Entre dentistes polonais et juges luxembourgeois - Le Moniteur des Pharmacies n° 2820 du 06/03/2010 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2820 du 06/03/2010
 

Enquête

Même malades, les Européens sont bien décidés à profiter de la libre circulation en Europe et à faire jouer les règles de l'économie de marché. Au risque de défier la souveraineté des Etats membres dans le domaine de la Santé.

Une prothèse espagnole, des implants dentaires en Hongrie ou mammaires en Croatie... Il est aujourd'hui possible à chacun des 480 millions d'Européens de faire son marché dans l'un ou l'autre des 27 pays de l'Union Européenne. Mais, ils devront se dépêcher s'ils veulent profiter des dernières occasions de remboursement. Car, le 1er décembre dernier, jour de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, cinq pays de l'Est et du Sud de l'Europe dont l'Espagne et le Portugal ont rejeté le projet de loi communautaire sur la libre circulation des malades en Europe. Ce div pourtant farouchement défendu comme une priorité par la présidence suédoise, visait à clarifier les droits aux remboursements des frais médicaux engagés dans un pays tiers membre de l'Union Européenne.

Une réalité européenne

« C'est un triste moment pour les patients. Ce sont les principaux perdants car nous avons raté une chance de renforcer leurs droits au traitement de leur maladie dans un autre État membre et d'être remboursé », a conclu dépitée, Androulla Vassiliou, la commissaire européenne à la Santé. Déjà, Markos Kyprianou, son prédécesseur avait fait de ce dossier son cheval de bataille. Pour Bruxelles, il s'agissait en effet d'entériner au plus vite une situation de fait, créée par les multiples jugements rendus au Luxembourg, par la Cour européenne de Justice (CEJ). Saisie par de nombreux citoyens européens, elle leur reconnaît très souvent le droit à se faire soigner dans un état membre pour ensuite se faire rembourser par leur pays d'origine et au tarif en vigueur dans celui-ci. Le jugement Watts, du nom de cette Britannique qui s'était fait poser une prothèse de la hanche en France, mais aux frais du NHS, - la sécurité sociale de son pays -, fait jurisprudence depuis 2006. Aujourd'hui, le tourisme médical correspond à une réalité européenne. A titre d'exemple, sur ses quelque 680 000 adhérents à s'être fait soigner à l'étranger en 2007, « seuls 60 % relevaient d'une urgence », note la Techniker Krankenkasse (TK), deuxième caisse d'assurances allemande. Même si le tourisme médical n'équivaut aujourd'hui qu'à 1 % des remboursements européens, l'industrie du tourisme médical (prestations remboursées et non remboursées) devrait selon le consultant Mc Kinsey, passer à 78 milliards d'euros en 2012 contre 32 milliards en 2004. A la même date, les sondages révélaient que deux tiers des Européens (à l'exception des seniors français et allemands) étaient prêts à se faire soigner dans un autre pays, pour peu que leur assurance prenne les frais en charge. Cette démarche peut être motivée par la lenteur des systèmes de santé saturés comme en Grande-Bretagne, par l'absence de certains équipements dans des états à taille réduite (Malte ou Chypre) ou tout simplement pour des raisons de coûts quand le ticket modérateur est élevé.

Ce tourisme médical là ne concerne pas la procréation assistée, les bébés Thalys, ni l'IVG et encore moins l'euthanasie. Mais tout simplement des soins dentaires ou orthopédiques, obtenus plus rapidement et à moindres coûts dans un autre pays de la communauté européenne. Si les cliniques du Nord de la France ont les faveurs des patients britanniques (Eurostar oblige), les préférences des autres patients vont à l'Est et au Sud-Est européens, notamment les pays de l'ancien bloc soviétique, où à formation équivalente à celle de leurs homologues occidentaux, les personnels médicaux travaillent pour moitié moins cher. Des régions d'Europe se sont d'ailleurs véritablement spécialisées dans ce tourisme spécifique : villes d'eau tchèques renommées mais aussi Pologne ou Hongrie, où des cliniques dentaires dernier cri fleurissent. Sur des sites internet rédigés en anglais, allemand, italien ou même en norvégien, elles proposent des implants pour moins de la moitié du tarif en vigueur chez leurs confrères occidentaux. Ainsi, l'Anglais y déboursera-t-il 830 livres pour un implant qu'il paierait 2 000 livres chez lui. De même, selon une étude de l'université économique de Vienne, les Autrichiens eux-mêmes sont plus de 100 000 chaque année à se refaire les dents dans ce qui fut jadis une partie de l'empire austro-hongrois. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les soins dentaires, prestations mal remboursées par les systèmes de santé européens, sont le premier motif de ces voyages.

Liste d'attente au soleil

D'ailleurs, ces consultations sont soutenues activement par les caisses d'assurances maladie des pays voisins qui y voient une source d'économies substantielles. Plus le système de couverture santé d'un pays est morcelé et plus les accords bilatéraux entre prestataires et caisses étrangers sont possibles. C'est le cas de l'Allemagne qui dispose de 230 caisses. A titre d'exemple, la TK a conclu des contrats avec 71 cliniques de quatre pays limitrophes à l'Allemagne et avec 26 centres thermaux d'Europe de l'Est et d'Italie. La caisse AOK du Brandebourg a quant à elle, signé un contrat avec la clinique dentaire polonaise Medpolska. La délocalisation de leurs malades n'est en revanche pas toujours du goût des praticiens des pays d'origine. Cependant, il arrive aussi que la coopération transfrontalière s'opère à leur avantage. En témoignent, les accords cadre transfrontalier de coopération sanitaire qui peu à peu gomment la frontière entre Mouscron, en Belgique et Tourcoing, entre la Lorraine et la Sarre, Menton et Imperia ou encore le Schleswig-Holstein et le Danemark. Le dernier avatar du tourisme transfrontalier est le projet de centre hospitalier universitaire commun à Aix-la-Chapelle et à Maastricht, un modèle unique en Europe, soutenu par les caisses d'assurances régionales et qui, s'il voit le jour, sera un pied de nez aux cinq ministres de la Santé qui ont refusé de ratifier le projet de loi en décembre dernier.

A leur corps défendant, il faut ajouter qu'ils n'ont pas agi par seul souci de protectionnisme. Bien qu'ils y soient autorisés par le traité européen. Les Etats membres restent en effet souverains en matière de santé et le principe de subsidiarité prévaut. Cependant, ce n'est pas un hasard si la résistance au projet de loi provient de pays du Sud et du Sud-Est de l'Europe, destination de prédilection de ces touristes requérant des soins particuliers. Ces hôtes mettent en effet en péril l'équilibre budgétaire des régions. C'est le cas en Espagne, où des milliers de touristes principalement britanniques, belges ou allemands profitent de leurs « vacances » pour se faire soigner gratuitement, aux frais des autorités sanitaires locales grâce à la carte européenne d'Assurance maladie. L'opération vaut le détour. Alors qu'il faut parfois des mois d'attente dans leur pays, l'Espagne ne les fait patienter en moyenne que 45 jours. Un « sacrifice » qu'acceptent bien volontiers ces retraités sous le soleil de l'Andalousie. Ou des Baléares, où la caisse allemande AOK dispose d'une antenne, Majorque étant ironiquement dénommé le dix-septième land allemand ! La seule région de Valence (Espagne) a eu ainsi à déplorer en 2006, pour 88 millions d'euros de coûts de santé « touristiques » alors que les fonds de solidarité versés par l'Etat aux régions autonomes pour la prise en charge de ces touristes étrangers ne s'élevaient qu'à 4 millions d'euros. Sur l'ensemble du pays, le gouvernement espagnol estime le coût du tourisme médical à un milliard d'euros par an !

De grandes différences de qualité des soins

Ces nouveaux nomades de la santé ne grèvent pas seulement les budgets des dépenses publiques de leur pays d'accueil, ils risquent aussi, comme c'est le cas en Espagne, de mettre en péril la qualité des soins des autochtones en engorgeant les services hospitaliers. A moins d'adopter la stratégie des pays de l'ancien bloc soviétique où le secteur privé explose littéralement. Le tourisme médical, s'il reste marginal dans certains pays comme la France, peut à terme provoquer un profond déséquilibre au sein des pays prestataires, voire une médecine à deux vitesses au sein de l'Europe. Seuls les personnes disposant de revenus suffisants pour financer leur déplacement auront accès à des traitements inexistants dans leur pays, ou encore seuls les malades favorisés pourront s'offrir des soins rapidement, tandis que leurs concitoyens se contenteront d'une liste d'attente... Certes, l'Europe a inscrit la libre circulation des personnes et des biens dans son traité fondateur. Mais, elle a aussi reconnu le droit aux soins dans sa charte des droits fondamentaux. Or, comme ne manque pas de le souligner la Commission européenne, de grandes différences de qualité des soins subsistent au sein de l'Union européenne : la Roumanie connaît 23 fois plus de cas de tuberculose que la Suède, pays où la prévalence du cancer du poumon est cinq fois moins élevée qu'en Hongrie.

Les médecins Ryanair, ces autres nomades

La fuite des médecins de certaines régions et leur concentration sur les métropoles ne sont pas un phénomène français. Le nomadisme des professions médicales s'opère à l'échelle européenne. La Grande-Bretagne fait face à la pénurie et recrute entre 45 et 80 livres l'heure pour ses gardes de nuit et de week-end, les praticiens des états membres. Les médecins allemands, découragés par la bureaucratie croissante de leur système de santé, sont parmi ceux à se laisser tenter. On les appelle les Ryanair Doctors, du nom de la compagnie à bas prix qui les dépose le jeudi sur le sol britannique pour les reprendre le lundi, lestés de quelque 3 000 euros d'honoraires. Et ce alors que des médecins tchèques sont appelés à la rescousse dans les Länder de l'Est de l'Allemagne, en proie à la désertification. Ce « tourisme médical » qui a même ses propres agences de recrutement, comme « Medical Transfer Services », risque de générer des flux migratoires paradoxaux, à l'origine de véritables déserts médicaux dans les pays d'Europe Centrale et Orientale. « Que deviendront dans ces pays les patients à revenus modestes, dans un système de santé dégradé avec juste les rares professionnels de santé qui n'auront pas migré vers des pays aux conditions de travail plus favorables ? », s'interroge le Dr Claude Wetzel, du CHRU de Strasbourg et président de la fédération européenne des médecins salariés (FEMS).

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