Préparation plein tube

Tout matériel pour hospitalisation à domicile », « Fauteuils roulants », « Prothèses mammaires », « Prothèses capillaires », « Semelles orthopédiques », « Orthèses thermoformées »... Sur la devanture très commerciale de la Pharmacie de Paris, à Nantes, nul indice ne mentionne ce que les clients viennent y chercher et qu'ils ne trouveront pas ailleurs. Pourtant, au deuxième étage, existe depuis trois ans un préparatoire homéopathique très performant. « 90 % de nos ventes d'homéopathie proviennent de notre préparatoire, confirme Jean Tyssandier, le titulaire. Seuls les souches peu utilisées et les dilutions particulières ainsi que les collyres et les injectables homéopathiques sont commandés chez des fabricants. »

750 tubes de granules fabriqués quotidiennement

Le préparatoire homéopathique, d'une surface d'une dizaine de mètres carrés, a été conçu en concertation avec l'inspection de la pharmacie. Au moment de notre visite Virginie, la jeune préparatrice qui en a la charge, est en train d'élaborer une série de 30 tubes de granules d'Arnica 15 CH. « Nous fabriquons 25 séries de 30 tubes de granules par jour. Chaque série correspond à une souche et une dilution définies », précise-t-elle. Vêtue d'une blouse, de gants jetables, de surchaussures et coiffée d'une charlotte, Virginie pèse précisément 112 grammes de granules et les place dans un ballon en verre qu'elle fixe sur l'un des quatre pulvérisateurs situés sous la hotte. « Je commande un seau de 10 kilos de granules à mon fournisseur toutes les deux semaines », indique-t-elle. Pendant 400 secondes exactement, soit plus de 6 minutes, le pulvérisateur projette sur les granules brassés dans le ballon la solution diluée et dynamisée. Celle-ci est préparée à l'avance par la préparatrice à partir de la teinture mère qu'elle commande auprès de son fournisseur. Parallèlement, un ventilateur sèche la solution alcoolisée.

Virginie conditionne ensuite les granules dans les tubes. « Ils sont choisis en respectant le code couleur du laboratoire leader pour que les patients ne soient pas perdus », poursuit-elle. Elle procède de la même manière que le remplissage des gélules, « en prenant soin de ne pas toucher les granules », insiste-t-elle. Virginie colle enfin des étiquettes qu'elle a préalablement imprimées, mentionnant le nom de la pharmacie, ses coordonnées, le nom de la souche, sa dilution, la date de péremption et le numéro de lot. « Pour la traçabilité, nous gardons pendant cinq ans un tube de chaque lot fabriqué », explique la préparatrice. A la fin de cette réalisation qui dure une vingtaine de minutes environ, elle place le ballon et l'embout qui a servi à la pulvérisation dans le stérilisateur qui fonctionnera cette nuit.

Virginie fabrique des granules, des doses, des suppositoires - notamment des suppositoires adaptés aux nourrissons pour soulager leurs douleurs dentaires - ou encore de la pommade Castor equi conseillée pour les crevasses des mamelons. Ces préparations sont réalisées selon les bonnes pratiques de fabrication établies lors de la création du préparatoire. Sur les 48 employés (dont 14 pharmaciens) que compte cette grande pharmacie de centre-ville, seulement deux préparatrices sont formées et habilitées à fabriquer des préparations homéopathiques. « Une préparatrice a été formée pendant quatre jours lors de l'installation du préparatoire, puis cet apprentissage s'est transmis de préparatrice en préparatrice », raconte Virginie tout en rangeant les tubes fabriqués dans les tiroirs derrière les comptoirs de vente.

Des patients invités à visiter le préparatoire

La qualité de ces préparations homéopathiques a nécessité un investissement financier conséquent : la machine a en effet coûté la bagatelle de 50 000 euros. Sans compter la création d'un espace spécifique et la mise en place d'une atmosphère positive qui évite aux poussières et contaminants d'entrer dans la pièce. Mais cet investissement en vaut la peine. « Le nombre de tubes de granules vendus ne cesse d'augmenter et le coût de fabrication a été réduit de 30 %, détaille Jean Tyssandier. Et la demande s'accroît aujourd'hui avec la vague du bio et des médecines douces. »

Mais la rentabilité ne fut pas immédiate. « Sans publicité, y compris à l'intérieur de la pharmacie, nous avons commencé par proposer des souches couramment délivrées comme Arnica montana, à raison de une à deux souches par ordonnance », poursuit Jean Tyssandier. L'équipe officinale a en effet dû convaincre les patients que la qualité en termes de fabrication et d'hygiène était la même que celle garantie par les grands fabricants d'homéopathie. « Nous avons invité certains patients à visiter notre préparatoire pour les rassurer. Maintenant, ils sont contents, se réjouit le titulaire. Nous avons beaucoup de souches, et ce dans toutes les dilutions : nous couvrons aujourd'hui 95 % des demandes. »

Virginie ajoute : « Nous réévaluons la liste de nos souches disponibles tous les six mois afin de répondre au mieux aux demandes les plus courantes : le nombre de souches est ainsi en augmentation. Et, en cas de préparation particulière, le délai d'attente est beaucoup plus court : une à deux heures contre vingt-quatre heures au minimum lorsque les tubes sont commandés auprès des laboratoires. »

Un local stérile en projet pour les collyres et les injections

La pharmacie compte aujourd'hui comme clients réguliers les centres de protection maternelle et infantile et le FC Nantes Atlantique qui en commande 60 tubes de diverses souches par mois pour ses footballeurs. Jean Tyssandier est bien sûr ravi de satisfaire ses patients. « Je n'ai pas créé un préparatoire pour la rentabilité, mais parce que je veux développer tout ce que le pharmacien a le droit de commercialiser. Et c'est notre coeur de métier de faire des préparations. J'ai toutefois tenu autant à développer l'allopathie que l'homéopathie. » La décision d'installer le préparatoire d'homéopathie avait été prise lors de la complète réfection du préparatoire. Actuellement, l'homéopathie ne représente que 2 à 3 % du chiffre d'affaires de la pharmacie qui s'élève à 12 millions d'euros par an. Mais Jean Tyssandier ne compte pas en rester là : il envisage, dès que la législation le lui permettra, de faire des préparations de collyres et d'injectables homéopathiques qui nécessiteraient l'installation d'un local stérile.