Chimiothérapie orale en ville - Le Moniteur des Pharmacies n° 2835 du 12/06/2010 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2835 du 12/06/2010
 

Cahiers Formation du Moniteur

Iatrogénie

Effets indésirables

Des diarrhées préoccupantes

Monsieur P., 58 ans, est actuellement traité pour une leucémie aiguë myéloblastique par Zavedos (idarubicine), prescrit pour 4 semaines. Aujourd’hui, son épouse Micheline vient à la pharmacie, inquiète des troubles intestinaux dont souffre monsieur P. depuis deux jours. Elle veut savoir si ces diarrhées, qui ont commencé après la deuxième prise de Zavedos, peuvent être dues à l’anticancéreux et si c’est « embêtant ».

Les diarrhées de M. P. sont-elles préoccupantes ?

Oui, ces diarrhées survenant chez un patient sous anthracyclines doivent retenir votre attention en raison des pertes hydroélectrolytiques qu’elles peuvent engendrer. Ces pertes peuvent être éventuellement majorées par des vomissements chimio-induits.

ANALYSE DU CAS

Les cytotoxiques peuvent être à l’origine d’une toxicité digestive à type de nausées et vomissements, mais aussi de diarrhées. Les causes des diarrhées peuvent être multiples : irritation de la muqueuse intestinale, mais aussi infections, favorisées par une immunodépression induite par la chimiothérapie. Ces diarrhées peuvent conduire à une déshydratation parfois sévère.

Dans les RCP du Zavedos, ces troubles digestifs sont mentionnés dans les effets indésirables, ainsi qu’une hypoplasie médullaire.

Il est donc fort probable que les diarrhées dont souffre monsieur P. soient induites par Zavedos.

Mais c’est ici la toxicité cardiaque de l’idarubicine qui est préoccupante car l’hypokaliémie résultante d’une diarrhée peut favoriser la survenue de troubles du rythme.

En effet, l’idarubicine est une anthracycline. Les anthracyclines sont cardiotoxiques, pouvant être à l’origine d’une toxicité cumulative chronique, laquelle peut être prévenue par des perfusions IV de Cardioxane (dexrazoxane). Elles sont aussi responsables d’accidents cardiaques aigus (troubles du rythme ou insuffisance cardiaque) pouvant survenir aux doses habituelles, pendant ou après le traitement, imposant des contrôles cardiologiques réguliers.

ATTITUDE À ADOPTER

Il ne faut pas banaliser les diarrhées de monsieur P. Elles sont vraisemblablement dues au cytotoxique et nécessitent impérativement et rapidement l’avis de son hématologue et un bilan biologique (NFS, ionogramme).

En attendant, la pharmacienne conseille à monsieur P. une alimentation à base de riz, pâtes et compote de coings, mais aussi de bananes et de fruits secs (riches en potassium). Elle insiste également sur l’importance d’une bonne hydratation. Les légumes, fruits crus, boissons glacées et laitages doivent être évités.

Par ailleurs, dans l’ignorance de l’étiologie exacte de la diarrhée, il est préférable de ne pas conseiller un ralentisseur du transit, mais un pansement intestinal en recommandant bien de le prendre à 2 heures d’intervalle au minimum du cytotoxique pour ne pas en diminuer l’efficacité.

Effets indésirables

« Et mes maquettes ? »

Monsieur D., 59 ans, est traité depuis peu par Xeloda (capécitabine) pour un cancer colorectal métastasé. Depuis l’annonce de sa maladie, la réalisation de maquettes pour son petit-fils constitue sa seule distraction. Aujourd’hui, monsieur D. arrive à l’officine désemparé : ses mains sont rouges depuis quelques jours et il a l’impression de ressentir des « engourdissements ».

A quoi peuvent correspondre ces troubles ?

Ils sont évocateurs d’un syndrome main-pied.

ANALYSE DU CAS

La capécitabine, antipyrimidique, est susceptible d’induire quelques jours après la première prise un syndrome main-pied. S’aidant des RCP de Xeloda, le pharmacien essaie de graduer le syndrome main-pied de M.D. Ce dernier confie n’avoir aucun trouble au niveau plantaire, ne pas souffrir et ne pas être gêné dans la réalisation de ses maquettes. Il signale seulement une sensation « inconfortable mais pas gênante ». On note à l’examen un érythème, mais pas d’œdème ni de desquamation ou d’ulcération : il s’agit a priori du grade 1.

ATTITUDE À ADOPTER

Monsieur D. indique avoir l’habitude de se laver les mains à l’eau très chaude pour retirer la colle utilisée pour les maquettes. En attendant une consultation médicale – impérative –, il doit éviter les douches et bains trop chauds et tremper ses mains dans de l’eau froide voire appliquer de la glace (enveloppée dans un sac plastique ou un linge) lorsque les fourmillements apparaissent. Il doit toujours bien se sécher les mains et les pieds sans frotter et rester mains et pieds découverts le plus possible. On peut lui conseiller d’appliquer des crèmes émollientes sur les zones atteintes.

Le surlendemain, M. D. revient à la pharmacie : son médecin a confirmé un syndrome main-pied de grade 1 et a donc décidé de maintenir les posologies de Xeloda. Il a prescrit à M. D. de la pyridoxine (vitamine B6) en traitement symptomatique.

Effets indésirables

Une ouverture attendue !

Ce matin, alors que le titulaire lève le rideau de sa pharmacie, quelle n’est pas sa surprise de voir monsieur R. traité pour un carcinome rénal par Nexavar (sorafénib), patienter, la tête en arrière, un mouchoir ensanglanté sur le nez ! Il raconte que son nez a commencé à saigner dès son réveil. Affolée, c’est sa femme qui lui a suggéré d’aller à la pharmacie.

Comment expliquer l’épistaxis de monsieur R. ?

Le pharmacien demande à monsieur R. s’il a pris de l’aspirine ou de l’ibuprofène et si les saignements sont consécutifs à un effort de mouchage. Les réponses étant négatives, le pharmacien craint un signe clinique de thrombopénie induite par la chimiothérapie.

ANALYSE DU CAS

Les inhibiteurs des tyrosines-kinases, qui inhibent l’angiogenèse, peuvent perturber la cicatrisation et induire des saignements. Par ailleurs, les épistaxis peuvent résulter d’une thrombopénie liée à une toxicité hématologique.

ATTITUDE À ADOPTER

En premier lieu, il convient de stopper l’épistaxis. Le pharmacien fait asseoir M. R. et, avec son index, lui fait exercer une pression sur l’aile du nez pour diminuer le saignement : la tête ne doit pas être penchée en arrière, mais très légèrement en avant. Il préconise un tampon hémostatique type Coalgan ou Bloxang.

Le saignement étant pratiquement stoppé, le pharmacien préfère joindre le médecin pour l’informer de la situation. Celui-ci pose quelques questions complémentaires : M. R. a-t-il d’autres signes cliniques de thrombopénie ? Interrogé, M. R. ne se plaint pas de saignements lors du brossage des dents et n’a pas remarqué de sang dans ses selles ou dans ses urines. Le médecin demande à M. R. de passer dans l’après-midi. Quelques conseils pour limiter les saignements sous chimiothérapie peuvent être rappelés au patient : utiliser une brosse à dent douce, un rasoir électrique, un thermomètre axillaire ou auriculaire et non rectal et porter des gants pour jardiner ou bricoler.

Effets indésirables

Sergio craint de perdre ses cheveux

Sergio, un guitariste toujours coiffé d’un long catogan, vient aujourd’hui avec une ordonnance mentionnant un nouveau traitement : Endoxan (cyclophosphamide), prescrit pour un cancer des bronches récemment diagnostiqué. A peine a-t-il tendu l’ordonnance au pharmacien qu’il lui demande s’il va perdre ses cheveux.

L’alopécie est-elle l’effet indésirable qui doit retenir le plus l’attention ?

L’alopécie est très certainement l’un des effets indésirables de la chimiothérapie les plus redoutés des patients, introduisant la maladie dans leurs relations socioaffectives. Mais, de son côté, le pharmacien est plus préoccupé par une éventuelle toxicité vésicale.

ANALYSE DU CAS

Le cyclophosphamide est une prodrogue qui, après hydroxylation hépatique, donne une moutarde azotée agissant comme agent alkylant et un dérivé urotoxique : l’acroléine, éliminée par voie urinaire. Cette dernière peut induire des cystites hémorragiques. La toxicité vésicale peut être prévenue par une hydratation abondante et, si le cyclophosphamide est utilisé à fortes doses, par un chélateur d’acroléine : Uromitexan (mesna).

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien rassure Sergio : l’alopécie sous cyclophosphamide est inconstante, transitoire et surtout réversible. Pour ménager la chevelure, il faut éviter de se brosser, se laver les cheveux peu fréquemment et doucement et éviter les teintures ou décolorations. Il peut être utile d’adopter une coupe courte.

En revanche, le pharmacien insiste sur le risque d’atteinte vésicale : il est important d’assurer une bonne hydratation pour « rincer » la vessie. Les comprimés d’Endoxan s’administrent le matin à jeun avec suffisamment d’eau et il faut boire de nouveau immédiatement après la prise. Enfin, Sergio doit surveiller ses urines et consulter en cas d’hématurie.

Effets indésirables

Foulard et vernis à ongles

Karine, la quarantaine, vient aujourd’hui chercher un peu de réconfort et demander conseil. Elle se plaint de sa peau qui est très sèche et tiraille, et de ses ongles cassants ou striés qui se dédoublent et jaunissent. Cette patiente, très coquette, est hôtesse d’accueil dans une grande société. Elle est traitée par Tyverb (lapatinib) et Xeloda (capécitabine) pour un cancer du sein métastasé. Elle a dû subir une ablation totale et porte depuis quelque temps un foulard noué en turban. Elle demande si ses cheveux vont vraiment repousser.

A quoi peuvent être dus les effets dont se plaint Karine ?

Certainement à sa chimiothérapie.

ANALYSE DU CAS

Les anticancéreux peuvent être à l’origine d’une toxicité cutanéomuqueuse et phanérienne : atteintes unguéales se traduisant par une hyperpigmentation et/ou une fragilisation des ongles qui deviennent cassants et se dédoublent, inflammation des muqueuses, perte des cheveux et des poils (dont cils et sourcils) par destruction des cellules des bulbes pileux. L’alopécie débute environ 2 à 3 semaines après l’initiation de la chimiothérapie. Elle peut être partielle, inconstante, transitoire, et est toujours réversible en quelques semaines à quelques mois après l’arrêt du traitement. Les cheveux repoussent à raison de 1 cm par mois. La Sécurité sociale alloue un budget de 125 euros pour l’achat d’une prothèse capillaire.

ATTITUDE À ADOPTER

Avec empathie, l’équipe rassure Karine quant à son alopécie et lui donne des adresses d’associations où les patientes reçoivent, entre autres, des conseils de maquillage pour apprendre à redessiner les sourcils. L’utilisation d’un savon doux sans parfum ou d’un syndet et d’une crème émolliente après la toilette lui est conseillée pour corriger ses problèmes cutanés. Pour protéger ses ongles, l’application de 2 couches d’un vernis au silicium est recommandée. Il doit être retiré avec un dissolvant sans acétone.

Effets indésirables

« Ma femme ne veut plus manger ! »

Cet après-midi, M.J. profite de la sieste de son épouse pour venir chercher écoute et réconfort à l’officine. Depuis plusieurs semaines, Christiane, la soixantaine, est traitée par Sutent (sunitinib) pour un cancer rénal. Elle est actuellement au cours de son second cycle d’administration. M. J. ne sait plus quoi faire : le moment des repas est devenu un cauchemar. Christiane a de moins en moins d’appétit, se plaint d’aphtes douloureux lorsqu’elle mange et trouve mauvais goût et mauvaise odeur aux plats préparés par son époux. Peiné, M. J. confie avoir l’impression que sa femme ne le supporte plus. Elle est même écœurée par l’eau de toilette qu’il porte pourtant depuis plus de 20 ans et qu’elle lui avait elle-même choisie.

Que répondre à monsieur J. ?

Il faut le réconforter : tous ces signes sont vraisemblablement des effets indésirables dus à la chimiothérapie (difficultés alimentaires et troubles olfactifs).

ANALYSE DU CAS

Les patients traités par anticancéreux souffrent de troubles alimentaires pouvant s’expliquer par de nombreux effets indésirables.

Une appréhension des repas peut être liée aux nausées et vomissements chimio-induits, à une hypersensibilité olfactive rendant désagréables certaines odeurs alimentaires (en particulier de friture, poisson et viande), à des troubles du goût ou à des difficultés à avaler. De nombreux cytotoxiques, du fait d’une toxicité cutanéomuqueuse, peuvent en effet induire une hyposialie, à l’origine d’une dysgueusie (altération du goût), et des mucites orales (inflammations de la muqueuse buccale débutant par un érythème et évoluant en ulcérations à l’emporte-pièce douloureuses), qui apparaissent environ 1 à 2 semaines après le début du traitement et qui peuvent empêcher l’alimentation ou l’hydratation per os. Par ailleurs, en cas de neutropénie chimio-induite, ces mucites peuvent se compliquer d’infections virales, bactériennes ou fongiques, majorant alors la dysgueusie.

Sutent (sunitinib) est un agent antinéoplasique inhibiteur des tyrosines-kinases. D’après les RCP, des troubles gastro-intestinaux (vomissements, diarrhées, stomatites, dyspepsie) ainsi que des problèmes de dysgueusie et anorexie surviennent chez au moins 20 % des patients.

ATTITUDE À ADOPTER

Il faut donner à M. J. des conseils hygiénodiététiques pour qu’il puisse soulager son épouse et prévenir une dénutrition. Une consultation médicale doit également être envisagée pour traiter les mucites (antifongique et/ou anesthésique local, voire opioïdes pour soulager les douleurs)

Effets indésirables

Pourquoi Mme H. doit-elle prendre Zyloric ?

Ce matin, c’est Solène, la stagiaire, qui prépare les ordonnances en attente. Après lecture de celle de madame H., 58 ans, comportant Hydréa et Zyloric 300, prescrits par l’oncologue, Solène vient trouver l’adjointe. Ne connaissant pas Hydréa (hydroxycarbamide), elle a lu sur la notice qu’il s’agissait d’un antinéoplasique. Elle ne comprend pas pourquoi madame H. doit prendre Zyloric et se demande même si elle a bien lu l’ordonnance.

Solène a-t-elle mal lu l’ordonnance ?

Non, il s’agit bien de Zyloric 300. La prescription d’allopurinol sur une ordonnance d’anticancéreux n’étonne guère la pharmacienne.

ANALYSE DU CAS

Les antinéoplasiques, en provoquant une lyse cellulaire massive et un relargage d’acides nucléiques, peuvent induire une hyperuricémie et une hyperuricosurie. L’allopurinol est un traitement hypo-uricémiant, qui diminue la synthèse d’acide urique à partir de xanthine (issue du catabolisme des purines), en inhibant la xanthine-oxydase. Il n’est donc pas rare de trouver l’allopurinol en coprescription d’un cytotoxique. En effet, Zyloric est indiqué dans le traitement des hyperuricémies primitives ou secondaires (iatrogènes, entre autres).

Réservée à l’usage hospitalier, la rasburicase (Fasturtec) peut aussi être utilisée comme uricolytique pour traiter les hyperuricémies et prévenir une insuffisance rénale aiguë lors de l’initiation d’une chimiothérapie chez les patients à masse tumorale élevée.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne valide les médicaments que Solène a mis de côté pour madame H., et insiste sur les conseils qui doivent lui être prodigués lorsqu’elle viendra chercher son traitement : assurer une hydratation abondante et une alcalinisation des urines en complétant l’apport hydrique par des eaux type Vichy Saint-Yorre ou Vichy Célestin, riches en bicarbonates (pour augmenter la solubilité de l’acide urique et éviter la formation de lithiases), et bien respecter le rythme des bilans rénaux (uricémie, urémie, créatininémie et ionogramme)

Effets indésirables

Une prise de poids paradoxale

Monsieur B., la soixantaine, est actuellement traité pour une leucémie myéloïde chronique par Glivec (imatinib). Scrupuleux, il se pèse toutes les semaines. C’est à ce sujet qu’il vient se renseigner à l’officine : bien qu’incommodé par des nausées et des vomissements dus à sa chimiothérapie, il a pris un peu plus de 2 kg en 15 jours. Cela l’intrigue. Il a également l’impression d’être « serré par ses chaussettes » et sa femme lui a fait remarquer que son visage était bouffi.

Comment expliquer la prise de poids de monsieur B. ?

Il souffre visiblement d’œdèmes des membres inférieurs et d’œdèmes superficiels, notamment palpébraux.

ANALYSE DU CAS

Certains agents anticancéreux peuvent provoquer une rétention hydrique. C’est le cas en particulier de l’imatinib, inhibiteur des tyrosines-kinases.

Cet effet indésirable fait même l’objet d’une mise en garde dans les RCP de Glivec. En effet, les rétentions hydriques, les œdèmes et les prises de poids sont des effets indésirables très fréquemment rapportés (1 patient sur 10). Des rétentions hydriques d’intensité sévère (épanchement pleural, œdème pulmonaire, ascite, œdème superficiel) ont été décrites chez près de 2,5 % des patients atteints de leucémies myéloïdes chroniques nouvellement diagnostiquées et traitées par Glivec.

ATTITUDE À ADOPTER

M. B. doit être orienté vers une consultation médicale, la prise de poids rapide et inattendue des patients sous imatinib pouvant, après examen, nécessiter l’instauration d’un traitement symptomatique. Quelques jours plus tard, monsieur B. revient à l’officine avec une ordonnance de son oncologue mentionnant Lasilix. Cela ne doit pas surprendre.

Les traitements anticancéreux

Le cancer est une prolifération incontrôlée de certaines cellules de l’organisme caractérisée par une capacité de division illimitée, par une capacité d’échapper à l’apoptose et d’induire une néoangiogenèse et des métastases. Pour y faire face, on peut recourir à :

→ la chirurgie ;

→ la radiothérapie (externe ou métabolique) ou à la curiethérapie (de contact ou interstitielle) ;

→ l’hormonothérapie, qui vise à modifier le métabolisme hormonal (tumeurs hormonosensibles) ;

→ l’immunothérapie, consistant à renforcer le système immunitaire par des immunostimulants (interférons alpha en ville, interleukine 2 à l’hôpital) ;

→ la chimiothérapie, laquelle fait appel à des cytotoxiques, non sélectifs, qui tuent les cellules en agissant soit directement sur l’ADN en modifiant ses propriétés physicochimiques, soit indirectement en inhibant les enzymes nécessaires à la réplication et à la transcription de l’ADN ou en interagissant avec le fuseau mitotique ; et à des thérapies ciblées :

– les anticorps monoclonaux (immunoglobulines spécifiques des protéines présentes à la surface des cellules malignes), non disponibles en ville à ce jour ;

– les inhibiteurs de protéines-kinases, dont il existe 2 types : les inhibiteurs des tyrosines-kinases – récepteurs membranaires enzymatiques, surexprimés dans certaines tumeurs, dont l’activation est à l’origine des divisions cellulaires –, qui perturbent les voies de signalisation de division ; et les inhibiteurs des sérines-thréonines-kinases, qui inhibent la prolifération des cellules tumorales et leur vascularisation. Ils inhibent sélectivement la mTOR, protéine intracellulaire régulant la division cellulaire et intervenant dans la synthèse de VEGF (facteur de croissance de l’épithélium vasculaire).

Comment agit la chimiothérapie orale ?

Les cytotoxiques

Les antimétabolites empêchent la synthèse de l’ADN : soit par inhibition de réactions enzymatiques (cas des antifoliques inhibant la dihydrofolate-réductase), soit par incorporation « usurpatrice » aux acides nucléiques (cas des antipuriques ou antipyrimidiques). Les agents alkylants sont à l’origine de pontages intra- et intercaténaires, déformant et cassant l’ADN. Les agents intercalants sont capables de se glisser entre deux paires de bases contiguës de l’ADN, provoquant une « déspiralisation » de celui-ci et empêchant la réplication et la transcription. Les inhibiteurs de topo-isomérases inhibent les enzymes qui stabilisent la structure tridimensionnelle hélicoïdale de l’ADN, ce qui empêche les opérations de réplication et de transcription. Les poisons du fuseau (vinca-alcaloïdes, seuls disponibles en ville) empêchent la polymérisation de la tubuline et l’élaboration du fuseau mitotique.

Les inhibiteurs de tyrosines-kinases

Ils bloquent la transduction des signaux intracellulaires entre les récepteurs membranaires et le noyau des cellules.

Les inhibiteurs de sérines-thréonines-kinases

Ils inhibent la prolifération cellulaire et l’angiogenèse.

Les effets indésirables de la chimiothérapie orale

La chimiothérapie orale est responsable d’une importante cohorte d’effets indésirables, imposant une surveillance particulière. Ces effets indésirables sont la conséquence du manque de spécificité des médicaments anticancéreux vis-à-vis des cellules tumorales.

TOXICITÉ HÉMATOLOGIQUE

→ La baisse des leucocytes et des plaquettes peut commencer vers le 3e ou 4e jour de la chimiothérapie et se poursuit jusqu’au nadir (taux le plus bas), lequel survient environ 10 jours après le début du traitement.

→ La neutropénie est préoccupante quand le nombre de neutrophiles devient inférieur à 500/mm3, exposant le patient à des complications infectieuses parfois graves. Les facteurs de croissance leucocytaire permettent de corriger la leucopénie.

→ La thrombopénie, favorisant les hémorragies, est menaçante lorsque le nombre de plaquettes est inférieur à 25 000/mm3. Elle peut justifier la transfusion de culots plaquettaires.

→ L’anémie sévère (hémoglobine inférieure à 7 g/dl) se traduit par asthénie, hypotension, pâleur, dyspnée et sueurs. Elle est traitée par érythropoïétine.

TOXICITÉ DIGESTIVE

→ Nausées et vomissements : anticipés (liés à l’anxiété, prévenus par benzodiazépines), aigus (dans les heures suivant l’administration) ou retardés (dans les jours suivant l’administration), ils peuvent être prévenus par des antagonistes NK1 (aprépitant), antagonistes dopaminergiques ou sérotoninergiques 5-HT3, associés à des corticoïdes.

→ Diarrhées : par stimulation du péristaltisme ou atteinte de la muqueuse intestinale.

→ Constipation : plus rare, liée à une atteinte neurologique périphérique.

TOXICITÉ CARDIOVASCULAIRE

→ Hypertension artérielle et allongement de l’espace QT sous ITK (inhibiteur des tyrosynes-kinases).

→ Diminution de la fraction d’éjection systolique et troubles du rythme cardiaque sous anthracyclines.

→ Troubles thromboemboliques pouvant nécessiter un traitement antiagrégant ou anticoagulant.

TOXICITÉ CUTANÉOMUQUEUSE ET PHANÉRIENNE

→ Syndrome main-pied, sécheresse cutanéomuqueuse, réactions d’hypersensibilité cutanée type Lyell ou Stevens-Johnson, photosensibilisation, retard de cicatrisation des plaies.

→ Alopécie, plus ou moins fréquente selon les molécules mais réversible.

→ Mucites : complications fréquentes et douloureuses de la chimiothérapie, responsables de dénutrition et de surinfections candidosiques ou herpétiques.

→ Conjonctivite sous erlotinib.

AUTRES TOXICITÉS

→ Pulmonaire : à type de fibrose pulmonaire ou de pneumopathie interstitielle.

→ Urinaire : l’acroléine (métabolite du cyclophosphamide) peut induire des cystites hémorragiques.

→ Rénale : du fait d’un syndrome de lyse tumorale ou par précipitation de cytotoxique dans les urines (cas du méthotrexate).

→ Hépatique : sous méthotrexate et mercaptopurine.

→ Neurologique : à type de polynévrites, paresthésies ou dysesthésies, crampes ou convulsions.

→ Gonadique et fœtale : oligospermie ou azoospermie chez l’homme pouvant justifier une congélation de sperme (en amont du traitement), aménorrhée inconstamment réversible chez la femme et effets tératogènes pouvant nécessiter une contraception efficace, dans certains cas.

→ Myélotoxicité : avec augmentation du risque de leucémies secondaires.

Effets indésirables

Madame N. est constipée sous Navelbine

Mme N., 65 ans, est traitée pour un cancer du poumon par Navelbine orale (vinorelbine) à raison de 60 mg/m2 un soir/semaine, soit 2 capsules à 30 mg et 1 capsule à 20 mg en prise unique. Il y a peu, elle est venue chercher à la pharmacie son traitement cytotoxique ainsi qu’un protocole antiémétique comportant Zophren 8 mg per os, Emend et de la dexaméthasone à prendre selon un schéma thérapeutique précis les jours suivant la chimiothérapie, ainsi que Forlax 10 g, à raison de 1 sachet 3 fois par jour, en cas de constipation sous Zophren. Quelques jours plus tard, Mme N. revient à la pharmacie : elle est constipée, malgré les 3 sachets de Forlax quotidiens.

A quoi peut-être due la constipation de Mme N. ?

Très possiblement au traitement antisérotoninergique, comme l’avait évoqué le prescripteur sur son ordonnance de Forlax, mais elle peut aussi être majorée par la chimiothérapie.

ANALYSE DU CAS

Navelbine est indiquée en monochimiothérapie dans le traitement des cancers du poumon non à petites cellules. Il s’agit d’un alcaloïde de la pervenche de Madagascar, agissant comme poison du fuseau mitotique.

Les vinca-alcaloïdes sont neurotoxiques. Cette toxicité porte essentiellement sur le système neurologique périphérique. Elle se manifeste par des crampes, des polynévrites, des paresthésies pouvant être soulagées par la carbamazépine et la gabapentine, des troubles neuromoteurs ou une abolition des réflexes ostéotendineux. Elle peut aussi être à l’origine d’épisodes de constipation, lesquels peuvent être majorés par un traitement concomitant de sétrons ou d’antalgiques morphiniques.

Parmi les effets indésirables de Navelbine orale, une constipation d’origine neurologique a été observée chez 11,3 % des patients et a évolué vers une occlusion intestinale chez 1,4 % d’entre eux.

ATTITUDE À ADOPTER

Il convient d’encourager Mme N. à signaler sa constipation à son médecin car cette dernière peut signer une neurotoxicité liée à la vinorelbine. En l’interrogeant, le pharmacien apprend que Mme N. ne se plaint ni de crampes ni de fourmillements. Il se montre donc rassurant et lui donne des conseils hygiénodiététiques : augmenter l’apport de fibres, boire au moins 2 litres d’eau par jour, pratiquer une activité physique quotidienne comme la marche à pied dans la mesure du possible. En seconde intention, si ces mesures s’avèrent insuffisantes, il devra conseiller un traitement laxatif par voie rectale (pour déclencher un réflexe de défécation) type Normacol lavement.

Interactions médicamenteuses

Léa a mal à la tête

Léa V., âgée d’une vingtaine d’années, passe à la pharmacie car elle se plaint de maux de tête et se sent fébrile. C’est Isabelle, étudiante en quatrième année, qui la sert. Voyant cette dernière se retourner vers le linéaire de Nurofen et tendre le bras pour en attraper une boîte, la pharmacienne titulaire intervient immédiatement. Elle sait que Léa a interrompu sa licence de droit en raison d’une leucémie aiguë lymphoblastique diagnostiquée il y a plusieurs mois. Léa suit actuellement un traitement d’entretien par méthotrexate à la posologie de 20 mg/semaine.

Est-ce judicieux de lui conseiller de l’ibuprofène ?

Bien sûr que non ! D’une part, l’ibuprofène est susceptible d’interagir avec le méthotrexate et, d’autre part, il ne faut pas banaliser les symptômes décrits par Léa.

ANALYSE DU CAS

Le méthotrexate est un antinéoplasique cytostatique agissant comme antimétabolite par inhibition compétitive de l’enzyme dihydrofolate-réductase (antifolique), ce qui a pour effet d’empêcher la synthèse d’ADN.

Le méthotrexate peut induire, entre autres effets indésirables, une hématotoxicité. Il s’agit d’une toxicité médullaire entraînant une thrombopénie et une leuconeutropénie (facteur d’immunodépression), plus rarement une anémie.

Les caractéristiques pharmacocinétiques du méthotrexate sont importantes car elles conditionnent plusieurs interactions médicamenteuses : il s’agit d’un médicament ayant une certaine affinité pour les protéines plasmatiques – puisque la fixation protéique concerne 50 % des formes distribuées – et à élimination rénale prépondérante (entre 55 et 88 % sont éliminés dans les urines).

Deux médicaments interagissent avec le méthotrexate en majorant son hématotoxicité : l’aspirine et les AINS. En effet, les salicylés potentialisent l’action du méthotrexate en augmentant la fraction libre – c’est-à-dire active – de ce dernier (interaction pharmacocinétique par déplacement du méthotrexate de ses liaisons à l’albumine). Les anti-inflammatoires, eux, diminuent la clairance rénale du méthotrexate (interaction par compétition d’élimination). Lorsque le méthotrexate est administré à des doses supérieures à 15 mg/semaine (ce qui est le cas pour Léa), son association aux AINS est déconseillée.

L’ibuprofène n’est donc absolument pas approprié pour cette patiente, d’autant plus que son état fébrile et ses maux de tête sont des signes évocateurs d’un possible état infectieux, lequel pourrait être corrélé à une hématotoxicité.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne félicite Léa d’être venue demander conseil, l’automédication étant une attitude à bannir lors de son traitement. Elle lui conseille non pas de l’ibuprofène mais du paracétamol et l’encourage à consulter impérativement et à ne pas banaliser son état, celui-ci pouvant révéler une altération de la NFS.

Interactions médicamenteuses

Une mauvaise idée

Après l’échec d’un premier traitement, monsieur C., 60 ans, est actuellement traité par Tarceva à 150 mg/j (erlotinib : inhibiteur des tyrosines-kinases) pour un cancer bronchique avancé. Aujourd’hui, Sylvie, sa fille, vient chercher son traitement et vous demande une boîte de millepertuis. A la question « Ce produit est-il également pour votre père ? », Sylvie répond que oui car ce dernier est très déprimé et stressé par sa maladie.

Peut-on donner du millepertuis à M. C. ?

Non, car le millepertuis est susceptible d’interférer avec le traitement anticancéreux.

ANALYSE DU CAS

La cinétique des anticancéreux peut être modifiée par les inhibiteurs ou inducteurs des cytochromes P450. Le millepertuis est un inducteur de CYP450 susceptible d’accélérer le métabolisme hépatique de nombreux cytotoxiques et d’en diminuer l’efficacité par diminution de leurs concentrations plasmatiques.

Dans les RCP du Tarceva, il est précisé que son association avec les inducteurs de CYP450 (comme Hypericum perforatum : millepertuis) doit être évitée du fait d’une diminution des concentrations plasmatiques.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne doit refuser la vente de millepertuis en prenant soin d’expliquer à Sylvie qu’il peut interagir avec le traitement anticancéreux de son père et le rendre moins efficace. Par ailleurs, la dépression de M. C. ne doit pas être prise à la légère. La pharmacienne conseillera donc à Sylvie de prendre rendez-vous rapidement chez le médecin. En attendant, elle conseille Euphytose ou de l’homéopathie (Sédatif PC par exemple)

Interactions médicamenteuses

Comment traiter les douleurs de Mme A. ?

Madame A. est une cliente habituelle de l’officine. Elle est traitée pour une leucémie myéloïde chronique chromosome Philadelphie positive par 600 mg/jour de Glivec (imatinib : inhibiteur des tyrosines-kinases), prescrit par un hématologue. Se plaignant depuis quelque temps d’importantes douleurs musculosquelettiques, elle a consulté son généraliste. Madame A. se présente aujourd’hui avec une ordonnance de Zaldiar prescrit à raison de 6 à 8 comprimés/jour, pendant une semaine. A la lecture de l’ordonnance, le pharmacien fronce les sourcils.

Pourquoi cette nouvelle prescription retient-elle l’attention du pharmacien ?

L’association de l’imatinib, inhibiteur des tyrosines-kinases, au paracétamol requiert la prudence.

ANALYSE DU CAS

Le RCP de Glivec mentionne que « in vitro, Glivec inhibe l’O-glucuronoconjugaison du paracétamol », ce qui provoque un risque de surdosage de ce dernier. La prudence est donc requise lors de l’utilisation concomitante de l’imatinib et du paracétamol, en particulier à fortes doses. Dans le cas présent, un autre médecin a prescrit à Mme A Zaldiar (association de 37,5 mg de tramadol et de 325 mg de paracétamol) à une posologie pouvant conduire à une prise journalière de 2,6 g de paracétamol sur sept jours. Interrogée, Mme A. confirme que le médecin lui a dit de le prendre tous les jours, « pour ne pas laisser la douleur s’installer ».

ATTITUDE À ADOPTER

Ni le RCP, ni le « Thesaurus » ne renseignent sur le degré d’importance de cette interaction. Ne sachant s’il s’agit d’une association déconseillée ou à prendre en compte, et compte tenu des posologies prescrites, le pharmacien décide d’appeler le généraliste. Ce dernier décide de remplacer Zaldiar par du tramadol seul, sous forme de 2 comprimés LP de Topalgic 100 par jour. De son côté, le pharmacien sensibilise Mme A. à l’interaction, pour éviter une automédication en paracétamol, et l’encourage à évoquer ses douleurs auprès de son hématologue. En effet, ces dernières peuvent être un effet indésirable de l’imatinib (très fréquent).

Interactions médicamenteuses

« Renée n’a rien osé dire »

Renée, la soixantaine, vient acheter, sur les conseils de son époux, Pantozol Control (pantoprazole) pour soulager des douleurs gastriques. Ne connaissant pas cette patiente, l’adjointe consulte son dossier pharmaceutique. Il lui apprend qu’une autre pharmacie a déjà dispensé Sprycel (dasatinib). En interrogeant Renée, vous découvrez qu’elle est traitée pour une leucémie myéloïde chronique et qu’elle sort d’une consultation oncologique.

Pouvez-vous dispenser Pantozol Control ?

Non, il existe une interaction avec le traitement anticancéreux.

ANALYSE DU CAS

En discutant avec Renée, la pharmacienne s’aperçoit que celle-ci, très impressionnée par la consultation à l’hôpital, n’a pas osé parler de ses douleurs gastriques au médecin.

Or, le dasatinib est un inhibiteur des tyrosines-kinases et peut induire fréquemment des affections gastro-intestinales de type colite, gastrite, dyspepsie, douleurs abdominales voire ulcère gastro-intestinal dans moins de 1 % des cas.

Il y a une interaction médicamenteuse entre Sprycel et les inhibiteurs de la pompe à protons. En effet, la solubilité du dasatinib est pH-dépendante, une inhibition prolongée de la sécrétion gastrique réduisant les concentrations plasmatiques du dasatinib. On retrouve cette même interaction avec les antihistaminiques H2.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne déconseille fortement à Renée l’achat de pantoprazole et conseille un antiacide à base d’hydroxyde d’aluminium ou magnésium, à prendre 2 h avant ou après l’anticancéreux pour ne pas diminuer la biodisponibilité du dasatinib.

Problèmes d’observance

Attention au méthotrexate !

Anne-Sophie A. s’occupe de sa sœur depuis que celle-ci est soignée pour une leucémie. Elle vient aujourd’hui chercher le traitement d’entretien par voie orale à base de méthotrexate. Avant de partir, Anne-Sophie demande si ce dernier doit bien être pris une fois par semaine.

Cette prescription est-elle réellement surprenante ?

Non. Le méthotrexate oral est un cytostatique utilisé en cancérologie, en rhumatologie et en dermatologie à raison d’une administration par semaine, quelle que soit la raison pour laquelle il est indiqué.

ANALYSE DU CAS

Les effets indésirables du méthotrexate, à type d’hématotoxicité, d’hépatotoxicité et de néphrotoxicité, d’atteintes digestives, cutanéomuqueuses ou pulmonaires, peuvent être graves. Ils peuvent apparaître à faible dose, mais sont majorés avec la dose.

Selon la revue Prescrire, plusieurs accidents iatrogènes évitables, dus à une prise journalière de méthotrexate, consécutifs soit à une mauvaise compréhension de l’ordonnance par le patient, soit à une erreur de prescription, ont été recensés par le centre antipoison et de toxicovigilance de Paris.

Par ailleurs, l’Agence britannique de la sécurité des patients a noté, entre 1993 et 2002, 137 événements indésirables liés au méthotrexate per os, dont 67 % liés à une administration journalière et non hebdomadaire.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne confirme à Anne-Sophie la prise hebdomadaire de méthotrexate. Pour assurer une bonne observance du traitement, elle recopie le jour de prise fixé sur la boîte et insiste sur l’importance de respecter les examens biologiques. La pharmacienne encourage Anne-Sophie à revenir demander conseil si besoin

Problèmes d’observance

Une tenue vestimentaire inappropriée

Madame T., 58 ans, a été opérée d’un cancer colorectal. Iléostomisée, elle est désormais traitée par UFT (tégafur et uracile) et de l’acide folinique. Elle a bien su s’adapter à ses poches, dont elle vient chercher une nouvelle boîte. Malgré le beau temps, la préparatrice s’étonne de voir Mme T. vêtue d’une petite robe à manches courtes et décolletée.

Pourquoi cette tenue peut-elle surprendre ?

Les progrès techniques ont permis de mettre au point des poches à stomies fiables et discrètes (système deux-pièces verrouillables, filtre à charbon, minipoches…) et on ne peut qu’encourager les patients stomisés à vivre et à s’habiller normalement. Ce n’est donc pas à cause de sa stomie que la robe de Mme T. semble inappropriée aux yeux de la préparatrice, mais à cause de son traitement.

ANALYSE DU CAS

L’UFT est une association de tégafur (prodrogue de 5-fluorouracile) et d’uracile (antipyrimidique) indiqué en traitement de première intention du cancer colorectal métastatique, s’administrant par cycles de 35 jours à raison de 3 prises par jour pendant 28 jours avec une fenêtre thérapeutique de 7 jours.

Parmi les effets indésirables de l’UFT, des affections de la peau à type, entre autres, de photosensibilisation sont fréquemment rapportées. Effectivement, certains anticancéreux sont connus pour être photosensibilisants : c’est le cas notamment du méthotrexate, du fluoro-uracile, de certains vinca-alcaloïdes inhibiteurs des tyrosines-kinases.

ATTITUDE À ADOPTER

La préparatrice rappelle à Mme T. qu’il ne faut pas s’exposer au soleil pendant son traitement par UFT et lui recommande de sortir avec un chapeau, de porter des vêtements légers mais couvrants et d’appliquer un écran total minéral. Mme T. ne semble pas ravie par ces conseils. Il faudra sans doute les lui rappeler régulièrement.

Ce qu’il faut retenir

L’accessibilité en ville des anticancéreux oraux représente un réel bénéfice en termes de qualité de vie des patients et un véritable challenge pour le pharmacien : leur manipulation, de la réception à la dispensation en passant par le stockage, requiert savoir-faire et vigilance.

ADMINISTRATION

→ Des tableaux fournis par les laboratoires ou figurant dans le Vidal permettent de convertir des posologies en dosage et unités de prise lorsqu’elles sont exprimées en fonction de la surface corporelle sur les ordonnances.

→ Faire attention aux rythmes particuliers d’administration de certaines molécules et aider les patients à les respecter : bien écrire les posologies sur les conditionnements, établir des schémas de prise, savoir utiliser les pochettes hebdomadaires remises par les fabricants…

→ Les formes ne doivent pas être ouvertes ou croquées et l’entourage doit être sensibilisé à la manipulation prudente des médicaments et des excrétats.

→ Certains anticancéreux se conservent au réfrigérateur.

EFFETS INDÉSIRABLES

→ Les effets indésirables de la chimiothérapie orale sont de même nature que par voie parentérale : toxicités digestive, cutanéomuqueuse et hématologique fréquentes et toxicités organiques spécifiques (cardiaque des anthracyclines, vésicale du cyclophosphamide, neurologique des vinca-alcaloïdes). Par ailleurs, l’arrivée des inhibiteurs de tyrosines-kinases est génératrice de nouveaux effets indésirables (HTA par exemple).

→ Des conseils hygiénodiététiques appropriés peuvent permettre de diminuer l’incidence ou la gravité de ces effets.

INTERACTIONS

Les interactions avec les autres médicaments et les aliments sont nombreuses. Il convient de faire attention, entre autres, aux :

→ Inhibiteurs (jus de pamplemousse…) et inducteurs de CYP450 (millepertuis…),

→ IPP et anti-H2, qui diminuent les concentrations plasmatiques des inhibiteurs de tyrosines-kinases.

→ AINS et aspirine qui majorent la toxicité hématologique du méthotrexate.

SURVEILLANCE

Le pharmacien doit s’assurer de la bonne observance du traitement (défaut et surobservance), du respect des examens biologiques, et savoir reconnaître l’urgence médicale : en particulier l’hyperthermie, laquelle peut signer une neutropénie fébrile.

À RETENIR

Chez un patient traité par anthracycline, il faut se méfier des diarrhées et vomissements sources de perturbations kaliémiques, lesquelles pourraient majorer sa cardiotoxicité.

Les précautions à prendre avec la chimiothérapie orale

Dans certaines situations, la chimiothérapie orale en ville peut être une alternative à la voie IV, permettant un accès à la dispensation et une administration plus faciles et générant moins d’anxiété.

Cependant, ces formes orales partagent les mêmes effets indésirables que les formes injectables. Elles sont impliquées dans de nombreuses interactions et dotées de surcroît d’une marge thérapeutique étroite.

Il convient de :

→ ne jamais écraser ou croquer les comprimés, ni ouvrir les capsules (risque de dispersion dans l’atmosphère et toxicité par contact direct) ;

→ mettre des gants pour manipuler des comprimés cassés, éviter de faire manipuler les médicaments par une tierce personne (a fortiori enceinte) ;

→ mettre des gants pour manipuler les excrétats (urines ou vomissures) ;

→ ne pas laisser les médicaments à la portée des enfants ;

→ être bien observant : respecter scrupuleusement les modes, rythmes et horaires d’administration, ne jamais doubler une prise pour rattraper un oubli et respecter le calendrier des examens et des bilans ;

→ ne pas recourir à l’automédication en raison des nombreuses interactions.

À RETENIR

Une rougeur, des paresthésies, un œdème, des petites bulles ou cloques ou une desquamation des extrémités doivent faire évoquer un syndrome main-pied chez un patient sous capécitabine.

À RETENIR

Des saignements peuvent survenir sous inhibiteurs des tyrosines-kinases et perturber la cicatrisation (sorafénib et sunitinib notamment).

ATTENTION

Un des métabolites du cyclophosphamide est urotoxique et peut provoquer des cystites hémorragiques dose-dépendantes.

À RETENIR

Il convient de rassurer les patients sous chimiothérapie : l’alopécie est inconstante et toujours réversible.

Conseils hygiénodiététiques pour prévenir les difficultés alimentaires

Pour prévenir les mucites

→ Insister sur l’importance du bilan dentaire avant l’initiation du traitement.

→ Se brosser les dents en douceur après chaque repas avec une brosse ultrasouple mouillée et un dentifrice indiqué dans les gingivites ; se rincer la bouche avec une solution bicarbonatée. Eviter les topiques alcoolisés.

→ Eviter les aliments acides, épicés, le gruyère, l’ananas et les noix, qui favorisent l’apparition d’aphtes.

→ Eviter les mets trop chauds et les aliments croquants (chips, biscottes, céréales) qui peuvent léser la muqueuse buccale. Préférer les aliments moelleux ou mixés.

→ Sucer des glaçons ou des glaces pour diminuer l’effet local de la chimiothérapie sur la muqueuse buccale.

→ Boire très régulièrement.

Pour prévenir les nausées et vomissements

→ Respecter rigoureusement les protocoles antiémétiques.

→ Proscrire les aliments fortement odorants (choux, oignons, ail).

→ Eviter les plats gras et les fritures (lourds à digérer).

→ Prendre de préférence des repas froids.

→ Fractionner les repas et manger lentement, dans le calme.

→ Privilégier la volaille, les œufs et les produits laitiers en cas de dégoût pour la viande et le poisson.

→ Eviter de boire pendant les repas mais plutôt avant ou après.

Pour prévenir la sécheresse buccale et les dysgueusies

→ Insister sur l’importance d’une bonne hydratation, en buvant par petits volumes (les gros volumes ont un effet émétisant).

→ Utiliser un brumisateur.

→ Consommer des fruits frais.

→ Sucer des bonbons à la menthe pour enlever un éventuel goût métallique et stimuler la salivation.

→ Protéger les lèvres par des sticks hydratants.

À RETENIR

Les anticancéreux peuvent provoquer d’importants troubles de l’appétit pour de nombreuses raisons (nausées, vomissements, dysgueusie, troubles olfactifs, mucites).

À RETENIR

Lorsque la masse tumorale est importante, les cytotoxiques peuvent induire une hyperuricémie consécutive à une lyse cellulaire massive, qui nécessite la prescription d’allopurinol.

ATTENTION

Certains anticancéreux, en particulier les inhibiteurs des tyrosines-kinases, peuvent provoquer une rétention hydrique, nécessitant une prise en charge diurétique.

Dispensation et administration de Navelbine orale

→ Navelbine orale se présente en capsules molles de 20 ou 30 mg en boîte unitaire, à conserver au réfrigérateur entre 2 et 8 °C.

→ La posologie est comprise entre 60 et 80 mg/m2/semaine en une prise unique hebdomadaire. Une NFS est réalisée avant chaque administration.

→ Chaque boîte est accompagnée d’un livret d’information et de suivi destiné au patient et d’un guide de dispensation à l’usage du pharmacien, comportant des tableaux permettant de convertir la posologie exprimée en mg/m2 en nombre de capsules.

→ Des enveloppes plastique scellables (voir ci-contre)livrées avec Navelbine permettent de regrouper les boîtes correspondant à une prise hebdomadaire. Sur chaque enveloppe, reporter le nom et prénom du patient, la date de prise, le nom du médicament, la dose totale, le nombre de capsules à 20 mg et/ou à 30 mg et la date de la prise de sang à effectuer.

→ Pour accéder à la capsule : découper la plaquette avec des ciseaux en suivant le trait noir, puis peler doucement le film blanc qui recouvre la plaquette. Ensuite, appuyer sur le plastique transparent pour expulser la capsule au travers du feuillet en aluminium.

Les capsules doivent être avalées avec un grand verre d’eau, à la fin d’un repas, sans être croquées, sucées ou mâchées.

→ Ne pas répéter une prise, même en cas de vomissements précoces (l’absorption du principe actif étant rapide), ni augmenter le nombre de capsules pour rattraper un oubli.

→ Prendre le traitement prophylactique antiémétique 1 heure avant Navelbine.

À RETENIR

Les vinca-alcaloïdes sont neurotoxiques et entraînent fréquemment une constipation.

ATTENTION

Lorsqu’un patient sous chimiothérapie présente de la fièvre, il est impératif qu’il consulte son médecin rapidement.

Risques infectieux liés à la chimiothérapie anticancéreuse

La neutropénie chimio-induite représente, par ses complications infectieuses, une menace pour le bon déroulement du traitement.

Lorsque le nombre de polynucléaires est inférieur à 1 000/mm3, deux situations peuvent être envisagées :

→ en cas de neutropénie sans signe infectieux : le patient reste à son domicile et surveille sa température ;

→ en cas de neutropénie avec fièvre associée : l’hospitalisation peut être justifiée pour rechercher l’étiologie infectieuse et instaurer une antibiothérapie à large spectre. Le malade est alors placé en chambre individuelle avec des précautions d’asepsie.

La prévention du risque infectieux repose sur l’utilisation de facteurs de croissance leucocytaire (Neupogen, Neulasta ou Granocyte) et sur la mise en pratique de certains conseils :

→ éviter l’exposition au froid,

→ éviter les endroits très fréquentés, le contact avec un entourage malade et les animaux,

→ se laver soigneusement les mains et les dents,

→ bien laver les crudités, bien faire cuire la viande, éviter les pâtisseries à base de crème, la mayonnaise, les fromages au lait cru, la charcuterie,

→ porter des gants pour jardiner ou bricoler, ne pas marcher pieds nus,

→ être à jour de ses vaccinations,

→ respecter le rythme des NFS et consulter en cas de fièvre.

ATTENTION

Le millepertuis, certes en vente libre, est un inducteur des cytochromes : avant de le délivrer, il faut envisager les interactions possibles.

À RETENIR

L’imatinib peut diminuer le métabolisme du paracétamol. Il faut éviter les fortes doses de cet antalgique.

ATTENTION

L’association d’antisécrétoires gastriques (IPP et anti-H2) aux inhibiteurs des tyrosines-kinases n’est pas recommandée.

ATTENTION

L’administration du méthotrexate per os est hebdomadaire.

ATTENTION

Certains anticancéreux sont photosensibilisants : notamment méthotrexate, fluoro-uracile, certains vinca-alcaloïdes et certains inhibiteurs des tyrosines-kinases.

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !