A la santé des ex-toxicos ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2779 du 09/05/2009 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2779 du 09/05/2009
 

TOULOUSE

Initiatives

Rose-Marie Pillas suit plus de 50 patients sous traitement de substitution. Membre de Passage Réseau Addictions 31, la titulaire a su insuffler à son équipe la rigueur et l'humanité que requiert cette activité.

A chacun sa croisade. Celle de la Pharmacie Jeanne d'Arc, dans le centre-ville de Toulouse, est le suivi de patients substitués aux opiacés. Pourtant, rien n'y prédisposait Rose-Marie Pillas et son associée Catherine Le Morton (par ailleurs députée PS). « Cathy et moi arrivions de nos banlieues bon chic bon genre. J'étais assistante dans une pharmacie où je n'avais jamais vendu une boîte de Néo-Codion ni vu un délinquant ! », plaisante Rose-Marie Pillas.

Lorsqu'elles s'installent en 1994 dans cette officine, les deux titulaires découvrent la marginalité, la toxicomanie et les sans-domicile-fixe. Confrontées aux demandes incessantes de Survector, aux invectives d'une population fragilisée qui franchit chaque jour les portes de leur officine, elles veulent faire quelque chose. Rose-Marie suit une première formation sur la toxicomanie. Puis adhère à Passage Réseau Addictions 31 (1) (« en même temps qu'arrive sur le marché le Subutex »). Rose-Marie y fera la connaissance des médecins impliqués et de quelques collègues pharmaciens qui, comme elles, ont décidé d'accompagner ces populations en difficulté.

« C'est une des seules officines toulousaines à proposer gratuitement des kits d'injection », fait remarquer Laurent. Tous les matins depuis 8 ans, « Lolo », comme l'appelle Rose-Marie, vient boire ses 75 mg de méthadone à la pharmacie... et un café. « Avant, j'étais SDF et Rose me gardait mon traitement parce que je pouvais me le faire braquer, raconte Laurent. Maintenant que j'ai un appart, je continue de venir parce que cela m'oblige à me lever le matin. »

Empathie ne signifie pas complaisance

« Lolo est le seul à m'appeler Rose », confie la fan de Springsteen, chez qui le tutoiement est de rigueur. « Mon fils de 20 ans est effaré quand il me voit faire la bise dans la rue à un SDF, s'amuse-t-elle. Les traitements de substitution ont permis à de nombreuses personnes de sortir de la rue, de se sociabiliser, comme Laurent, et leur rapport aux autres s'en est trouvé modifié. »

Mais certains continuent leur galère sur les trottoirs de ville. Si la titulaire n'hésite pas à soigner, à donner des échantillons aux plus démunis, ou à autoriser un illuminé qui se prend pour l'antéchrist à se raser à l'officine, elle offre un cadre salvateur à ceux qui voudraient profiter de son humanité. « Rose m'a engueulé de nombreuses fois », reconnaît Laurent, qui errait parfois entre méthadone et héroïne. Car Rose-Marie n'est jamais complaisante, même si elle a déjà ouvert son officine un dimanche pour délivrer son traitement à une patiente sous protocole. « Un chevauchement, c'est un chevauchement. S'ils menacent, ils prennent la porte ! », affirme la pharmacienne, qui se souvient de cet homme qui justifiait ses « embrouilles » de traitement parce que sa mère venait de mourir. « Mais tu l'as déjà enterrée l'année dernière ta maman », avait-elle riposté de sa voix éraillée. Son lien avec les médecins du réseau lui permet de les contacter au moindre souci et d'orienter rapidement un patient vers l'un d'entre eux pour régulariser une prescription. Ce tissage facilite également son intervention en cas de dérapage.

« Le générique du Subutex est moins facile à injecter »

Rose-Marie est en relation permanente avec un des médecins du réseau installé à quelques dizaines de mètres de la pharmacie. « On se tient au courant. Quand l'équipe trouve un patient un peu déprimé ou lorsque je constate que l'un d'entre eux a perdu beaucoup de poids, j'appelle le docteur Puget et l'incite à aborder la question lors de la prochaine consultation. »

Mais point de délation ou de manque de respect. Même face à un jeune homme « substitué » qui demande un kit d'injection. « Le patient est un adulte à qui je ne vais pas faire la morale, ce n'est d'ailleurs pas mon style, mais s'injecter de l'héroïne alors qu'on est substitué est un acte qui n'est jamais anodin. Alors, j'ouvre le dialogue... » Si un patient a des « mains de Popeye » (2) à cause des injections de Subutex à côté d'une veine, elle l'exhorte à consulter. « S'il n'a pas envie de le dire à son médecin, je l'engage à aller voir rapidement quelqu'un d'autre... » Sans se mêler de ce qui se passe dans l'intimité du cabinet médical.

Rose-Marie tait les motivations des rares praticiens du réseau qui inscrivent « non substituable » sur l'ordonnance, mais elle vilipende ceux qui le font par complaisance. « Avec un Subutex de 8 mg, tu peux préparer 4 shoots de 2 mg. Le générique est plus petit donc plus difficile à fractionner. Et il est moins facile à injecter », informe Laurent, qui explique que pour s'injecter le sirop de méthadone, il faut séparer le sucre en le faisant cristalliser au congélateur, confiant que les gélules de méthadone sont déjà sur le « marché de la rue ». Les anciens ou futurs anciens toxicomanes sont une mine d'informations pour la titulaire : « Nous apprenons des tas de choses, même comment s'évader de prison ! »

La CPAM envoie les cas difficiles à la Pharmacie Jeanne d'Arc

Parmi la centaine de pharmacies répertoriée par Passage Réseau Addictions 31, seule une poignée s'implique et se rend aux réunions trimestrielles. L'image de « pharmacie de toxicos » colle à la peau de la Pharmacie Jeanne d'Arc. Une notoriété qui arrange bien la caisse primaire d'assurance maladie puisqu'elle lui envoie les cas les plus difficiles.

De même, Rose-Marie n'hésite pas à signaler les abus de prescripteurs ou les patients en errance. Mais elle pointe les remontrances de la caisse pour la moindre erreur de facturation. « Je lui ai dit un jour qu'elle n'avait qu'à éparpiller toute cette population que personne ne veut prendre en charge, et qu'elle ne nous emmerde pas pour quelques Renutryl facturés de trop ! » Le caractère bouillonnant de la titulaire s'accommode tant bien que mal des règles strictes, mais elle joue le jeu et n'hésite pas à avertir la caisse quand elle dépanne.

Jamais découragée, Rose-Marie insiste sur le rôle prépondérant de son équipe. Roselyne, Souad, Martine, Marie et Mélanie, toutes « assurent », soudées par un même esprit d'ouverture. « Nous avons créé des liens affectifs et leurs galères ne nous laissent jamais indifférentes. Mais il est frustrant et parfois cela me chagrine de voir que la majorité patine. En quatorze ans, je n'en ai vu qu'un seul s'en sortir définitivement. » Mais peu importe, à la Pharmacie Jeanne d'Arc personne ne baisse les bras. Parce que la substitution, ça marche. La preuve ? Laurent et tous les autres...

(1) Contact : 05 34 55 97 75. E-mail : pra.31@orange.fr.

(2) Jargon des toxicomanes. L'injection de Subutex peut entraîner des abcès et des oedèmes des mains et des avant-bras.

Envie d'essayer ?

Les avantages

- Etablir des relations avec des personnes que l'on n'aurait jamais côtoyées par ailleurs.

- La satisfaction personnelle de se dire que l'on n'est pas là simplement pour vendre des médicaments.

Les inconvénients

- Les relations au comptoir peuvent parfois être conflictuelles voire agressives.

- Lorsque des personnes SDF entrent dans l'officine avec leurs chiens et leurs odeurs, cela fait fuir certains clients.

Les conseils de Rose-Marie pillas

- « S'impliquer dans la substitution nécessite de l'humanité, c'est tout. Et une certaine ouverture d'esprit. »

- « Toute l'équipe doit être impliquée, c'est vital pour gérer les choses correctement. »

- « Entrer dans un réseau et côtoyer les prescripteurs facilite le dialogue et la délivrance d'ordonnances. Mais ce n'est pas indispensable pour se former, on peut apprendre et s'informer grâce à la presse spécialisée et aux partenaires (la Sécurité sociale, pour la législation, et les laboratoires). »

- « Ne pas hésiter à appeler la Sécurité sociale en cas de délivrance exceptionnelle pour un patient sous protocole - qui doit se servir obligatoirement dans une pharmacie - afin de vous couvrir. Demander toujours un fax de confirmation. »

Prévoyez-vous de fermer votre officine le 30 mai prochain en signe de protestation ?


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