« L’AVENIR EST DANS LES REGROUPEMENTS » - Le Moniteur des Pharmacies n° 2951 du 06/10/2012 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2951 du 06/10/2012
 

Dossiers

Entretien

Auteur(s) : Isabelle Guardiola

Selon Pierre De Haas, l’exercice « en solo » est devenu obsolète. Président de la Fédération française des maisons et pôles de santé, il milite avec pragmatisme pour un système libéral coopératif où les compétences de tous les professionnels de santé seraient utilisées à leur juste valeur.

LE MONITEUR : Maison médicale, maison, pôle ou centre de santé… Comment s’y retrouver dans la terminologie ?

PIERRE DE HAAS : C’est vrai qu’il existe un certain flou, mais finalement ce n’est pas très intéressant. On a atteint depuis peu le seuil de plus de 50 % de généralistes travaillant à plusieurs. Dans les années 80, on parlait de « cabinet de groupe ». Lorsque d’autres professionnels de santé y exerçaient, on disait la « maison médicale ». Lorsque nous avons commencé à travailler sérieusement la question de la coordination dans ces maisons médicales, avec un regard qui commençait à se tourner vers la santé territoriale et communautaire et l’envie de mettre en place des protocoles, nous nous sommes dit qu’il nous fallait une appellation spécifique. On a opté pour la « maison de santé ». Le terme faisait alors penser à la prison ou à un établissement de cure thermale !

Mais il a été rapidement popularisé dès 2007 par le rapport du sénateur Juilhard sur l’offre de soin. Il a été repris dans la loi HPST et aujourd’hui relèvent du même droit réglementaire les maisons et les pôles de santé. La maison de santé évoque des murs et une équipe réunie dans le même lieu. Quand les professionnels ne sont pas sous le même toit mais travaillent à des projets communs, on parle de « pôle de santé ».

Le concept de maison de santé a le vent en poupe et a été plébiscité par tous les candidats à la présidentielle. Combien sont-elles aujourd’hui ?

L’estimation faite à partir des demandes financières dans le cadre de l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération auprès du Fonds d’intervention régional chiffre à 450 les maisons de santé et à 1 000 les projets. Un observatoire est en création mais il n’existe pour l’instant ni label ni brevet sur ces structures. Récemment, j’ai vu une publicité pour un « pôle de santé » dans les Alpes qui s’avère être un cabinet d’ostéopathes ! Ce n’est pas grave si le terme est utilisé par d’autres structures. Ce qui compte, c’est que le monde des maisons de santé – qui porte selon moi tout l’avenir du système de soins – se développe. Il faut laisser les projets grandir sur les territoires et la créativité s’exprimer. Mais nous ne souhaitons pas mettre en avant des « maisons de santé-vitrines » qui risqueraient de susciter le rejet, lequel malheureusement s’exprime parfois par peur de la nouveauté et repli professionnel sur soi. Ce qui importe, c’est le mouvement et le soutien politique, pour montrer que la nation suit ce chemin emprunté devant les difficultés d’exercice seul, la technicisation des métiers, la montée des charges administratives, la chronicisation de la maladie, les évolutions économiques… Nous ne voulons pas devenir des ayatollahs de la maison de santé (« hors de la Fédération, point de salut ! »). Pour autant, nous définissons des éléments essentiels à ces structures : la coordination, la protocolisation, un système d’information partagé autour des patients. Nous travaillons avec la Haute Autorité de santé et le ministère sur des grilles qui guideront les équipes vers une modernisation de leur système.

Les créations sont-elles toujours à l’initiative des médecins ?

En grande majorité. Il faut dire qu’ils sont en retard par rapport aux officinaux sur le système d’information et, de façon générale, sur le travail coordonné. Mais on trouve aussi des pharmaciens et des infirmiers parmi les pionniers, lesquels ont le profil de leader : grande capacité de convaincre, de communiquer, d’animer une équipe… Ils savent sortir de l’idéologie pour le pragmatisme, ont une capacité d’écoute et maîtrisent le lien avec le politique. Lorsque sera passée la phase pionnière, on verra arriver d’autres profils, notamment par le biais de sociétés qui proposeront de la « maison de santé clés en main ». Seront alors plutôt requises des capacités de management. Le pharmacien aura son rôle à jouer : il a un profil et un savoir-faire bien plus managérial que le médecin. La grande différence entre un médecin et un pharmacien, c’est qu’en fin de consultation, si le patient ne paie pas, le médecin ne perd “que” 23 euros et un quart d’heure de son temps. Le pharmacien livre de la marchandise, a un stock à gérer et doit faire face à une situation économique plus dure. L’autre différence, c’est leur situation d’employeur : 0,3 secrétaire en moyenne par médecin dans un cabinet généraliste, 0,5 dans une maison de santé. Mais combien de préparateurs pour deux ou trois titulaires ?

Pourquoi, selon vous, si peu de pharmaciens sont impliqués ?

Pour un pharmacien, entrer dans la maison de santé est tout de même plus compliqué que pour un médecin ou une infirmière. S’il rejoint le projet sur le plan immobilier, cela signifie qu’il laisse sa licence et change de lieu. S’il quitte le village, il peut craindre que quelqu’un occupe la place… Le problème le plus fréquent se présentant est la configuration suivante : deux communes, deux médecins et une pharmacie dans le gros bourg, un médecin et une pharmacie dans le petit bourg voisin. Une maison de santé se crée dans le gros bourg, le médecin isolé décide de rejoindre ses confrères. Le pharmacien resté seul au village panique et se dit que les maisons de santé sont une horreur. Des solutions existent, on en a trouvé pour le futur : les deux pharmaciens créent une société avec une officine de premier recours dans le petit bourg, dans laquelle la maison de santé délègue certaines tâches avec l’aide d’une infirmière intervenant dans la pharmacie pour des soins de premiers recours. Plaies, prise de tension, etc., sont autant d’activités que l’on pourra déléguer avec la loi lorsque la démographie médicale s’écroulera. L’autre solution est la création d’une seule grosse pharmacie avec une capacité de distribution de médicaments et de portage à domicile. Les pharmaciens ne manquent pas d’idées, mais les bonnes solutions sont celles que prennent les acteurs locaux. Elles sont guidées par l’historique sur place, la relation entre les personnes, la réaction des élus locaux…

Dominique Dépinoy, du cabinet de conseil Acsantis, explique [voir Le Moniteur n° 2947] que les pharmaciens participent parfois à la création d’une maison de santé plus par peur que par motivation…

Mettons-nous à leur place : les médecins se regroupent juste à côté de la pharmacie de Pierre. Normal que Paul et Jacques, de l’autre côté de la bourgade, paniquent en se disant que tous les patients sortant de la maison de santé vont filer chez Pierre. La question est légitime mais il n’appartient pas à la Fédération de trouver des solutions. Ce sont aux officinaux de se mettre autour d’une table, entre confrères du même secteur d’abord, avec les autres professionnels de santé ensuite. Je pense d’ailleurs que tous les professionnels de santé ont intérêt à se mettre autour d’une table et à réfléchir à leur pérennité économique et à leur avenir. Les médecins n’ont pas trop à s’en faire : la démographie est en baisse et les gens consommeront toujours du soin, jusqu’ici remboursé par l’assurance maladie. Les infirmières non plus. Pour elles, leur métier se modifie et elles peuvent confier une grande partie de leur activité de soins aux aides-soignantes pour se consacrer à des tâches plus gratifiantes pour lesquelles elles ont été formées. Le pharmacien, lui, voit le système de santé bouger et s’inquiète pour son équilibre économique.

Reprenons votre exemple. Quel est l’avantage pour Pierre de s’associer à Paul et Jacques et qu’ils entrent dans la maison de santé ?

Je fais partie de ceux qui pensent qu’au XXIe siècle, le travail « en solo » n’est plus possible. Pierre, Paul et Jacques en s’alliant seront plus de trois. Après une analyse économique, ils détermineront ce qu’il faut garder en termes de murs et mutualiseront leurs compétences : l’un se chargera du maintien à domicile, l’autre sera plus spécialisé sur la délivrance, le troisième sur la préparation pour les EHPAD ou la gestion du personnel et administratif… Comme en médecine, l’évolution technique et des connaissances fait que l’on ne peut plus tout faire seul. De plus, si Pierre tire la couverture à lui, comment voulez-vous qu’il soit crédible vis-à-vis des autres professionnels de santé qui ont de bonnes relations avec Paul ou Jacques ? Si vous entrez dans une équipe de premier recours, il faut que ce soit au bénéfice de tous les professionnels de santé.

La délégation de tâches n’est donc pas un vain mot pour vous ?

A la Fédération, on ne réfléchit plus en catégories professionnelles mais en équipes de soins de premier recours. Sauf que l’on est bridés par la réglementation. Ce n’est pas sérieux ! Ainsi, la patiente qui vient à la maison de santé pour une cystite devrait pouvoir voir un pharmacien ou une infirmière, capables de poser un diagnostic et de mettre en route une thérapeutique. La patiente qui se présente avec un ulcère variqueux devrait aussi pouvoir voir une infirmière, surtout si celle-ci a suivi un DU de cicatrisation et en sait plus que le médecin ! Ce dernier, qui a fait neuf ans d’études, devrait pouvoir consacrer plus de quinze minutes à l’examen neurosensoriel d’un enfant de deux ans ou au cas complexe de la patiente diabétique, mal logée, mal nourrie, qui ne touche plus la pension de réversion de son mari… Il n’y a plus de médecins scolaires, les EHPAD ont de plus en plus de mal à recruter des médecins coordonnateurs, le travail devrait être réparti autrement. On devrait avoir le double de temps pour soigner les cas complexes ou former les infirmières scolaires ou de l’EHPAD à intervenir sur des situations difficiles… Mais, pour l’instant, on est toujours obligé de passer par la case médecin pour prendre en charge une rhinopharyngite. Or, vous connaissez la blague : vous savez combien de temps dure une rhinopharyngite bien soignée Une semaine. Et une rhinopharyngite mal soignée Sept jours…

Finalement, dans cette approche du travail en maison de santé s’estompe le complexe du pharmacien vis-à-vis du médecin…

Dans certaines maisons de santé s’organisent des réunions médecins-pharmacien. Le pharmacien vient avec sa pochette d’ordonnances et, au départ, les médecins sont dans leurs petits souliers : sur qui ça va tomber en premier ? Parce que le pharmacien leur renvoie : « Peut-être que dans votre maison de santé vous pourriez tous être d’accords sur les doses de ce produit »… Quand il ne pointe pas des interactions entre produits de la même ordonnance ! Le travail d’équipe souligne les compétences de chacun. D’ailleurs, chez nous, on ne dit plus « délégations des tâches » (cela fâche les infirmières !) mais « répartition du travail », au prorata des connaissances. Le médecin généraliste sort des études bardé de connaissances. Sur le terrain, il apprend la base du soin primaire : s’adapter aux croyances, idéologies, habitudes de vie et à l’environnement de ses patients… C’est sa plus-value. L’infirmière et le pharmacien viennent compléter l’information sur le patient. A la pharmacie, il se dit plein de choses et le pharmacien est celui qui voit le plus de patients. Le trio pharmacien-médecin-infirmière forme le premier niveau du premier recours, à tel point que la Fédération lance actuellement une expérience en France baptisée ESPREC (« équipe de soins de premier recours en suivi de cas complexes ») qui fera la démonstration que travailler à trois, de façon coordonnée, aboutit à une amélioration de la santé du patient. Le pharmacien ou l’infirmière voit un patient qui l’intrigue et appelle le médecin. Si celui-ci confirme qu’il s’agit d’un cas complexe, il demande à sa secrétaire de réunir les trois, ils discutent du cas et décident des messages à faire passer au patient et d’un projet pour un an, pour l’épauler. Nous avons obtenu un financement expérimental sur ce suivi afin de pouvoir utiliser des « prescriptions dérogatoires »: si l’infirmière voit que le patient, chez lui, ne bouge pas de la télé, elle lui envoie un éducateur sportif ; si le réfrigérateur ne semble pas bien garni, on lui propose une prise en charge diététique… Nous allons commencer sur trois types de prise en charge : diabète sévère, hypertension sévère et patient âgé dépendant.

Les maisons de santé sont-elles une solution aux déserts médicaux ?

Je n’ai jamais beaucoup cru au terme. En dehors de quelques vallées des Alpes ou des îles isolées, j’aimerais connaître le nombre de territoires où les personnes sont à plus de 30 km du médecin traitant… C’est un concept développé par l’inquiétude de certains représentants de la profession. On n’a pas assez de bac + 9 pour soigner la rhinopharyngite, c’est vrai. En revanche, si on veut utiliser ces professionnels, selon notre proposition d’organisation, ils sont bien assez ! Dans un village de 1 500 habitants, on peut trouver un médecin travaillant de l’aube au crépuscule mais dont l’analyse de sa pratique permettrait de déléguer une partie de son travail à d’autres professionnels. Par exemple, un patient qui a une hypertension équilibrée n’a sans doute pas besoin de consulter un médecin tous les trois mois. Une ordonnance pour douze mois peut suffire si on lui fait acheter un appareil à tension chez le pharmacien et s’il contrôle sa tension lui-même, avec une séance d’éducation thérapeutique chez une infirmière.

Pensez-vous que l’exercice libéral puisse être remis en question dans les années à venir ?

C’est tout à fait possible. Les systèmes les plus efficients au monde en termes de résultats économiques et qualitatifs sont ceux où tous les professionnels de santé sont salariés, à l’instar des sociétés d’assurance américaines, pour les vétérans et autres. Il n’existe pas de pays ayant aujourd’hui démontré sa très grande efficience en fonctionnant sur un système libéral. On a donc du travail et on doit se montrer solidaires. Je ne sais pas si, dans cinq ou dix ans, les professionnels de santé seront majoritairement salariés ou si la fonction libérale l’aura emporté, en créant des structures de soin bien organisées, avec des protocoles de soins qui tournent, au service de la population, l’Etat nous soutenant et nous assurant les rémunérations. Nous ne pouvons que mettre en avant les avantages de la maison de santé : décharge administrative, intérêt des pratiques et des échanges, rythme de travail, convivialité… On est bien loin du cabinet poussiéreux de médecine générale ! La qualité de vie prime et nous gagnons quand même très bien notre vie. Les jeunes qui nous visitent sont surpris et séduits ! Nous avons nos preuves à faire pour montrer que l’avenir est dans les regroupements. Les pharmaciens, bien plus précurseurs et éclairés, l’ont compris depuis longtemps, avec les groupements pharmaceutiques. L’union fait la force.

Ses dates clés

Depuis 1983, médecin généraliste dans l’Ain.

1996-2002 : responsable de l’événementiel à MG-France.

Mai 2006 : création de sa maison de santé à Pont-d’Ain, qui regroupe aujourd’hui 18 professionnels de santé dont 2 pharmaciens et des travailleurs sociaux.

2009 : président de la Fédération française des maisons et pôles de santé, qui regroupe 18 fédérations régionales et possède des correspondants sur tout le territoire.

Pierre De Haas est l’div de « Monter et faire vivre une maison de santé », paru en 2010 aux éditions Le Coudrier.

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