée du régime et de snipers. Nader est pharmacien, il habite côté gouvernemental. Tous les jours, ce père de famille de 34 ans traverse la ligne de front. Sacs de médicaments achetés côté régime à la main, il rejoint son officine du quartier de Boustan el-Qasr. Ici, les canalisations débordent dans les rues, on marche dans la boue. L’électricité est coupée. Les plus chanceux ont acheté un de ces petits générateurs à vendre qui jalonnent désormais les trottoirs. Leurs bruits sourds se font entendre quand la nuit tombe, plongeant le quartier dans l’obscurité. Dans la pharmacie de Nader, les employés travaillent à la lampe torche. Sur une partie des étagères, des pelotes de laine et des écharpes tricotées main ont remplacé les petites boîtes en carton. La vente de médicaments ne rapporte plus assez. « La pharmacie n’est ouverte que 8 heures par jour contre 12 heures auparavant, reconnaît Nader. Il y a moins de médicaments et les gens ont aussi beaucoup moins d’argent pour se soigner. »

Pire, des maladies font leur réapparition (voir encadré p. 33). Dans une pharmacie voisine, alimentée par un générateur, une grand-mère est assise sur une chaise, sa petite-fille de cinq mois dans les bras. Asthmatique, le bébé respire avec un masque aérosol sur le nez et la bouche. il inhale un produit de substitution de la Ventoline, devenue introuvable. « Il doit en rester à peine 50 pièces à Alep », estime le pharmacien. La vieille dame vient deux fois par jour soigner l’enfant. Et elle continuera tant que sa famille se chauffera avec un de ces poêles à bois qui ont remplacé les chauffages au mazout ou à l’électricité et qui enfument souvent les maisons.

Une organisation secrète des soins

Nader laisse de plus en plus souvent la garde de son officine à ses employés. Avec Abou Adnan, son collègue pharmacien, il tient un dépôt de médicaments clandestin. « C’était la confusion quand les rebelles ont lancé leur offensive à Alep en juillet, se souvient Abou Adnan. Les premières aides sont arrivées de manière anarchique. On a fini par s’organiser et on a ouvert ce dépôt il y a quatre mois. Ici, on gère l’aide pour huit points médicaux d’urgence et cinq des dix hôpitaux des quartiers tenus par les rebelles. » Le dépôt est installé au sous-sol d’un immeuble déserté. Abou Adnan ne se sépare jamais de son talkie-walkie, l’unique moyen sécurisé de communiquer rapidement avec tout le monde. C’est par ce biais que sont diffusés les messages d’urgence : collectes de sang, répartition des médecins dans les différentes structures quand un Scud tombe et que les blessés vont affluer ou demande pressante d’anesthésique…

En dehors des urgences, Abou Adnan et Nader visitent chaque jour un des hôpitaux dont ils ont la charge pour demander leurs besoins. Ce matin-là, c’est l’hôpital M2. Depuis le destin tragique de l’hôpital Dar el-Shifa, bombardé fin novembre, les hôpitaux portent le sigle de M1, M2, M3, etc., pour ne pas être localisé par le régime. M pour moustachfa, « hôpital » en arabe. Ce matin, donc, Abou Adnan entre dans la petite pièce fermée qui sert de pharmacie à M2 et à des clients de l’extérieur. Sur la porte, une affiche annonce que les médicaments coûtent 50?% moins cher pour les patients de l’hôpital, les membres de l’Armée syrienne libre et les malades chroniques. Souvent, le pharmacien donne sans faire payer. Comme à cette femme qui arrive. Toute vêtue de noir, les cheveux dissimulés sous un voile, elle s’approche de la fenêtre dans le mur pour s’adresser au pharmacien. « Tu peux m’aider ? », souffle-t-elle. « Que veux-tu ? » « J’ai mal aux jambes, j’ai des rhumatismes… » Le pharmacien lui tend une boîte avec un sourire et lui fait signe de partir sans attendre son argent. « La révolution nous a fait nous rencontrer, raconte Nader. Avant, par exemple, ma famille n’aurait jamais permis que j’entretienne des relations avec des personnes d’autres classes sociales. A présent, on ressent tous la même souffrance. Mon cousin est devenu mon frère. » A Bab el-Hawa, Maryam la pharmacienne célibataire raconte aussi qu’elle a fait de « belles rencontres » depuis qu’elle a pris la route de la fuite il y a un an. Sa fuite devient pourtant difficile à vivre au quotidien : « Au début, j’habitais avec les médecins et les infirmiers. Maintenant, on me prête une maison à côté du centre de soins où je travaille. Il n’y a pas d’électricité, pas d’eau et je suis seule le soir. » Ses parents ne savent pas exactement où elle vit. Au téléphone, elle leur dit qu’elle est près de la frontière turque, où une certaine sécurité est censée régner. Un mensonge qui les rassure, mais surtout les protège. Afin qu’ils n’aient rien à avouer sous la torture s’ils sont arrêtés.

Repères

– 23 millions d’habitants

– 4 facultés de pharmacie publiques

– Au moins 5 instituts privés

– 5 ans de cursus plus 6 mois de stage obligatoire pour devenir pharmacien

Retour des maladies oubliées

Manque de médicaments, de vaccins, mauvaises conditions sanitaires… Des maladies ont refait leur apparition telles la tuberculose et la leishmaniose, maladie de la peau transmise par les insectes. Ces derniers prolifèrent en raison, entre autres, de l’arrêt du drainage des marécages par les autorités et des tas d’ordures qui s’accumulent, comme à Alep. Les pompes à eau ne fonctionnent pas à cause de la pénurie d’électricité et de combustible. L’absence d’eau potable et la suspension des programmes de vaccination entraînent également la propagation de l’hépatite A. L’OMS a recensé 800 cas d’hépatite A et 2 500 cas de typhoïde dans le seul gouvernorat de Deir ez-Zor, au nord-est du pays, majoritairement sous contrôle rebelle.

L’UOSSM, achemineur de médicaments

Wassik était pharmacien à Alep. Il vit aujourd’hui en Turquie, bénévole à Reyhanli pour l’UOSSM (l’Union des organisations syriennes de secours médicaux). Quand il vivait en Syrie, il envoyait régulièrement des antibiotiques, analgésiques ou antibrûlure dans la province de Homs. Bastion du soulèvement populaire, cette ville subit un siège de l’armée régulière depuis plus d’un an. Dénoncé, Wassik a dû fuir avec sa famille. Fin janvier, c’est en regardant des vidéos postées sur le net qu’il a découvert les images de sa pharmacie détruite. Fondée en janvier 2012 à Paris, l’UOSSM regroupe 13 associations et des centaines de membres dans le monde. Cette organisation apolitique a notamment un bureau et un appartement pour loger les médecins de passage à Reyhanli, à quelques kilomètres de la frontière syrienne. Au départ, l’UOSSM acheminait des médicaments en passant par les chemins des contrebandiers. Depuis le contrôle par les rebelles du nord-ouest de la Syrie, l’été dernier, les camions passent par deux postes frontières avec l’accord des Turcs et des combattants. Des ONG, comme Urgence solidarité Syrie de Issam Moussly, pharmacien à Pleurs dans la Marne (photo), sont également partenaires de l’UOSSM et apportent régulièrement des médicaments de France. L’UOSSM a mis en place dans cinq grandes villes, des centres de soins primaires avec consultations et médicaments gratuits. « Le système de santé a été détruit, l’infrastructure n’existe plus, explique le Dr Oubaida el-Moufti, porte-parole de l’organisation. Les soins primaires deviennent une priorité comme les soins d’urgence et de guerre. On veut maintenant installer des petits centres un peu partout. » L’UOSSM est en discussion avec le ministère français de la Santé pour fournir en nombre des médicaments à l’intérieur de la Syrie.

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