La pieuvre Celesio - Le Moniteur des Pharmacies n° 2855 du 20/11/2010 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2855 du 20/11/2010
 

Dossiers

Enquête

Auteur(s) : MARIE LUGINSLAND

Diversification des activités et des marchés : depuis près de 18 mois, Celesio, le numéro deux de la répartition européenne, est en ébullition. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en mai 2009, a mis fin à ses rêves de chaîne de pharmacie paneuropéenne, mais a donné une nouvelle impulsion au groupe.

Il y avait de la provocation dans l’air quand, en 2007, Celesio s’est mis en tête de racheter DocMorris, la bête noire de tous les pharmaciens allemands. L’e-pharmacien implanté à la frontière germano-néerlandaise n’était pas seulement connu pour sa vente de médicaments sur Internet. Il était également en litige avec l’Ordre pour l’implantation, à Sarrebruck, d’une pharmacie en nom propre, une opération illégale en Allemagne où il n’y a pas d’ouverture du capital. Par mesure de représailles, des pharmaciens – et parmi eux des représentants de syndicats professionnels – ont appelé au boycott. Un coup que le grossiste répartiteur n’avait pas vu venir et qui lui a coûté cher : 2 % de pertes de parts de marché ! Environ 400 pharmacies lui ont tourné le dos. L’Office des cartels s’en est mêlé. Les pharmaciens ayant incité au boycott ont été incriminés et les procédures de recours courent toujours.

La diversification n’a pas fait diversion

Deuxième coup du sort, en mai 2009. Saisie entre autres par des pharmaciens allemands, la CJUE décide de se prononcer contre l’ouverture du capital et barre de facto l’accès des chaînes de pharmacies au marché allemand, mais aussi européen pour les pays n’ayant pas franchi le pas. Pour Celesio, la pilule est d’autant plus amère à avaler que le numéro deux de la répartition européenne avait posé les jalons d’une chaîne par le biais d’un système de franchise avec des pharmaciens indépendants sous l’enseigne DocMorris. Qu’à cela ne tienne, le répartiteur – qui, en vue de la constitution de cette chaîne, avait amassé un petit trésor de guerre, dont le montant ne sera jamais divulgué – rebondit. Il diversifie ses activités et ses marchés : rachat des répartiteurs brésilien PanPharm et flamand Flandria, création d’une joint-venture en care management avec l’Américain Medco, coopération avec son rival Phoenix aux Pays-Bas, ouverture de pharmacies en Italie, création d’un site de vente par Internet en joint-venture avec Wellsana… La diversification pourrait faire diversion. Il n’en est rien, comme l’expose Wolfgang Mähr (voir interview p. 29), membre du directoire de Celesio : « Elle participe d’une stratégie globale destinée à atteindre un Ebitda* de un milliard d’euros en 2015 et à affranchir Celesio des fonds britanniques et de la régulation des Etats européens en matière de santé. »

L’opération la plus emblématique a certainement été l’implantation des premières pharmacies DocMorris en Suède cet été, dès la libéralisation du marché jusqu’alors sous contrôle étatique. La création de cette chaîne donne le coup d’envoi d’un changement de marque à l’échelle européenne des quelque 2 300 pharmacies Celesio en Europe. Elle redore aussi indirectement le blason de l’enseigne franchisée en Allemagne. Aujourd’hui, DocMorris n’est plus le spectre qu’agitaient les titulaires allemands confrontés à la baisse de leur activité. L’Abda, la fédération des pharmaciens allemands, reconnaît que le phénomène touche seulement 1 % des pharmacies du pays. Par ailleurs, comme le rappelle Christian Splett, porte-parole de l’Abda en charge des dossiers économiques, « 80 % du chiffre d’affaires de l’officine allemande est constitué de médicaments prescrits et sur lesquels aucun rabais n’est permis ». Quant aux rabais sur l’OTC – pratiqués par l’ensemble des pharmaciens allemands –, le seul risque que perçoit Christian Splett est celui d’une surconsommation générée par les remises.

Un taux de notoriété de 60 % en Allemagne

Force est de reconnaître que DocMorris a définitivement perdu son image de discount. Là où autrefois il appliquait systématiquement une réduction de 30 % sur tous les produits OTC, il adopte aujourd’hui une ligne de franchise avec ses normes, ses process et son merchandising. Autant de modules davantage générateurs de bénéfices qu’un dumping sur les prix et qui, s’ils sont tous appliqués, peuvent faire grimper le bénéfice « de plusieurs dizaines milliers d’euros après un ou deux ans d’exercice », comme l’assure Wolfgang Mähr. Preuve que DocMorris est rentré dans les rangs : ses détracteurs d’hier sont ceux aujourd’hui qui convertissent à l’enseigne verte – qui jouit d’un taux de notoriété de 60 % en Allemagne – l’une de leur trois ou quatre officines (chaque titulaire peut détenir jusqu’à quatre officines en Allemagne). « Ce n’est pas un autre monde. Juste une officine comme une autre qui vend à peu près 30 % d’OTC, fait ses gardes, propose des services comme la mesure de la glycémie, du cholestérol et livre les médicaments à domicile », décrit Gerald Roth, pharmacien et gérant de la pharmacie DocMorris à Frankenthal (Rhénanie-Palatinat), qui précise qu’il n’est pas tenu de s’approvisionner exclusivement auprès de Gehe, la filiale allemande de Celesio. Gerald Roth est d’ailleurs un pharmacien heureux. Il a doublé la fréquentation de sa petite officine. Et ses clients, parmi lesquels 3 000 nouvelles cartes de fidélité qui permettent un rabais de 3 %, n’hésitent pas à faire une vingtaine de kilomètres pour venir le voir, alertés par la pub DocMorris à la télévision.

Le passage sous la croix verte de la franchise a sauvé de la faillite cette officine rachetée par un titulaire qui comptabilise quatre pharmacies dans la région. Les anciens clients n’ont pas été déstabilisés par le changement. Le nombre d’ordonnances a même augmenté de 10 %. De quoi tordre le cou aux idées reçues. La recette de ce succès ? Gerald Roth reste pharmacien. Il redistribue juste à ses clients les conditions favorables qu’il négocie avec Gehe, soit en moyenne une ristourne de 15 % sur l’OTC.

« Le service et l’accueil, grands absents du discount »

Reste qu’avec 160 implantations et quelques fermetures à son actif, DocMorris est encore bien en deçà des 500 unités promises en mai 2009 par Fritz Oesterle, patron de Celesio. Ce modèle, qui est le plus performant dans un environnement très compétitif – présence de plusieurs pharmacies dans les environs (il n’existe pas de quotas en Allemagne) – a ses limites. D’ailleurs, comme le souligne Markus Preißner, directeur du département pharmacie à l’Institut de recherches commerciales (IfH) de Cologne, « les principes mêmes du discount sont difficilement applicables à la pharmacie, pour ne pas dire antinomiques. Le service et l’accueil, les grands absents du discount, restent primordiaux à l’officine où l’on ne peut, comme dans la distribution, adapter ces fonctions aux fluctuations du chiffre d’affaires ».

Claus Ritzi, rédacteur en chef de Pharma Rundschau, tempère l’analyse. Selon lui, DocMorris a fait avant tout les frais de son rôle de précurseur et il existerait un créneau pour le discount dans les pharmacies allemandes. Des émules du DocMorris des premières heures, du nom de Easy Apotheke ou de Farma plus, résolument positionnés sur le discount, rallient aujourd’hui respectivement 40 et 27 officines sur les 22000 que compte l’Allemagne.

* Résultat d’une entreprise avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissement.

Les chiffres clés de Celesio

→ Celesio est présent dans 27 pays et compte environ 47 000 salariés. En 2009, ses ventes se sont élevées à plus de 21 milliards d’euros.

→ Au troisième trimestre 2010, le groupe a annoncé une progression de son chiffre d’affaires de 9 % à 5,8 milliards d’euros. L’Ebitda a progressé de 15 % à 184 millions.

→ Le groupe allemand prévoit pour l’ensemble de l’exercice un Ebitda compris entre 670 millions et 690 millions d’euros.

→ En revanche, le chiffre d’affaires de Celesio en France (OCP) a reculé de 2,3 % à 5,11 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de l’année.

→ Quant à la division Patient and Consumer Solutions, qui comprend notamment les chaînes de pharmacies, elle a enregistré une croissance de 6 % (2,2 %) à 2,7 milliards d’euros. L’Ebitda a gagné 6 % (2,6 %) à 232 millions.

La saga DocMorris

2000

Création de DocMorris aux Pays-Bas, à 10 kilomètres de la frontière allemande. Cette société est spécialisée dans la vente de médicaments sur Internet, quasi exclusivement à destination du marché allemand.

2003

Jugement de la CJUE autorisant la vente de médicaments sur Internet.

Juillet 2006

DocMorris ouvre une pharmacie en nom propre à Sarrebruck avec l’autorisation du ministère sarrois de la Santé.

Septembre 2006

Sur plaintes des pharmaciens sarrois, le tribunal administratif ordonne la fermeture de l’officine.

Janvier 2007

Ouverture en Sarre de la première officine DocMorris sous franchise.

Avril 2007

Celesio, alors premier répartiteur européen, achète 90 % de DocMorris à son créateur et patron, Ralf Däinghaus, qui garde 10 % du capital.

Mai 2009

Jugement de la CJUE refusant l’ouverture du capital. Fritz Oesterle promet 500 officines DocMorris en 2011.

Juillet 2009

La pharmacie DocMorris de Sarrebruck ouvre à nouveau ses portes, sous franchise cette fois. Aujourd’hui, 160 pharmaciens sont franchisés DocMorris.

Août 2009

Ralf Däinghaus quitte Celesio.

Décembre 2009

Celesio rachète la totalité de DocMorris pour un prix global estimé à 200 millions d’euros. Il en fait la première marque européenne de pharmacies.

Mai 2010

DocMorris prend pied sur le marché suédois. La chaîne doit compter une cinquantaine de pharmacies d’ici la fin de l’année.

2011

Une autre chaîne de pharmacies du groupe Celesio en Europe sera reconvertie sous l’enseigne et le concept DocMorris.

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