Ces labos qui squeezent l'officine - Le Moniteur des Pharmacies n° 2801 du 07/11/2009 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2801 du 07/11/2009
 

Enquête

Compléments alimentaires, dispositifs médicaux, produits diététiques... Certains produits ne passent pas ou plus par la « case officine ». La faute à qui ? Aux « méchants labos » ? Aux clients, qui y trouvent parfois leur compte ? Ou aux pharmacies, lesquelles se montrent de plus en plus sélectives dans leur référencement ?

La pratique est ancienne et parfois très fréquente selon les spécialités médicales concernées. Certaines ont donné lieu à quelques remous, d'autres semblent rentrées dans les moeurs. Ainsi, certains dispositifs médicaux utilisés en rhumatologie ne passent pas toujours par l'officine pour être délivrés aux patients. C'est le cas par exemple des produits injectables de viscosupplémentation destinés à soulager l'arthrose. « Mon rhumatologue vient de me prescrire des injections de Synvisc pour mon genou. Comme pour Adant, prescrit auparavant, je l'ai acheté par correspondance. Le spécialiste m'a remis un bon de commande sur lequel il avait coché le nombre de boîtes nécessaires et une enveloppe avec l'adresse du laboratoire. Je n'ai plus eu qu'à la poster, explique Léa, sexagénaire souffrant de gonarthrose. Mon rhumatologue m'a bien expliqué auparavant que je pouvais obtenir ce produit soit à la pharmacie, soit en commandant directement. Mais je trouve la seconde solution plus simple, cela m'évite de me déplacer et en plus comme il m'a avancé la première boîte, je préfère passer par lui. De toute façon, le prix est le même je pense... » Une pratique tout à fait légale puisqu'il ne s'agit pas de médicaments mais de dispositifs médicaux. La vente par correspondance est également utilisée pour écouler des compléments alimentaires ou des produits à visée diététique, en particulier les diètes protéinées.

« Les produits qui n'appartiennent pas au monopole peuvent être vendus en direct aux consommateurs par VPC ou via Internet, ou encore par d'autres établissements distributeurs, comme les paras, les herboristeries ou les magasins de diététique non soumis à la réglementation pharmaceutique, rappelle l'Ordre des pharmaciens. En revanche, les éventuelles recommandations ou remises de bons de commande par des prescripteurs sont à soumettre à l'appréciation des Ordres qui les concernent. La vente directe de médicaments par des laboratoires au public est évidemment interdite. A notre connaissance, aucune infraction n'a été signalée dans ce domaine du côté des industriels. »

L'Ordre des médecins, de son côté, condamne l'achat de prescriptions, sous quelque forme que ce soit (voir encadré p. 40). Avec des menaces de poursuites à la clé. Il y a quelques années, le Dr M., généraliste et nutritionniste installé à Lyon, a cru bon de passer un contrat avec Lipharco, une société qui distribue des produits diététiques et paramédicaux. Il s'est engagé alors à contribuer à leur promotion en proposant des bons de commande à ses patients. Petit détail : son épouse, ainsi que sa belle-mère, figuraient parmi les associés majoritaires de la société. Alerté, l'Ordre des médecins le condamnera finalement à une interdiction d'exercer de huit jours. Motif invoqué : infraction à l'article 23 du code de déontologie en vigueur à l'époque des faits, selon lequel « la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. »

L'article 19 du nouveau code de déontologie médicale reste sur la même ligne : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Est interdit tout procédé direct ou indirect de publicité ». Une infraction qui a valu deux mois d'interdiction d'exercer au Dr W., installé en Lorraine. Le praticien revendait à son cabinet des produits diététiques pour le compte d'un laboratoire qui lui laissait la marchandise en dépôt. En outre, il servait d'intermédiaire à la vente pour des produits de même nature commercialisés par un laboratoire dont sa femme était la gérante et ses enfants les associés...

Séduire les médecins coûte que coûte

Une des clés de la réussite pour ces sociétés qui cherchent à toucher directement le consommateur final est de « séduire » les médecins. Le mode opératoire est au départ similaire à celui utilisé pour la promotion d'un médicament. Le « visiteur médical » présente dans un premier temps son produit et ses avantages supposés. Il fournit également des outils de communication (des brochures, des leaflets d'information à remettre au patient...) qui reprennent l'essentiel de ce que le médecin devrait dire au patient concernant la pathologie en question. Idéal pour les praticiens débordés ! Ces supports d'informations sont accompagnés d'un bon de commande, d'un numéro de téléphone ou d'une adresse Internet permettant de commander directement le produit. Pour avoir composé certains de ces numéros, on apprend notamment que les prix pratiqués par les pharmacies sont plus chers et qu'il est plus intéressant de se procurer les produits directement auprès des sociétés en question ! Evidemment...

Selon les laboratoires et les produits concernés, plusieurs circuits de distribution peuvent fonctionner en parallèle. Pour reprendre l'exemple de la viscosupplémentation, ces produits peuvent aussi être achetés en officine. « En 2002, lors de la première prise en charge LPPR du Synvisc, nous en vendions environ 50 % en commande directe et 50 % à l'officine. Aujourd'hui, la tendance est à 20 % en vente directe et 80 % en officine », indique Marc Mullier, directeur de la business unit Bio Orthopédie de Genzyme qui commercialise, entre autres, Synvisc-One, dispositif médical utilisé dans la prise en charge de la douleur arthrosique. Car le but n'est pas toujours de « squeezer » l'officine. Nombre de laboratoires reconnaissent volontiers opter pour ce mode de distribution en raison des difficultés rencontrées au sein du circuit de distribution historique. Et en premier lieu pour se faire une place dans les rayons déjà surchargés. Dur, dur de se faire référencer quand on n'a aucune notoriété ! « Internet, et la vente directe en général, sont des moyens de pallier les dysfonctionnements que peut rencontrer une marque à l'officine, explique ce responsable d'une gamme de compléments alimentaires qui préfère rester discret. Lorsque vous lancez un nouveau produit par exemple, vous le présentez aux médecins qui le conseillent ensuite à leurs patients. Ceux-ci vont naturellement en officine pour demander le produit en question mais les pharmaciens ne l'ont pas encore référencé. Du coup, ils substituent par un autre complément alimentaire plutôt que de faire revenir leurs clients. Il n'est vraiment pas facile de s'implanter correctement dans le circuit de distribution pharmaceutique tant que l'on n'a pas de flux de ventes très importants. Même les grossistes rechignent à vous référencer. La visite médicale est plus facile à mettre en place, moins coûteuse et plus efficace. Les congrès nous permettent aussi de communiquer auprès des médecins. »

« Ceratins patients sont demandeurs »

Médecine esthétique, gynécologie, rhumatologie, médecine sportive..., en fonction de la cible (femmes enceintes, seniors...), les laboratoires soignent en effet leur image en participant aux congrès des différentes spécialités. Internet est un autre vecteur de communication de choix pour eux... à condition d'obtenir une caution médicale ! « Notre site Internet ne divulgue pas de conseils en ophtalmologie et notre service consommateur encourage les patients ayant des questions à se renseigner auprès de leur médecin, explique Fabienne Seccaud, chef de produits Oftadirect. Nous privilégions une communication vers les ophtalmologistes via notre réseau de visite médicale et nous sommes également présents lors des congrès. De plus les patients sont informés des modes de distribution lors de la prescription. » Mais ce chef de produit reconnaît volontiers les bénéfices de la vente directe : « C'est un moyen de différenciation dans un secteur très concurrentiel. Et puis certains patients sont demandeurs. »

Pour toucher le grand public, les marques n'hésitent pas non plus à se lancer dans des plans de communication au travers de mailings, d'insertions dans la presse grand public, etc. Ainsi Insudiet, l'un des premiers laboratoires à s'être lancé dans la diète protéinée, prônait jusqu'alors les bienfaits de la cooptation entre médecins. « Notre méthode a été créée par un médecin pour les médecins, explique Franck Tuloup, directeur général d'Insudiet. Notre réseau de visite médicale est constitué de dix médecins. Aujourd'hui, environ 1 500 praticiens proposent notre méthode. » Pourtant, la société n'hésite pas à se lancer dans une campagne de communication grand public, quitte à faire exploser son budget de communication en engageant deux millions d'euros pour de la publicité presse et radio, intensifier son démarchage par e-mail et améliorer son site Internet.

Comme toujours, l'argent est le nerf de la guerre. L'objectif avoué des laboratoires, grands ou petits, est de trouver des modes de distribution qui leur permettent de vendre avec la meilleure marge possible tout en proposant au client un prix... raisonnable ! Car en matière de santé, les consommateurs deviennent de plus en plus regardants sur la dépense.

Une meilleure prise en charge par VPC ?

« Lors de mon deuxième traitement pour mon genou, je suis allé à la pharmacie de mon quartier. Le pharmacien a passé commande, il m'a fallu revenir et en plus j'ai réglé pratiquement le double du prix précédemment payé, s'insurge Henry. Même avec les frais de port, je suis gagnant en renvoyant un bon de commande. En prime, j'ai été remboursé par la Sécurité sociale et ma mutuelle a pris en charge le complément sur présentation de la facture de mon premier traitement. A la pharmacie, n'ayant pas de facture, je n'ai pas pu me faire rembourser par ma complémentaire. » Prix et prise en charge : deux arguments massue ! Paradoxalement, hormis quelques exceptions, la plupart des sociétés se disent pourtant favorables à la vente en officine arguant de l'importance du conseil du pharmacien. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas inverser les rôles et être opportuniste ? Longtemps, la pharmacie a été pour certains laboratoires une rampe de lancement vers d'autres circuits de distribution concurrents. Il est peut-être temps de « récupérer » les produits qui se sont fait un nom sans la pharmacie...

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone les 19 et 20 novembre 2009 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d'affaires.

Une VPC bien implantée...

Des clients vous ont-ils déjà confié avoir acheté des produits de santé (compléments alimentaires, dispositifs médicaux) par correspondance ?

... qui apprend à séduire...

Si oui, vos clients étaient-ils satisfaits ?

... qui se développe...

Est-ce, selon vous, une pratique qui a tendance à ?

... et sait s'adjoindre les médecins

Est-ce que des médecins proches de votre officine proposent à leurs patients d'acheter directement auprès de laboratoires des compléments alimentaires ou des dispositifs médicaux ?

Evincer l'officine pour marger

Pour quelle raison, à votre avis, des laboratoires utilisent-ils la vente par correspondance à destination des patients ?

L'Ordre des médecins condamne ces pratiques

Si l'Ordre des médecins reconnaît volontiers la possibilité pour une marque de produit de santé, autre que des médicaments, de choisir le circuit de distribution qu'il juge adéquat, pas question non plus de cautionner d'éventuels dérapages. « L'Ordre condamne fermement les pratiques de certains laboratoires qui offrent des avantages de quelque nature qu'ils soient aux médecins à condition de prescrire leurs produits. Ces derniers n'ont pas à percevoir de commissions, prévient le Dr André Deseur, conseiller national de l'ordre des médecins et médecin généraliste en Seine-et-Marne. Les confrères et consoeurs acceptant de telles offres s'exposent à des poursuites disciplinaires. Il existe d'ailleurs des affaires de ce type notamment dans le domaine de la diète protéinée. A titre personnel j'ai déjà été contacté il y a une dizaine d'années par une société qui, après m'avoir présenté divers produits de sa gamme, assortis d'un lot de bons de commande, me proposait un séjour dans un grand hôtel si je leur assurais un certain nombre de décisions. Bien entendu j'ai refusé l'offre. »

A la limite de la secte !

En 2000, madame D. appelle SOS Médecins. Elle est vue par le docteur Gérard A. qu'elle consultera plusieurs fois, puis par son épouse Jacqueline, également médecin. Quelques consultations plus tard, des relations de confiance se nouent entre les époux D. et le couple de médecins. Outre des soins d'acupuncture, ce dernier propose aux époux D. des bons de commande pour des compléments nutritionnels. Ils révèlent aussi leur appartenance à l'association Rencontres et découvertes et leur proposent de suivre des sessions dites de « sciences et pratiques énergétiques ». Selon la brochure de présentation, ces stages comprennent une partie théorique sur les connaissances énergétiques, suivies d'exercices pratiques qui, à les en croire, permettent « de prendre connaissance de son potentiel et des énergies de son environnement afin de les ressentir, de les utiliser, de les maîtriser ». Coût : 1 800 euros la session ! Sans compter la consommation conseillée de compléments nutritionnels des laboratoires Pharal, pour lesquels les époux D. reçoivent un bon de commande. Ils finiront (enfin !) par refuser de rejoindre un « groupe philosophique et de prières », intitulé l'« Ordre » !

Les deux médecins seront finalement sanctionnés par leur Ordre professionnel cette fois en 2005. Ce dernier ne retiendra toutefois pas les accusations d'invitation à rejoindre une secte estimant que les preuves n'étaient pas suffisamment établies. Griefs retenus : « Les Drs A. ont tiré parti des relations de confiance établies à l'occasion de l'exercice de leur activité médicale notamment, pour, d'une part, inciter M. et Mme D. à suivre des sessions rémunérées dites "énergétiques" et, pour, d'autre part, les inviter à consommer certains produits nutritionnels en leur remettant "un bon de commande". » Ils seront finalement interdits d'exercer pendant un an, dont six mois avec sursis.

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