LES ENJEUX D’UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE - Le Moniteur des Pharmacies n° 2920 du 18/02/2012 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2920 du 18/02/2012
 

Dossiers

Décryptage

Auteur(s) : François Pouzaud*, Magali Clausener**, Laurent Lefort***

La journée « Pharmaciens d’officine 2012 : nouveau métier et nouveau modèle économique, comment saisir les opportunités » organisée le 30 janvier à Paris par « Le Moniteur des pharmacies » a permis à chacun de saisir l’enjeu des nouvelles missions en termes d’organisation, mais aussi de contraintes et d’aubaines économiques. L’évolution du mode de rémunération a été le fil rouge des différentes tables rondes.

Ce fut une première pour Le Moniteur des pharmacies. Six conférences se sont enchaînées au cours d’une seule et même journée pour brosser un panorama complet de l’évolution du métier. Syndicats, ordinaux, économistes de la santé, représentants de l’Assurance maladie, assureurs, mutuelles et représentants politiques de quatre partis ont débattu de l’avenir de l’officine tant sur le plan professionnel qu’économique. Ils en sont tous venus à la même conclusion : les pharmaciens sont à un tournant décisif pour leur profession.

Opération séduction

Le premier débat de la journée a réuni les représentants de l’UMP, du PS, du MoDem et d’EELV (Europe Ecologie-Les Verts) en charge des questions de santé. Les programmes santé de leurs candidats restent discrets sur le pharmacien mais, opération de séduction ou pas, les quatre intervenants ont affirmé que les fondamentaux de la profession ne seront pas touchés. Ils ont aussi rappelé le rôle prégnant que peut tenir le pharmacien pour assurer à ses concitoyens un niveau très satisfaisant d’accès à des soins de qualité. Et disent « ? non ? » à la vente de médicaments sur Internet.

« Etre soigné au bon endroit, par la bonne personne et au bon moment »

« Le pharmacien sera utilisé dans le parcours de soins du patient, dans l’éducation thérapeutique, la prévention, les soins de premier recours », promet Philippe Juvin (UMP). Catherine Lemorton (PS) a résumé en une phrase le programme santé du candidat socialiste : « Tout patient doit être soigné au bon endroit, par la bonne personne et au bon moment ». Selon elle, la prise en charge du diagnostic et du traitement de pathologies légères et courantes doit revenir au pharmacien, désengorgeant ainsi les cabinets médicaux. « Nous allons vers une automédication à marche forcée », prédit-elle. David Belliard (EELV) défend une autre approche : « Les maladies chroniques explosent sous l’effet de facteurs environnementaux, les déserts médicaux et les dépassements d’honoraires créent l’inégalité d’accès aux soins. » Et de proposer un meilleur remboursement des traitements médicamenteux efficaces. Geneviève Darrieussecq (MoDem) plaide pour la mise en place de réseaux entre partenaires de santé et une répartition démographique des cabinets médicaux calquée sur celle des officines. « Les agences régionales de santé sont des moteurs sans carburant, chaque Région devrait avoir un objectif régional des dépenses d’assurance maladie et pouvoir développer des systèmes de soins locaux », expose-t-elle.

Le sujet des PUI en EHPAD a également été abordé. Pour Philippe Juvin, « on se trompe en recréant des microhôpitaux – moins efficients – dans les EHPAD ». Pour Catherine Lemorton, il faut « adapter ces établissements au territoire de santé où ils se trouvent ». Quant à EELV, le parti est « contre une uniformisation des solutions mais pour une pluralité des réponses, avec un soutien pour le secteur non lucratif ».

Les baisses du prix des médicaments restent une variable d’ajustement incontournable dans les programmes santé. Philippe Juvin précise que la limite a été atteinte sur les princeps mais que l’on peut encore baisser le prix des génériques. Sur le financement du nouveau mode de rémunération mixte des pharmaciens et des nouvelles missions, il est péremptoire : « Il faut sortir de la question du “plus de moyens”, notre système de santé est bourré de marges de manœuvre par une gestion optimisée des dépenses. » Pour le PS, il faut augmenter les recettes par une hausse du forfait social à hdiv des cotisations sociales pour faire face à l’augmentation des dépenses de santé.

Nouveau métier, nouvelle organisation ?

Qui dit nouveaux métiers, dit nouvelle organisation des officines et nouvelle éthique. Et l’Ordre compte bien en rester le garant. Jean-Charles Tellier, président de la section A, décrit les pharmaciens du futur : « Ils devront être plus vigilants sur les molécules mises à disposition, le conseil en médication officinale sera renforcé, écrit car la traçabilité sera une revendication du patient. Ils devront être prêts à dispenser à domicile, à investir dans un espace de confidentialité, à participer au dépistage, à la prévention, à coopérer avec les autres professionnels de santé. La préparation des doses à administrer auprès des personnes âgées devra être envisagée pour tous types de traitements. Il faudra obligatoirement des procédures qualité, donner de la visibilité à nos actions pour qu’elles soient perceptibles par le patient, voire envisager différents lieux d’exercice de ces nouvelles missions. »

« Les pharmacies se dirigent vers une spécialisation relative »

Pour Francis Megerlin, maître de conférences à Paris-Descartes, « les pharmacies se dirigent vers une spécialisation relative » sur les nouvelles missions sanctionnée par une qualification, une évaluation et un référencement par les payeurs. « On ne va pas vers l’unification d’un rôle nouveau qui s’appliquerait à toutes les officines », précise-t-il, sachant que certains préféreront miser sur la vente. L’évolution du métier pose la question de la répartition des rôles, des compétences et des pouvoirs au sein de l’équipe, notamment entre les pharmaciens appelés à jouer les premiers rôles et les préparateurs. L’Ordre prépare justement une campagne pour aider les pharmaciens à communiquer sur leurs nouvelles missions, lesquelles relancent le débat sur la communication et la publicité. Francis Megerlin estime qu’une communication fondée sur des critères objectifs attestant d’une qualité de services (certification ISO…) n’est pas contraire à l’éthique professionnelle et au code de déontologie. Pour aider les pharmaciens à faire leur révolution culturelle, le Pr Jean-Michel Chabot, conseiller auprès du président de la Haute Autorité de santé, rappelle que le rôle de celle-ci « est d’accompagner les pharmaciens dans cette évolution plus que de produire des normes de bonnes pratiques ».

L’industrie pharmaceutique souhaite également être présente auprès des pharmaciens. « Nous avons construit une organisation avec des pharmaciens experts autour du patient, nous prenons en compte les priorités des ARS dans nos actions territoriales et veillons à une coordination des actions entre la ville et l’hôpital », présente ainsi Frédéric Collet, président de Sandoz France (groupe Novartis).

Le pharmacien correspondant en devenir

Gilles Bonnefond (USPO) le reconnaît : près d’un an après la parution du décret, il n’y a encore aucun pharmacien correspondant (voir encadré ci-dessous). Pourtant, selon lui, le couple pharmacien correspondant-médecin apportera la lisibilité qui fait défaut sur les conditions de prise en charge du patient au sortir de l’hôpital. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), y voit une solution à l’isolement de l’exercice du praticien libéral (50 % des médecins travaillent seuls), une incitation au regroupement interdisciplinaire et pluridisciplinaire et un rééquilibrage du système de santé encore très « hospitalo-centré ». Il y a néanmoins des prérequis pour que ce binôme fonctionne ?: rédiger des protocoles partagés organisant la coordination des soins, établir une nomenclature des actes en rapport avec ces tâches nouvelles et prévoir des temps pour la coordination. Celle-ci ne doit pas être chronophage. Gilles Bonnefond estime qu’un système de communication électronique sécurisé pourrait garantir fluidité et traçabilité des décisions.

« Si un protocole est rédigé, c’est toujours parce qu’il répond à un besoin »

« Il ne faut pas dresser les professionnels les uns et contre les autres et chercher à démanteler les compétences », met en garde Michel Chassang, stigmatisant l’article 51 de la loi HPST du 5 avril 2011 qui définit la coopération entre professionnels de santé : « Par dérogation aux conditions légales d’exercice, les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient. »

Comme l’a expliqué Martial Fraysse, président du conseil régional de l’ordre des pharmaciens d’Ile-de-France, qui a mené une enquête auprès d’Ordres de plusieurs pays, « si un protocole est rédigé c’est toujours parce qu’il répond à un besoin ». Au niveau de la HAS, cet ordinal féru d’éducation thérapeutique sera appelé à relire les protocoles de coordination des soins.

Nouvelles missions et contraintes économiques

Accompagnement des personnes âgées, préparations des doses à administrer, suivi des patients sous traitement de substitution aux opiacés, accompagnement des patients chroniques… « Qui dit nouvelles missions, dit nouvelles rémunérations », revendique Catherine Morel (UNPF), pour qui leur mise en œuvre serait un relais de croissance pour sortir de la crise. Avis que ne partage pas Claude Le Pen, professeur d’économie à Paris-Dauphine : « La situation est inédite, les négociations entre les syndicats et l’Assurance maladie vont devoir concilier renforcement du rôle de santé publique du pharmacien et économie fragilisée des officines. La manne ne tombera pas du ciel, ce n’est pas parce que l’on change la forme de la rémunération que l’on va trouver des ressources nouvelles. La France n’a pas fait le choix des chaînes de pharmacies, préférant surmonter la crise sans changer les fondamentaux de l’officine. »

« L’objet des nouvelles missions n’est pas de compenser les pertes de CA »

Les nouveaux services vont aussi supposer de nouveaux moyens financiers et organisationnels. Les pharmaciens devront se soumettre à l’évaluation des pratiques et respecter des normes de qualité. « Cela va concourir à sélectionner les officines, à regrouper des petites unités ou surfaces, il faudra donc une incitation financière pour y aller », arguë Catherine Morel. « Toute la difficulté est d’attacher un modèle économique à la valeur d’un service, or il est difficile de valoriser un service dès lors que son bénéfice reste hypothétique », relève Claude Le Pen. « Les nouvelles missions doivent entrer dans une logique d’amélioration de la qualité des soins et de respect de l’ONDAM, leur objet n’est pas de compenser les pertes de CA de l’officine mais d’apporter un service à valeur ajoutée, protocolisé, répondant à des critères de qualité et économiquement viable pour les mutuelles », ajoute Laure Lechertier (Mutualité française). Des propos qui ont suscité des remous dans la salle. « La mise en place des nouvelles missions risque de prendre plusieurs années. Nous réfléchissons déjà à y préparer les étudiants dans le cadre de la réforme des études », informe Martine Aiach, doyenne de Paris-V. Le développement professionnel continu devrait aussi participer à la formation des pharmaciens en activité qui exerceront de nouvelles missions. Comme l’a présenté Philippe Besnard, Sanofi a intégré la loi HPST dans ses orientations et réflexions pour être aux côtés des pharmaciens en termes de formations et de services.

Vers une nouvelle économie officinale

Philippe Gaertner (FSPF), qui rappelle le condiv économique dégradé du réseau, souligne également que l’officine est depuis des années un important contributeur au respect de l’ONDAM et que les mesures de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 baisseront la marge de 400 M€. Les négociations de la future convention pharmaceutique sont donc primordiales, puisqu’elles porteront sur les honoraires de dispensation et les nouvelles missions rémunérées. « Nous souhaitons avoir un traitement égalitaire avec l’ensemble des professionnels de santé, il faudra transformer l’essai des nouvelles missions et ne pas rater les objectifs individualisés », insiste le président de la FSPF. Selon lui, la meilleure porte d’entrée est l’accompagnement des patients atteints de maladies chroniques : « Il y a un no man’s land entre la délivrance du médicament et sa prise par le patient. »

« Il faut injecter tout de suite 300 millions d’euros dans le réseau »

Mathilde Lignot-Leloup (CNAM) espère « entrer dans un nouveau type de partenariat avec les pharmaciens ». Elle aborde aussi la dispensation du générique dont il faut renforcer la qualité et l’efficacité. Outre l’augmentation du taux de substitution en 2012, l’Assurance maladie attend une dispensation stabilisée du générique auprès des personnes âgées : « Une étude montre que 2 à 7 % des plus de 75 ans reçoivent plus de 3 boîtes de générique de marque différente pour une même molécule, ce qui peut présenter un risque de confusion pour le patient et expliquer sa réticence au générique, ainsi que celle du médecin. »

Syndicats et CNAM partagent la même volonté d’avancer progressivement sur les différents types de rémunération. « Nous veillerons à ce qu’il n’y ait pas de transferts trop importants et trop massifs », assure Mathilde Lignot-Leloup. Et le président de la FSPF de compléter : « Il faudra regarder par officine le nombre de patients susceptibles d’être concernés par une nouvelle mission, parvenir à un cadre général de manière à pouvoir calibrer l’enveloppe financière. » En revanche, pour Lucien Bennatan (PHR) « il faut injecter tout de suite 300 millions d’euros dans le réseau pour arrêter la casse, faute de quoi vous n’obtiendrez pas des pharmaciens qu’ils investissent dans les nouvelles missions (aménagement d’espace de confidentialité, réorganisation de l’équipe, engagement dans la qualité, etc.) ».

Les assureurs privés veulent également être partie prenante dans la recherche de gains d’efficience. « La gratuité n’existe pas dans la santé et il n’y a pas de logique uniforme au niveau des prestations proposées dans nos contrats », explique Alain Rouché. La FFSA qu’il dirige va expérimenter pendant un an l’accompagnement par le pharmacien de personnes sous AVK. Celui-ci sera rémunéré et l’expérimentation fera l’objet d’une évaluation économique sur le gain en hospitalisations évitées.

La pharmacovigilance se réorganise

Dans la loi de renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, la pharmacovigilance fait l’objet d’avancées que le Pr Jean-François Bergmann (Afssaps) a résumé en quatre mots : diversité, pluralité, réactivité et créativité, afin de favoriser, simplifier et centraliser la notification des effets indésirables. Le but est d’augmenter le taux de notifications spontanées des pharmaciens qui, pour des raisons culturelles et par manque de temps, n’est que de 14 %. « Les outils à disposition ne sont pas suffisamment performants et conviviaux pour faire des déclarations en temps réel », constate Jean-François Teste, pharmacien et membre de la commission de pharmacovigilance à l’Afssaps. Jean-François Bergmann pense qu’il faut « prioriser les items et cibler des objectifs précis pour que le pharmacien soit plus réactif ». Un avis que partage Marie-Christine Perault-Pochat, présidente de l’Association française des CRPV. Elle mise aussi sur l’ouverture en avril de Pharmavigilance, un site réalisé en partenariat avec l’Ordre, guichet unique destiné à simplifier les notifications de pharmacovigilance, cosmétovigilance et matériovigilance.

Débat

« La place du pharmacien dans le système de soins. Amélioration de la qualité. Optimisation des dépenses. Un choix politique ».

Débat

« Nouveau métier, nouvelle organisation, nouvelle éthique ».

Le pharmacien correspondant, c’est quoi ?

Inscrite dans la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », la mission de pharmacien correspondant est encadrée par le décret du 5 avril 2011. Le pharmacien correspondant peut, à la demande du médecin ou avec son accord, renouveler périodiquement des traitements chroniques, ajuster au besoin leur posologie en fonction d’un bilan de médication. Le pharmacien correspondant doit mentionner le renouvellement de la prescription sur l’ordonnance et, pour ce qui concerne l’ajustement de posologie, l’inscrire sur une feuille annexée à l’ordonnance.

Débat

« Le pharmacien correspondant, quelle organisation en pratique pour une meilleure coordination des professionnels de santé au service du patient ? ».

Débat

« Nouvelles missions du pharmacien, pour qui ? Pourquoi ? Comment ? ».

Débat

« Quel modèle économique et quelles nouvelles rémunérations ? Que retenir de la loi de financement de la Sécurité sociale et de la convention pharmaceutique ? ».

Débat

« Pharmacovigilance : quelle nouvelle organisation ? ».

La Journée de conférences du Moniteur des pharmacies a été réalisée avec le soutien financier de Novartis, Zentiva, Groupe PHR, Univadis et Vidal.

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !