L’esprit d’équipe à son sommet

Début 2010, la Pharmacie Horteneuve engage de gros travaux pour s’agrandir, rendant les conditions de travail de l’équipe plus difficiles. Au même moment, deux préparateurs sont embauchés. Joëlle Fabien, la titulaire, qui exerce depuis 25 ans et s’est installée à la Réunion en 1992, décide alors de remobiliser son équipe et de faciliter l’intégration de ses nouvelles recrues. C’est ainsi que lui vient l’idée d’organiser un challenge sportif de niveau moyen, accessible à tous, non chronométré et qui ne doit pas être vu comme une compétition sportive par les membres de l’équipe. Ce challenge prendra la forme d’une escalade en montagne.

Pour Joëlle Fabien, un tel choix doit bousculer le cadre habituel des sessions de formations auxquelles participent régulièrement ses salariés. En arpentant à l’aide de leurs seuls bras et jambes une paroi rocheuse abrupte, chacun d’entre eux devrait acquérir le réflexe d’attendre l’autre, de se passer des bouteilles d’eau, de communiquer les informations nécessaires à l’avancée du parcours pour ne pas laisser l’autre se décourager et décrocher au milieu… En un mot, de cette falaise naîtrait la notion de solidarité.

Traverser un pont à 40 mètres au-dessus d’une cascade

C’est ainsi que le 14 juillet 2010, jour de fête nationale, la titulaire, la secrétaire, la femme de ménage, l’adjointe et les quatre préparateurs, dont deux titulaires d’un CAP de vendeur, se sont retrouvés potron-minet au pied d’une via ferrata*. L’objectif ? Escalader la paroi d’une falaise du site de la cascade Niagara, près de Sainte-Suzanne, traverser un pont népalais à 40 mètres au-dessus d’une cascade puis retrouver le plancher des vaches 50 mètres plus bas arrimé à une tyrolienne. « Tous ont accepté d’aller vers l’inconnu, et tous s’en sont bien sortis, même si le parcours était bien sécurisé et tout à fait faisable, car je voulais que chacun y arrive », rapporte Joëlle Fabien. Le défi relevé par les membres de l’équipe est d’autant plus méritoire qu’aucun n’avait déjà effectué ce genre d’escalade auparavant et ne l’aurait entreprise de lui-même.

Si Joëlle Fabien a pensé à organiser un défi sportif pour redynamiser son équipe, ce n’est pas un hasard. La pharmacienne a en effet participé à plusieurs raids humanitaires et sportifs tel le Raid Amazone, une expédition sportive réservée aux femmes avec courses d’orientation et randonnées, canoë-kayak, VTT et tir a l’arc, ou encore l’épreuve de course à pied La Sénégazelle, là encore réservée aux filles. « Ce type d’exercice est intéressant car il y a moins de compétition que dans les épreuves mixtes ou masculines, et il y règne généralement une bonne ambiance », explique celle qui pratique également le semi-marathon.

Joëlle Fabien a toujours voulu faire de l’entraide une base du travail dans son officine. « On ne peut pas faire les choses tout seul dans son coin. Pourtant, même à la pharmacie, on ne pense pas forcément aux autres. La solidarité, tout comme la communication, est d’autant plus importante que dans mon équipe quatre salariés travaillent à temps partiel », indique la titulaire. Et de donner des exemples : un patient vient chercher de l’insuline mais le collaborateur qui l’a préparée a fini sa journée et oublié de préciser à ses collègues qu’elle est dans le réfrigérateur. Un client a laissé sa carte Vitale et celui qui s’est occupé de la récupérer n’a pas dit aux autres qu’il a déjà prévenu le patient… Joëlle Fabien se refuse à manager ses collaborateurs de façon trop autoritaire. Elle préfère les associer aux décisions quotidiennes et délègue très facilement. « Si j’arrive à donner à chaque personne l’aptitude de gérer son travail, sans avoir à être directive (dans l’idéal), alors j’aurai gagné mon challenge. »

La notion d’autonomie, support de l’éducation thérapeutique

Joëlle Fabien estime qu’elle peut aussi transposer les valeurs d’un tel challenge dans la mission d’éducation thérapeutique du patient que la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » l’amène à mettre en œuvre : aller vers toujours plus de solidarité, partager la connaissance, savoir donner au patient… « Autrefois, la définition de la santé c’était l’absence de maladie. Depuis une dizaine d’années, a été ajouté à cette définition le bien-être social. L’éducation thérapeutique participera de ce bien-être », assure la pharmacienne. Et elle veut que le message passe tant auprès de ses patients que de son équipe : « Il est en outre intéressant de remplacer l’approche persuasive par une approche plus participative, laquelle permet de renforcer l’autonomie de la personne. » Joëlle Fabien voit ainsi dans l’éducation thérapeutique un moyen de partager son savoir tout en apprenant au patient confronté à une maladie chronique à « se gérer ». « En le faisant, nous acceptons de partager un peu de notre pouvoir. Nous sommes mis sur un piédestal pour les connaissances que nous avons, mais on en redescend avec l’éducation thérapeutique, estime-t-elle. Ce n’est pas toujours facile, pas plus vis-à-vis d’un salarié que d’un client. » Le challenge sur la via ferrata est là encore une approche originale : en mettant tout le monde sur un pied d’égalité, il peut même s’avérer très efficace…

Dans son officine, plutôt que sur une politique de prix, Joëlle Fabien mise sur l’accueil. « L’ambiance, la façon de prendre en charge un patient, l’absence de tension entre patron et employés…, tout cela se sent. C’est forcément porteur. » Tel est aussi le but recherché à travers son challenge sportif. Moins quantifiable, comme le reconnaît la titulaire, le bien-être au travail, tel qu’elle le promeut, lui paraît plus solide et plus pérenne. Ses salariés en redemandent. Pour l’année prochaine, ils décideront eux-mêmes du nouveau challenge. La pharmacienne, pour sa part, se dit gagnante sur toute la ligne : « Si je suis contente de travailler, c’est aussi grâce à mon équipe. Il y a une place pour quelque chose de plus humain. »