GÉLULES ET COMPRIMÉS RÉVÈLENT LEURS SECRETS - Le Moniteur des Pharmacies n° 2930 du 21/04/2012 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2930 du 21/04/2012
 
À NANCY

Reportage

Auteur(s) : Véronique Pungier

La toxicovigilance est beaucoup moins connue que la pharmacovigilance.? Pourtant ce sont bien les centres antipoison et de toxicovigilance qui, à toute heure, sont appelés en premier lieu lorsqu’une erreur de traitement est constatée. Celui de Nancy alimente la Base nationale d’identification des formes orales solides médicamenteuses, unique en France. Une source à solliciter sans hésitation pour identifier un comprimé retrouvé seul dans un pilulier par exemple.

Comme tous les centres antipoison et de toxicovigilance de France, les deux missions principales du Centre antipoison et de toxicovigilance (CAPTV) de Nancy sont d’assurer la réponse téléphonique urgente et la toxicovigilance. Le centre nancéen assume aussi deux missions particulières, la gestion de deux banques de données placées sous bonne garde : la Banque nationale produits et compositions (BNPC) et la Base nationale d’identification des formes orales solides médicamenteuses, confiée à des pharmaciens. Cette dernière, créée il y a une quarantaine d’années, est reconnue par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). « Cependant, l’Afssaps n’oblige pas les industriels du médicament à envoyer à Nancy une boîte-échantillon lorsqu’ils commercialisent de nouvelles spécialités solides de type gélules ou comprimés », signale Elisabete Gomes, pharmacien responsable de la Base d’identification des formes orales solides médicamenteuses. L’Agence se contente de recommander aux laboratoires d’envoyer les médicaments au moment de leur commercialisation. Et encore, depuis trois ou quatre ans seulement. A Nancy, l’équipe des pharmaciens souhaite d’ailleurs que les industriels soient aussi sensibilisés au fait d’envoyer des échantillons lors de tout changement visible de la forme médicamenteuse.

Une boîte de Dragibus dans les tiroirs

L’enrichissement de la base débute donc par un travail de veille. Celui-ci passe par la lecture des rubriques présentant les nouveaux produits dans les revues professionnelles comme Prescrire, Le Moniteur des pharmacies ou la newsletter de Thériaque. Mais aussi par un repérage sur le terrain, donc à l’officine, grâce aux pharmaciens qui y travaillent également. Certains laboratoires envoient spontanément un échantillon du médicament qu’ils lancent, d’autres le font à la demande du CAPTV nancéen. « Nous essayons d’être exhaustifs sur le médicament, mais la tâche est compliquée vu le nombre de génériques commercialisés. D’autant qu’avec les fusions de laboratoires, des génériques changent de nom mais il reste à savoir si le comprimé a subi des modifications, explique Elisabete Gomes. Auparavant, tout ce qui pouvait ressembler à un comprimé était référencé ; nous avons même dans nos tiroirs des bonbons, notamment une boîte de Dragibus ! Malheureusement, avec l’évolution du marché et le manque de réglementation, nous ne sommes pour l’instant pas en mesure d’effectuer ce même travail pour les compléments alimentaires et la phytothérapie. Les produits pouvant être achetés via Internet posent également problème car il n’y a dès lors pas de possibilités de tendre à l’exhaustivité, ce qui peut nuire à la pertinence de l’identification.? »

Chaque nouvelle boîte qui entre dans le service est répertoriée et conservée par ordre chronologique d’arrivée. Il y a autant de fiches dans la base que de dosages différents stockés. Fin mars 2012, la base comprenait 12 915 formes orales ; y sont entrées 9 690 formes comprimé et 3 114 boîtes de gélules et de capsules. « La différence est due à la présence dans la base d’anciennes formes galéniques telles que les cachets collés, emboîtés, les pilules ou encore les granules », explique Elisabete Gomes. Comme dans une officine, le mur entier d’une pièce est tapissé de tiroirs du sol au plafond pour accueillir toutes les boîtes de médicaments solides. Les stupéfiants solides sont également référencés. « Nous sommes soumis aux mêmes contraintes que les autres pharmacies pour les médicaments stupéfiants. Nous devons faire un courrier à l’Afssaps pour obtenir l’autorisation de détenir la nouvelle spécialité. Nous avons un coffre pour les stocker », commente Céline Moulut, pharmacien à temps partiel en officine et au CAPTV de Nancy.

Chaque forme solide possède sa carte d’identité

L’entrée d’une nouvelle spécialité dans la base débute par le remplissage manuscrit d’une fiche détaillée dont les paramètres une fois renseignés sont saisis informatiquement. Ce travail revient le plus souvent à l’externe en pharmacie, présent dans le service tous les matins pendant 4 mois, dans le cadre de la 5e année AHU et est vérifié par l’interne en pharmacie.

Pied à coulisse, balance de haute précision, appareil photo et chambre noire font partie des outils indispensables pour décrire avec précision toutes les formes orales solides médicamenteuses qui arrivent à Nancy. Il faut renseigner la forme galénique, le statut de la spécialité, l’enrobage, la sécabilité, les angles et arêtes, l’aspect, l’odeur, la présence d’un double noyau, l’effervescence, la forme géométrique vue de dessus et de profil, le diamètre, la longueur, la largeur, la hdiv, le poids, les inscriptions figurant sur la forme solide, le nombre de couleurs visibles à l’extérieur et à l’intérieur. Le pharmacien, l’interne ou l’étudiant en pharmacie en 5e année précise enfin le code CIP, le nombre d’unités de prise par boîte et par blister. « Le détail organoleptique le plus délicat et le plus subjectif est la couleur ; c’est avec ce critère que nous éprouvons le plus souvent de difficultés lors de la description pour une identification », souligne Elisabete Gomes.

Autre étape importante : le passage au studio photo du comprimé ou de la gélule, photographiés sous toutes les coutures, pour compléter la fiche d’identité ainsi constituée.

Lorsqu’un nouveau conditionnement d’un dosage déjà entré dans la base arrive à Nancy, les pharmaciens comparent les comprimés pour vérifier s’ils sont bien les mêmes ou pas avant d’enregistrer une nouvelle fiche en cas de constat d’un changement.

En 2011, le centre antipoison a reçu 243 appels en vue d’une identification d’une forme solide. La base a ainsi permis d’identifier le comprimé inconnu dans 141 cas. Dans 38 cas, aucune réponse n’a pu être donnée alors que dans 19 cas la base a extrait 2 à 5 possibilités. « D’où l’importance de renseigner un maximum de données afin de parvenir à un minimum d’occurrences lorsqu’il faudra identifier la nature d’un comprimé ou d’une gélule retrouvés sans leur conditionnement primaire », explique Céline Moulut.

Les pharmaciens, officinaux et hospitaliers, sont les premiers appelants. Ils cherchent le plus souvent à reconnaître des comprimés retrouvés dans des piluliers ou par un patient sans possibilité d’identification. Les appels arrivent parfois dans un condiv d’urgence tel qu’une intoxication médicamenteuse volontaire, une intoxication accidentelle chez des enfants par exemple, mais aussi à cause de comprimés retrouvés lors d’une perquisition… Ceux-ci proviennent alors des médecins hospitaliers ou libéraux, des services de police. Les laboratoires de toxicologie, les particuliers et le personnel infirmier appellent également.

Pour identifier les substances solides illicites, le CAPTV de Nancy s’aide des planches photographiques fournies par le laboratoire de la police scientifique de Lyon, qui dispose d’une base de données similaire à celle de Nancy, mais spécifique aux produits stupéfiants ou illégaux saisis, les formes poudre en plus. Dans ce type de demandes, l’identification formelle ne peut être qu’analytique cependant.

Un référencement de tous les produits chimiques

Les praticiens médecins et pharmaciens du CAPTV de Nancy gèrent aussi la Banque nationale produits et compositions : il s’agit cette fois-ci de recenser les compositions qualitatives et quantitatives de produits chimiques de toutes sortes qui sont commercialisés en France (médicaments, produits ménagers, industriels, matières premières, biocides…). Toutes les informations relatives aux produits, déclarées obligatoirement ou spontanément avant commercialisation par les industriels ou encore récoltées au fil de leur activité par les centres antipoison, sont collectées et organisées en BNPC et mises à disposition des CAPTV et des agences de sécurité sanitaire. Tous les types de produits peuvent être concernés, professionnels ou grand public. « Toutes les informations disponibles sont colligées, enrichies et complétées des aspects toxicologiques utiles. Les documents sources de l’information (données de composition, fiches de données de sécurité, fiches techniques, étiquettes, données d’étiquetage pour les produits classés) sont numérisés si nécessaire et viennent compléter l’information structurée, détaille Elisabete Gomes, également gestionnaire de cette base. Pour les produits cosmétiques, en application d’un décret obsolète de 1978, la déclaration des formules doit être faite aux CAPTV de Paris, Lyon et Marseille sous format papier (fiche Cerfa). Il n’y a hélas pas de saisie a priori à la Banque nationale produits et compositions, ce qui constitue une notable perte de chance pour les personnes exposées. » Ainsi, le médecin dispose de moins d’informations que le consommateur qui trouve sur l’étiquette du produit la liste des ingrédients par ordre décroissant de concentrations… Tous les utilisateurs et acteurs de la BNPC sont soumis aux secrets médical, industriel et commercial.

Une collaboration étroite entre pharmaciens et médecins

Dans l’espace où les appels sont pris en charge, sont au minimum postés un médecin senior, un interne et deux à trois externes, les médecins étant les seuls habilités à répondre aux appels d’urgence. Casque téléphonique sur la tête, chacun dispose de trois écrans d’ordinateur : l’un sert à la saisie du dossier en cours de prise en charge, le deuxième permet de faire des recherches dans les bases documentaires de toxicologie et en BNPC, et le troisième sert au système de téléphonie numérique. Qu’elles proviennent de particuliers, de généralistes, de médecins du travail, du SAMU, de réanimateurs, d’urgentistes, d’industriels ou de pharmaciens d’officine, les demandes sont le plus souvent motivées par l’exposition d’une personne à un « agent » : ce peut être un médicament (mésusage, surdosage, interactions), un produit ménager ou professionnel, une vapeur ou un gaz, un matériau, des baies, des champignons… Le CAPTV est là pour évaluer le risque pour la personne exposée et donner si nécessaire avis et conseils pour la prise en charge de l’intoxication.

« En cinq à dix minutes, les cas faciles sont traités. Les difficultés et pièges sont nombreux : savoir précisément de quel produit on parle pour retrouver sa composition et raisonner sur chacun des ingrédients et leur association, évaluer la dose de manière aussi précise que possible, imaginer la situation clinique… Parfois, il faut alerter le SAMU pour mobiliser des secours urgents sur place. Cependant, dans plus de 85 % des cas, l’évaluation du risque est faible ou nulle et quelques gestes simples sont préconisés ainsi qu’une surveillance à domicile par l’entourage. Le CAPTV suit les cas par téléphone de façon rapprochée si nécessaire », explique le Dr Patricia Boltz. Les cas d’intoxication concernent le plus souvent les enfants de 1 à 4 ans… Toutes les observations collectées à Nancy sont immédiatement transférées à la base nationale des cas dont l’exploitation permet d’avoir une vision permanente des expositions toxiques en France. Heureusement, les décès toxiques sont rares (0,03 %).

Au centre antipoison et de toxicovigilance de Nancy, pharmaciens et médecins collaborent étroitement et tous participent aux diverses missions du service. L’équipe est également très motivée pour mener des actions de prévention auprès des professionnels de santé et du grand public dans le but de réduire les erreurs médicamenteuses signalées en toxicovigilance.

Bilan 2011

Condivs des demandes d’identification de formes orales solides médicamenteuses en 2011

– Hors ingestion (c’est-à-dire dans une poche, un pilulier…) : 36 %.

– Suicides : 26 %.

– Drogue illicite : 9 %

– Rapports pour un décès (comprimés retrouvés près d’un corps) : 10 %

– Soupçons de déviance d’un adolescent : 10 %

– Intoxications accidentelles : 7 %

– Enquêtes de police : 2 %

Un œil vigilant sur les dispositifs d’administration des formes liquides

Le CAPTV de Nancy développe aussi la description des dispositifs d’administration ou de reconstitution qui accompagnent des formes liquides médicamenteuses à l’origine de nombreuses erreurs thérapeutiques (inversion de pipettes de deux spécialités, mauvaise reconstitution…). L’objectif est de permettre de calculer rapidement en cas de confusion de dispositif la quantité de principe actif administré et d’évaluer le risque en conséquence. « Si une maman administre à son enfant de 20 kg une dose-poids de Dépakine avec la pipette de Doliprane, nous sommes à 2,5 fois la dose toxique », donne en exemple Céline Moulut, pharmacienne.

A savoir

Le CAPTV de nancy est joignable 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 au 03 83 32 36 36.

Repères

• Il existe 10 centre antipoison et de toxicovigilance en France et 3 centres de toxicovigilance.

• En 2011, les centres antipoison et de toxicovigilance ont reçu 194 000 demandes.

• 45 erreurs thérapeutiques sont signalées chaque jour aux CAPTV français.

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