A l’écoute des toxicomanes - Le Moniteur des Pharmacies n° 2848 du 02/10/2010 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2848 du 02/10/2010
 
IS-SUR-TILLE

Dossiers

Initiatives

Auteur(s) : Claire Bouquigny

Très impliqué dans l’aide aux patients toxicomanes, Charles Barrière est vice-président d’une association régionale qui prend en charge les personnes souffrant d’addictions.

Son implication dans l’aide aux toxicomanes date de 1994. « A l’époque, on cherchait un moyen de dispenser gratuitement des Stéribox à l’officine, explique Charles Barrière, pharmacien à Is-sur-Tille en Côte-d’Or. Nous avions contacté les municipalités de Beaune, de Montbard, de Dijon… et le conseil régional de Côte-d’Or. Les communes commençaient à avoir des problèmes avec des seringues qu’elles retrouvaient dans des bacs à sable. » Pendant quelques mois, l’officinal donne gratuitement des Stéribox : « Je passais pour un dealer en blouse blanche, j’ai même été convoqué par le préfet de région. » Lorsque l’Ordre des pharmaciens en fixe le prix à un franc, les pharmaciens jouent le jeu. A partir de là, « les rapports avec les toxicomanes se sont apaisés. Chacun s’est senti plus à l’aise. Avant, il y avait beaucoup d’incompréhension et d’inquiétude », note le titulaire. A la même époque, il entre en contact avec une association régionale, la Société d’entraide et d’action psychologique (SEDAP), « une grande dame qui a été créée en 1978 ». Au départ, la SEDAP ne comprenait pas d’officinaux, mais, maintenant, « nous sommes nombreux ». Seize ans plus tard, Charles Barrière en est devenu premier vice-président. Son rôle, en tant que membre du bureau, est de vérifier la politique de l’association, de chercher des subventions et de veiller à équilibrer les comptes. L’association accueille sans condition préalable toutes les personnes souffrant d’addiction : drogues, tabac, alcool, jeux vidéos… Elle a reçu 3 400 appels en 2009, dont 1 030 pour des demandes de soins et d’aide à la réinsertion et plus de 2 000 appels pour des consultations de prévention et des actions de formation auprès des jeunes collégiens, lycéens et étudiants. Implantée à Dijon, la SEDAP emploie une trentaine de salariés : médecins, infirmiers, assistantes sociales, psychologues, éducateurs spécialisés…

En effet, les interventions de l’association consistent en un accompagnement sur le plan médical, psychologique, social et éducatif. Une pluridisciplinarité qui est indispensable, car « les personnes souffrant de toxicomanie ont besoin d’une surveillance médicale, de produits, d’un accompagnement psychologique… Ce sont des gens très éloignés de la démarche thérapeutique, qu’il faut ramener aux soins ». En outre, « dès que l’on se rapproche de la toxicomanie, on se trouve confronté à des problèmes d’insertion. On est proche de l’humain », commente Charles Barrière.

Une pluridisciplinarité indispensable

Pour optimiser ses actions, la SEDAP s’appuie d’ailleurs sur un réseau technique et humain tant sur le plan local que national avec les municipalités, les directions régionales de santé, le conseil régional et général et l’Education nationale. Et le programme d’échange de seringues existe toujours : 20 % des pharmacies de Côte-d’Or y sont impliquées et 72 000 seringues ont été échangées en 2009.

A l’officine, les toxicomanes sont tout simplement des patients. « Au comptoir, ces patients ne posent pas plus de difficultés que les autres même s’il y a très souvent une composante psychiatrique avérée, lorsqu’un traitement de substitution est instauré », explique Charles Barrière. Il reconnaît toutefois qu’« il faut ne pas être naïf car certains patients ont une tendance à la manipulation ». Et surtout, il a appris au fil des années à être très « modeste ». En effet, le traitement ne fonctionne pas « sur un mode binaire, tel que “ça marche ou ça ne marche pas”. Le premier acteur de sa santé est la personne elle-même, assure-t-il. On est là pour apporter un certain nombre de choses que le patient prend ou ne prend pas. Tout ne dépend pas de nous ». Le pharmacien est attentif à ses patients, « il fait du repérage ». En effet, en matière de toxicomanie, il existe plusieurs phases. « Dans la première phase dite “lune de miel”, le patient découvre un produit qui a un effet formidable, il augmente les doses pour retrouver le même effet. Lorsqu’il se trouve dans cette phase, il n’entend rien, il est sourd à toute remarque. Vient ensuite la deuxième phase dite “de galère”, le patient détruit toute sa vie sociale et économique pour retrouver la même sensation. Il est autocentré sur le produit et entre en phase de dépendance. C’est à ce moment-là qu’on peut l’atteindre, car il sait qu’il a tout perdu, qu’il y a urgence, qu’il a besoin de vous et il est très motivé?. C’est alors qu’on peut l’inciter à contacter la SEDAP et à consulter. »

Les quatre pharmaciens de l’officine, titulaires associés, sont les seuls membres de l’équipe officinale à suivre les patients souffrant de toxicomanie et à délivrer les traitements de substitution. Essentiellement pour des raisons de discrétion, l’équipe officinale n’est pas intégrée au le dispositif. « Nous prenons le temps de recevoir les patients. Nous les accueillons dans une petite pièce et nous restons avec eux le temps qu’ils prennent le médicament », souligne le pharmacien. Le fait d’être une petite équipe facilite les échanges. « Nous en parlons ensemble lors de nos réunions mensuelles. Et puis nous ne travaillons pas tout seuls mais en relation avec d’autres professionnels de santé », précise Charles Barrière.

L’échange avec les équipes soignantes est fructueux. « Nous avons des rapports privilégiés avec les médecins, nous ne les appelons pas simplement pour leur dire que l’on ne comprend pas une ordonnance mais pour discuter du patient. Il nous arrive de les informer, par exemple, que tel patient s’est fait prescrire des benzodiazépines par un autre médecin. » Cette nouvelle façon de travailler a entraîné une modification des pratiques professionnelles de l’officinal. Charles Barrière transmet son expérience aux étudiants en stage dans son officine : « Je leur dis d’arrêter de faire du monologue, de se taire et de prendre du temps pour être avec le patient et l’écouter. »

Les pharmaciens doivent se taire et écouter

Grâce aux réseaux d’aide aux toxicomanes, Charles Barrière connaît les médecins qui sont les plus investis dans ce domaine : « Je connais ceux que je peux appeler pour prendre en charge un patient, ils sont déjà très occupés mais ils acceptent ». Les contacts sont maintenant bien établis et « lorsqu’un médecin instaure un traitement de substitution, il appelle le pharmacien désigné par le patient et il l’en informe en indiquant le nom de la personne concernée, le type de traitement qu’il va prendre, la dose prescrite et la date de la prochaine consultation. Tout est fait en transparence devant le patient ». En cas de problème, médecin, pharmacien, psychologue et patient se retrouvent autour d’une table pour trouver une solution ensemble. « Ces consultations d’intervision montrent au patient qu’il n’est pas tout seul. C’est important, car dans tout traitement de substitution il y a un risque d’échec. Le travail en réseau et ces consultations permettent de limiter ce risque », conclut Charles Barrière.

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LES AVANTAGES

• C’est une réelle mission de santé publique.

• Sur le plan intellectuel, le pharmacien comprend mieux quel est son rôle.

• Des pratiques qui évoluent.

• Des relations plus importantes avec les autres professionnels de santé.

• Des rapports privilégiés avec les médecins et les autres soignants comportant des échanges et de vrais débats sur le patient, car chaque pathologie est vue sous un angle différent selon que l’on est médecin, pharmacien ou infirmière.

LES DIFFICULTÉS

• S’agissant d’une association qui emploie des salariés, les réunions doivent avoir lieu en journée et non le soir. Il faut donc pouvoir s’absenter en cours de journée, ce qui n’est pas le cas quand les professionnels libéraux se réunissent entre eux.

• Il faut rester très modeste vis-à-vis des patients toxicomanes.

• C’est un dispositif notablement chronophage.

LES CONSEILS

• S’informer sur les associations de sa ville.

• Se renseigner auprès des médecins généralistes locaux qui sont des relais essentiels ou auprès des nouvelles Agences régionales de santé.

• Au sein de l’association, apprendre à se comprendre et à s’apprivoiser notamment avec les psychologues avec lesquels il n’est pas toujours simple de communiquer.

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