UN PHARMACIEN S’ENGAGE CONTRE LE CANCER - Le Moniteur des Pharmacies n° 2972 du 02/03/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2972 du 02/03/2013
 
EPINAY-SOUS-SÉNART (ESSONNE)

Reportage

Auteur(s) : Isabelle Guardiola

Patrick Ohana accompagne ses patients dans leur combat quotidien contre le cancer. Dans son officine, rattachée au réseau de cancérologie de l’Essonne (Essononco), il dispense conseils et écoute à travers un protocole innovant.

Il brume sur le parking du centre commercial d’Epinay-sous-Sénart. Isabelle, silhouette frêle et longiligne, vient rencontrer « son » pharmacien pour décrypter son nouveau traitement. Un an auparavant, un interne lui a diagnostiqué une tumeur très avancée d’un cancer extrêmement rare. Le choc et l’incompréhension de l’annonce passés, elle réagit vite et bien. Isabelle fréquente depuis longtemps la Pharmacie de l’Oranger, apprécie Patrick Ohana pour son écoute et n’a pas hésité lorsqu’il lui a proposé d’entrer dans son « protocole de délivrance de médicaments anticancéreux à l’officine ». « Je le revois sortir son gros classeur bleu et me demander quel type de chimio on allait me faire. J’avais noté à l’entretien d’oncologie : cisplatine, un méchant produit qui peut faire du bien sûr la tumeur mais déglingue les reins… Il m’a expliqué tout ce qu’on ne m’avait pas dit à l’hôpital, m’a aussi prévenue des mucites dans la bouche et dans le tube digestif. »

Un protocole qualité nouveau à l’officine

Ce protocole, Patrick Ohana en a eu l’idée deux ans plutôt lors d’un atelier sur la chimiothérapie par voie orale organisé par Essononco, un réseau prenant en charge des patients cancéreux résidant en Essonne. Essononco est né d’un besoin départemental de « staffs » spécialisés entre établissements pour échanger sur leurs patients cancéreux. « Il s’est ensuite ouvert à la ville pour préparer le retour à domicile en embauchant des infirmières, une psychologue et une assistante sociale, toutes sensibilisées et formées pour une prise en charge de meilleure qualité », précise Patricia Rio, infirmière coordinatrice.

Lors de cet atelier, animé par un oncologue et une pharmacienne hospitalière, une trentaine de pharmaciens sont invités à exprimer leurs besoins et leurs envies. Patrick Ohana propose de créer une procédure de conduite pour l’accueil des patients cancéreux à l’officine. Un petit groupe se constituera alors pour concevoir un « protocole qualité de délivrance d’un anticancéreux à l’officine ». « J’avais souvent entendu parler des protocoles qualité à l’officine, et la démarche n’existait pas pour les anticancéreux. Cela m’a intéressé de l’appliquer, d’autant que j’avais constaté que les patients atteints de cancer avaient besoin de parler de leur traitement et de la maladie. Sauf qu’au comptoir, cela va vite et l’on n’a pas le temps de se poser », raconte Patrick Ohana. S’inspirant des protocoles en ligne sur le site d’évaluation de la qualité en officine, www.eqo.fr, Patrick Ohana rédige la trame d’un projet, retraçant le parcours du patient de la remise de l’ordonnance jusqu’à la délivrance du médicament. Ses confrères corrigent et complètent les différentes étapes et éléments, puis le protocole est présenté lors d’un symposium des réseaux de cancérologie, en novembre 2011, avant d’être expérimenté, depuis 2012, dans les pharmacies de l’Essonne.

De l’expertise, de la rigueur et beaucoup d’humanité

« C’est l’ordonnance ou le nom du service hospitalier qui nous alerte sur la pathologie d’un patient, explique Patrick Ohana. En discutant avec lui, on en vient à lui proposer d’entrer dans le protocole. » Puis un rendez-vous minutieusement préparé est pris entre le pharmacien et le patient : analyse de l’ordonnance, consultation des bases de données (Oncodocs, Oncorif…), consultation de l’historique du patient et vérification des « ordonnances types ». Ces dernières proposent un traitement adapté selon les effets indésirables (perte de poids, mucite, aphtose, diarrhée, constipation, nettoyage de chambre implantable, brûlures liées aux radiothérapies, etc.).

Lors du premier entretien de suivi, le pharmacien évalue l’état des connaissances du patient sur sa maladie et son traitement, ainsi que la conscience qu’il peut en avoir. Il établit un plan de prise des traitements et étudie avec lui les règles hygiénodiététiques, les mesures de prévention et précautions d’emploi, les conditions particulières (grossesse, vaccinations, voyages…), le renouvellement… « Patrick Ohana m’a donné la parade ! », résume Isabelle, qui compare ses mois de chimiothérapie à l’« hibernation d’un petit animal » : « Je rentrais de l’hôpital, me nourrissais et dormais pendant trois jours avec application. Grâce à cela et aux conseils pratiques que j’ai reçus, j’ai tenu la route. C’est important d’avoir cette connaissance avant, parce qu’on n’est pas en état de s’informer lorsque l’on rentre de l’hôpital, tombant de fatigue et d’écœurement. »

Même bilan positif dressé par Pierre qui enchaîne hormonothérapie, radiothérapie et chimiothérapie depuis plusieurs années. « J’ai senti l’intérêt que portait monsieur Ohana pour un problème que j’ai rencontré au sujet de mon ALD », commente Pierre qui, aussi satisfait qu’il soit de son oncologue, estime qu’il a « trois docteurs » : son généraliste, son oncologue et… son pharmacien. « Les interactions médicamenteuses n’apparaissent pas sur les notices, de même que les produits ou conduites à éviter pour limiter les effets indésirables du traitement et l’amoindrissement de ses bénéfices : pas de piquant, de pamplemousse, pas de fritures, espacer les prises alimentaires sur certains aliments, manger par petites rations… C’est à la pharmacie, dans ces entretiens, que j’ai appris tout cela », insiste Pierre. L’été dernier, lorsqu’il fait un faux mouvement en réparant sa caravane sur son lieu de vacances, il a le réflexe d’appeler son pharmacien avant de prendre un antidouleur, celui-ci lui déconseillant ainsi la codéine.

Le conseil régional de l’Ordre pourrait s’impliquer

Le « protocole de délivrance de médicaments anticancéreux à l’officine » est actuellement en phase d’évaluation. Par les pharmaciens, qui redisent combien ils estiment important de passer du temps avec ces patients. Et par les patients, dont l’avis est recueilli par l’infirmière, Patricia Rio : « Ils sont tous enthousiastes et ne sont absolument pas gênés, au contraire, par le temps que cela leur prend. Certains ont même suggéré que soit apposé un logo dans les pharmacies participantes. »

Innovante, la démarche pourrait devenir un protocole national, souhaite Essononco. Un bémol cependant, celui d’une trop faible participation. Aujourd’hui, seuls 24 pharmaciens sont impliqués en Essonne, sur 420. C’est encore peu et les initiateurs du protocole ne cachent pas leur déception. « Lorsque nous l’avons transmis à nos confrères, certains ont commencé à vouloir faire des modifications substantielles et à le raccourcir. C’est dommage et réducteur par rapport à la maladie, or le protocole se veut exhaustif pour le patient », juge Patrick Ohana, qui reconnaît toutefois que ce suivi est prenant pour le pharmacien. Mais il n’en démord pas : « On ne peut pas délivrer une boîte de Doliprane comme une de Tarceva, cela n’a pas de sens ! Et nous devons nous former aux nouveaux traitements. »

Moshé Itzhaki, directeur d’Essononco, souhaite développer le programme via le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens, ainsi que d’autres actions, dont une incitation au dépistage du cancer du sein dans les officines essonniennes.

Patrick Ohana en quatre dates

• 2004 Diplôme de pharmacien, diplôme d’études spécialisées en pharmacie industrielle et biomédicale, maîtrise de droit à l’université d’Aix-Marseille. Enseignant, depuis cette date, à la faculté de droit d’Aix-en-Provence aux étudiants de 5e année (master Didentech « Droit immatériel de l’entreprise et des nouvelles technologies ».

• 2004-2006 Expert juridique pour un cabinet en propriété intellectuelle et industrielle.

• 2007 Installation à Epinay-sous-Sénart.

• 2012 DU d’orthopédie.

Si vous avez envie d’essayer

Les avantages

• Renforcer le rôle d’acteur de santé du pharmacien.

• Travailler en réseau et avec d’autres professionnels.

• Pour le patient et ses proches, réussir à parler de la maladie.

Les difficultés

• Il s’agit d’une activité chronophage.

• Faire adopter le protocole par les autres pharmaciens.

Ses conseils

• Un travail en amont est nécessaire.

• Faire partie d’un réseau pluridisciplinaire.

L’AVIS DE L’ÉQUIPE

« Ce type d’initiative ne se prend pas n’importe où mais dans une officine où règne une ambiance propice au dialogue, où l’on prend le temps au comptoir d’écouter des patients qui se sentent en confiance, estime Tamara Baverey, préparatrice. Je trouve cela plus intéressant, plus enrichissant dans ma pratique, plus valorisant aussi pour l’image de l’officine. On prend plus soin du malade, on prend plus de temps à parler avec lui de la maladie, en plus du traitement. Les patients, comme les proches, sont très désireux d’avoir des informations sur le cancer, je l’ai remarqué au comptoir. Très souvent, lorsqu’on leur apprend la maladie, ils décrochent très vite, sous l’effet du choc. L’officine est un relais pour répéter l’information transmise lors des consultations. »

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