REFLETS D’ÉPOQUE - Le Moniteur des Pharmacies n° 2868 du 12/02/2011 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2868 du 12/02/2011
 

Dossiers

Témoignages

Auteur(s) : Jean-Luc Decaestecker*, Catherine Grison**, Myriem Lahidely***, Anny Letestu****, Jean-Claude Pennec*****, Serge Trouillet******

La France est une terre d’histoire. Jusque dans ses pharmacies. Remarquablement conservées, souvent classées, on entre dans ces pharmacies comme on entrerait dans un musée. Ce qui n’est pas sans poser de contraintes à leurs titulaires, devenus de véritables conservateurs.

Pharmacie Chavaroc (Paris)

Il y a 20 ans, en passant devant le 54 de l’avenue de la Bourdonnais, l’une des plus belles adresses du VIIe arrondissement parisien, Gérard Chavaroc est séduit par cette pharmacie classée monument historique. En 2008, après des années de patience, il en deviendra le titulaire. « Elle était fermée depuis longtemps et en liquidation judiciaire », explique Gérard Chavaroc. Avant de l’ouvrir, en mai 2009, il a fallu réaménager la pharmacie, quasi vidée, refaire un éclairage et un faux plafond, rénover les moulures – sans toucher aux superbes boiseries en noyer –, installer une vidéosurveillance, un système de sécurité et un accès Internet sans dénaturer les lieux car le service des Monuments historiques vérifiait la conformité. « Je voulais recréer un cadre rétro dégageant une impression de plaisir et de bien-être. Cette approche est culturelle et non médicale. On me demande souvent si c’est une vraie pharmacie. Je réponds que oui, même si on n’y voit pas de médicament ! ». Fauteuils, tableaux et pots pharmaceutiques ont été achetés dans des ventes aux enchères. Les éléments d’origine tels que les interrupteurs, plaques de cuivre, radiateurs en fonte, téléphone sont soigneusement conservés. Le téléphone était d’ailleurs l’un des services de la pharmacie. La porte aux grilles ouvragées, les fauteuils Chesterfield, l’ambiance douce, luxueuse et étonnamment lumineuse subjuguent. Gérard Chavaroc référence des produits rares, des gammes d’hygiène et des cosmétiques raffinés qui rappellent la pharmacie d’autrefois, des objets de soin sélectionnés pour leur qualité et leur beauté et qui ne sont pas forcément distribués dans un circuit traditionnel. Il fournit même des miroirs, des porcelaines, des boîtes à pilules et de belles cannes de marche… Les deux vitrines présentent ces objets qui attirent plus d’un passant curieux ou nostalgique. L’accueil de Gérard et de Catherine, son adjointe, est chaleureux et professionnel. La pharmacie reste illuminée la nuit. Ses boiseries exceptionnelles ne risquent plus de tomber dans l’oubli. Cela a un prix : « Un monument historique est plutôt un handicap face à une banque car il ne se valorise pas en termes économiques ! J’ai dû assumer seul. La clientèle locale a été étonnée de ne plus retrouver ses repères, mais ma pharmacie a servi de décor pour le tournage d’un film avec Kad Merad et Michelle Laroque qui sortira au printemps prochain. »

Pharmacie Cotinat (Paris)

La rue de Grenelle, dans le VIIe arrondissement de Paris, est réputée pour ses ministères et ses hôtels particuliers de prestige. Au numéro 151, dans un immeuble construit en 1898 par Jules Lavirotte, maître de l’Art nouveau, on trouve également l’une des trois pharmacies de la capitale classées au patrimoine historique. Un automate Valda invite à pénétrer dans cet espace hors du temps souligné par une discrète odeur de cire. L’ensemble des boiseries impressionne tout autant que le nombre de pots, flacons et faïences exposés. Une étonnante cheminée trône au centre du comptoir. La balance à poids, d’époque, est encore en service.

La titulaire, Françoise Rech de Laval, a succédé en 1995 à son père Louis Cotinat, collectionneur et spécialiste des faïences pharmaceutiques anciennes, qui acquit l’officine en 1943. Les étagères se sont enrichies au fil de ses découvertes dans les salles de vente. Les porcelaines décorées de palmiers ainsi que les bocaux bleus datent de la création de l’officine, les autres des XVII et XVIIIe siècles. Les portes aux boutons de porcelaine et carreaux de verre ciselés laissent apercevoir un agencement traditionnel en épis.

La pharmacie a été classée par le ministère de la Culture en 1960. Françoise Rech de Laval y a toujours vécu et n’a jamais envisagé de travailler ailleurs. L’ambiance sereine et intimiste inspire confiance. La volonté commerciale est en retrait. « C’est une institution dans ce quartier qui m’a vue grandir. C’est un lieu magnifique à préserver. Toute modification doit être étudiée, de la rampe d’éclairage qui ne doit pas toucher les boiseries, mais les mettre en valeur sans alourdir l’esthétique, au poste informatique qui est dissimulé sous un plateau de verre. Un menuisier de talent a fabriqué un prolongement au comptoir conforme au bois et à la patine de celui-ci. Une intervention sur une gouttière vient de nécessiter le démontage minutieux d’une boiserie pour la première fois. Il y a peu de place aux évolutions possibles, alors ici l’accueil et le contact sont privilégiés », explique Françoise Rech de Laval. Ce qui ravit Sabrina, l’adjointe. C’est d’ailleurs elle qui, chaque samedi, époussette les pots et faïences.

Pharmacie Sarrus (Alès)

Rue d’Avéjean, dans le vieil Alès (Gard), trois générations se sont succédé à la tête de la pharmacie. Jean-Daniel Sarrus, 58 ans, en est le titulaire depuis 1998. « Ici, il n’y a que moi qui ne suis pas vieux », rigole-t-il. L’établissement a conservé intact le mobilier d’époque Napoléon III : lustre, plafond souligné de frises en plâtre, immense comptoir en noyer couvert de marbre, vieux mortiers installés dans des niches, alcôves remplies de pots en faïence, mobilier et rayonnages, chaises… Cette atmosphère fin XIXe siècle n’a pas changé depuis que, pharmacien de « première classe » diplômé en 1913, Georges Sarrus l’a acquise en 1943. Grand-père de l’actuel titulaire, il l’a transmise à son fils Paul dans les années 50, qui l’a cédée lui-même à Jean-Daniel. La pharmacie n’a jamais été classée aux Monuments historiques. « Mon grand-père puis mon père se sont fait un point d’honneur de ne pas le demander, et ce afin de pouvoir rester maîtres chez eux », indique le titulaire, qui a fait le même choix. Il continue de lutter contre les pressions pour modifier l’agencement, préférant conserver son cadre exceptionnel. « Cela ne correspond plus aux critères qui obligent à se moderniser pour survivre. Les néons, les grandes allées de parapharmacies correspondent plus au goût du jour. » Bien que sans problème de trésorerie, et avec une clientèle de quartier personnalisée, le pharmacien s’interroge sur le devenir de ses murs. Il n’y a pas d’autre pharmacien en vue dans la famille. Et la moindre obligation de remettre à niveau l’officine l’obligerait à vendre.

Pharmacie du Palais (Lyon)

Nichée au cœur du centre de Lyon, à deux pas du Palais du Commerce et de la Rue de la Ré, la Pharmacie du Palais offre l’un des décors officinaux les mieux conservés de la région. De son histoire, on sait peu de chose sinon qu’elle fut durant de longues années dirigée par des religieuses. Du sol au plafond, cette officine présente une succession de hautes armoires où alternent espaces de rangement, tiroirs à plantes joliment ouvragés et étagères regorgeant de bustes ou de pots à pharmacie parfaitement conservés. « En entrant ici, je savais que l’ensemble du mobilier était classé », explique Xavier Roubaud, le titulaire des lieux, diplômé de la faculté de Lyon et dont c’est la première installation. Pour lui, les avantages pallient largement les inconvénients qui vont d’un relatif manque de fonctionnalité aux courants d’air sous les portes. Les parties hautes des armoires ne sont volontairement pas utilisées en raison des risques de chute que courraient ses collaborateurs. Ce décor historique n’a pas empêché le titulaire de se spécialiser en phytothérapie et en nutrition. Toutefois, en raison du manque de place, Xavier Roubaud a été amené à privilégier le flux tendu de façon à conserver le moins de stocks possibles dans l’officine.

Pharmacie Perchais (Plélan)

A Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine), les murs de l’officine pourraient égrener les souvenirs de trois pharmaciens. D’après les documents officiels, M. Dubreuil, pharmacien, a fait appel, en 1899, à Jean-Marie Laloy, un architecte rennais, pour concevoir la maison qui abritera sa boutique et ses appartements. « Il y avait trois bâtiments en schiste pourpre, raconte Jacques Perchais, titulaire. Le premier comprenait l’officine et les appartements au-dessus. Le deuxième était réservé au jardinier, au chauffeur et à la cuisinière, et le dernier faisait office de garage. » Détail amusant : en cette fin de siècle, les voitures n’avaient pas de marche arrière et une plate-forme tournante orientait le véhicule de M. Dubreuil pour effectuer la sortie. « Mon père, Henri, a acheté la pharmacie en 1950 à la Foire de novembre. A l’époque, les transactions immobilières se faisaient pendant les deux grosses foires à bestiaux du village ! Ensuite, je me suis associé à mon père en 1986 et notre association a duré trois ans. Jusqu’en 2006, j’ai exercé seul et mon fils, Paul-Henri, m’a rejoint depuis. » A l’intérieur, les boiseries datent des années 30. Avant de moderniser son officine, Jacques Perchais a demandé l’avis de la clientèle. La façade rouge, imposante, a toujours son caractère hollandais. « Paul-Henri ne désire pas habiter au-dessus de l’officine », confie Jacques avec une pointe de regret.

Pharmacie Gros (Clermont-Ferrand)

Au 13, place Delille, au cœur de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), la Pharmacie Gros, dite « égyptienne », sert souvent de point de repère pour les rendez-vous. Ses façades en mosaïques multicolores, ponctuées de tesselles dorées, font partie du patrimoine clermontois depuis 1922, année de la découverte du tombeau de Toutankhamon. Son propriétaire de l’époque, Léon Gros, est un passionné de médecine et d’égyptologie. L’architecte clermontois Louis Jarrier, qu’il sollicite pour la réalisation de la devanture, fait alors appel aux deux céramistes Gentil et Bourdet, divs des façades du cinéma Louxor-Pathé, boulevard Barbès à Paris.

L’uraète aux ailes déployées, sur la partie supérieure de l’enseigne, symbolise la puissance de la médecine. A l’angle, le décor interpelle le passant : s’inspirant du mythe de la pesée des âmes, il représente deux Egyptiens affairés à la confection d’un médicament, entre lesquels se dresse une balance. Les cinq cobras de la frise supérieure évoquent quant à eux la force et le pouvoir.

Juliette Brohon, l’actuelle titulaire, n’a qu’une crainte : que la mosaïque se dégrade !

Pharmacie Roye-Caenevet (Wambrechies)

Il faudra patienter jusqu’à 2012 pour découvrir, lors des Journées du patrimoine, une pharmacie réellement à l’ancienne, sans écran d’ordinateur et sans boîtes de médicament. L’adresse : 6, place du Général-de-Gaulle à Wambrechies (Nord). « Pour l’occasion, tous les deux ans, explique Monique Roye-Caenevet, titulaire depuis 1990, nous vidons toute la pharmacie et exposons toutes nos collections de pots en porcelaine et en verre gravé, blancs ou colorés, avec ou sans bec verseur, mais aussi un vieux trébuchet, un vieux Codex, un autoclave, un pilulier et autre appareil à faire du sirop. » L’occasion pour la titulaire d’expliquer l’évolution du métier tel que l’ont vécu Constant Lelong à partir de 1906-1908, après transfert de l’officine qu’il occupait depuis 1886 de l’autre côté de la place, et son fils Maurice de 1918 à 1961. « Nous avons entre 200 et 400 visiteurs lors des Journées du patrimoine, et beaucoup pensent que c’est un musée. Je fais les commentaires avec une de mes filles qui est pharmacienne. Nous avons nos fiches que nous révisons… », détaille Monique Roye-Caenevet. L’officine, de 20 mètres carrés de surface de vente, est inscrite depuis 1986 à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. La façade est en bois, les deux portes arborent des vitraux en verre gravé aux emblèmes pharmaceutiques, et, surtout, l’intérieur est très riche : mobilier en chêne de Hongrie clair, corniches avec pendules et baromètres, pots en porcelaine et en verre gravé, carrelage d’époque… « Nous ne pouvons pas toucher aux meubles, tout est posé. Pour l’informatique, les câbles passent par la cave. Il y a plein d’armoires, de tiroirs. Tout est utilisé », décrit la titulaire. Avec parfois une petite touche personnelle comme le beige verdâtre foncé qui fait ressortir à souhait la frise au plafond, restauré il y a deux ans.

Pharmacie Matton (Nord)

La pharmacie est en instance de classement depuis 1992, depuis qu’un inventaire topographique du patrimoine hautmontois a été rédigé, mais elle aurait dû être protégée avant qu’elle ne subisse des modifications les années 1980. Aujourd’hui, elle n’est réellement plus assez remarquable pour être protégée », explique Olivier Matton, titulaire depuis 1993 de cette pharmacie située à Hautmont (Nord). Créée fin du XIXe – début XXe, elle portait alors le nom de Pharmacie Daumont. « Mais les traces les plus anciennes connues remontent à la guerre 14-18, quand une autorisation allemande a été donnée d’éclairer la pharmacie pour produire des préparations. »

La pharmacie dans son état actuel, construite par Adolphe Danis, architecte communal, date des années 1930. Sur son côté droit, elle porte encore le nom de son titulaire d’alors, Delannoy. C’est à la fin des années 70 qu’elle a subi d’importantes modifications, notamment sa façade qui a été cassée pour des raisons de commodité. Que reste-t-il du passé glorieux de cette officine dont Olivier Matton s’efforce de garder le cachet ? « Des vitraux Arts-Déco à l’intérieur qu’un artisan belge a restaurés il y a deux ans car ils menaçaient de s’effondrer, la vitrine et la partie haute de la façade, et un ancien comptoir à eau minérale remisé à l’arrière de la pharmacie. »

Pharmacie Bonnefond (Montélimar)

La Pharmacie Brun, construite en 1820 à Montélimar (Drôme), a vu se succéder cinq générations de pharmaciens avant que Gilles Bonnefond, l’actuel président de l’USPO, ne prenne le relais en 1988. Cette officine présente une devanture grise sur fond vert tout en métal avec des soubassements en marbre et des bas-reliefs en régule, mélange d’étain et d’antimoine. L’inscription rappelle cette époque où le pharmacien qui avait soutenu sa thèse de doctorat était reconnu de « première classe ». Les vitrines ont conservé leurs inscriptions gravées précisant d’anciennes spécialités : eaux minérales de fabrication instantanée pour les curistes Montiliens, produits chimiques… « Dans les années 1900, on développait des photos à l’étage et le pharmacien vendait des sels de potassium pour donner un aspect vieilli aux photos », explique Gilles Bonnefond. L’intérieur possède deux banques, des meubles, des tiroirs gravés et des tablettes tout en noyer Second Empire, une horloge, un baromètre et une collection de pots Premier et Second Empire, une thériaque du XVIIIe siècle et des vieux tiroirs qui sentent encore les matières premières stockées autrefois. L’officine, classée il y a 30 ans, a été restaurée par les Monuments historiques en 1992. L’équipe voit un avantage certain à travailler dans un lieu si chargé d’histoire, mais le quotidien demande un vrai sens de l’organisation. L’espace de vente, d’une quarantaine de m2, a nécessité l’aménagement d’un back-office de 100 m2. « Toute la gestion et la préparation du travail se font à l’arrière, dans un espace plus opérationnel, même si nous faisons plus de kilomètres dans la journée. C’est une organisation qui demande de l’abnégation, explique le titulaire. Seul bémol : cela coûte très cher à assurer. »

NB : Pour ceux que cela intéresse, Anne-Lise Salles, est l’div d’une remarquable thèse sur les pharmacies historiques : « Quand l’art rencontre la pharmacie : attraits et contraintes des pharmacies historiques », soutenue le 10 décembre dernier à Clermont-Ferrand.

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