MALAISE CHEZ LES ADJOINTS - Le Moniteur des Pharmacies n° 2903 du 29/10/2011 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2903 du 29/10/2011
 

Dossier

Auteur(s) : Claire Bouquigny

Existe-t-il un malaise chez les adjoints ? Oui, disent ceux qui peinent à trouver un emploi, ou une officine à acheter. Non, assurent ceux qui occupent un poste intéressant. Tous sont cependant préoccupés par l’avenir de l’officine et leurs perspectives d’évolution.

J’ai fait le tour de toutes les officines se trouvant à cent kilomètres alentour et je n’ai trouvé qu’un poste à temps partiel le mercredi et durant les vacances scolaires », témoigne Carole*, adjointe au chômage depuis deux ans dans la région de Toulouse. « Dans le Nord-Pas-de-Calais, on trouve des CDI à… 4 heures par semaine », renchérit Vanessa, qui vit de remplacements. « Actuellement, les officines qui peuvent se passer d’un adjoint le font dès que possible, assure Damien Chesnel, président de l’Association des pharmaciens adjoints de Bretagne. Et les temps partiels se développent de plus en plus, sans que l’on sache s’ils sont subis ou choisis. »

En période de crise, la seule marge de manœuvre des titulaires est en effet de baisser la masse salariale. « Lors des permanences syndicales, on observe une augmentation des ruptures conventionnelles et des licenciements et des diminutions d’horaires », souligne Catherine Pamart, adjointe dans une pharmacie d’un petit centre commercial de la banlieue lilloise et représentante de Force ouvrière. Jean-Christophe, adjoint dans une pharmacie située à une vingtaine kilomètres de Bordeaux employant une préparatrice et deux aides-préparatrices, a relevé qu’un nombre croissant de jeunes pharmaciens en quête d’un emploi se présentent à l’officine : « C’est un phénomène nouveau. Un employé du Pôle emploi est même passé nous proposer des candidatures, il en avait plein ses tiroirs ! » Anne-Charlotte s’est repliée sur l’officine de son époux située dans la région Nord. « Ce n’était pas mon choix initial, mais nous étions souvent vingt personnes à nous présenter à un entretien d’embauche et jusqu’à cent cinquante pour un poste proposé par Boiron », explique-t-elle.

Pour Philippe Denry, chargé des questions sociales à la FSPF, ce problème est souvent lié à des questions géographiques, les jeunes adjoints préférant trouver un poste dans une grande ville plutôt que dans une zone rurale. « Dans les Vosges ou dans la Meuse, on peut trouver des postes avec un meilleur salaire et plus de responsabilités que dans la ville de Nancy », indique-t-il. « Pour trouver du travail, il faut accepter de s’éloigner. Les offres d’emploi que l’on trouve dans les bacs des répartiteurs sont toutes à la campagne », confirme Nathalie, adjointe dans une grande pharmacie de Nantes. Reste à savoir si le conjoint aura l’envie et surtout l’opportunité professionnelle de suivre son épouse pharmacienne car, selon la dernière étude démographique de l’Ordre, 82 % des adjoints sont des adjointes.

« Ne pas donner les mêmes tâches qu’aux préparateurs »

On pourrait penser que les adjoints qui ont la chance d’être en contrat à durée indéterminée ne ressentent pas ce malaise, lequel serait lié, selon Catherine Pamart, à la crise économique et à la peur de perdre son emploi. Cela n’est pas forcément le cas. « Je m’ennuie dans mon travail, avoue Jean-Christophe. Il n’y a pas assez de médical, trop de commercial et trop de routine. J’ai le même diplôme que la titulaire mais je fais le même travail que la préparatrice. Je n’ai pas de fonction particulière, pas de pression ni d’objectifs à atteindre. Le métier d’adjoint n’a plus lieu d’être. » Jean-Christophe reconnaît néanmoins percevoir un salaire « correct » grâce à sa prime d’ancienneté. « Il y a une fonction en trop dans l’officine. Pour trouver un sens à ce métier, il faudrait déjà admettre qu’il existe. »

Beaucoup d’adjoints ont en effet du mal à se positionner vis-à-vis des préparateurs qu’ils côtoient à l’officine dès leurs premiers stages en tant qu’étudiants. Pour Sylvette Huichard, professeur de droit et économie pharmaceutiques à la faculté de pharmacie de Dijon et responsable de la formation continue (lire l’encadré p. 21), il serait préférable de « ne pas donner les mêmes tâches aux adjoints et aux préparateurs ». « Il faudrait exploiter ces années de différence de formation », renchérit Damien Chesnel.

Un regret, le manque de reconnaissance

Parfois, la position des adjoints vis-à-vis des titulaires peut aussi poser question. « Il m’est arrivé de ressentir de la condescendance, presque du mépris, de la part de certains titulaires parce que je ne l’étais pas », relate une adjointe. Catherine Pamart confirme ce malaise spécifique des adjoints dû à un manque de reconnaissance de la part des titulaires : « Les coefficients restent bas et il y a très peu d’évolution de carrière. Beaucoup d’adjoints sont sous-employés, ils ne font que du comptoir. »

Cette frustration fait que certains d’entre eux n’osent même plus dire qu’ils sont pharmaciens. C’est ainsi qu’une adjointe a refusé de participer à la campagne de l’Ordre destinée à promouvoir le métier auprès des étudiants en première année des études de santé. « Elle pensait que les étudiants lui riraient au nez s’ils apprenaient qu’elle ne gagne que difficilement 2 000 euros par mois après vingt ans de carrière… », raconte Catherine Pamart. Pour cette dernière, une des raisons de ce malaise vient du fait qu’il n’y a pas assez de syndiqués et que « la profession n’est pas très revendicative ». « Il y a peu de meneurs car les jeunes qui veulent réussir reprennent une officine ou changent de branche. Il y a aussi beaucoup de femmes qui travaillent à temps partiel afin de privilégier leur vie de famille », explique-t-elle.

Enfin, l’adjoint peut avoir du mal à défendre l’indépendance de sa mission alors qu’il se trouve en position de subordonné. Il peut même dans certains cas courir le risque d’être licencié, comme le rapporte Vincent qui vient de quitter l’officine dans le Nord où il travaillait depuis quatre ans : « La titulaire a voulu ajouter une clause à notre contrat de travail stipulant un certain chiffre d’affaires en parapharmacie à réaliser avec versement d’une prime par objectif atteint. Elle a ajouté que si les ventes n’augmentaient pas, elle devrait licencier un des deux adjoints. J’ai refusé de signer… »

« Nous fermons la porte aux jeunes adjoints »

L’installation est quasiment la seule porte de sortie pour les adjoints. Or, selon le dernier rapport sur la démographie pharmaceutique publié par l’Ordre, celle-ci décroît avec seulement 52 primo-accédants enregistrés en 2010 contre 100 en moyenne annuelle avant 2006. Les pharmaciens, contrairement aux autres professions libérales de santé, n’ont pas la liberté de s’installer. « De ce fait, la négociation dépend du rapport entre l’offre et la demande, remarque Damien Chesnel. L’enjeu financier est tellement énorme que c’est perturbant. De nombreux adjoints ne se lancent pas car les sacrifices sont trop grands. » « En effet, les apports initiaux sont si considérables qu’ils ne peuvent pas être constitués sans soutien financier familial, commente Thomas Crochet, avocat au barreau de Toulouse, spécialisé dans les structures d’exercice des professions libérales. On voit des jeunes avec des apports de 200 000 à 300 000 euros qui ne peuvent pas acheter. Ils ont beaucoup de peine à boucler leur projet. C’est triste. »

Les transactions continuent néanmoins avec 1090 cessions de fonds en 2010, mais elles se font trop souvent sans les jeunes, comme le relève Adeline Rougemond, citant une enquête de Tabellion & Partners, une société de conseil pour les affaires et la gestion, dans sa thèse portant sur les « Sociétés d’exercice libéral appliquées à la pharmacie d’officine » : « La bonne tenue du marché repose sur la mobilité des titulaires qui procèdent à des cessions et réinstallations. Le marché des transactions s’opère donc en circuit fermé. Cette stratégie professionnelle des titulaires fait barrage à l’accès des jeunes, mettant en péril l’équilibre nécessaire pour l’avenir de la profession. » La situation inquiète l’Ordre. « Nous fermons la porte aux jeunes adjoints », a déploré Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, lors de la présentation des chiffres de la démographie professionnelle en juin dernier, rappelant qu’une « profession sans jeunes est une profession sans avenir ».

« Il faudrait imaginer un turnover, que les titulaires s’associent avec des jeunes pour les aider à s’installer », propose Damien Chesnel. Certains titulaires le font déjà, mais les décrets d’application de la loi MURCEF, qui devait faciliter la prise de parts progressive des adjoints par le biais des holdings, ne sont jamais parus alors que le div est prêt depuis 2001 ! « Il arrive alors que des jeunes cèdent à des montages qui leur permettent de mettre le pied à l’étrier. C’est sur ce terreau-là que sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées prospèrent. Elles permettent des montages honorables mais peuvent aussi conduire à des dérives », observe Thomas Crochet. Dans le cas de ces sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées (SELAS), plusieurs titulaires s’associent pour racheter une officine et ils en confient la gérance à un jeune pharmacien avec 5 % des parts. Mais, remarque Vincent : « A la fac, on nous a déconseillé d’y entrer car le gérant fait tout le travail, il porte toute la responsabilité mais ne récupère que 5 % des bénéfices. »

Des perspectives d’avenir grâce aux nouvelles missions

Les nouvelles missions prévues par la loi HPST et leur rémunération vont-elles permettre aux adjoints de relever la tête ? « Elles vont redonner de la diversité et de l’attractivité au métier et des opportunités de progression, assure Gilles Bonnefond, président de l’USPO. D’ailleurs, on essaye de mettre en place un profil de carrière pour ceux qui décident de ne pas acheter une pharmacie. » « Il faudra toutefois que les adjoints se saisissent de leur statut de cadre car ils ont un rôle à jouer pour encadrer l’équipe, se déplacer chez les patients, mener des entretiens avec les patients… Ce sera pour eux une opportunité de se repositionner », ajoute Philippe Denry. Oui, mais il faudra avant toute chose que les titulaires acceptent de mettre en place ces missions facultatives et chronophages. Et il faudra qu’il y ait un financement derrière. « Sinon, comment pourra-t-on libérer des adjoints pour suivre 100 heures de formation en éducation thérapeutique et réaliser ces missions », s’interroge Eric Myon, secrétaire général de l’UNPF.

* La plupart des adjoints interviewés ont préféré témoigner anonymement.

SYLVETTE HUICHARD
Professeur à la faculté de Dijon

« Avant, on était obsédé par l’idée d’être titulaire »

« Avant les adjoints n’avaient qu’un objectif, devenir titulaire », explique Sylvette Huichard, professeur de droit et économie pharmaceutiques à la faculté de Dijon, qui a passé en 1982 une thèse sur « Le pharmacien assistant à l’officine ». « Ils étaient assistants le temps d’acquérir une formation complémentaire à la pratique officinale. Ils étaient obsédés par l’idée d’être titulaire et achetaient une officine à n’importe quel prix, assure-t-elle. Aujourd’hui, ils souhaitent toujours devenir chef d’entreprise, mais ils le font sciemment et en prêtant attention aux conséquences économiques de leur engagement. » Dans le même temps, le statut d’adjoint – qui était transitoire – est devenu permanent. « Les adjoints se disent qu’être salarié apporte des avantages. Ils sont au comptoir et n’ont pas de responsabilité de gestion d’entreprise, ni de soucis financiers », poursuit le Pr Huichard. Ceux qui font ce choix restent souvent en retrait du titulaire. « C’est flagrant chez les étudiants en cinquième ou sixième année qui travaillent sur la gestion de projet. Tous pensent que seul le titulaire peut être chef de projet. Ils n’envisagent pas de donner des responsabilités aux adjoints », conclut Sylvette Huichard.

INTERVIEW

JÉRÔME PARESYS-BARBIER,
PRÉSIDENT DE LA SECTION D DE L’ORDRE NATIONAL DES PHARMACIENS

Il y a un vrai malaise chez les adjoints, non ?

Je dirais plutôt un questionnement. Les adjoints se posent beaucoup de questions. Par ailleurs, certaines officines éprouvent des difficultés, elles ne peuvent pas facilement anticiper sur le besoin en pharmaciens au quotidien, cela a des conséquences sur l’avenir des adjoints.

Quelles sont les causes de ces questionnements ?

Des adjoints déplorent de ne pas être assez employés quand il y a des titulaires qui ne trouvent pas toujours de remplaçants, surtout dans les officines rurales. Il y a là un vrai paradoxe. Nous devrions disposer d’un outil cartographique permettant d’améliorer la situation. Les adjoints se demandent aussi pourquoi ils ne peuvent toujours pas entrer dans le capital des officines.

Quel conseil donneriez-vous aux adjoints en recherche d’emploi ?

Ils devraient être davantage mobiles. La plupart des étudiants option officine font leur stage de fin d’étude dans leur ville universitaire par commodité, au lieu de découvrir d’autres territoires. De plus, 80 % d’entre eux sont des jeunes femmes qui doivent concilier vie professionnelle et vie personnelle.

Certains adjoints ont l’impression de faire les mêmes tâches que les préparateurs. Ne faudrait-il pas les différencier ?

Les missions des adjoints et des préparateurs sont complémentaires. L’un peut préparer et l’autre doit contrôler. Les officines ont besoin des deux métiers. La définition des tâches et des objectifs de l’adjoint doit être précisée par écrit dans le contrat avec le titulaire, comme le prévoit le Code de la santé publique. Il est vrai que certains adjoints se trouvent dans des situations très inconfortables ; cependant, il y a une telle variabilité individuelle que l’on ne peut pas tirer d’enseignements de cas particuliers.

Comment aider les adjoints à entrer dans le capital ?

Le système de holding devait permettre aux adjoints d’entrer progressivement dans le capital, mais le div qui l’autorise est encore en discussion. Il faut que la profession accepte de se remettre autour de la table pour débloquer la situation. La section D s’intéresse à ce div car il concerne aussi l’indépendance de l’exercice officinal.

Pensez-vous que la situation actuelle va perdurer ?

Nous allons rebondir. Nos officines ont du potentiel et il y a des besoins de santé publique. Des opportunités vont se créer avec le décret sur le pharmacien correspondant et la loi HPST qui donne de nouvelles missions aux officinaux. Il y aussi une mise à plat de la situation économique des officines. La coopération interprofessionnelle est en train de se mettre en place, ce qui va permettre aux officinaux de se positionner par rapport aux autres professionnels de santé.

Quelles sont les pistes d’évolution ouvertes aux adjoints ?

Certains vont s’engager dans l’éducation thérapeutique ou devenir pharmacien référent au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Ils pourront aussi être désignés comme pharmacien correspondant par le patient et chargés du suivi de son traitement.

Les titulaires auront-ils l’obligation de se lancer dans les nouvelles missions ?

Toutes les officines ne le feront peut-être pas. Par contre, il faudra qu’elles se donnent des moyens si elles souhaitent s’engager réellement, en adaptant les locaux, en réorganisant les équipes et en communiquant autrement. Il faut tenir bon, on ne va pas rater le rendez-vous. Sans faire d’angélisme, on peut dire qu’il y a des signes de renouveau annoncé et d’espoir retrouvé.

Propos recueillis par Claire Bouquigny

Repères

• 25 997 adjoints sont inscrits à la section D de l’Ordre, dont

• 21 956 exerçant en officine,

• 3 698 intérimaires

(Au 1er janvier 2011, étude démographique de l’Ordre des pharmaciens.)

• 4 099 pharmaciens sont inscrits comme demandeurs d’emploi.

• 183 postes sont à pourvoir (officine, biologie, industrie, recherche, grande distribution).

(Au début du 3e trimestre 2011, source Pôle emploi.)

TÉMOIGNAGE
NATHALIE, ADJOINTE

« On peut trouver sa place si on s’en donne les moyens »

« Je m’éclate. Je suis pharmacien responsable, je reçois des représentants, je décide. En revanche, il faut avoir envie de bouger et pouvoir suivre le rythme, conseille Nathalie, adjointe dans une grosse pharmacie de Nantes qui emploie 50 salariés dont 13 adjoints. Il faut savoir rendre son métier intéressant et trouver une pharmacie assez grande pour pouvoir évoluer vers des postes à responsabilités. » Mais Nathalie ne rejette pas pour autant les petites officines. « J’y ai travaillé pour remplacer des titulaires, explique-t-elle. C’était très intéressant car on découvre le poste avec toutes ses responsabilités. » Néanmoins, Nathalie reconnaît qu’être salarié n’est pas simple tous les jours : « Les officines sont en général de petites structures, on est un peu les uns sur les autres et parfois on étouffe vite. Mais si l’on regarde les bons côtés de notre métier, il y a peu de cadres qui ne travaillent que 35 heures. On peut prendre un temps partiel sans être gênée dans son évolution de carrière. Et on peut trouver sa place si on s’en donne les moyens. »

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