L’ÉTUDE QUI DÉNONCE - Le Moniteur des Pharmacies n° 2921 du 25/02/2012 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2921 du 25/02/2012
 
PRIX DU MÉDICAMENT

Actualité

Auteur(s) : Isabelle Guardiola

Une étude de l’IRDES comparant des médicaments similaires montre un écart moyen de prix de 59 % entre le plus ancien médicament d’une classe thérapeutique et les suivants. Comment expliquer de telles différences ? Peut-être par l’opacité de notre système français de fixation des prix.

La revoilà. L’étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) portant sur les « Déterminants de l’écart de prix entre médicaments similaires et le premier entrant d’une classe thérapeutique » vient de paraître. On se souvient qu’une première version (voir Le Moniteur n° 2830) avait fait polémique et été contestée, sur le plan méthodologique, par Noël Renaudin, ancien président du Comité économique des produits de santé (CEPS), chargé de fixer le prix des médicaments. La méthodologie a donc été revue.

Cette dernière étude porte sur 259 médicaments répartis en 31 classes thérapeutiques similaires homogènes du point de vue des indications et de la structure moléculaire. Sa conclusion ? Des écarts moyens de prix de 59 % par groupe entre le premier entrant – commercialisé – de la classe et les suivants. Une moyenne qui masque des disparités importantes : dans certaines classes, on observe des écarts négatifs, tous les médicaments d’une classe thérapeutique étant moins chers que le premier entrant. Dans d’autres, en revanche, les écarts positifs sont conséquents. C’est le cas des IEC exclusifs pour l’insuffisance cardiaque et l’HTA ou de certains antidiabétiques : entre Glucidoral et Diamicron, l’écart de prix est de… 548 % !

Les volumes de vente sont-ils sous-estimés ?

« Ces écarts nous choquent, commente Sylvain Pichetti, économiste et chargé de recherche sur le médicament à l’IRDES. Ils s’expliquent par l’innovation mesurée par l’ASMR, plutôt conforme à la régulation affichée par le CEPS. Cependant, on s’interroge sur la proportionnalité entre l’innovation – qui demeure assez faible vu qu’il s’agit de médicaments similaires – et les écarts de prix, parfois très excessifs. » Une analyse que l’on peut relier à un autre constat : les médicaments les plus récents sont les plus chers. « Et l’on sait, poursuit Sylvain Pichetti, que le prescripteur est sensible à l’innovation et à la nouveauté que va lui présenter le visiteur médical. Il est à redouter que son choix thérapeutique concernant des médicaments similaires ne se fonde pas sur une recherche d’économie mais sur des critères d’innovation, même faibles. »

Autre constat étonnant, celui des écarts de prix concernant les médicaments disponibles en plusieurs dosages : soit le prix est fixe quel que soit le dosage, soit il est proportionnel à celui-ci. « Or, sur notre échantillon, 86 % des prix des médicaments varient avec le dosage. C’est une stratégie inégalitaire qui pénalise les patients consommateurs de forts dosages », juge Sylvain Pichetti. Enfin, l’IRDES a introduit le critère d’une part de marché en volume du médicament similaire, dans la mesure où il s’agit d’un facteur pris en compte par le régulateur pour fixer le prix du médicament (voir encadré p. 8). Concrètement, si le médicament doit être massivement diffusé il sera décidé un prix plus faible. Dans le cas contraire, le prix sera plus élevé. « Pourtant, conclut Sylvain Pichetti, les médicaments bénéficiant de parts de marché plus élevées sont également ceux dont les prix sont les plus élevés. On se demande donc s’il n’y a pas une stratégie du laboratoire à sous-estimer les volumes de vente lors de sa négociation… Nous ne sommes cependant pas affirmatifs puisque les négociations ont lieu sur le portefeuille global du laboratoire. »

Comment sont fixés les prix des médicaments en France ?

Les prix de vente des médicaments remboursables ne sont pas libres. Ils sont fixés par négociation entre le Comité économique des produits de santé – qui regroupe des représentants de l’Etat, de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et de l’Union nationale des organismes de complémentaires – et le laboratoire pharmaceutique fabricant. Ces négociations ont lieu non produit par produit, mais pour l’ensemble du portefeuille du laboratoire. Le Comité économique des produits de santé rend ensuite son avis. On distingue deux configurations :

– les médicaments les plus innovants (ASMR I, II, III et certains IV) : le prix s’aligne sur ceux pratiqués en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne ;

– les médicaments faiblement innovants (ASMR IV et V) : le prix tient compte du niveau d’ASMR (plus élevé pour le IV que le V), de celui des médicaments issus de la même classe ainsi que du volume de ventes prévu (les volumes de vente plus importants se traduisent théoriquement par un prix plus faible).

QUESTIONS À GÉRARD DE POUVOURVILLE, TITULAIRE DE LA CHAIRE ESSEC SANTÉ, DIRECTEUR DE L’INSTITUT DE LA SANTÉ

« J’ai du mal à tirer de l’étude des conclusions normatives »

Est-ce si difficile de s’accorder sur la notion de « produits similaires » ?

Les Allemands l’ont fait pour définir leur prix de référence en créant les « jumbo groups », lesquels rassemblent des médicaments issus de la même classe, aux structures moléculaires proches, aux effets ou bénéfices cliniques considérés comme équivalents. On peut discuter cette notion d’équivalence thérapeutique car il peut y avoir des bénéfices différents. Si l’on prend l’exemple des statines, les médicaments existants sont équivalents, mais à des quantités posologiques différentes… Je ne sais pas comment cette donnée est prise en compte dans l’étude de l’IRDES.

Quel autre écueil voyez-vous pour établir une étude comparative fiable ?

Il est ennuyeux que l’étude ne coure pas sur une période homogène en matière de politique de prix : elle concerne les années 2001/2009, or en 2003 est intervenue l’introduction de la nouvelle convention-cadre liant le niveau d’ASMR au prix. Entre 2001 et 2003, les prix étaient négociés et il eût été intéressant de voir l’impact de 2003 sur les écarts de prix. J’ai donc du mal à tirer de cette étude des conclusions normatives et à véritablement savoir si ces écarts de prix sont justifiés ou pas, mais j’aurais tendance à penser que le CEPS a fait du bon travail puisque l’innovation est prise en compte. Mais il y a une vraie difficulté à utiliser la chronique des ASMR car tous les produits sont réévalués tous les cinq ans, y compris les premiers entrants.

Que dites-vous de l’hypothèse soulevée par l’IRDES selon laquelle les laboratoires sous-évalueraient leur volume de production ?

Le laboratoire affiche des intentions de vente qu’il peut certes sous-estimer, comme le suggère l’étude de l’IRDES. Mais pour contrer ce comportement, surtout sur des médicaments à gros volume, le CEPS met en place des accords prix/volumes qui sont fonction de la quantité de volume vendue par an. Chaque laboratoire est tenu de reverser des ristournes à l’assurance maladie, ce qui constitue un élément essentiel du modèle de régulation des dépenses de médicaments. Ainsi, pour un médicament connaissant un succès commercial, les rabais payés par le laboratoire vont faire baisser son prix pour l’assurance maladie.

Propos recueillis par Isabelle Guardiola

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