La télémédecine avance à bas bruit - Le Moniteur des Pharmacies n° 2851 du 23/10/2010 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2851 du 23/10/2010
 

Dossiers

Enquête

Auteur(s) : MARIE LUGINSLAND

Les expériences de télémédecine se multiplient pour faire face aux besoins des patients. Pour autant, les pharmaciens n’en sont pas encore partie prenante. Des incertitudes sur le financement et la responsabilité des professionnels de santé intervenant dans un tel dispositif posent encore problème.

L’opération est passée inaperçue. Pourtant elle signe une révolution dans l’exercice de la pharmacie. A la mi-septembre, une téléconsultation a eu lieu dans une officine vendéenne. Une grande première française. Dans une cabine réservée à cet usage, un patient a pu s’entretenir, via un écran géant, avec un médecin situé à plusieurs centaines de kilomètres de là. Le jour même cependant, la cabine a été démontée. L’opération avait valeur de test et n’est pas – encore – légale. Elle sera bientôt déclinée grandeur nature dans nombre de pharmacies françaises. Si leurs titulaires y adhèrent…

Ce projet de télémédecine touche donc des professionnels de santé qui, jusqu’à présent, étaient restés à l’écart des technologies de l’information et de la communication (TIC). Car, depuis une dizaine d’années déjà, médecins spécialistes, psychiatres, infirmiers et même kinésithérapeutes ont intégré progressivement à leur exercice professionnel ces fameuses TIC. Ces techniques permettent, entre autres, de dialoguer via des écrans de visioconférence, d’effectuer certains examens (pose d’appareil, prise de mesures et même radiologies) et de transmettre des données. Les champs d’application de la télémédecine sont multiples (territoires isolés comme les îles, les montagnes, les zones rurales, ou encore le milieu pénitentiaire), tout comme ses modes d’intervention.

La télémédecine, c’est aussi la loi HPST

La télémédecine est encadrée légalement depuis 2004, mais c’est la loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), dans son article 78, qui la définit plus précisément comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication […] mettant en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d’autres professionnels apportant leurs soins au patient ». De même, l’article 78 en détermine les champs d’action : La télémédecine « permet d’établir un diagnostic, d’assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi postthérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d’effectuer une surveillance de l’état des patients ».

Déjà en 2008, dans son rapport « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins », ayant servi de fondement au div de loi, le Dr Pierre Simon, conseiller général des établissements de santé à la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) et président de l’Association nationale de télémédecine* (Antel), identifiait quatre actes de télémédecine : la télé-expertise, lorsque différents médecins, en l’absence d’un patient, échangent les données d’un dossier et se concertent en vue d’une décision thérapeutique ; la télésurveillance, quand les indicateurs d’un malade chronique sont recueillis et transmis à un médecin pour interprétation ; la téléassistance, dans le cas de soins prodigués par un médecin à un patient via un infirmier ou un membre de la famille ; et la téléconsultation, qui met le patient en relation avec son médecin à distance.

Le principal obstacle à la télémédecine est culturel

Ces quatre cas de figure doivent obéir rigoureusement aux mêmes règles déontologiques que celles de la médecine classique, comme le respect de la confidentialité des données ou le consentement du patient. Du reste, la télémédecine n’est pas une spécialité mais une organisation pratique des soins dont les contours ont évolué au cours des dix dernières années. Dans son rapport, Pierre Simon relevait quatre obstacles : juridique, financier, technologique et culturel. Ils ont été peu à peu levés grâce aux évolutions conjuguées de la science et de la législation. Dans la loi HPST, le législateur identifie même la télémédecine comme l’un des principaux leviers pour conduire la restructuration de l’organisation des soins. Aujourd’hui, Pierre Simon remarque que seul le frein culturel subsiste. « Si certaines expériences échouent, c’est que l’on a mis trop l’outil en avant. Or, c’est le projet organisationnel qui doit primer », relève-t-il, notant toutefois que la situation progresse rapidement.

Les appels à projets sont nombreux. Ils émanent le plus souvent de collectivités territoriales et sont portés par le vieillissement de la population ainsi que par le nombre croissant de malades chroniques (15 à 17 millions de personnes actuellement).

L’avenir de la télémédecine se profile sur fond de désertification médicale – dans le Massif central comme dans certaines banlieues d’Ile-de-France – et du besoin de maintenir des structures d’urgence dans les établissements de proximité. Car cette « médecine à distance » répond à un besoin de santé publique. L’Union européenne, l’Etat tout comme les collectivités territoriales s’y intéressent de près. L’enjeu est avant tout financier. La télémédecine doit engendrer des économies d’échelle grâce la mise en commun de moyens humains et techniques. Le maintien à domicile des personnes dépendantes n’est qu’un scénario parmi d’autres.

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) vont elles aussi avoir de plus en plus besoin de requérir un avis médical à distance. Tout comme les maisons de santé prévues par la loi HPST. En tout état de cause, « la télémédecine ne doit pas représenter un surcoût », met en garde Laurent Tréluyer, chargé de mission sur la télémédecine à la Mission pour l’informatisation du système de santé (MISS). S’il est encore trop tôt pour établir un bilan du retour sur investissement, il apparaît que la télémédecine doit être une valeur ajoutée permettant d’optimiser la médecine.

Définir les responsabilités professionnelles

C’est avant tout cette capacité à réduire la « non-qualité » qui génère des économies. Les initiatives se multiplient le plus souvent dans un esprit de prévention. Une télé-expertise en diagnostic prénatal, comme elle a été développée par le programme national Périn@t et le réseau Maternet, permet une coopération avec le CHU de Nîmes et des maternités du Gard et de la Lozère. C’est également le cas des télédialyses en Bretagne ou encore des consultations psychiatriques et neurologiques qui permettent à des patients isolés de rester en contact humanisé avec leur médecin. Ou encore de systèmes plus poussés comme Diabéo, un suivi des diabétiques de type I grâce à un logiciel d’insulinothérapie fonctionnelle. Sur la base des données glycémiques transmises au médecin traitant en temps réel, il permet une meilleure prise en charge et donc un meilleur rééquilibre de la glycémie par rapport aux patients ne participant pas au système.

En télécardiologie, la téléconsultation est également utilisée pour le suivi des défibrillateurs automatiques**. La télétransmission des données devrait rendre la décision clinique plus rapide et limiter la durée d’hospitalisation (voir encadré p. 28).

Autant d’essais qui ne demandent qu’à être transformés. La loi HPST, qui inscrit pour la première fois le statut juridique de la télémédecine, devrait leur donner l’envergure opérationnelle nécessaire, via notamment les agences régionales de santé. Ne manque plus que le décret d’application. Celui-ci doit préciser les conditions de mise en œuvre de la télémédecine, notamment des responsabilités professionnelles et de prise en charge financière. Prévu à la rentrée, il navigue actuellement entre cinq ministères (Santé, Economie, Travail, Solidarité et Fonction publique, Budget et Défense). Ce décret portera sur la définition des actes de télémédecine, les conditions de leur réalisation ainsi que leur prise en charge. Une publication imminente et très attendue par un grand nombre d’acteurs, personnels de santé, pouvoirs publics mais aussi industriels des technologies médicales.

* L’Antel organise la journée européenne de la télémédecine le 26 novembre à Paris www.antel.fr

** Etude Evatel à paraître en 2011

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone du 3 au 4 octobre 2010 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

Pensez-vous que la télémédecine va se développer dans les années à venir ?

Pensez-vous qu’il s’agisse d’un bon moyen de lutter contre la désertification médicale ?

Pensez-vous que la télémédecine permettra :

(Plusieurs réponses possibles)

Seriez-vous prêt à créer à l’intérieur de votre officine un espace de consultation à distance (où les malades qui peuvent difficilement se déplacer pourraient s’entretenir en toute confidentialité avec leur médecin et même subir des tests et des prélèvements) ?

Si oui, même si ce service rendu n’était pas rémunéré ?

Parmi les domaines suivants, dans lequel la télémédecine vous semble-t-elle plus facile à mettre en place ?

Haute technologie en Basse-Normandie

Avec cinq ans d’expérimentation, le SCAD (Suivi clinique à domicile) est l’un des plus anciens modèles de télémédecine en France. Il a d’abord été validé sur des patients sortant de deux structures de réadaptation cardiaque de Basse-Normandie avant d’être appliqué aux personnes âgées insuffisantes cardiaques. Il s’agit de poursuivre à domicile l’éducation thérapeutique entamée en centre de soins ou à l’hôpital en aidant les patients à effectuer eux-mêmes les petits gestes de contrôle et la transmission des données. L’outil est un logiciel très simple à l’usage qui permet d’assurer le contrôle de l’état clinique des patients et de leur observance du traitement. Parallèlement, il garantit une liaison régulière avec le personnel paramédical qui, en cas de dégradation de l’état de santé, alerte les médecins locaux. « Notre but était bien entendu de diminuer la mortalité mais aussi de raccourcir la durée des séjours d’hospitalisation », expose le Pr Gilles Grollier, cardiologue au CHU de Caen (Calvados). Aujourd’hui, 200 personnes âgées participent au projet. Gilles Grollier note que si 20 % d’entre elles rejettent le dispositif, un grand nombre ne peut plus se passer de son micro-ordinateur de télésurveillance !

Midi-Pyrénées nous téléguide

La Région Midi-Pyrénées est, avec 49 établissements de santé publics et privés équipés, cinq cabinets de médecine générale et l’Institut européen de télémédecine, la vitrine de la télémédecine en France. Avant elle, d’autres pays comportant également des zones géographiques vastes ou difficiles d’accès ont adopté cette solution sanitaire. C’est le cas de l’Ecosse qui a mis en place un suivi à domicile de patients âgés chroniques basé sur un monitoring à distance du patient et accompagné de programmes d’éducation thérapeutique. Au Canada, pionnier avec les Etats-Unis, la télémédecine se décline en télépsychiatrie avec une prise en charge à distance des patients épileptiques leur permettant d’éviter des déplacements coûteux ou encore en télésurveillance pour l’observance dans la prise de médicaments.

Les Suisses en précurseurs

L’application de la télémédecine au médicament est cependant plus récente. En tout cas en Europe. L’Allemagne vient d’inscrire la CoBox (voir Le Moniteur n° 2816) à un projet de loi sur la « vidéopharmacie » redéfinissant la réglementation sur l’espace de l’exercice de la profession. Ce dispositif de visioconférence dans une cabine, qui respecte rigoureusement la confidentialité, permet un face-à-face entre un patient et un pharmacien ainsi que la transmission des données. Actuellement expérimenté dans une caisse d’épargne en Hesse, il devrait dès la promulgation de la loi être décliné dans divers lieux tels des banques, parkings, mairies…

Mais c’est la Suisse qui une nouvelle fois fait figure de précurseur dans l’évolution de la pharmacie. PharmaSuisse, la société suisse de pharmacie, devrait rendre d’ici à la fin du mois les résultats d’une première évaluation portant sur un projet pilote de téléconsultation en officine dans le cadre du recours aux premiers soins.

Pas de technologie sans déontologie

Selon une étude du Conseil général des technologies de l’information (CGTI) citant des analystes européens, les technologies de l’information et de la communication (TIC), qui constituaient 2,5 milliards d’euros soit 1,5 % des dépenses de santé en 2008, pourraient en représenter 3 à 5 % en 2013. Elles ne cessent de se développer, découvrant de nouveaux champs d’intervention (handicap, dépendance) et de nouveaux supports comme les vêtements intelligents incluant des capteurs de télésurveillance de maladies chroniques. Un marché estimé à 7 milliards de dollars en 2014.

Tandis que les industriels du Syndicat national de l’industrie des technologies médicales se disent prêts à déployer leurs technologies, quelques zones d’ombre subsistent. Car, au-delà de la simple question financière, la haute technologie requise soulève des interrogations quant à la responsabilité des prestataires, qu’ils soient médicaux ou techniques. Les prestataires techniques des réseaux, fabricants et vendeurs de matériel, de logiciels, d’ordinateurs, des outils de connexion au réseau Internet, des caméras numériques et des divers périphériques comme les tables de numérisation ne sont responsables que des prestations mises à leur charge. Il n’empêche que les actes de télémédecine doivent reposer sur un dispositif technologique fiable dont les médecins et autres intervenants sont également responsables. Car le recours d’une TIC dans la réalisation d’un acte médical conforme à l’article 60 du code de déontologie des médecins en change la pratique sans en modifier la finalité. D’où l’urgence d’imposer des limites strictes, notamment en matière de confidentialité pour éviter toute dérive idéologique ou frauduleuse. C’est l’un des points revus par l’Agence des systèmes d’information partagés de santé qui s’est attachée à une refonte du décret en matière de confidentialité et d’hébergement des données personnelles de santé.

Prévoyez-vous de fermer votre officine le 30 mai prochain en signe de protestation ?


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