L’AIDE MÉDICALE DE L’ETAT MALADE DES POLÉMIQUES - Le Moniteur des Pharmacies n° 2880 du 30/04/2011 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2880 du 30/04/2011
 

Dossiers

Enquête

Auteur(s) : Catherine Grison

L’aide médicale de l’Etat (AME) destinée aux étrangers sans papiers est accusée de ruiner les finances publiques et d’être source de fraudes. L’article 188 de la loi sur le budget 2011 a voulu en limiter l’accès en instaurant un droit d’entrée de 30 euros, en vigueur depuis le 1er mars. Retour sur un dispositif sensible, politique et polémique.

Faire payer le droit d’entrée à l’AME ou comment mettre le feu aux poudres. Alors que le Parlement a voté la création de ce droit d’entrée, un rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales est plus que prudent sur les effets d’une telle mesure. Présentée comme une mesure d’économie et de responsabilisation, elle pourrait avoir un effet inverse en termes de coût et de risques sanitaires. « La mission ne recommande pas la mise en œuvre d’un droit d’entrée pour l’AME. A tout le moins, la mission recommande qu’une étude d’impact soit conduite avant toute décision », peut-on lire dans les pages de synthèse dudit rapport. Divulgué le 31 décembre 2010, soit après le vote définitif de la loi qui a eu lieu le 13 décembre, ce rapport a été remis à Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, et à François Baroin, ministre du Budget, en novembre 2010, soit deux mois avant l’adoption de la loi de finances pour 2011. Catastrophe sanitaire annoncée ou gabegie organisée, l’AME est un sujet épidermique qui pourrait s’inviter lors du débat sur le projet de loi relatif à l’immigration, l’intégration et la nationalité. Car certains prônent la régularisation de tous les sans-papiers malades ou la fusion entre AME et CMU. Les inspecteurs de l’IGAS et de l’IGS ont analysé les paramètres de l’AME dont les dépenses se sont envolées de 13,3 % en 2009, de 17 % en 2010 pour aller vers un total estimé à 700 millions d’euros pour 2011. Leur audit s’est appuyé sur les chiffres des CPAM de Paris, Bobigny puis Créteil. Ce rapport, consultable sur le site internet de la Documentation française, a néanmoins surpris car il contredit idées reçues et arguments avancés pour restreindre cette aide sociale.

Sans papier mais pas sans couverture

L’AME est la couverture santé des personnes étrangères en situation irrégulière sous condition de pouvoir justifier de trois mois continus de résidence en France, d’une identité (carte ou extrait d’acte de naissance ou livret de famille ou copie d’un ancien titre de séjour ou permis de conduire ou carte professionnelle du pays d’origine ou carte d’étudiant ou document nominatif du ministère des Affaires étrangères) et de ressources mensuelles inférieures à 634 euros pour une personne et 951 euros pour un couple. Elle est attribuée pour un an reconductible. Les renseignements collectés sont difficilement vérifiables. Les CPAM attribuent les droits par délégation du préfet. Il y a deux types d’AME, celle de droit commun et l’humanitaire pour les personnes gardées en rétention administrative. Cette dernière, rarissime, ne relève pas de l’Assurance maladie, mais appartient au ministère chargé de l’Action sociale. L’AME peut être attribuée à une personne de passage pour des soins urgents afin de garantir sa survie ou celle d’un enfant à naître et également si ces soins n’existent pas dans leur pays. Dans ce dernier cas un permis de séjour temporaire peut faire accéder à la Sécurité sociale. La prestation AME permet d’être pris en charge à 100 % du tarif Sécurité sociale en secteur 1 (hors prothèses dentaires et lunettes) et les produits prescrits et pris en charge sont délivrés sans aucune avance de frais. Cette gratuité couvre la médecine de ville, l’hôpital et la pharmacie. L’objectif est de soigner une population vulnérable et d’éviter ainsi la propagation de pathologies transmissibles comme la tuberculose, l’hépatite B, le VIH… Le rapport de l’IGAS signale que 6 % des patients atteints de l’hépatite B ne le savaient pas avant d’arriver en France. L’AME serait donc un facteur de protection de santé publique et d’entraide. L’Etat finance le dispositif et rembourse l’Assurance maladie qui en est le gestionnaire. Dans un précédent rapport de 2007, l’IGAS avait noté que la dette se cumulait à près de un milliard d’euros et avait émis quelques recommandations. L’hôpital représente plus de 2/3 du budget AME, soit 70 %. Le rapport de l’IGAS conclut qu’il faut aller au bout d’une logique et regrouper AME et CMU avec une facturation commune spécifique. Les bénéficiaires de l’AME y gagneraient en s’alignant sur la couverture de la CMU plus complète.

Les points clé du rapport confortent ou dérangent selon les arguments qu’on entend utiliser pour ou contre une limitation d’accès à l’AME.

L’augmentation des bénéficiaires de 2000 à 2008 a bien été à l’origine de la hausse des dépenses, mais ce nombre reste stable depuis 2008, soit environ 268 000 personnes concentrées sur Paris et la Seine-Saint-Denis (près de 40 % des dépenses de l’AME à elles deux). Parmi eux, de plus en plus de personnes venant des pays de l’Est. Des étrangers européens qui étaient à la CMU ont été transférés à l’AME car sans revenu ni couverture maladie, tout comme les demandeurs d’asile dont la demande est refusée et qui perdent leur titre de séjour. Dorénavant le bénéficiaire ne peut avoir en ayant-droit que son conjoint et ses enfants. Malgré tout, le coût par personne est proche de celui d’un assuré du régime général. Entre 1 800 et 2 300 euros pour une AME, 1 500 à 1 900 euros au régime général, 1 600 euros à la CMU et 4 visites médicales par AME pour 8 au régime général.

Le contrôle des renseignements quasi impossible

Les fraudes sont souvent évoquées à travers le tourisme médical ou le séjour sanitaire à vil prix. Si le fait existe, il est peu probable qu’il y ait des filières organisées. Plutôt des cas particuliers qui choquent comme ces traitements de procréation assistée sur des femmes âgées de plus de 47 ans (non pris en charge pour des Françaises par le régime général). La réforme introduit la suppression de ces actes au titre de l’AME ainsi que les prothèses et soins non urgents ou non directement liées à une maladie… applicable dès parution d’un décret. Les greffes nécessitent l’inscription sur liste d’attente à partir de critères médicaux et logistiques ce qui limite le risque de filières de fraudes. Une vingtaine de sans-papiers ont bénéficié d’une transplantation en 2009.

La fraude sur les documents ouvrant au droit à l’AME (identité, résidence, ressources) est régulièrement pressentie, mais elle ne représenterait pas une charge indue excessive. L’IGAS note que les bénéficiaires sont surtout des hommes immigrés, seuls, plutôt éduqués, vivant de façon précaire qui craignent de se faire repérer par les administrations et qui attendent le dernier moment pour se faire connaitre afin d’être soignés pour des pathologies souvent lourdes (cancer, diabète, hépatites, maladies chroniques). La loi L313-11-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile indique qu’ils peuvent demander leur régularisation si leur état de santé est très dégradé. Les associations humanitaires ne font que réclamer son application. A l’évidence les articles de loi s’entremêlent et se contredisent. Quoiqu’il en soit le contrôle des renseignements est difficile voire impossible. Une simple déclaration sur l’honneur peut suffire pour obtenir une carte d’AME. Près de 48 % des dossiers seraient litigieux mais le rapport note qu’il s’agit souvent, et après vérification par les caisses, de dossiers mal remplis ou incomplets. Substituer les préfectures aux CPAM pour le dépôt des demandes ne ferait que renforcer l’impression de fichage et éloignerait les demandeurs. Le sujet est épineux. D’autant plus que les démarches administratives durent et retardent les prises en charge sous un autre statut, gonflant encore le nombre de personnes non régularisées et donc susceptibles d’AME.

Que pensent les pharmaciens d’officine pourvoyeurs de soins ? Le nombre de dossiers d’AME traités dépend bien évidemment du lieu de l’officine. Il y a peu de dossiers, mais leur traitement administratif est plus long. Rien d’affolant, le délai de paiement est de moins de huit jours « Ce n’est pas pire que pour les accidents du travail, mais c’est du temps à consacrer », explique Claire Sevin, titulaire à Clamart. « Nous exigeons de voir l’attestation et l’ordonnance originales à chaque délivrance. Le message doit passer dans l’entourage de ces patients. Nous pouvons également vérifier les droits sur le site ameli.fr avec le code de l’officine. Le bruit avait couru en 2005 que 83 % des nouveaux clandestins trafiquaient Subutex grâce aux nombreuses photocopies d’AME », ajoute Jean Lamarche installé à Paris. Sentiments partagés par Marc Faye, titulaire à Cholet et proche d’un hôtel hébergeant des immigrés réfugiés politiques. « Il y a des familles et la difficulté est la communication due à leur manque de maîtrise du français et à la différence de culture. Nous les suivons entre un à trois mois pour des pathologies relativement bénignes. La paperasserie nous incombe, mais nous savons que nous serons payés. Je n’ai pas l’impression d’abus, mais nous restons vigilants sur les ordonnances si la personne détient une AME issue d’une autre CPAM que celle du Maine-et-Loire. »

CHIFFRES CLÉS

267 918 bénéficiaires en 2009

540 millions d’euros de dépenses en 2009 et 700 millions prévus en 2011

2 041 euros de dépenses par bénéficiaire en 2009, contre 1 803 € en 2008

72 % des dépenses engagées concernent des frais hospitaliers

297 € de pharmacie par bénéficiaire en 2009

NELLY, ANCIENNE GESTIONNAIRE DE PÔLE DANS UN HÔPITAL DE L’ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS

« L’AME n’est pas limitative en termes d’actes »

« Le médecin peut prescrire ce qu’il juge bon pour le patient qui arrive en urgence avec une pathologie lourde comme une dialyse ou un cancer. Le service va le garder plus longtemps pour trouver une structure d’accueil qui prendra le relais. L’assistante sociale instruit la demande d’AME qui est rétroactive pour la prise en charge hospitalière. Une façon de se faire payer si la personne s’avère insolvable. Le paiement de l’Etat est tardif et complique les choses, mais on ne peut exercer un contrôle sur la qualité effective de ce qui est inclus dans la facturation. »

Modalités d’obtention et prestations

Pour demander l’AME, le requérant doit remplir le formulaire Cerfa n° 11573 et le déposer à la CPAM de son lieu de résidence. Si la demande est accordée, dans les deux mois suivant le dépôt de la demande, la caisse lui remettra son titre d’admission en échange d’un timbre fiscal de 30 euros.

Une fois accordés, les droits à l’AME prennent effet à la date de dépôt du dossier. Un an de prise en charge à 100 %, des soins médicaux et d’hospitalisation en cas de maladie ou de maternité, dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale, avec dispense d’avance de frais. Les détenteurs de l’AME sont bien sûr dispensés de l’avance de frais pour les médicaments remboursés. Ils ne paient pas la franchise ; le dispositif du médecin traitant et du parcours de soins coordonnés ne leur est pas applicable. Tous les professionnels de santé ont l’obligation d’accueillir les bénéficiaires de l’AME. Un étranger, résidant en France en situation irrégulière et non admis à l’AME, peut bénéficier d’une prise en charge de ses soins urgents à l’hôpital (hospitalisation ou consultation en établissement de santé), et, le cas échéant, des médicaments prescrits par les médecins des établissements concernés.

Source : www.ameli.fr

OLIVIER DOSNE, DÉPUTÉ PHARMACIEN, TITULAIRE ET MAIRE À JOINVILLE-LE-PONT (VAL-DE-MARNE)

« Un guichet unique AME/CMU serait plus clair »

En mars 2011, ce député pharmacien a profité de son temps de parole lors du débat sur le projet de loi Immigration, intégration et nationalité pour appeler ses collègues à plus de réflexions face aux dysfonctionnements du système.

« Les documents donnant accès à l’AME doivent être sécurisés : ordonnance sur un papier filigrané obligatoirement présentée, bannir toute photocopie d’ordonnance ou de carte AME pour éviter les tentations de fraudes, de trafic de médicament, de chevauchement de produits coûteux. Les bénéficiaires de l’AME devraient avoir une carte de type Vitale (les CMU l’ont) avec une photo, ce qui permettrait de remplir un dossier pharmaceutique et de mieux faire le lien entre médecine de ville et hôpital. Encore faudrait-il pouvoir lire ces cartes en temps réel et repérer les changements de statut. Un guichet unique AME/CMU serait plus clair pour une meilleure identification en évitant des doubles comptes. Les mairies pourraient intervenir dans ce processus en vérifiant le lieu de résidence par exemple. Les conclusions de l’Igas remettent en cause des impressions mais elles laissent entendre que l’un des problèmes est bien celui de l’opacité du financement des hôpitaux par une tarification variable des actes. »

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