LES HONORAIRES VONT-ILS FAIRE BASCULER LES PRIX - Le Moniteur des Pharmacies n° 2909 du 10/12/2011 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2909 du 10/12/2011
 

Dossier

Auteur(s) : François Pouzaud

La modification du mode de rémunération pose une question essentielle, celle du mode de valorisation des officines et, par là même, de l’évolution de leurs prix. L’introduction des honoraires, même progressive, accélérera-t-elle la baisse amorcée depuis deux ans ? Et si, tout simplement, elle était la solution pour redresser la barre ?

Le système de rémunération des pharmaciens sur le « remboursable » va changer. Au-delà des idées générales et de la mise en œuvre en pratique des honoraires, cette évolution majeure devrait influer de manière vraiment significative sur le niveau de chiffre d’affaires lié aux actes commerciaux, mais pas, théoriquement, sur celui de l’activité en volume ou de la marge. « Dans ces conditions, un changement de système ne pourrait changer la valeur des fonds que s’il conduit à une rétribution moins forte des services rendus par la profession », estime Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet ArythmA. Cependant, il reconnaît que les inconnues sont aujourd’hui nombreuses et le risque collectif d’y laisser des plumes réel (notamment en ce qui concerne l’activité portant sur les génériques). A ce changement de mode de rémunération, Olivier Delétoille voit deux conséquences immédiates pour 2012. « Primo, ces incertitudes quant à l’évolution du système de rémunération freinent les transactions, et seuls les projets vraiment solides vont ou pourront se concrétiser. Secundo, les vendeurs « pressés » seront contraints de faire des efforts du fait du manque de visibilité. »

Tout va dépendre de la méthode d’évaluation

Au moins jusqu’à l’entrée effective des honoraires (a priori pas avant 2013), les officines resteront valorisées prioritairement sur la base de leur activité, sans tenir compte suffisamment de leur rentabilité, alors que la référence ancestrale au chiffre d’affaires TTC dans une transaction ne fournit plus a posteriori qu’une indication simple et pratique. « Des générations de pharmaciens ont raisonné en fonction du chiffre d’affaires pour approcher la valeur de leurs officines, et la disparition de cette référence peut leur apparaître effrayante, pense Olivier Delétoille. Il faut pourtant la relativiser. En effet, aujourd’hui déjà, les rentabilités potentielles des pharmacies sont analysées à la loupe et les approches apparaissent de plus en plus sérieuses. »

Pour Olivier Desplats, expert-comptable du cabinet Flandre Comptabilité Conseil (réseau CGP), « le passage aux honoraires ne posera pas de difficulté particulière sur l’évaluation des fonds ou des titres d’une société dans la mesure où il y a un accord ou une méthodologie acceptée par l’ensemble des intervenants de la profession (vendeurs, acquéreurs, cabinets de transaction, experts-comptables et financiers). » La seule question en suspens concerne la méthode d’évaluation. « Bien entendu, le passage partiel – parce qu’il ne s’agit que d’un passage partiel – aux honoraires va venir bouleverser les critères habituellement retenus, à savoir le pourcentage du chiffre d’affaires. La méthode d’évaluation des fonds devra donc être revue puisque la marge va partiellement se transformer en chiffre d’affaires, et tout le monde va rapidement comprendre que maintenir une évaluation en pourcentage du chiffre d’affaires, sauf à modifier ledit pourcentage, n’aura plus aucun sens puisque la valeur baissera proportionnellement à la baisse du chiffre d’affaires. »

Toutefois, en la matière, Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise, ne s’attend pas à une révolution : « Tout va dépendre de la part dans le chiffre d’affaires global que pourraient représenter les honoraires pour les nouvelles missions. Cela va se mettre en place assez lentement, sur une période de quatre à cinq ans et, par conséquent, les répercussions seront assez limitées en termes de volume au départ. » A très court terme, cet expert-comptable ne pense pas revoir sa façon de valoriser les fonds d’officine.

« Les professionnels libéraux (médecins, chirurgiens-dentistes…) ont parfois du mal à valoriser leur cabinet et, pour certains d’entre eux, en fonction de critères géographiques ou de modes d’exercice, la cession devient extrêmement difficile sinon impossible », observe Olivier Desplats. Selon lui, il paraît peu probable que ce soit le cas à l’avenir pour les pharmacies, et ce pour plusieurs raisons : « Il n’y a pas dans les autres professions de santé de numerus clausus comme pour les pharmacies. De plus, les pharmaciens n’exercent pas seuls mais en équipe, et lorsque le fonds est cédé, cette dernière reste en place avec ses compétences et le savoir-faire développé dans l’officine, objet de la vente. Cela revient à dire que l’acheteur devra s’assurer de pouvoir maintenir les mêmes services que dans l’officine convoitée, par exemple en orthopédie. De son côté, le vendeur s’attachera probablement à ce que l’acquéreur ait les mêmes compétences que lui de manière à pouvoir céder l’intégralité de son activité. »

Les honoraires pourraient à long terme éroder la marge

« La valeur des fonds va devoir être corrigée par rapport à des éléments d’exercice professionnel et personnel, arguë Michel Caillaud, président de l’UNPF. Si un vendeur est spécialisé et compétent dans un domaine particulier, il devra le faire savoir à son acquéreur, ou bien ce dernier devra se renseigner ou l’apprendre par le bouche-à-oreille lors de ses investigations. Mais comment valoriser cette compétence, attachée à la personne et non pas au fonds, puisque les honoraires ne se transmettent pas ? » Michel Caillaud s’interroge sur la valeur patrimoniale des fonds en cas de passage à l’honoraire et son effondrement possible par rapport à son prix d’achat : « Quid des jeunes confrères qui remboursent une structure qui ne vaudra plus rien dans quelques années ? » Et de dénoncer un jeu de dupes : « Il faut être conscient que le jeune titulaire travaille à fonds perdus. C’est une remise en cause importante de la rémunération du capital. »

Philippe Becker préconise de valoriser à part la partie des honoraires rémunérant des actes individuels : « Si la rémunération est liée à des compétences acquises ou développées ou encore à une motivation particulière du pharmacien vendeur, la nouvelle rémunération devra être isolée dans le calcul de la valeur des fonds ou des sociétés d’officine. Mais, là encore, tant que l’on ne sait pas définir le contenu des nouvelles missions, leur niveau de facturation et de prise en charge, il serait bien imprudent de tirer des conclusions. »

Concernant la future rémunération du pharmacien, une modélisation économique montre que la partie fixe de la marge tend à diminuer dans le temps. Selon l’UNPF, le passage aux honoraires, augmentant de fait la partie fixe de la marge, provoquerait une érosion à long terme de la marge. Par ailleurs, l’article 39 du PLFSS pour 2012 introduit la rémunération en fonction d’objectifs à atteindre, ce qui est par principe, aléatoire et donc difficile à prendre en compte dans la détermination de la valeur d’un fonds. « En changeant le mode de rémunération des pharmaciens, en transférant à éléments constants une part de la marge vers les honoraires, l’Etat fait baisser indirectement la valeur des officines », conclut Michel Caillaud, en signalant que la baisse des prix profitera aux acquéreurs.

« La problématique des honoraires est un vieux serpent de mer professionnel. Il y a déjà trente ans, les opposants à ce mode de rémunération avaient les mêmes arguments sur l’incidence en termes de prix des fonds, se souvient Philippe Becker. Le prix des officines va continuer de baisser mais c’est lié au manque de visibilité économique actuel. »

Y aura-t-il une décote comme c’est déjà le cas avec les EHPAD ?

Comme cet expert-comptable, beaucoup de professionnels s’interrogent aujourd’hui sur la valeur patrimoniale à venir des fonds. « Nous pouvons objectivement tous prédire une accélération de la baisse des prix des fonds, laquelle pourrait dans une certaine mesure être salutaire pour l’installation des jeunes, lance Olivier Desplats. En effet, les prix pratiqués aujourd’hui par le marché sont toujours déraisonnables, même s’ils ont tendance à se tasser, et ce compte tenu de la conjoncture et du manque de visibilité sur l’évolution de la pharmacie à dix ans. Donc, oui les prix vont baisser dans des limites, me semble-t-il, acceptables par l’ensemble des partis, mais pas du fait du passage d’une partie de la marge aux honoraires, mais simplement compte tenu de la conjoncture et des baisses de rentabilité des officines. Honoraires ou pas, il est probable que certains pharmaciens (comme c’est déjà le cas en région parisienne) ne trouveront pas preneur pour leur officine au terme de leur carrière. Ils seront amenés à tirer le rideau sans pouvoir récupérer un euro du capital investi ou remboursé. Mais il s’agit là, essentiellement, de petites officines situées en zone urbaine. »

Par ailleurs, faudra-t-il appliquer une décote sur la marge correspondant à ces honoraires, comme cela s’est déjà pratiqué sur le chiffre d’affaires réalisé avec des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ? « Toute la question est de savoir si l’activité de la nouvelle mission est attachée à l’officine ou au titulaire, répond Philippe Becker. Mais aujourd’hui personne n’a pu me dire quoi, qui, comment et combien ! »

De l’avis d’Olivier Desplats, la problématique du chiffre d’affaires des EHPAD ne sera pas la même que celle des honoraires perçus par les pharmaciens. « Cette problématique est liée à l’instabilité et à la non-contractualisation d’un chiffre d’affaires relativement important attaché à un établissement. La perte de ce chiffre d’affaires global peut, en effet, déstabiliser le financement mis en place par l’acquéreur. » Concernant les honoraires, Olivier Desplats estime qu’il n’y a pas lieu d’appliquer une décote : « Ceux-ci seront répartis sur une multitude de clients comme c’est le cas aujourd’hui pour la marge brute, et il ne semble pas qu’il y ait de raison objective à ce qu’une décote soit appliquée au moment de l’application du prix de cession, à la condition que le pharmacien acquéreur puisse rendre les mêmes services compte tenu de ses compétences. »

« La valorisation du fonds reflétera les compétences du pharmacien »

A l’inverse des prises de position de Michel Caillaud au nom de l’UNPF, la FSPF et l’USPO ne croient pas que la rémunération mixte va précipiter la baisse des fonds de pharmacies. « Le changement de mode de rémunération du pharmacien n’aura pas de conséquences sur la valorisation des fonds », affirme Philippe Besset, président de la commission Economie de la FSPF. Les critères utilisés pour valoriser une officine ne changent pas, le chiffre d’affaires, la rentabilité et les critères démogéographiques restent des éléments déterminants du prix d’une pharmacie. »

Un avis que partage Gilles Bonnefond, président de l’USPO. « La loi de répartition des officines est un facteur stabilisant des prix », explique-t-il. En revanche, Gilles Bonnefond pense que la modification de la rémunération aidera à revenir à la vraie valeur d’une entreprise et à faire en sorte que les raisonnements économiques prennent le pas sur les raisonnements patrimoniaux. « C’est la rentabilité qui fait la valeur d’un fonds, poursuit le président de l’USPO. Demain, il faudra examiner attentivement les points faibles ou sensibles de l’EBE d’une officine, regarder quel est le réalisé et les gisements restant à exploiter au regard des nouvelles missions du pharmacien. Par exemple, l’acquéreur devra identifier la file active de patients diabétiques pouvant faire l’objet d’un suivi thérapeutique, regarder quel pourcentage elle représente au sein de la clientèle, la part exploitée par le vendeur et le potentiel de ces patients qui reste à capter… Il est important pour un pharmacien qui s’installe de choisir une officine dont le profil corresponde à sa vision du métier et à ce qu’il veut faire dans le futur. »

Valorisation du travail accompli par le pharmacien, en tant que professionnel de santé investi dans ses nouvelles missions, et valorisation du fonds seront à l’avenir étroitement intriquées. « La valorisation du fonds reflétera l’investissement du pharmacien, sa foi en son métier, en ses compétences et ses capacités d’adaptation », résume Gilles Bonnefond.

L’EBE reste la référence

Olivier Desplats (Flandre Comptabilité Conseil) rappelle que l’EBE dégagé par un outil de travail quel qu’il soit permet de rembourser les emprunts, de payer les impôts et d’assurer le train de vie. « De ce fait, ce doit être le seul indicateur adapté à la valorisation d’un outil de travail quel qu’il soit, et donc les pharmacies aussi. La mise en place d’une rémunération mixte va troubler dans un premier temps les esprits puisque les CA vont forcément s’écrouler, même si globalement la marge brute, honoraires inclus, reste identique. Dans ces conditions, l’EBE ne sera pas touché par ce changement de mode de rémunération et il reste donc le seul vrai critère adapté à celle-ci. »

Pour Philippe Becker (Fiducial Expertise), l’introduction d’honoraires ne change rien à l’affaire : un fonds d’officine devrait valoir 5 fois son EBE normatif avec un fonds de roulement correctement financé. « C’est le prix économique, que l’on soit rémunéré à la marge ou aux honoraires, explique-t-il. Ce mode de calcul évite d’ailleurs de se poser trop de questions puisque l’on raisonne sur la rentabilité et non pas sur les composantes de l’activité. » Cette approche ne fait pas forcément l’unanimité chez les vendeurs. Pour autant, Philippe Becker est persuadé que « le marché de la transaction, qui est déjà très tendu, va adopter un comportement plus sain. On ne surpaiera plus un quorum qui n’a d’ailleurs pas beaucoup de portée lorsque les médecins ont déserté la commune où l’on est installé ! ».

Les fondamentaux demeurent

De l’avis général, les modalités de valorisation d’un fonds de pharmacie ne seront guère affectées par le passage à la rémunération mixte. « Quoi qu’il arrive, à marge constante plusieurs paramètres essentiels et sérieux continueront à interagir pour fixer les prix, et ce, même si le mode de rémunération change, estime Olivier Delétoille. Ces paramètres sont : la loi de l’offre et de la demande, sur un marché délimité et réglementé ; la rentabilité potentielle ; la confiance accordée au secteur (risque macroéconomique), notamment par les financeurs et les investisseurs ; l’évolution des taux d’intérêts ; la durée probable et raisonnable de perception des revenus futurs ; l’éventuelle valeur de revente avec espoir de plus-value ; et, enfin, les coûts induits supportés par l’acquéreur (intermédiaire, audit, droits d’enregistrement…). »

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