DES ANTIBIOTIQUES, DES HOMMES ET DES ANIMAUX - Le Moniteur des Pharmacies n° 2958 du 24/11/2012 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2958 du 24/11/2012
 

Actualité

Auteur(s) : Caroline Coq-Chodorge

La résistance aux antibiotiques s’accélère. Les plans d’action français et européens insistent sur la nécessité de réduire conjointement la consommation en médecine humaine et vétérinaire. Mais la France reste un bien mauvais élève.

Des tuberculoses résistantes aux antibiotiques causent 150 000 morts chaque année dans le monde. En Europe, ce sont 25 000 personnes qui meurent chaque année d’une infection due à l’une des 5 bactéries multirésistantes les plus fréquentes. Et, en France, 11 % des infections nosocomiales sont dues, en 2011, à des souches d’Acinetobacter baumanii résistant à l’imipénème, contre 2 % entre 2003. Ces quelques exemples de l’accélération de la résistance aux antibiotiques sont donnés par le Centre d’analyse stratégique (CAS), institution placée auprès du Premier ministre, qui vient de produire une note sur le sujet à l’occasion de la Journée européenne d’information sur les antibiotiques organisée le 18 novembre. L’« apparition récente » de ces bactéries « insensibles à la plupart, voire à tous les antibiotiques disponibles, fait craindre un retour à l’ère pré-antibiotiques », s’alarme le CAS. Inquiétude supplémentaire : les nouveaux antibiotiques sont rares, du fait notamment d’une baisse des investissements de l’industrie pharmaceutique dans ce domaine de recherche. Se profile donc une « impasse thérapeutique ».

Découpler dispensation et prescription par les vétérinaires

C’était d’ailleurs le thème de la journée thématique interacadémique organisée mercredi 21 novembre par les Académies de médecine, de pharmacie, vétérinaire et d’agriculture. Cette initiative commune est inédite : « Nous avons d’abord discuté de cette journée avec l’Académie de médecine, relate Jean-Paul Chiron, président de l’Académie de pharmacie. Mais, rapidement, nous avons réalisé que notre réflexion était insuffisante. En associant les Académies vétérinaire et d’agriculture, nous nous situons au carrefour de l’ensemble des problèmes et de tous les écosystèmes. »

Car la surconsommation d’antibiotiques est tout aussi massive dans la médecine vétérinaire. Selon l’Organisation mondiale de la santé, au moins 50 % des antibiotiques produits dans le monde sont destinés aux animaux. Et les bactéries rendues résistantes par ces traitements vétérinaires peuvent être transmises à l’homme directement ou par voie alimentaire. Le Parlement européen va se saisir de cette question le 10 décembre prochain lorsque lui sera soumise une proposition de résolution de la commission de l’Environnement et de la Santé publique. Le div préconise notamment de limiter le droit des vétérinaires de prescrire des antibiotiques, mais aussi de séparer la prescription de la vente.

L’div de la proposition de résolution est la Danoise Anna Rosback, qui s’est inspirée de l’expérience de son pays. En 1990, le Danemark a partiellement interdit la vente des médicaments pour animaux aux vétérinaires pour la confier aux pharmaciens. S’ensuivit une baisse « significative » de la consommation d’antibiotiques, rapporte le CAS. Celui-ci met cependant en garde contre la transposition d’une telle mesure en France : « La séparation des fonctions de prescription et de vente par les vétérinaires en France semble difficile à appliquer à court terme, les revenus des vétérinaires (notamment en milieu rural) dépendant trop largement de la vente de médicaments. » Il préconise donc de « repenser leurs missions et leurs modes de rémunération, en basculant progressivement les marges du médicament vers le conseil ».

Dans leurs résolutions adoptées à l’issue de la journée du 21 novembre, les Académies de médecine, de pharmacie, vétérinaire et d’agriculture souhaitent que soit adoptée une « approche écosystémique environnementale intégrant végétal, animal et homme de la problématique antibiorésistance ». Mais elles n’ont pas abordé la question du découplage pour les vétérinaires de la prescription et de la dispensation. « C’était hors sujet, se justifie Jean-Paul Chiron. C’est un vieux et un grand débat que les Académies doivent avoir sereinement. » Il admet cependant : « Le fait de séparer les fonctions de prescription et de dispensation apporterait une meilleure lisibilité. »

Toujours trop d’antibiotiques en France

Dans le domaine vétérinaire, la France est en effet le deuxième consommateur européen d’antibiotiques en tonnage, mais elle occupe le sixième rang en quantité ramenée par animal. Un plan national a été mis sur pied prévoyant une réduction de 25 % de la consommation sur cinq ans. Entre 1999 et 2010, elle a baissé de 23 %, mais cette baisse est en partie liée à l’abandon de traitements longs au profit de traitements plus courts, avec cependant de nouvelles molécules plus « critiques » pour l’homme, indique l’Institut de veille sanitaire (InVS) dans son récent Bulletin épidémiologique hebdomadaire consacré aux antibiotiques. Pour enfin « réduire drastiquement la consommation d’antibiotiques critiques pour l’homme chez l’animal », le Centre d’analyse stratégique appelle de ses vœux des « engagements volontaires de la part des filières ». Et il va plus loin en suggérant même des « interdictions réglementaires » pour l’utilisation de certains antibiotiques chez les animaux.

Dans le même temps, la consommation d’antibiotiques humains reste élevée plus de 10 ans après le lancement du premier plan antibiotiques, en 2001. Entre 2000 et 2005, la consommation a sensiblement baissé, d’environ 16 %, mais elle stagne depuis. Alors que le troisième plan quinquennal a démarré en 2011, la France reste le troisième consommateur d’antibiotiques en Europe, selon le CAS. Pourtant, l’InVS estime que dans 40 % des cas à l’hôpital, et dans 60 % en ville, des antibiotiques sont inutilement prescrits contre des virus. Pour enfin parvenir à « rationaliser » ces prescriptions, le CAS prévoit « d’envoyer chaque année à tous les médecins leurs profils de prescription » et de les encourager à utiliser les tests rapides d’orientation diagnostique.

REPÈRES

• En 2009, les Français ont consommé 29,6 doses définies journalières pour 1 000 habitants par an, contre une moyenne de 20,9 en moyenne en Europe. La « dose définie journalière » représente la dose moyenne journalière du principe actif que contient un médicament dans son indication principale, pour un adulte de 70 kg. Cette unité de mesure, développée par l’Organisation mondiale de la santé, ne renseigne pas sur le bon usage ou non.

• En 2010, la consommation d’antibiotiques vétérinaires en France s’élève à 1 011 tonnes, soit environ le double de la consommation humaine.

Elargir la surveillance des résistances aux bactéries

Si elle peine à réduire sa consommation, la France est une meilleure élève pour la surveillance des antibiorésistances, en particulier à l’hôpital. Les Académies nationales de médecine, de pharmacie, vétérinaire et d’agriculture veulent aller plus loin en mettant sur pied « une veille interacadémique permanente de la résistance aux antibiotiques ». Pour le Centre d’analyse stratégique, le réseau de surveillance et d’alerte des bactéries multirésistantes doit être élargi au niveau mondial, sous la coordination de l’OMS. Car si l’Union européenne dispose de systèmes efficaces, « la veille n’est pas structurée dans de grandes parties du globe, entre autres en Chine, en Inde et en Afrique ». Ces pays représentent pourtant d’importantes zones d’émergence de bactéries multirésistantes, car les antibiotiques y sont parfois en vente libre et les contrefaçons de médicaments sous-dosés fréquentes. Et sous l’effet de la mondialisation, ces bactéries ont aussi la capacité de voyager toujours plus vite.

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