QUELLES COOPÉRATIONS AVEC LES INFIRMIÈRES LIBÉRALES ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 2896 du 10/09/2011 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2896 du 10/09/2011
 

Dossier

Auteur(s) : Nathalie Da Cruz

Reconnus comme des professionnels de premier recours et renforcés par le décret sur le pharmacien correspondant, les officinaux sont de plus en plus amenés à travailler avec les infirmières. Quelles sont les missions et les aspirations de ces dernières ? Dans quelle mesure sont-elles prêtes à travailler avec les pharmaciens ? Enquête sur une profession elle aussi en pleine mutation.

Premier constat, les infirmières libérales constituent une profession féminine à 83 % – d’où l’emploi quasi systématique du genre féminin pour les désigner. Comme leurs consœurs salariées, elles suivent un cursus de trois ans, après le baccalauréat, dans un Institut de formation aux soins infirmiers, sanctionné par un diplôme d’Etat aujourd’hui reconnu au niveau licence. Au quotidien, elles passent la plupart de leur temps au domicile des patients. C’est leur mission principale, qui impose des horaires décalés. Les infirmières sont en tournée le matin dès 7 heures jusqu’à 13 heures environ, et reprennent la route à partir de 16 heures, parfois jusqu’à 21 heures. L’exercice libéral impose donc des contraintes. Mais il offre aussi un lien de proximité privilégié avec le patient. Une visite quasi quotidienne au patient permet par exemple de détecter un comportement ou des symptômes inhabituels et d’en alerter le médecin traitant.

Les soins prodigués par les infirmières libérales relèvent de deux types d’actes listés dans la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP). D’une part, les « actes infirmiers de soins », qui incluent le nursing et le confort (levers et couchers, habillage, toilette, pose de sondes urinaires, d’étuis péniens, etc.), et, d’autre part, les actes médicaux infirmiers (injections, perfusions, prises de sang, pansements, nutrition parentérale, soins d’escarre, immunothérapie, chimiothérapie, soins palliatifs, etc.). Aujourd’hui, les missions des infirmières libérales s’orientent de plus en plus vers la surveillance des patients (diabétiques, patients sous AVK ou souffrant de troubles psychiatriques), mais aussi vers l’éducation thérapeutique, souvent réalisée de manière informelle au domicile.

Le droit de prescription renforçait déjà les liens avec les officinaux

Depuis quelques années, la profession connaît une révolution. Un arrêté du 13 avril 2007 autorise les infirmières à prescrire certains dispositifs médicaux : pansements, compresses, coton, produits pour la prise en charge des escarres, sondes, accessoires de lits, stomies, appareils pour perfusion, etc. Conséquence, selon une étude réalisée par la société Celtipharm, le chiffre d’affaires généré en officine par les prescriptions infirmières a progressé de près de 50 % entre mars 2009 et mars 2011. En 2010, les prescriptions des infirmières ont rapporté plus de 80 millions d’euros à l’officine. De plus, depuis l’an dernier, elles peuvent elles-mêmes renouveler la vaccination contre la grippe saisonnière. Et la loi HPST étend encore leurs attributions. Un arrêté du 25 mai 2010 permet aux infirmières de renouveler la prescription de la contraception orale pour six mois au plus. Ce renouvellement se fait à l’identique, sur la base d’une prescription médicale datant de moins d’un an.

A la liste des contraceptifs oraux concernés, fixée par l’arrêté, doit bientôt se substituer celle des pilules qui ne pourront pas être renouvelées par les infirmières. Cette liste négative, qui présentera moins de risque d’erreur, est établie par arrêté du ministère de la Santé, sur proposition de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

Pas toujours bien informés sur les nouvelles compétences des infirmières libérales, les pharmaciens ont cependant déjà pris l’habitude de collaborer avec elles, en particulier en milieu rural. Président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), un des deux grands syndicats professionnels, Philippe Tisserand pointe le cas des sorties d’hôpital : « Une bonne coordination entre pharmaciens et infirmières permet de prendre les devants, de vérifier si l’ordonnance est bien adaptée, de commander le matériel nécessaire à temps. C’est une sécurité pour les patients. »

A Sénas (Bouches-du-Rhône), Isabelle Sanselme témoigne des relations fréquentes qu’elle entretient avec les officinaux : « Entre médecins, pharmaciens, infirmières et laboratoires d’analyses, nous travaillons main dans la main. Nous, infirmières, avons besoin des officinaux, et ils jouent très bien le jeu. Ils nous avancent une boîte de Préviscan quand nous n’avons plus d’ordonnance, nous ouvrent la pharmacie le week-end pour nous dépanner… »

Nadine Delevoye, présidente de la section départementale du SNIIL (Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux), autre grand syndicat d’infirmiers, fait partie d’un tout nouveau pôle de santé mis en place, dans le cadre de la loi HPST, à Ifs dans le Calvados. Elle souligne son rôle actif dans le traitement des patients. « Nous visons les ordonnances des médecins avant que les patients n’aillent à la pharmacie, pour voir si les prescriptions sont adaptées ou indispensables. Si tel n’est pas le cas, nous portons la mention “Ne pas délivrer” sur l’ordonnance. Pharmaciens et médecins sont au courant, bien entendu », rapporte l’infirmière.

Renforcer la coopération dans les maisons de retraite

La gestion des stocks de médicaments au domicile des patients est un des principaux champs de collaboration entre officinaux et infirmières. La priorité est d’éviter les accidents et les risques iatrogènes. Mais l’enjeu est aussi de générer des économies pour la collectivité. « Le gaspillage de médicaments est énorme, avec des répercussions économiques importantes, confirme Annick Touba, présidente du SNIIL. Il y a un travail de terrain à mener avec les acteurs des soins à domicile que sont les infirmières libérales. » Celles-ci découvrent parfois dans les boîtes à pharmacie des patients de véritables « réserves de guerre » ! Le problème est encore plus criant lorsqu’il s’agit des psychotropes. Infirmier libéral à Tarbes (Hautes-Pyrénées), spécialisé dans le suivi à domicile de patients souffrant de troubles psychiatriques, Philippe Sarlat peut en témoigner : « Mon collègue et moi-même serions très intéressés par une collaboration avec les pharmaciens afin d’améliorer la sécurité de la dispensation. L’idéal serait qu’un pharmacien proche du domicile du patient gère l’intégralité de son traitement. Le patient irait ainsi tous les matins à la pharmacie chercher ses médicaments. »

Outre la gestion des traitements, des coopérations semblent possibles dans le domaine de l’éducation thérapeutique. « Pourquoi ne pas mettre sur pied des consultations avec plusieurs intervenants ?, suggère Isabelle Sanselme. Les pharmaciens pourraient prendre en charge le volet concernant les médicaments et la pharmacologie. Pour leur part, les infirmières mèneraient des séances axées sur l’observance, la diététique ou encore l’accompagnement. »

Philippe Tisserand confirme que les actions communes peuvent concerner la gestion des médicaments et l’éducation thérapeutique. Le président de la Fédération nationale des infirmiers cite également la mise à disposition du matériel médical et la prise en charge à domicile : « Nous attendons des pharmaciens qu’ils nous accompagnent en termes de disponibilité des matériels complexes, comme les sets de pansement, les dispositifs de perfusion ou de chimiothérapie. On pourrait travailler ensemble sur le suivi des patients sous antivitamine K ou des insuffisants cardiaques, pour prévenir les décompensations, en formalisant le recueil d’informations, par exemple via un dossier de soins infirmiers. On pourrait imaginer également que celui-ci pourrait être consulté par le pharmacien et adossé au dossier pharmaceutique. »

De son côté, Dominique Le Bœuf estimait, alors qu’elle était encore présidente de l’Ordre national des infirmiers, que le renouvellement des prescriptions pourrait constituer un terrain de travail commun entre infirmières et pharmaciens, de même que la préparation des piluliers hebdomadaires : « Donner un pilulier à un patient ne suffit pas. Il faut aller jusqu’à l’administration du médicament. » Au sein du CLIO (Comité de liaison inter-Ordres), des thématiques de travail collectif sont déjà envisagées avec la profession pharmaceutique. Elles portent sur l’e-prescription, la dispensation de médicaments en EHPAD (établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes), la préparation des chimiothérapies ou le circuit de dispensation des médicaments.

Gagner du terrain face à une concurrence rampante

Les syndicats infirmiers se disent prêts à collaborer, mais pas à tout prix. « Cela devra se faire dans le respect de notre emploi du temps et de notre organisation de travail, qui sont lourds », affirme Philippe Tisserand. En clair, les infirmières n’imaginent pas devoir bloquer des plages horaires dans un planning chargé, ni entrer dans un lien de subordination. L’idée est de conserver leur indépendance et leur bonne connaissance des patients – deux aspects du métier qui vont de pair. De son côté, Annick Touba s’inquiète de l’attitude de certains officinaux qui « s’isolent dans leur pharmacie pour réaliser des dosages et des consultations pour le diabète. C’est une pathologie que l’on retrouve au domicile, il vaut donc mieux travailler en interprofessionnalité avec les infirmières libérales sur ces thématiques ». L’enjeu est de taille, selon la présidente du SNIIL. Il s’agit de gagner du terrain face à une concurrence rampante : « Demain, il nous faudra des équipes de terrain, de proximité – donc des libéraux – pour les prises en charge complexes à domicile, comme les patients cancéreux, les personnes âgées dépendantes, les soins palliatifs. Sans cela, le champ sera investi par l’hospitalisation à domicile ou par des prestataires privés, lesquels ne connaissent pas du tout le patient et livrent parfois du matériel inadapté. »

Infirmières libérales et pharmaciens ont donc tout intérêt à faire front commun, pour des soins de meilleure qualité et moins coûteux pour la société. La coopération entre les deux professions a de beaux jours devant elle. Reste à définir et à formaliser les modes d’organisation et de rémunération. L’aventure ne fait que commencer.

INTERVIEW D’EXPERT
YANN BOURGUEIL, DIRECTEUR DE L’INSTITUT DE RECHERCHE ET DE DOCUMENTATION EN ÉCONOMIE DE LA SANTÉ

« Médecins, pharmaciens et infirmières vont devoir apprendre à échanger »

Quels sont les enjeux des coopérations entre professionnels de santé ?

Elles visent à développer de nouvelles pratiques et à mieux répondre à la demande des patients, en particulier dans les zones sous-médicalisées. Il s’agit surtout de confier les actes de diagnostic et de prescription à des non-médecins. Il faudrait autoriser les infirmières à prescrire au-delà de ce qu’elles peuvent faire aujourd’hui. Cela peut leur donner une perspective de carrière et rendre cette dernière attractive. Quant au pharmacien, il pourrait assurer un contrôle et superviser les opérations. Il peut aussi revendiquer le droit de renouveler des ordonnances.

Comment ces coopérations peuvent-elles réussir ?

Pour qu’un protocole marche, il faut repenser l’organisation du travail. A l’hôpital, on en a l’habitude. Dans le secteur ambulatoire, c’est tout nouveau. Il va falloir que médecins, pharmaciens et infirmières se rencontrent régulièrement, se mettent autour d’une table et réfléchissent à la manière de collaborer. C’est ce qui se passe dans les réseaux de soins. Pour que cela fonctionne, une analyse fine et poussée de l’existant doit être menée. Il faut se saisir d’une situation précise, par exemple la prescription de matériel à domicile, décrire comment cela marche aujourd’hui et voir ce qu’on peut améliorer. Il s’agit d’analyser les organisations de travail et de décomposer les tâches. C’est en quelque sorte une démarche qualité.

Que pensez-vous des coopérations telles qu’elles sont définies dans l’article 51 de la loi HPST ?

C’est un processus en cours, assez lourd et bureaucratique, qui implique la rédaction de protocoles, notamment pour les transferts d’actes de soins ou la réorganisation d’une démarche de soins. Les protocoles actuellement examinés par les ARS et la HAS concernent surtout des transferts d’actes de soins entre médecins et infirmières, à l’hôpital. Les coopérations semblent plus difficiles à mettre en place dans le secteur ambulatoire.

Peut-on faire des économies via les coopérations ?

Il ne faut pas en escompter. Au départ, l’infirmière aura tendance à prescrire plus, pour se rassurer. Mais, dans vingt ans, si l’organisation des soins est modifiée, le système sera sans doute plus efficient.

Régulation démographique dans les zones surdotées

Depuis fin 2008, l’installation d’une infirmière dans une zone déficitaire lui vaut l’octroi d’une aide financière de 3 000 euros. et toute installation dans une zone surdotée est conditionnée par le départ d’une autre infirmière. Résultat : en quelques mois, le nombre d’infirmières dans les zones où elles sont en excédent a diminué de 3 %.

Les nouvelles missions apportées par la loi HPST

« Par dérogation, les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès du patient. Ils interviennent dans les limites de leurs connaissances et de leur expérience […] », indique l’article 51 de la loi HPST (devenu l’article L. 4011-1 du CSP*).

Les coopérations doivent faire l’objet de protocoles rédigés et soumis à l’agence régionale de santé et à la Haute Autorité de santé (HAS). Un protocole peut ainsi permettre à une infirmière de réaliser une ponction de moelle osseuse à condition qu’elle effectue une formation. En Bourgogne et en Martinique, un premier avis favorable a été donné par la HAS pour développer une coopération entre orthoptiste, ophtalmologiste et infirmière pour un dépistage itinérant de la rétinopathie.

* A consulter :

– Arrêté du 31/12/09 sur la procédure des protocoles de coopération.

– Arrêté du 21/7/10 sur le suivi de la mise en œuvre d’un protocole de coopération entre professionnels de santé.

– Décret n°  2010-1204 du 11/10/10 sur les conséquences pour la formation initiale et continue de l’extension d’un protocole par la HAS.

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