COMMENT GÉRER UN SALARIÉ ADDICTIF - Le Moniteur des Pharmacies n° 2921 du 25/02/2012 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2921 du 25/02/2012
 
ALCOOL, DROGUES, MÉDICAMENTS

Entreprise

Auteur(s) : François Pouzaud

Un collaborateur dépendant aux psychotropes ou à l’alcool peut constituer une menace réelle pour la clientèle ou le personnel de l’officine. En tant que chef d’entreprise, le titulaire doit y faire face sans tarder pour éviter tout dérapage. Conseils.

Face à un salarié au comportement addictif, il n’est pas question de pratiquer la politique de l’autruche. Le titulaire d’une officine, comme chef d’entreprise, doit mesurer les nuisances de l’alcool, de la drogue ou des médicaments sur le lieu de travail. Pour Jean-Paul Jeannin, consultant chez Arcom Formation et div de Gérer le risque alcool au travail, « le principal danger est lié à la sécurité des personnes. Une dépendance peut par exemple occasionner des accidents sur le trajet entre le domicile et le travail. En outre, un homme qui dépasse 30 g d’alcool pur par jour risque d’avoir des maladies organiques. L’entreprise devra alors gérer son remplacement ». Surtout, l’employeur n’est pas à l’abri de poursuites en cas d’actes indélicats perpétrés par l’un de ses salariés sous l’effet de l’alcool dans le cadre de l’entreprise. Sa coresponsabilité est de plus en plus souvent engagée dans la jurisprudence. Car le cadre juridique est strict : aucune boisson alcoolique ne peut être introduite dans l’entreprise, à l’exception du vin, de la bière, du cidre et du poiré (un alcool aujourd’hui tombé en désuétude). Le chef d’entreprise encourt une amende de 3 750 euros s’il ne respecte pas cette obligation légale.

Se doter d’outils de prévention

Parmi l’éventail des mesures à mettre en place, le règlement intérieur (obligatoire dans les entreprises de plus de 20 salariés) doit fixer le cadre de la politique de l’entreprise vis-à-vis des drogues et de l’alcool. Il permet notamment d’interdire l’introduction et la consommation d’alcool à l’intérieur des locaux, de préciser les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être contrôlés et les sanctions pouvant être prises à leur égard. « Le règlement intérieur est un acte unilatéral de l’employeur qui s’impose aux salariés, même s’ils n’ont pas donné expressément leur accord », rappelle Guillaume Fallourd, avocat. Pour les officines de moins de 20 salariés (ce qui constitue la majorité des cas), « il doit être signé par tous les collaborateurs pour qu’il soit opposable et être affiché dans la pharmacie. Il est aussi possible d’insérer ces dispositions dans un avenant au contrat de travail ».

Pour aborder un problème d’addiction, la pharmacie, à l’effectif souvent réduit, a l’avantage d’en permettre une gestion « familiale » car le titulaire connaît bien son personnel. Ce dernier devra pour ce faire savoir trouver un équilibre entre le dialogue, l’indispensable aide psychologique et la sanction. « Dans le cadre de l’entreprise, l’addiction du salarié à l’alcool ou à la drogue doit être appréhendée et gérée sous l’angle strictement professionnel, et non pas sous celui de sa maladie, pour ne pas l’enfermer dans son problème ou le marginaliser. Les reproches du titulaire doivent s’en tenir à des éléments factuels, comme des retards répétés, des erreurs fréquentes de délivrance ou des comportements inadaptés ou déplacés avec la clientèle », recommande Jean-Paul Jeannin.

Recourir à l’éthylotest ou au médecin du travail

Euphorie, désinhibition, agressivité…, les premiers signes montrant un comportement perturbé d’un salarié sous l’emprise d’alcool ou de substance psychoactives sont facilement détectables. L’urgence ? Faire cesser la consommation, puis procéder éventuellement à un éthylotest si le règlement intérieur le prévoit expressément (en précisant la liste des postes et produits concernés). Attention ! Le recours à l’éthylotest en entreprise est très réglementé. Il est prévu uniquement pour faire cesser une situation dangereuse, que celle-ci touche le salarié ou un tiers. C’est pourquoi son usage est restreint à des salariés manipulant des produits dangereux ou conduisant des véhicules. « Le résultat de l’éthylotest ne donne qu’une présomption, seul l’éthylomètre est un appareil juridiquement opposable permettant un diagnostic certain », prévient Jean-Paul Jeannin. L’employeur doit savoir qu’il est en droit de refuser l’entrée de l’officine à un salarié en état d’ivresse.

En cas de récidive, ou si l’employeur ressent de réels problèmes à gérer la situation, il ne doit pas hésiter à se rapprocher d’un médecin du travail (l’incident peut être formalisé en lui adressant un courrier). « La loi autorise un employeur à demander des analyses médicales d’un employé, indique Jean-Paul Jeannin. Si, à l’issue de la consultation de médecine du travail, le salarié est jugé inapte, l’employeur n’est pas tenu de le garder. »

Bien sûr, un salarié qui a transgressé les interdits ou qui a commis une faute grave, comme une insulte, l’agression d’un client ou une erreur de délivrance, peut être sanctionné. « Cela peut aller du simple avertissement à une mise à pied disciplinaire en cas de récidive jusqu’au licenciement pour faute grave », précise Guillaume Fallourd.

Un salarié sur douze alcoolique

Peu de chiffres précis circulent sur l’usage de substances psychoactives dans le monde du travail. On estime qu’il ne concerne que 2 à 4 % des salariés. Parmi les consommateurs réguliers de cannabis (2 millions de personnes) ou de cocaïne (près de 700 000), le travail est un lieu de consommation occasionnel. Quant à la consommation excessive d’alcool, elle concernerait un salarié sur douze.

TÉMOIGNAGE

« Il faudrait une tolérance zéro à l’officine »

Jean Lamarche, connu pour son activité au sein de l’association Croix verte et Ruban rouge, a été confronté, lorsqu’il était titulaire en Seine-Saint-Denis, au problème de l’alcoolisme derrière le comptoir. « Je cherchais un adjoint et mon meilleur ami, pharmacien, m’avait recommandé l’une de ses anciennes salariées. Mais sans me dire qu’elle était alcoolique parce qu’il pensait qu’elle ne serait pas sujette à des écarts de conduite dans mon officine, raconte Jean Lamarche. A peine embauchée, je l’ai retrouvée ivre morte dans l’officine suite à l’absorption d’une bouteille de rhum qui servait à réaliser de la potion de Todd. J’ai dû m’en séparer immédiatement. » Même entre confrères, Jean Lamarche constate que le sujet de l’alcoolisme au travail reste tabou : « Avant, les titulaires appelaient leurs confrères pour s’informer sur les salariés qu’ils voulaient recruter. Certaines professions exigent une tolérance zéro sur le taux d’alcoolémie des salariés. Il devrait en être de même pour le personnel en pharmacie car il manipule des substances dangereuses. »

En savoir plus

• « Gérer le risque alcool au travail », Jean-Paul Jeannin, éditions Chronique sociale.

• www.drogues.gouv.fr : des informations pratiques comme les organismes à contacter, les chiffres clés, ce que dit la loi, les risques liés à la consommation de drogue ou d’alcool et de tabac…

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