Faut-il encore acheter une petite pharmacie ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 2835 du 12/06/2010 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2835 du 12/06/2010
 

Le grand débat

Auteur(s) : François Pouzaud

Les officines sont souvent trop chères pour un jeune diplômé. Seule possibilité pour que le rêve devienne réalité : une petite pharmacie. Ce type d’achat a-t-il encore du sens aujourd’hui ? Et, si oui, à quel prix ? Réponses de spécialistes.

Un beau jour, le marché a considéré que les petites officines n’étaient plus rentables et appelées à disparaître à terme du paysage pharmaceutique. Ce constat, répété à l’envi depuis plusieurs années, a fini par faire mouche : la désaffection pour les petits chiffres d’affaires a entraîné une chute de leurs prix. Néanmoins, contrairement aux discours des cassandres, l’acquisition seul d’une petite officine peut présenter encore un intérêt. A condition, toutefois, de l’acheter à un prix économiquement ajusté. Car les professionnels du marché constatent encore, quoi que l’on en dise, des exemples réussis d’installation dans des petites pharmacies, souvent achetées à prix décoté et qui se revendront également, quelques années plus tard, à prix décoté. Il y a encore des opportunités à saisir, mais plus à chaque coin de rue. Le risque d’impossibilité de revente est réel et doit être présent à l’esprit au moment d’apposer sa signature sur une promesse de vente. Dans ce type d’investissement, l’acquéreur doit, pour pouvoir assurer un revenu du travail décent, rester sur des ratios d’endettement conformes aux normes financières. L’objectif d’un jeune diplômé avec un faible apport est d’amorcer la pompe par cette première acquisition et de pouvoir capitaliser grâce à son dynamisme pour ensuite se propulser sur une affaire de taille plus importante.

Lionel Canesi, expert-comptable au cabinet C2C Pharma, membre du groupement CGP

« Une étape dans la carrière du pharmacien »

« L’évolution prévisible de l’économie tend à déconseiller l’acquisition de petites officines, sauf cas particuliers. L’opération est complexe pour plusieurs raisons. D’abord, un jeune diplômé qui dispose au plus de 150 000 euros ne peut pratiquement plus s’installer seul du fait de prix de vente disproportionnés. En outre, le manque de marge de manœuvre économique et le manque de rentabilité des petites officines obligent le futur titulaire à exercer son activité sans adjoint. Il lui est également impossible, sauf en se groupant avec d’autres confrères, d’obtenir des conditions commerciales intéressantes. La rémunération du titulaire sera généralement inférieure à son salaire d’adjoint. On voit aussi disparaître de très petites officines dans les grandes villes du fait de la trop forte densité officinale. Mais il existe encore des opportunités à saisir, telle une petite officine en vue d’un transfert. L’opération peut être ardue car beaucoup de pharmaciens sont à l’affût et les bons emplacements se raréfient. Il arrive aussi que des pharmacies transférées n’atteignent pas le chiffre d’affaires du précédent emplacement. Il ne faut pas non plus négliger le coût du transfert, qui peut être très élevé. Autre opportunité : une petite officine en zone rurale sans concurrence à proximité, qui permet régulièrement aux jeunes diplômés de s’installer dans des conditions correctes et de capitaliser pour pouvoir rebondir par la suite sur une officine plus grande. Une petite officine de quartier populaire, si possible dans une zone franche urbaine, peut également être un tremplin pour de jeunes diplômés. Un prix de marché proche de la valeur économique et une rentabilité plus élevée du fait de la zone franche peuvent permettre de capitaliser rapidement pour pouvoir se réinstaller plus tard sur une officine d’une autre taille.

Mais tout dépend du prix de vente de l’officine, car l’acquisition d’une petite officine doit être vue comme une étape dans la carrière du pharmacien. Ce qui rend problématique la vente de petites officines, c’est l’inadéquation entre le prix de vente et la réalité économique. L’évaluation économique d’une petite officine à sept fois l’EBE valorise cette pharmacie aux alentours de 50 % du chiffre d’affaires TTC. La différence avec le prix du marché doit donc être financée par l’acquéreur. Il faut en proportion plus d’apport personnel pour acheter aujourd’hui une officine de 800 000 euros qu’une officine de 1 600 000 euros. Si, dans la stratégie, on achète une petite officine à 50 % du CA TTC et qu’on la revend sur la même base, il n’y a pas de raison que le marché ne soit pas plus fluide et ne permette pas aux jeunes de commencer leur carrière de titulaire. Pour l’instant, les perspectives de sortie d’une petite pharmacie sont tout aussi complexes. Un regroupement ? En ville, il est illusoire de croire, compte tenu de la densité des officines, qu’il n’y aura pas de dilution du chiffre d’affaires, ce qui rend ces opérations très compliquées. En revanche, le regroupement se fait très bien en zone rurale quand la concurrence est assez éloignée.

Conclusion : un transfert peut être l’occasion de sortir d’une petite officine, mais sa réalisation devient de plus en plus compliquée et le coût est assez élevé pour un résultat aléatoire. Enfin, l’hypothèse d’avoir un point de vente intégré dans un pool de pharmacies en SEL liées par une SPF-PL peut être intéressante mais sera sûrement marginale compte tenu des habitudes d’exploitation des titulaires aujourd’hui. La réussite d’une pharmacie tient, là, schématiquement à l’emplacement de la pharmacie et à la qualité de manager du titulaire. Cela peut alors être un moyen de valider les compétences d’un futur associé. »

Qu’est-ce qu’une petite officine ? La petite officine réalise moins que le chiffre d’affaires moyen de la profession, soit environ 1,4 M€. La grosse officine réalise, elle, plus de 3 M€. La pharmacie moyenne se situe entre les deux.

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone entre les 19 et 21 avril 2010 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens titulaires, en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

Si vous deviez vous installer pour la première fois, seriez-vous prêt à acheter une petite pharmacie qui présente un potentiel de développement (création de logements, possibilité de transfert, pas de concurrence autour de la pharmacie, etc.) ?

Conseilleriez-vous à un jeune confrère qui souhaite s’installer pour la première fois d’acheter une petite pharmacie qui offre peu de perspectives mais dont le prix est décoté ?

Lui conseilleriez-vous d’acheter une petite officine qui lui appartient à 100 % en propre ou de détenir une part minoritaire dans le capital d’une plus grosse pharmacie ?

Pensez-vous que toutes les petites officines sont à terme condamnées, sans avenir et invendables ?

Seriez-vous prêt à racheter une petite pharmacie si vous étiez certain de pouvoir la regrouper avec une autre pour qu’elle devienne plus grosse (c’est-à-dire l’intégrer dans un pool de pharmacies organisées en miniréseau, grâce notamment aux SEL et SPF-PL) ?

Pensez-vous qu’il est possible de remplir les nouvelles missions de la loi HPST au sein d’une petite officine ?

Philippe Becker, expert-comptable, directeur du pôle pharmacie de Fiducial Expertise

« Des opportunités s’il existe des perspectives de développement »

« Il faut déjà admettre que, pour la plupart des jeunes pharmaciens, l’achat d’une petite officine est l’unique solution compte tenu de la faiblesse de leur apport personnel. En leur déconseillant d’acheter une petite officine, on finit par leur fermer toutes les portes. Il faut donc savoir réfléchir autour d’un projet, même s’il s’agit d’une petite officine. Il faut d’abord se poser une vraie question : pourquoi cette officine n’a pas atteint une taille moyenne ? En fonction de la réponse, il y a ou pas une opportunité. Le premier facteur qui explique la faiblesse de l’activité est l’emplacement. S’il y a une possibilité d’un transfert de proximité ou de regroupement avec une autre officine de petite taille, il faut s’y intéresser. Le second facteur est le mauvais positionnement commercial de l’officine : cela peut être l’accueil clientèle, l’agencement ou la politique de prix. Enfin, il y a peut-être eu aussi une mauvaise analyse de l’environnement socio-économique de la pharmacie et, de ce fait, son titulaire est passé à côté d’un potentiel d’évolution. Souvent, les trois facteurs s’additionnent. C’est par exemple le cas d’une affaire que personne ne voulait en première couronne de Paris. Le jeune titulaire sans expérience a “relifté” avec l’aide d’amis bricoleurs l’espace clientèle, ouvert un espace MAD/HAD et créé une zone pour les jeunes mamans. Le CA a progressé de plus de 30 % par rapport au précédent titulaire. Mais, en l’absence de perspectives de développement, il y a un risque de non-revente, ou alors à un prix très inférieur à sa valeur de marché. C’est la raison pour laquelle il ne faut s’intéresser qu’aux pharmacies qui ont encore un potentiel ou une possibilité de transfert, d’autant que le nombre de pharmacies va fortement diminuer dans les zones où le quorum est très largement dépassé. Transferts, regroupements, cessions de clientèle, intégration dans des réseaux de SEL et SPF-PL seront certainement des formes de “sortie” pour une petite pharmacie. Mais les SPF-PL n’intégreront que les pharmacies qui auront une certaine rentabilité dans une logique de conquête de parts de marché. Il n’y aura pas de solutions pour les petites officines qui n’auront pas réussi à rencontrer leur marché. »

Emmanuel Leroy, animateur du réseau pharmacie de KPMG

« La possibilité de revendre le fonds n’est pas garantie à moyen terme »

« Faut-il vraiment acheter une petite officine en 2010 ? La première erreur est plutôt dans la généralisation. Ainsi, j’ai eu récemment l’exemple d’un pharmacien qui s’est installé à Paris au cours du second semestre 2009. Il a acheté à 50 % du CA TTC une officine qui faisait 450 000 euros et dont le titulaire partait en retraite. Six mois plus tard, après avoir réalisé des travaux, l’officine progresse de 50 % et lui laisse une rémunération nette mensuelle bien supérieure à celle d’un adjoint. Bien entendu, toutes les petites officines n’ont pas un potentiel de croissance aussi important. Il faut cependant noter qu’une pharmacie de 500 000 euros exploitée sans salarié permet de s’assurer une rémunération confortable même si la capitalisation est modeste. Néanmoins, la possibilité de revendre le fonds n’est pas garantie à moyen terme, même s’il y aura sans doute toujours de jeunes pharmaciens avec peu d’apport désirant acquérir une première expérience dans la gestion d’une officine en toute indépendance. Si la capitalisation semble plus sûrement garantie en prenant 10 % du capital dans une structure qui fait 100 que 100 % d’une structure qui fait 10, le mode d’exercice n’est pas le même et le pharmacien s’apparente plus à un superadjoint qu’à un cotitulaire. Le marché de la revente des parts n’est pas particulièrement animé et la sortie, en dehors d’une vente globale de l’officine, se fait souvent avec une importante décote. Il faut donc faire preuve d’une extrême prudence si l’on s’oriente vers ce type d’officine. Proposer le meilleur prix d’achat permet de garantir une rémunération confortable tout en assurant le remboursement de l’emprunt. Il faut bien étudier la commercialité du quartier et rester lucide sur les possibilités d’évolution du CA. Il ne faut en aucun cas fonder son prévisionnel sur un éventuel regroupement ou rachat par un confrère voisin, même si cette éventualité est souvent l’une des seules chances pour certains titulaires de céder leur officine. Il ne faut donc pas déconseiller systématiquement l’acquisition d’une petite officine, mais la mise en place d’un prévisionnel prudent, qui anticipe les baisses de marge et garantit la pérennité de l’entreprise, est indispensable avant toute décision d’investissement. »

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