TRAITEMENT DES PHARMACODÉPENDANCES - Le Moniteur des Pharmacies n° 2904 du 05/11/2011 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2904 du 05/11/2011
 

Cahiers Formation du Moniteur

Iatrogénie

CAS N° 1 — EFFETS INDESIRABLES

Des selles molles sous opiacés

François R., 26 ans, est polytoxicomane. Sa posologie de sirop de méthadone est passée depuis peu de 60 mg à 110 mg chaque matin. Il vient à la pharmacie associée au réseau local de suivi des personnes toxicomanes car il se plaint de la survenue de diarrhées en fin de matinée.

Le pharmacien doit-il s’en étonner ?

Les agonistes opiacés sont connus pour induire une constipation, mais le pharmacien n’est pas étonné par cette plainte qu’il a déjà entendue au comptoir : il sait que le sirop de méthadone contient du glycérol.

ANALYSE DU CAS

Le sirop de méthadone contient du glycérol (= glycérine), un sucre connu pour induire des flatulences et des diarrhées (pour une quantité > 1 g/prise ou 3 g/24 h) et favoriser les troubles digestifs. Selon le dosage, un flacon en contient entre 0,24 g et 2,57 g. Monsieur R. ingère : 2,57 (flacon 60 mg) + 2,57 (flacon 40 mg) + 0,47 (flacon 10 mg) = 5,61 g de glycérol (contre 2,57 g initialement).

Toutefois, dans la majorité des cas, le traitement par un opiacé induit plutôt une constipation. Des diarrhées s’observent en revanche lors d’un sevrage trop rapide du médicament.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien explique que les troubles du transit sont probablement liés à l’augmentation de la quantité de glycérol ingérée.

Il conseille un régime alimentaire adapté (riz, carottes, etc.) en attendant la régularisation du transit, laquelle survient souvent dans les quelques jours suivant l’introduction du traitement. Une éventuelle persistance des signes sera signalée au médecin lors de la prochaine visite d’adaptation.

CAS N° 2 — EFFETS INDESIRABLES

Sevrage retardé sous buprénorphine

Thomas B., 31 ans, consulte son pharmacien. Depuis plusieurs semaines, sa petite amie le poussait à arrêter la buprénorphine qu’il prenait depuis un an. Très motivé, il a donc, en accord avec son médecin, réduit progressivement les doses, passant de 12 mg/j à 4 mg/j en 2 mois. Mais sa petite amie a jeté les derniers comprimés de buprénorphine et Thomas a été sevré brutalement il y a une semaine. Aujourd’hui, il se sent affaibli, angoissé et souffre de crampes intestinales.

Ces signes peuvent-ils se rapporter au sevrage en buprénorphine ?

Oui. L’arrêt brutal d’un traitement par buprénorphine induit des signes parfois retardés qu’il importe de relier au sevrage.

ANALYSE DU CAS

Un arrêt brutal de la buprénorphine s’accompagne d’un syndrome de sevrage retardé car sa demi-vie d’élimination est longue : 20 à 25 heures. Ce syndrome débute entre le troisième jour et la fin de la première semaine. D’intensité modérée, ce syndrome de sevrage peut durer une à deux semaines. Il est prévenu par un sevrage progressif en buprénorphine, avec recours aux dosages les plus faibles (1 mg et 0,4 mg).

ATTITUDE À ADOPTER

L’arrêt trop brutal du sevrage est responsable des symptômes. Deux solutions sont envisageables : reprise puis arrêt progressif d’un traitement par buprénorphine ou prise en charge symptomatique des signes de manque.

Le pharmacien invite monsieur B. à consulter son médecin. Le patient revient plus tard avec une ordonnance pour de la mébévérine (Duspatalin 200 mg 3x/j). Le médecin, prescrivant un spasmolytique, a retenu la seconde solution : le condiv et la motivation du patient suggèrent que ce cap plus difficile dans le sevrage sera rapidement surmonté.

CAS N° 3 — EFFETS INDESIRABLES

Surdosage en nicotine

Noémie T., 29 ans, souhaitant devenir maman, a décidé d’arrêter de fumer. Mission difficile pour cette jeune femme inquiète, fumant 10 à 15 cigarettes/jour, parfois plus. Le médecin lui a prescrit un traitement substitutif par patchs (Nicopatch 21 mg). Il y a associé des gommes à mâcher (Nicorette 2 mg) à utiliser lorsque le besoin de tabac se fait sentir. Madame T. applique depuis lundi le patch chaque matin après sa toilette. Elle emmène les gommes avec elle au travail et les mâche dès que nécessaire, c’est-à-dire aux moments où elle avait l’habitude de sortir pour fumer. Le samedi suivant, Noémie retourne voir son pharmacien : elle soupçonne ce traitement d’induire des nausées, surtout en fin de journée, des bouffées de chaleur accompagnées de suées et des douleurs coliques.

Noémie doit-elle s’inquiéter ?

Non. Mais ces signes évoquent un surdosage en nicotine. Ils sont dus à une mauvaise adaptation du traitement substitutif.

ANALYSE DU CAS

Bien que suivant avec rigueur le traitement prescrit, madame T. a éprouvé de fréquents besoins de fumer, notamment au bureau où des activités incessantes la stressent. Il s’agit en fait d’une réaction conditionnée à laquelle elle a cru bon de répondre en mâchant des gommes nicotiniques. Les dispositifs transdermiques étant d’un dosage fort, le médecin ayant « arrondi » la consommation de Noémie à 20 cigarettes/jour (score de Fagerström = 5) et la nicotine des gommes venant s’y ajouter, il n’est pas étonnant que madame T. montre des signes d’hypernicotinémie.

ATTITUDE À ADOPTER

Un surdosage en nicotine, quel qu’en soit le condiv, se traduit par des signes avant tout digestifs : nausées, crampes abdominales, diarrhées. Il peut s’y associer une sensation de faiblesse, des maux de tête, parfois une diminution de l’acuité visuelle. Lorsque l’intoxication est plus forte, on peut observer de l’hypotension, une irrégularité du pouls, une gêne respiratoire voire un collapsus cardiovasculaire avec de possibles convulsions. Dans tous les cas, l’administration de nicotine doit être suspendue et un éventuel traitement symptomatique mis en œuvre.

Ici, le pharmacien suggère à madame T. de suspendre tout traitement nicotinique pendant une journée, puis de le reprendre simplement avec les dispositifs transdermiques.

Le manque gestuel de la cigarette est souvent temporairement limité par la consommation de confiseries (conseiller des confiseries sans sucre). Si les signes de surdosage en nicotine persistent, il faudra réduire la posologie de la substitution en recourant à des patchs moins dosés et/ou actifs sur seulement 16 heures (ex.: Nicoretteskin patchs 15 mg/16 h). Lorsque les préoccupations gestuelles sont importantes, il peut être pertinent de préconiser le recours à un inhaleur (type Nicorette 10 mg), qui permet de bénéficier de véritables bouffées de nicotine. Il convient alors de réviser à la baisse la dose basale de nicotine apportée par voie transdermique.

CAS N° 4 — EFFETS INDESIRABLES

Des idées noires sous Champix

Nadine H., 37 ans, attachée de presse souvent stressée fumant depuis 21 ans, consomme jusqu’à 30 cigarettes par jour Un premier traitement substitutif ayant échoué, le médecin l’a remplacé par de la varénicline (Champix). Trois semaines plus tard, se présentant dans une officine, elle se plaint de douleurs diffuses, d’un malaise digestif, de troubles du sommeil et de se sentir déprimée, ce qui est inhabituel chez cette jeune femme dynamique.

Que doit faire suggérer cette attitude ?

Une dépression due à la varénicline.

ANALYSE DU CAS

Dès l’année de sa commercialisation (2007), le risque de survenue de troubles dépressifs et de comportement suicidaire a été ajouté au RCP de la varénicline, un avertissement renforcé en 2008. Quatorze mois après sa commercialisation, Champix aurait donné lieu à 92 cas de troubles psychiatriques graves (essentiellement chez des sujets sans antécédents et observés en majorité au cours du traitement). Sept décès par suicide ont été rapportés chez ces patients sans qu’un lien soit avéré avec la prise de varénicline : l’imputation reste difficile car l’arrêt d’un produit toxicomanogène peut être à l’origine d’un épisode dépressif caractérisé. La nicotine agit sur l’humeur : son effet psychostimulant constitue peut-être un élément renforçant la dépendance.

ATTITUDE À ADOPTER

La survenue brutale de ces signes de dépression doit alarmer et le traitement par varénicline interrompu. Le médecin de Nadine doit être contacté pour avis. En attendant, le pharmacien la rassure : les troubles sont réversibles à l’arrêt du traitement.

CAS N° 5 — INTERACTIONS MEDICAMENTEUSES

Méthadone + buprénorphine ?

Théo K., 29 ans, présente une ordonnance en règle pour de la buprénorphine (2 × 8 mg chaque matin). Or l’étudiant en 6e année qui l’accueille se souvient lui avoir délivré de la méthadone la semaine précédente alors qu’il faisait un remplacement dans une autre officine affiliée à un réseau de prise en charge des toxicomanes.

Est-il justifié d’associer deux substituts opiacés ?

Non. L’étudiant soupçonne un mésusage ou un éventuel trafic à l’origine d’incidents ou accidents iatrogènes.

ANALYSE DU CAS

La buprénorphine neutralisant partiellement la méthadone, cette association induit des signes de manque sévères et difficiles à soulager : elle n’a aucun intérêt. De plus, son injection est à l’origine de graves incidents : abcès cutanés, infections… La buprénorphine est parfois revendue clandestinement à des usagers qui se l’injectent : un comprimé à 8 mg est vendu entre 1,50 et 10 euros. Des prescriptions ou des ventes frauduleuses de buprénorphine sont régulièrement signalées et des médecins ou des pharmaciens condamnés.

ATTITUDE À ADOPTER

Refusant la délivrance, le pharmacien apprend du prescripteur que monsieur K. a consulté pour décrocher d’un usage temporaire d’héroïne, sans évoquer la prescription de méthadone.

Il contacte alors le Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Entre-temps, le client est sorti précipitamment de l’officine. Plus tard, le pharmacien apprendra qu’il est retourné depuis au centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie comme si de rien n’était !

CAS N° 6 — INTERACTIONS MEDICAMENTEUSES

Un choix à revoir

Jérémy F., 35 ans, client bien connu dans le quartier, a eu un passé difficile. Très jeune, il a consommé sur un mode polytoxicomaniaque de nombreuses drogues : cannabis, opiacés, psychostimulants (amphétamines et cocaïne), tabac et alcool. Suivi dans un CSAPA, il bénéficie d’un traitement de substitution par méthadone (60 mg/j sous forme de sirop) dispensé sur place. Il se présente à l’officine car, la veille, un médecin lui a diagnostiqué une hypertension artérielle isolée (110/170 mmHg de moyenne sur trois mesures au repos) et lui a prescrit Lodoz (bisoprolol 2,5 mg et hydrochlorothiazide 6,25 mg), 1 comprimé le matin.

Le pharmacien peut-il délivrer ce traitement ?

Non, ou du moins pas directement. Cette ordonnance présente une interaction donnant lieu à une précaution d’emploi.

ANALYSE DU CAS

L’administration de méthadone, tout comme de nombreux autres médicaments, majore le risque d’allongement iatrogène du segment QT à l’électrocardiogramme (ECG), avec risque de troubles du rythme ventriculaire et survenue de torsades de pointes susceptibles d’induire des malaises voire un décès. L’association de ce substitut opiacé à un bêtabloquant, quel qu’il soit, ou à un diurétique majore encore ce risque et fait donc l’objet d’une précaution d’emploi. Lodoz est une association fixe d’un diurétique thiazidique et d’un bêtabloquant cardiosélectif.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien explique au client le risque cardiaque. Il contacte le médecin pour lui rappeler que monsieur F. bénéficie d’un traitement par méthadone, évoque le risque potentiel et souligne que cette prescription requiert un ECG préalable. Le médecin souhaite finalement que le patient prenne contact avec l’addictologue afin que l’ensemble de la prescription soit cohérent. Ceci fait, monsieur F. se présente à nouveau à la pharmacie quatre jours plus tard avec la prescription d’irbésartan, antagoniste de l’angiotensine II, un traitement antihypertenseur plus adapté qui n’expose pas à une iatrogénie par allongement du QT : Aprovel 150 mg, un cp chaque matin.

CAS N° 7 — INTERACTIONS MEDICAMENTEUSES

Risque hémorragique inquiétant

Monsieur F., 61 ans, fumeur (15 cigarettes/jour), est traité par CoKenzen 16/2,5 mg (1 comprimé le matin), Tahor 20 (1 comprimé le matin) et Préviscan (1 comprimé 1/4 le soir) suite à un infarctus du myocarde. Monsieur F. a beaucoup de mal à arrêter de fumer. Le médecin lui a prescrit, il y a deux semaines, un traitement substitutif (Nicopatch 14 mg) assorti de varénicline (Champix 0,5  mg/jour de J1 à J3, puis 0,5 mg 2x/jour de J4 à J7 puis 1 mg 2x/jour). Les résultats du récent contrôle de l’INR sont très mauvais car il est passé à 6,4 !

Le pharmacien peut-il expliquer ce phénomène ?

Cette modification de l’INR (International Normalized Ratio) est sans doute due à l’arrêt brutal du tabagisme. Les traitements non substitutifs du tabagisme (varénicline, bupropion) n’ont pas d’effet sur l’INR.

ANALYSE DU CAS

Les hydrocarbures du tabac sont de puissants inducteurs enzymatiques, actifs sur le CYP 1A2. L’arrêt brutal du tabagisme entraîne une augmentation des taux sériques des substrats du CYP 1A2, ici de la fluindione (Préviscan), ce qui a fait passer l’INR à plus de 6 (cible comprise entre 2 et 3), avec un risque hémorragique important.

L’administration de varénicline n’a pas d’effet sur l’INR.

ATTITUDE À ADOPTER

L’arrêt du tabac est essentiel à la prévention de la récidive d’un infarctus. La perturbation actuelle de l’INR impose d’équilibrer le traitement par une antivitamine K. Le cardiologue réalise un wash-out de 3 jours en Préviscan puis recommence la recherche de l’équilibre de l’INR. Il prescrit un comprimé à 20 mg à J1 et J2 avec contrôle de l’INR et adaptation posologique en fonction des résultats.

CAS N° 8 — INTERACTIONS MEDICAMENTEUSES

Pas de Mon Chéri pour monsieur M.

Monsieur M., 52 ans, alcoolodépendant, a été traité par disulfirame (Espéral). Une semaine avant Noël, le médecin a suspendu ce traitement car le patient est abstinent depuis plus d’un an. L’association acamprosate (Aotal 6 cp/j) et diazépam (Valium 5 mg matin et midi, 10 mg le soir) est maintenue. Mais M. M. a mangé quelques Mon Chéri au réveillon. Rougeur du visage et sensation de chaleur signent vite un effet antabuse dont il parle au pharmacien le lendemain.

Une si faible quantité d’alcool est-elle suffisante pour induire une réaction antabuse ?

Oui, cette réaction est possible théoriquement jusqu’à deux semaines après la dernière prise de disulfirame.

ANALYSE DU CAS

L’effet antabuse, induit par l’association d’alcool avec certaines substances (disulfirame, griséofulvine, imidazolés…), résulte de l’inhibition de l’acétaldéhyde déshydrogénase, une enzyme indispensable à la métabolisation de l’alcool.

L’ingestion, même minime, d’alcool déclenche une réaction pénible résultant de l’augmentation du taux sanguin d’acétaldéhyde, avec rougeur faciale (vasodilatation), céphalées, sueurs, nausées voire vomissements, tachycardie, contribuant au maintien de l’abstinence.

Il y a 8 ml d’alcool dans un Mon Chéri, soit 6,4 g pour 100 g de chocolat : chaque chocolat contient 0,8 g d’alcool pur. Pour comparaison, un verre de vin standard contient 10 g d’alcool.

ATTITUDE À ADOPTER

L’arrêt du traitement antidipsotropique (destiné à supprimer ou à limiter l’appétence pour l’alcool ou à empêcher sa consommation) n’est pas un signe de guérison.

Toute consommation d’alcool, même minime, peut induire une rechute : l’effet antabuse rémanent a ici alerté le pharmacien. Les médicaments et même les chocolats contenant de l’alcool devront être proscrits.

PHARMACOLOGIE

PRISES EN CHARGE

Dépendance tabagique

• Le traitement de la dépendance au tabac repose avant tout sur la substitution nicotinique qui prévient ou soulage les symptômes de sevrage.

• Bien que l’arrêt total de la consommation de tabac soit préférable, certains substituts peuvent être utilisés, dans le cadre de l’AMM, si le fumeur souhaite simplement s’abstenir temporairement de fumer ou comme stratégie de réduction du tabagisme.

• La prescription de varénicline (Champix) ou de bupropion (Zyban) a pour objectif l’aide au sevrage. Le traitement par varénicline est poursuivi 12 semaines, avec possibilité de le prolonger pour une nouvelle période de 12 semaines. Le traitement par bupropion ne doit pas être poursuivi plus de 7 semaines en l’absence d’efficacité.

Dépendance alcoolique

• Le sevrage s’accompagne de la prescription d’une benzodiazépine anxiolytique par voie orale : diazépam (Valium 10 mg), 1 cp/6 h pendant 1 à 3 jours. Cette posologie est suivie d’une réduction progressive de la dose sur 4 à 7 jours.

• Une agitation importante ou des hallucinations peuvent faire alors prescrire un antipsychotique sédatif, tiapride (Tiapridal), à posologie forte : jusqu’à 1,8 g/jour.

• Un accident de sevrage (crise comitiale, delirium tremens) impose l’hospitalisation et un traitement spécifique (anxiolytique anticonvulsivant et/ou antipsychotique injectables).

• Cette phase s’accompagne d’une hydratation suffisante (2 l/j pendant 3-4 jours) et d’apports ioniques et vitaminiques (thiamine) si besoin.

• Le sevrage requiert une aide psychologique (thérapie de soutien ou thérapie de groupe) et la prise en compte des comorbidités somatiques et/ou psychiatriques.

• Le sevrage constitue une étape vers l’abstinence : il se prolonge par un travail psychologique sur plusieurs mois ou années.

• L’administration de disulfirame (Espéral), d’acamprosate (Aotal) ou/et de naltrexone (Revia) constitue une aide au maintien de l’abstinence une fois le sevrage réalisé.

Dépendance aux opiacés

• Le traitement de la dépendance aux opiacés (héroïne, morphine, codéine) repose sur la prescription de l’un des deux opioïdes de substitution disponibles : la buprénorphine (environ 110 000 patients en France) ou la méthadone (environ 40 000 patients).

• L’efficacité de ces opioïdes est comparable mais leur profil pharmacologique diffère.

• Les opioïdes ne sont pas soumis aux mêmes règles de prescription : la buprénorphine haut dosage peut être prescrite par tout médecin pour 28 jours au maximum ; un traitement par méthadone ne peut être initié que par un médecin exerçant en CSAPA ou en établissement de santé pour 14 jours au maximum. La buprénorphine se prête à un mésusage et à un trafic préoccupants.

• Le traitement de substitution requiert un suivi médical rapproché et régulier, incluant un accompagnement psychosocial et un soutien psychique. Il importe de prendre en charge les nombreuses comorbidités somatiques et/ou psychiatriques du patient héroïnomane.

PRINCIPAUX TRAITEMENTS

Tabac

(Voir le « Cahier Formation-ordonnance » consacré au sevrage tabagique n° 2899 du 1er octobre 2011)

Alcool

Acamprosate (Aotal)

Mode d’action

Principaux effets indésirables

– Troubles digestifs (nausées et vomissements, diarrhées, douleurs abdominales).

– Prurit, érythème maculopapuleux.

Contre-indications

Insuffisance rénale (créatininémie > 120 µmol/l).

Aucune interaction médicamenteuse

Disulfirame (Espéral)

Mode d’action

Action antidipsotropique par inhibition de l’acétyldéshydrogénase entraînant, lors de l’ingestion d’alcool, une augmentation de l’un de ses métabolites, l’acétaldéhyde, responsable de manifestations cliniques (rash facial, nausées, tachycardie, hypotension) aversives.

Principaux effets indésirables

– Somnolence et fatigue en début de traitement, céphalées, polynévrite des membres inférieurs, névrite optique, troubles neuropsychiques (perte de mémoire, confusion mentale).

– Saveur métallique dans la bouche, troubles digestifs (nausées, vomissements, gastralgies, diarrhées), odeur déplaisante chez les patients colostomisés

– Transaminases élevées. Rares hépatites fulminantes.

– Troubles cardiaques lors de l’association à l’alcool.

Contre-indications

– Insuffisance hépatique sévère.

– Insuffisance respiratoire sévère.

– Insuffisance rénale.

– Diabète.

– Atteintes neuropsychiques et cardiovasculaires.

– Prise de boissons alcoolisées ou de médicaments contenant de l’alcool depuis moins de 24 heures.

Interactions médicamenteuses

• Associations déconseillées :

– Nitro-imidazolés (bouffées délirantes, confusion mentale).

– Phénytoïne (inhibition du métabolisme avec augmentation de son taux sérique).

– Isoniazide.

• Associations à prendre en compte : AVK (augmentation de l’effet anticoagulant).

Naltrexone (Revia)

Mode d’action

Principaux effets indésirables

– Nausées et vomissements.

– Céphalées, anxiété, nervosité, insomnie.

– Crampes musculaires, notamment abdominales.

– Douleurs articulaires.

Contre-indications

– Insuffisance hépatocellulaire sévère ou hépatite aiguë.

– Dépendance aux opiacés (risque de sevrage aigu).

– Age > 60 ans.

Interactions médicamenteuses

• Associations déconseillées :

– agonistes morphiniques,

– alcool,

– agonistes-antagonistes morphiniques (buprénorphine),

– morphiniques en traitement de substitution (risque d’apparition d’un syndrome de sevrage).

• Associations à prendre en compte :

– barbituriques, benzodiazépines et apparentés (risque majoré de dépression respiratoire),

– tous les médicaments dépresseurs du système nerveux central.

Opiacés

Buprénorphine (Subutex et génériques)

Mode d’action

Agoniste partiel des opiorécepteurs mu et antagoniste des récepteurs des opioïdes.

Principaux effets indésirables

– Céphalées, insomnie, hypotension orthostatique, vertiges.

– Asthénie, somnolence, sueurs.

– Troubles digestifs (nausées, vomissements, constipation).

Contre-indications

– Age <15 ans.

– Insuffisance respiratoire et hépatique sévères.

– Intoxication alcoolique aiguë ou delirium tremens.

Interactions médicamenteuses

• Associations contre-indiquées : méthadone ou antalgiques morphiniques de palier 3.

• Associations déconseillées :

– alcool (majoration de l’effet sédatif),

– naltrexone (risque de survenue d’un syndrome de sevrage).

• Associations à prendre en compte :

– benzodiazépines (risque accru de dépression respiratoire),

– tous les inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques (CYP 3A4) : adapter à la hausse ou à la baisse la posologie journalière de buprénorphine.

Méthadone (Méthadone)

Mode d’action

Agoniste des opiorécepteurs mu.

Principaux effets indésirables (sujet dépendant des opiacés)

– Euphorie, vertiges, somnolence.

– Troubles digestifs (nausées, vomissements, constipation).

– Hypotension sévère.

– Dépression respiratoire, arrêt respiratoire, choc, arrêt cardiaque.

Contre-indications

– Age < 15 ans.

– Insuffisance respiratoire grave.

Interactions médicamenteuses

• Association contre-indiquée : traitement concomitant d’un agoniste-antagoniste morphinique (pentazocine, buprénorphine, nalbuphine).

• Associations déconseillées :

– médicaments susceptibles de donner des torsades de pointes : antiarythmiques de classe Ia et III, antipsychotiques (amisulpride, chlorpromazine, cyamémazine, halopéridol, lévomépromazine, pimozide, sulpiride, tiapride, véralipride),

– alcool,

– naltrexone (risque d’apparition d’un syndrome de sevrage).

• Associations à prendre en compte :

– autres analgésiques morphiniques, barbituriques, benzodiazépines, antitussifs morphine-like ou morphiniques vrais,

– autres médicaments sédatifs.

CAS N° 9 — INTERACTIONS MEDICAMENTEUSES

Naltrexone et méthadone : des liaisons dangereuses

Monsieur P., 37 ans, est suivi depuis trois ans par un addictologue dans un centre spécialisé. Il est équilibré par un traitement par méthadone (80 mg/j en sirop). Pour autant, il continue à consommer de façon abusive de l’alcool. Ayant occasionné un accident de la circulation sous l’emprise de l’alcool, il a dû consulter dans un CSAPA spécialisé en alcoologie. La phase de sevrage passée avec succès – au prix d’une consommation accrue de cannabis et de clorazépate, hors prescription –, l’interne qui l’a reçu la veille lui a prescrit une association de naltrexone (Revia 1 cp/j le matin) et de diazépam (10 mg matin, midi et soir). Monsieur P. porte donc cette ordonnance au pharmacien qui lui dispense habituellement la méthadone.

Cette ordonnance doit-elle interpeller ?

Oui, il y a présence d’une association contre-indiquée dans le traitement de monsieur P.

ANALYSE DU CAS

Les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ont été créés par la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 puis mis en place entre décembre 2006 et décembre 2009. Les CSAPA s’adressent aux personnes en difficulté avec la consommation de substances psychoactives (licites ou non) ou souffrant d’addictions sans substances. Ils peuvent assurer les deux spécialisations (drogues licites et illicites) ou une seule des deux. Il se peut que des patients soient ainsi accueillis par des médecins addictologues qui ont gardé une seule spécialité, ce qui accentue le risque d’une prescription non harmonieuse des traitements.

De ce fait, le risque d’interaction entre la naltrexone (Revia), un antagoniste opiacé, et la méthadone, agoniste opiacé, n’est pas rare car un même patient peut être reçu dans un centre spécialisé dans la prise en charge des toxicomanies aux drogues illicites, mais aussi dans un autre spécialisé en alcoologie.

Cette interaction déconseillée (l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé souhaite qu’elle devienne contre-indiquée) expose à un risque d’apparition d’un syndrome de sevrage, souvent retardée compte tenu de la demi-vie prolongée de la méthadone. Ses signes sont évocateurs de tout sevrage en opiacés : écoulement nasal, malaise général, nausées, vomissements, diarrhées, syndrome pseudo-grippal, tremblements, tachycardie, douleurs articulaires et digestives, hypertension, augmentation de la sensibilité à la doleur, anxiété, troubles du sommeil et troubles de l’humeur (dépression).

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien juge inadaptée l’organisation de la prise en charge de ce patient, à l’origine de possibles problèmes dans les prescriptions et d’un manque de lisibilité, notamment dans le cas d’une toxicomanie accompagnant une alcoolotabagie… Le pharmacien contacte le service qui le prie de demander au patient de revenir. Finalement, monsieur P. sera traité par acamprosate (Aotal 6 cp/j).

CAS N° 10 — PROFILS PARTICULIERS

« Du Subu en rab… »

Monsieur A., 27 ans, victime d’une rage de dents, entre dans une pharmacie. Il évoque d’emblée un traitement par buprénorphine suivi depuis trois ans (8 mg/j). Le médecin de garde a prescrit Dicodin LP (dihydrocodéine) 2 cp/j.

Cette prescription ne risque-t-elle pas d’induire des signes de surdosage ?

Non. Toutefois, cette prescription n’est pas idéale.

ANALYSE DU CAS

La prise d’héroïne ou d’un substitut n’abolit pas le seuil de perception de la douleur, au contraire. Le traitement d’une douleur légère repose sur un antalgique de palier 1 (+ coantalgique si besoin : spasmolytique, myorelaxant, anti-inflammatoire non stéroïdien). Celui d’une douleur modérée repose sur la prescription de paracétamol associé à un AINS et/ou à celle de néfopam. Il est aussi possible de fractionner la dose de substitut opiacé voire d’augmenter sa posologie, tout en l’associant aux médicaments cités précédemment. Les antalgiques de palier 2 sont déconseillés car il existe un risque de déclenchement d’un syndrome de sevrage. Une douleur sévère impose le remplacement de la buprénorphine par de la morphine.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien ne délivre pas le Dicodin (antalgique de palier 2) et appelle le médecin de garde. Celui-ci remplace sa prescription par du Néfopam.

Le pharmacien invite le patient à voir au plus vite un dentiste.

CAS N° 11 — PROFILS PARTICULIERS

Un moment d’inattention

Madame Naïma L., 27 ans, entre affolée dans l’officine. Pendant qu’elle téléphonait à un ami, sa fille Isoée, âgée de 3 ans, a dû, pense-t-elle, avaler une gélule de méthadone 40 mg qu’elle venait de sortir du blister. Madame L. demande au pharmacien d’administrer un antidote à son enfant.

Le pharmacien dispose-t-il d’un antipoison adapté ?

Non. Il n’existe pas d’antidote face à cette intoxication qui constitue une urgence absolue.

ANALYSE DU CAS

Une intoxication par méthadone est redoutable chez un sujet naïf d’opiacé : il y a risque létal dès la dose de 1 mg/kg. 23 cas ont été signalés chez des enfants de moins de 18 ans entre avril 2008 et décembre 2009 : 9 suivant l’ingestion de gélules et 14 de sirop. Un plan de minimisation des risques a été adopté : le blister de la méthadone est sécurisé et les flacons de sirop sont munis, depuis 2005, d’un bouchon de sécurité « child proof ». Cela n’empêche pas un accident comme celui-ci.

ATTITUDE À ADOPTER

Une suspicion d’ingestion de méthadone par un enfant impose son hospitalisation sans attendre la survenue de signes d’intoxication. Ces signes sont, entre autres, un myosis et une dépression du système nerveux central et ventilatoire.

La période la plus critique se situe entre 1 h et 4 h après l’ingestion. Le pharmacien appelle donc le SAMU.

Le lendemain, madame L. a la gentillesse de le rassurer : la recherche d’opiacés dans le sang de l’enfant a été négative. Finalement, madame L. a retrouvé la gélule sous un meuble.

C’est l’occasion de rappeler qu’il ne doit pas y avoir de déconditionnement préalable de la gélule de méthadone, même un bref moment avant usage, et qu’un flacon ouvert doit être bu immédiatement puis jeté aussitôt.

L’intoxication par buprénorphine, moins alarmante, constitue aussi une urgence chez l’enfant.

CAS N° 12 — PROFILS PARTICULIERS

Internet et sevrage hasardeux

Monsieur D., 39 ans, fumant entre 5 et 10 cigarettes par jour, a recours depuis près de trois semaines à une cigarette électronique commandée sur un site en ligne anglais. Pour une centaine d’euros (y compris le consommable pour un mois environ), il a reçu rapidement un petit engin sophistiqué mais dépourvu de toute notice d’utilisation. Entrant dans l’officine en pensant y trouver de nouvelles cartouches, il en profite pour préciser qu’il souhaiterait des cartouches de soluté nicotinique plus fiables que celles qu’il a reçues, certaines fuyant légèrement…

Que doit conseiller le pharmacien à ce patient ?

Le pharmacien ne peut cautionner le recours à une cigarette électronique. Il doit préconiser le recours à une stratégie antitabagique validée.

ANALYSE DU CAS

Dispositif mimant une cigarette, la cigarette dite « électronique » est destinée à permettre l’inhalation d’une solution contenant généralement de la nicotine en lieu et place des bouffées obtenues avec une cigarette véritable. Adoptant la forme d’un petit cylindre en acier inoxydable, elle comprend une batterie rechargeable, un microprocesseur, un atomiseur et une cartouche contenant le liquide destiné à être vaporisé. Celui-ci est constitué de propylène-glycol, de substances aromatisantes incluant des dérivés terpéniques (menthol, linalol) et de nicotine (optionnelle, en dosage variable). Lorsque l’utilisateur pratique une aspiration directe, le microprocesseur active l’atomiseur qui mélange le liquide avec l’air inspiré. L’évaporation du propylène-glycol évoque une fumée comme celle d’une cigarette et une diode lumineuse simule une combustion. A l’aspiration, ce dispositif libère un aérosol de vapeur d’eau, de nicotine et de propylène-glycol, qui est inhalé.

ATTITUDE À ADOPTER

Même si la cigarette électronique suscite l’intérêt de fumeurs espérant y trouver une substitution non toxique, l’Afssaps ne lui a pas octroyé d’AMM car elle ne répond pas à la définition du médicament (7 juillet 2008). Dans un communiqué de presse (19 septembre 2008), l’Organisation mondiale de la santé souligne qu’« aucune étude rigoureuse avalisée par des spécialistes n’a été effectuée démontrant que la cigarette électronique est une thérapie sûre et efficace de remplacement de la nicotine ». En France, l’Afssaps et la Direction générale de la santé recommandent (mai et juillet 2011) la plus grande prudence aux utilisateurs, notamment chez les femmes qui allaitent en raison de la toxicité de certaines substances et de l’absence de données relatives à leur passage dans le lait maternel.

La cigarette électronique ne peut donc trouver place dans une officine française. Aussi le pharmacien propose-t-il au patient un médicament de substitution nicotinique validé. Compte tenu de l’importance du geste pour monsieur D., il lui conseille, au vu de son degré de dépendance modéré (5 à 10 cigarettes/j), l’usage d’un inhaleur de type Nicorette.

CAS N° 13 — PROFILS PARTICULIERS

Enceinte, Mme W. veut arrêter de fumer

Madame W., 23 ans, mère célibataire d’un petit Dylan de deux ans, est ravie de devenir maman à nouveau. Elle n’en est pas moins inquiète car sa situation sociale est précaire : sans conjoint, sans travail, sans formation, elle vit de plus dans un quartier dit « sensible ». Elle fume beaucoup (environ un paquet par jour, parfois plus) et souhaiterait arrêter pour cette nouvelle grossesse. Mais elle est anxieuse car la cigarette constitue à ses yeux un véritable anxiolytique et antidépresseur. Elle vient à la pharmacie avec une prescription de patch de substitution (Nicoretteskin 15 mg/16 h) et des comprimés à sucer (Niquitin 2 mg).

Le pharmacien peut-il délivrer ?

Oui. Il n’y a pas de contre-indication à la substitution nicotinique lors de la grossesse.

ANALYSE DU CAS

• Le tabagisme a de nombreuses conséquences péjoratives sur l’évolution d’une grossesse. Le risque d’avortement, lié à l’action du tabac sur les systèmes hormonaux féminins, est multiplié par trois en moyenne.

Le tabagisme de la future maman entraîne une hypoxie du fœtus et semble augmenter significativement le risque de certaines anomalies fœtales (visage, membres, cœur).

• L’effet anorexigène de la nicotine explique que la femme enceinte soit sous-alimentée et carencée par rapport à des besoins accrus par la grossesse ?: ceci est inapparent au plan clinique mais suffisant pour entraîner un retard de croissance fœtale.

• L’enfant naît généralement avant terme, avec un poids inférieur à la normale (la réduction pondérale peut aller jusqu’à 20 %).

• Vasoconstrictrice, la nicotine est responsable d’une diminution du flux sanguin dans les artères utérines, ombilicales et utérines. Elle interagit directement avec les synapses cholinergiques du cerveau.

• Le tabagisme maternel est mis en cause dans les troubles du comportement du jeune enfant ?: nervosité, troubles de l’attention et du sommeil, agressivité, hyperactivité.

• L’incidence des leucémies, des lymphomes et des tumeurs de Wilms est doublée chez les enfants nés d’une mère qui fume pendant la grossesse.

ATTITUDE À ADOPTER

Chez la femme enceinte, le patch 16 h est préféré au patch 24 h pour éviter une accumulation de nicotine dans le liquide amniotique.

Le pharmacien délivre le traitement et précise à la patiente que le patch doit être posé le matin au réveil sur une peau sèche, saine et glabre. Le patch doit être ôté au coucher. Le site d’application doit être changé tous les jours. Les comprimés doivent être sucés et non croqués ou avalés. Ils sont à utiliser lors de l’envie de fumer. En général 5 à 6 gommes par jour provoquent l’effet adéquat en complément d’un patch. Le délitement est complet en 30 minutes.

CAS N° 14 — PROFILS PARTICULIERS

De la méthadone pendant la grossesse

Melle Melissa Z., 29 ans, va accoucher d’un petit garçon dans deux mois. Elle bénéficie depuis deux années d’un traitement de substitution opiacée par méthadone (60 mg/j) associé à un traitement par venlafaxine (37,5 mg/j) et bromazépam (3 × 1/4 de cp/j). Melle Z. arrive à l’officine, inquiète, et décrit au pharmacien un malaise général que cette ex-héroïnomane connaît bien : depuis quelques jours, elle souffre de douleurs digestives, diarrhées, anxiété en fin de journée, tout ceci évoquant un manque en opiacé. Pourtant, Melle Z. assure suivre avec rigueur son traitement de substitution et n’avait, depuis l’instauration de ce dosage, jamais eu de problème.

La grossesse peut-elle expliquer son malaise ?

Oui, indirectement : la dose quotidienne de méthadone n’a pas été ajustée au fur et à mesure de la grossesse et ces signes sont corrélés à un déséquilibre de la méthadonémie.

ANALYSE DU CAS

Le maintien sous méthadone des femmes enceintes est recommandé depuis le début des années 1970 aux Etats-Unis. Toutefois, il requiert un suivi particulier car la méthadonémie tend à diminuer au fur et à mesure de l’avancement de la grossesse, et particulièrement au cours du troisième trimestre en raison de l’augmentation importante du volume circulant, d’un stockage accru dans le tissu graisseux et d’un métabolisme accéléré (placenta, fœtus).

Les paramètres cinétiques de ce médicament sont progressivement modifiés, parfois de façon importante, bien que fortement variables selon chaque cas : la clairance de la méthadone, normalement biphasique, avec une demi-vie moyenne de distribution d’environ 14 heures puis une demi-vie moyenne d’élimination comprise entre 13 et 47 heures, devient dès lors monophasique avec une demi-vie d’élimination d’environ 10 heures.

La grossesse peut être à l’origine de la survenue de signes, parfois frustres, de manque, notamment pendant le troisième trimestre : nervosité, anxiété, douleurs abdominales, accélération du transit, etc. Exceptionnellement, ce syndrome peut entraîner des complications plus sévères aussi bien au plan maternel (diarrhées, crampes intestinales violentes, troubles respiratoires, collapsus) que fœtal (prématurité, avortement spontané, etc.).

ATTITUDE À ADOPTER

Une dose plus conséquente de méthadone est donc nécessaire ici pour maintenir l’efficacité du traitement pendant la grossesse de Madame Z. Le pharmacien, ayant rassuré sa cliente et lui ayant bien précisé qu’il s’agit d’un processus purement physiologique, l’invite à contacter le CSAPA où elle est suivie. Effectivement, l’addictologue augmente la dose quotidienne de méthadone de 20 mg. Cette augmentation est généralement comprise entre 10 et 30 mg. Le médecin maintient toutefois une administration unique – le matin – du substitut bien qu’il puisse se révéler pertinent face à cette situation d’administrer le médicament en deux prises quotidiennes, surtout en fin de grossesse.

Prévenir l’iatrogénie

Les questions à se poser lors de la délivrance d’un traitement d’une pharmacodépendance

Substitution nicotinique et aide à l’abstinence tabagique

– La substitution nicotinique, bien tolérée, ne pose généralement de problème qu’en termes de surdosage ou de sous-dosage nicotinique.

– Les deux médicaments d’aide au sevrage tabagique (bupropion, varénicline) exposent à un risque iatrogène important, essentiellement centré sur la survenue de troubles neuropsychiques avec risque de dépression et idées suicidaires.

– Le bupropion (Zyban) est un antidépresseur psychostimulant capable d’induire un virage maniaque ou des troubles d’allure psychotique.

– La posologie du bupropion doit être soigneusement vérifiée : risque de convulsions au-delà de 300 mg par jour.

– Les comprimés de bupropion ne doivent être ni mâchés ni écrasés car cela augmente le risque d’effets indésirables, dont des convulsions.

– Les effets indésirables de la varénicline (Champix) peuvent être potentialisés par son association à une substitution nicotinique : nausées, céphalées, vertiges, fatigue et dyspepsie.

Maintien de l’abstinence alcoolique

– Le traitement d’aide au maintien de l’abstinence chez le patient ex-alcoolodépendant n’expose que peu à un risque iatrogène.

– L’association à une benzodiazépine peut majorer le risque de dépression respiratoire.

– Il faut veiller à une éventuelle interaction contre-indiquée entre naltrexone et agoniste opiacé.

– Bien rappeler la sensibilité importante à l’effet antabuse sous disulfirame. Elle persiste parfois une semaine.

Substitution opiacée

Ne pas hésiter à contacter – avec discrétion – le prescripteur en cas de doute, notamment face à une ordonnance multipliant les prises sur le nycthémère. Idéalement, un substitut opiacé s’administre en une prise quotidienne unique.

• Face à une prescription de méthadone :

– vérifier l’absence de contre-indication avec un médicament allongeant l’intervalle QT et l’absence d’éventuels antécédents cardiaques (antécédents d’allongement du QT, antécédents familiaux de mort subite, pathologie cardiaque évoluée, troubles du rythme, etc.) justifiant une prudence particulière lors de l’administration ;

– (re) sensibiliser le patient au risque d’intoxication aiguë chez l’enfant ;

– veiller à l’absence d’association avec la naltrexone ou la buprénorphine.

• Face à une prescription de buprénorphine :

– veiller à l’absence d’association avec la naltrexone ou la méthadone ;

– rester sensibilisé aux nombreuses possibilités de mésusage voire de trafic du médicament.

À RETENIR

Le sirop de méthadone contient divers excipients à effet notoire (alcool, saccharose), dont du glycérol pouvant induire des diarrhées.

À RETENIR

Les signes de sevrage sous buprénorphine (ou méthadone) peuvent survenir de façon retardée par rapport à l’arrêt de la substitution.

ATTENTION

L’individualisation d’un traitement de substitution nicotinique doit être rigoureuse pour éviter tout signe de surdosage ou de sous-dosage.

Personnaliser la substitution nicotinique

La substitution nicotinique doit être adaptée à la dépendance nicotinique du patient, que le médecin ou le pharmacien apprécient notamment grâce au test de Fagerström. Posologie et durée du traitement sont donc toujours personnalisées à chaque cas (une cigarette de tabac blond expose en moyenne à 1 mg de nicotine et une cigarette de tabac brun à 1,4 mg : un fumeur absorbe entre 20 et 40 mg/j de nicotine).

Les doses de nicotine doivent être ajustées en fonction du degré de dépendance, de l’existence de symptômes de surdosage (bouche pâteuse, hypersalivation, hypersudation, diarrhées, palpitations, douleurs abdominales, nausées, céphalées, étourdissements, insomnie, diminution de l’acuité auditive, asthénie) ou de sous-dosage (signes de sevrage : troubles de l’humeur, irritabilité, insomnie, agitation, anxiété, difficulté de concentration, bradycardie, augmentation de l’appétit et du poids).

En cas d’échec, ce qui est quasiment la règle lors des premières tentatives chez des fumeurs fortement dépendants, il importe de recommencer le traitement.

À RETENIR

La survenue de troubles dépressifs voire de comportement suicidaire sous varénicline fait interrompre le traitement, en particulier chez les patients ayant des antécédents psychiatriques (psychose, bipolarité, dépression).

ATTENTION

L’association buprénorphine/méthadone est contre-indiquée car il y a un risque d’apparition d’un syndrome de sevrage.

ATTENTION

La méthadone expose à un risque important d’allongement de l’intervalle QT avec risque de torsades de pointes. Ce risque est majoré par son association à d’autres médicaments à risque.

Méthadone : 4 raisons pour redouter un allongement du QT

• La méthadone, contrairement aux autres opiacés, bloque spécifiquement les canaux potassiques (structure biphényl). Des études in vitro et des observations cliniques prouvent qu’elle allonge de façon dose-dépendante l’intervalle QT (chez plus de 80 % des patients traités dans certaines séries). Cet effet est bien plus rare avec la buprénorphine.

• La demi-vie d’élimination de la méthadone est comprise entre 8 h et 130 h et elle tend donc à s’accumuler dans l’organisme. Elle subit un métabolisme hépatique (cytochromes 3A4 et 2D6). Les médicaments inhibant son métabolisme élèvent ses taux sériques et augmentent le risque toxique : cimétidine, fluvoxamine, etc.

• L’association de médicaments qui allongent également le QT avec la méthadone concourt à augmenter la toxicité cardiaque. Citons divers antiarythmiques (quinidine, disopyramide, amiodarone, sotalol…), des antipsychotiques (amisulpride, chlorpromazine, cyamémazine, halopéridol, lévomépromazine, pimozide, sulpiride), des antiparasitaires (halofantrine, pentamidine), la mizolastine, la moxifloxacine, les bêtabloquants… (sans oublier un risque suggéré par certains divs avec les 1,4-benzodiazépines connues pour bloquer les canaux potassiques cardiaques).

Les médicaments pouvant perturber l’ionogramme sont également à risque : diurétiques, glucocorticoïdes, laxatifs stimulants…

• Enfin, certaines pathologies induisent un allongement du QT : apnée du sommeil, diabète… Le risque d’arythmie cardiaque sous méthadone est donc préoccupant.

Des études ont montré que le risque de mortalité était augmenté pendant les deux premières semaines d’administration de la méthadone, surtout lorsqu’elle est utilisée dans un condiv de clandestinité chez des sujets naïfs d’opiacés (une situation fréquente aux Etats-Unis).

Des experts recommandent de pratiquer un ECG avant instauration du traitement, dans le mois suivant puis annuellement.

À RETENIR

Une modification du niveau de tabagisme – et a fortiori son arrêt – modifie la cinétique des AVK et impose un rééquilibrage de l’INR.

À RETENIR

Denrées alimentaires ou médicaments contenant de l’alcool peuvent entraîner un effet antabuse.

À RETENIR

L’association naltrexone-méthadone est déconseillée par risque d’apparition d’un syndrome de sevrage.

Méthadone : risques d’interactions médicamenteuses

Outre le risque lié à l’allongement de l’espace QT, la méthadone peut donner lieu à de nombreuses interactions dont les conséquences méritent d’être connues :

• Réduction de la méthadonémie par les inducteurs enzymatiques (amprénavir, fosamprénavir, carbamazépine, éfavirenz, névirapine, phénobarbital, oxcarbazépine, primidone, phénytoïne, fosphénytoïne, rifabutine, rifampicine, griséofulvine): risque de survenue d’un syndrome de sevrage imposant une surveillance régulière et une éventuelle adaptation posologique.

• Potentialisation du risque de dépression respiratoire : tous morphiniques ou morphine-like (analgésiques, antitussifs), barbituriques et benzodiazépines.

• Potentialisation des médicaments dépresseurs du système nerveux central : morphiniques, antipsychotiques, benzodiazépines et anxiolytiques ou hypnotiques apparentés, antihistaminiques, antidépresseurs sédatifs, antihypertenseurs centraux, alcool et cannabis.

À RETENIR

Le traitement d’une douleur chez un patient sous traitement de substitution aux opiacés (TSO) ne peut être conduit avec une augmentation temporaire de posologie du TSO.

À RETENIR

L’intoxication par méthadone constitue une urgence médicale, notamment chez tout patient naïf d’opiacés et plus encore s’il s’agit d’un enfant.

ATTENTION

La cigarette électronique ne peut être vendue en officine ni même conseillée compte tenu des risques toxiques que présente sa manipulation et son usage.

Attention à la cigarette électronique !

• La cigarette électronique contient du propylène-glycol, utilisé comme additif alimentaire ou comme antigel, probablement non toxique aux doses courantes mais qui se révèle toxique à dose élevée. Si des études montrent qu’il n’est pas cancérogène sur modèle animal après administration orale, cutanée ou sous-cutanée, il n’a jamais été testé par inhalation.

• Une cartouche contient entre 80 % et 90 % de propylène-glycol, mais aussi 4 % d’eau, 5 % d’alcool, 0,6 % d’arômes artificiels dont la toxicité par inhalation n’est pas connue, et sa quantité de nicotine varie entre 16 mg et plus. Elle contient également moins de 1 ppm de métaux lourds (arsenic, antimoine, nickel, etc.), des cancérogènes reconnus : ainsi, une étude a retrouvé 8 ng de nitrosamines dans une cartouche de 16 mg de nicotine. De plus, les cartouches ne présentent parfois aucune indication sur leur contenu, leur date de péremption et moins encore de messages sanitaires.

• Enfin, des cartouches présentées comme ne contenant pas de nicotine se révèlent parfois avoir la même composition ou des concentrations plus élevées que celles pour lesquelles des taux importants de nicotine sont spécifiés. Les cartouches des cigarettes électroniques sont susceptibles d’entraîner une exposition cutanée ou orale accidentelle à cet alcaloïde pouvant entraîner des intoxications fatales chez le jeune enfant.

À RETENIR

Une substitution nicotinique doit toujours être proposée à une femme enceinte, quel que soit le stade de sa grossesse.

Grossesse et allaitement sous substitution nicotinique

• Chez une femme enceinte, la majorité des effets délétères du tabagisme est induite par les agents polluants libérés par la combustion de la cigarette : monoxyde de carbone, hydrocarbures aliphatiques, métaux lourds, particules radioactives… : la nicotine n’est, par elle-même, à l’origine que d’effets vasoconstricteurs et anorexigènes dont le retentissement clinique est réduit.

• L’Afssaps a confirmé en 2006 ses recommandations de 2003 : il n’y a pas d’arguments à l’appui prouvant une augmentation du risque de malformation fœtale chez les femmes bénéficiant d’un traitement de substitution nicotinique pendant leur grossesse, quelle que soit la galénique utilisée. Il est donc possible de proposer à la femme enceinte un traitement de substitution nicotinique en cas d’échec d’une thérapie cognitivocomportementale et d’une prise en charge psychologique. On privilégie alors les formes orales aux patchs ; si le recours à un patch est nécessaire, on utilise une présentation 16 heures.

• Pendant l’allaitement, il est aussi pertinent de recourir à un traitement de substitution nicotinique faute de succès avec une thérapie cognitivocomportementale. Dans ce cas, on déconseille les patchs pour privilégier le recours à des gommes, après chacune des tétées.

À RETENIR

Il est fréquent que la posologie de méthadone doive être augmentée en fin de grossesse, voire que le rythme d’administration du médicament soit modifié, passant à deux prises par jour au lieu d’une prise.

Grossesse et allaitement sous substitution opiacée

• L’héroïnomanie pendant la grossesse est à l’origine d’une hypotrophie fœtale, de prématurité voire de mort in utero, moins en raison des propriétés de l’héroïne qu’en raison de la souffrance fœtale induite par l’alternance de phases de manque et d’usage de drogue, les conditions de vie précaires liées à la toxicomanie n’arrangeant rien. La prescription d’un traitement de substitution aux opiacés est indiquée au cours de la grossesse, quel qu’en soit le terme ; toutefois, son introduction en fin de grossesse reste discutée par certains spécialistes.

• Une femme enceinte doit bénéficier du traitement de substitution aux opiacés le plus adapté à son profil, en se référant aux mêmes critères que pour les autres types de patients sous substitution (compulsion à l’injection, comorbidités, observance du traitement, etc.). L’équilibre du traitement de substitution aux opiacés doit être aussi parfait que possible, en adaptant sa posologie pour conserver l’efficacité thérapeutique du traitement.

• Le faible passage dans le lait des traitements de substitution aux opiacés ne contre-indique pas l’allaitement.

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