Très chers médicaments - Le Moniteur des Pharmacies n° 2776 du 18/04/2009 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2776 du 18/04/2009
 

Enquête

Les médicaments chers prennent de plus en plus de poids à l'officine. Pour les pharmaciens qui ont la chance d'en délivrer, ils représentent un réel bonus pour l'économie de leur entreprise ! En effet, les sorties de la réserve hospitalière rapportent à elles seules entre 14 et 16 millions de marge chaque mois. Dommage que cela ne profite pas à l'ensemble du réseau. Et qu'il faille le plus souvent passer par la case hôpital.

Le marché des médicaments chers grossit. Fin 2008, 218 médicaments dépassaient le chiffre fatidique des 150 Û PFHT. L'an dernier, leurs ventes ont approché les 6 millions d'unités, pour un chiffre d'affaires en officine d'environ 3,44 milliards d'euros. Elles ont rapporté au réseau 244 millions d'euros de marge. « Sur les trois dernières années, les quatre indices clés que sont le CA, la marge, la quantité et le nombre de présentations ont été multipliés par 2,5, indique Philippe Besset, président de la commission Economie de la FSPF. La plupart des médicaments chers sont issus de la réserve hospitalière. »

Mais plus les années passent, moins elles sont fécondes en sorties de la réserve hospitalière (SRH). Celle-ci s'épuise et ce statut particulier se perd donc avec le temps. En volume, les SRH font figure de poids plume (1,2 million d'unités vendues par mois en moyenne, soit 0,5 % du marché du remboursable). En valeur, les chiffres sont en revanche beaucoup plus consistants (CA mensuel de 180 MEuro(s) en moyenne, environ 2,4 milliards sur 12 mois, soit 8 % du CA total remboursable). Preuve, s'il en était encore besoin, que la SRH reste, malgré tout, une source importante de produits chers. Les ventes mensuelles rapportent tout de même au réseau entre 14 et 16 millions d'euros suivant les mois (soit une contribution à la marge totale du médicament remboursable de l'ordre de 3 % à 3,5 %). L'enveloppe plus large des médicaments chers (qui englobe donc la SRH) réalise à peine plus en parts de marché en volume, mais est encore plus considérable en CA (3,4 milliards sur l'année, plus de 10 % du CA annuel total remboursable).

D'après l'USPO, les produits chers font glisser la marge de l'officine de 0,3 point par an. Néanmoins, ils permettent aussi de mettre du beurre dans les épinards. « L'année 2008 a été mauvaise pour l'économie de l'officine, mais elle l'aurait été encore plus si les génériques et les médicaments chers n'avaient pas amorti le choc, déclare Gilles Bonnefond, président délégué du syndicat. Sans eux, nous serions en état de catastrophe économique ! » Philippe Besset confirme que les médicaments chers et les génériques sont les deux seuls facteurs de croissance de l'économie de l'officine. « Mais, contrairement au générique, le développement du CA afférent à ces médicaments n'est pas fonction de l'action volontaire du pharmacien. » Alors que l'année 2009 s'annonce au moins aussi difficile que 2008 sur le plan économique, sinon plus, les médicaments chers sont donc toujours les bienvenus en officine.

Une enveloppe inégalement répartie entre officines

Pour Philippe Besset, le marché des médicaments chers s'apparente à une grande loterie, les pharmacies situées sur le parcours du patient, entre l'hôpital et la porte de son domicile, ayant le plus de chances d'en délivrer : « Il reste une importante dispersion de ce CA entre les officines, tous les pharmaciens n'en bénéficient pas, indépendamment de leurs aptitudes et compétences à délivrer des médicaments chers. »

Oui mais... Après initiation de leur traitement à l'hôpital, les patients renouvelleraient le plus souvent leur ordonnance chez leur pharmacien habituel. « Les renouvellements par les pharmacies de proximité ont permis une répartition plus homogène des ventes de médicaments chers entre les officines, constate, à l'inverse, Gilles Bonnefond. En comparaison, les ventes de Subutex et de méthadone chez les patients toxicomanes sont beaucoup plus concentrées. » Claude Japhet, président de l'UNPF, ne partage pas du tout cet avis : « Plus les médicaments sont chers, plus il y a des disparités entre les officines. » Selon lui, les pharmacies proches de centres hospitaliers et de cliniques tirent mieux leur épingle du jeu. « Les patients avec des thérapeutiques lourdes et coûteuses sont suivis de façon très étroite par le médecin hospitalier qui rédige une prescription à chaque consultation », explique-t-il. Il paraît plus simple, en effet, pour le patient quand il sort de l'hôpital de se procurer ses médicaments à la pharmacie d'en face dans la mesure où celle-ci adapte ses stocks à la demande. Si, d'une façon générale, Yannick Piljean, expert-comptable, directeur de KPMG Lorient, qui a mené une étude sur 163 pharmacies, ne remarque pas chez ses clients une forte progression des ventes de médicaments chers en région Ouest, il s'accorde aussi à dire qu'« il y a toujours des exceptions », en faisant allusion à l'un de ses clients pharmaciens qui commence depuis peu à délivrer un nouveau traitement anticancéreux (Sutent) et une trithérapie.

Une marge de 6 %, ce n'est pas trop cher payé

En juin 2008, la répartition pharmaceutique a subi une baisse de marge sur une nouvelle tranche de MDL des produits de PFHT supérieurs à 400 Û (taux à 0 %). Pour l'instant, la pharmacie d'officine conserve sa marge réduite sur ces produits, mais le risque que les pouvoirs publics décident un jour de l'appliquer également à l'officine est réel. « La tentation est forte, reconnaît Gilles Bonnefond. La tranche au-dessus de 150 Û avait été créée avant les premières sorties de la réserve hospitalière. Avec une marge de 6 % en ville, l'officine coûtait moitié moins cher que l'hôpital qui touchait une marge de 15 % sur ces médicaments onéreux. Aujourd'hui, il est hors de question de baisser ce taux ou de créer une tranche supplémentaire avec un taux plafonné plus réduit, voire un taux zéro. »

La gestion et la dispensation des médicaments chers demandent une attention particulière à la fois sur la façon d'acheter et de dispenser. Ce sont des produits parfois très complexes, qui induisent une prise de risque pour le pharmacien et nécessitent une formation des équipes... Toutes ces contraintes et exigences mises bout à bout, les syndicats estiment donc qu'une marge de 6 % sur ces médicaments, ce n'est pas trop cher payé.

« Quand le pharmacien commande une ampoule à 1 200 Û pour un traitement de la DMLA, c'est à ses risques et périls, fait remarquer Claude Japhet. Lors des manipulations à l'officine, elle peut être cassée, le client peut aussi refuser le produit parce que, entre-temps, son traitement a été changé. Sur le plan professionnel, le pharmacien réalise un suivi thérapeutique et engage sa responsabilité lors de chaque délivrance. Cette marge est donc largement justifiée. »

La FSPF n'a pas non plus de revendication particulière quant à une revalorisation de la marge de la troisième tranche. « Le pharmacien touche sur les médicaments chers une marge qui nous paraît juste », déclare Philippe Besset, qui voit au travers de ces produits techniques un autre enjeu professionnel, en termes d'image. La FSPF souhaite d'ailleurs que les pharmaciens s'approprient davantage ces dispensations particulières. « Les médecins prescripteurs (notamment hospitaliers) et les fabricants ont besoin d'un retour d'informations sur la dispensation de ces médicaments en officine et les conditions d'observance. Un compte rendu adressé par le pharmacien pourrait ainsi attester qu'ils sont dispensés dans les meilleures conditions et, comme tout travail mérite salaire, justifier des honoraires à la charge du laboratoire. Avis aux demandeurs : pour gagner plus, les pharmaciens sont volontaires pour de nouvelles missions ! », lâche Philippe Besset. Dans l'idéal, ce « feedback » pourrait transiter par le dossier médical personnel le jour où il sera au point.

« Pourquoi retarder la mise sur le marché officinal ? »

Puisque la compétence du pharmacien est reconnue et que l'efficacité de sa dispensation est éprouvée sur la SRH, Philippe Besset s'interroge sur la nécessité de maintenir pour ces médicaments l'étape préalable du passage par la case hospitalière avant d'aller en ville. « Pourquoi retarder la mise sur le marché de produits qui sont bénéfiques à l'économie de l'officine ? Il n'y a plus lieu de faire attendre le patient et de le priver du confort d'un service de proximité... »

Titulaire à Roncey dans la Manche, Annie Walla n'a pas le sentiment de vendre plus ou moins de médicaments chers qu'auparavant. « Une ordonnance disparaît, une autre apparaît, ce juste équilibre fait que les ventes sont stables dans mon officine », constate-t-elle. Pendant un temps, la pharmacienne vendait beaucoup d'Aranesp mais aujourd'hui les ventes de médicaments chers, plus diversifiées, concernent de nombreuses classes thérapeutiques. Des médicaments de plus en plus complexes, une liste qui ne cesse ne s'étoffer... Annie Walla sait qu'une mise à jour régulière des connaissances est impérative pour permettre une dispensation et un suivi adéquats. Pourtant, au comptoir, elle ne consacre pas systématiquement plus de temps à les délivrer car il s'agit le plus souvent de renouvellements de traitements initiés à l'hôpital. « Je me sens parfois un peu légère au moment de dispenser certaines ordonnances, notamment de cancérologie. » Annie Walla concède qu'une formation lui ferait le plus grand bien, mais les contraintes de l'officine (éloignement, difficulté de se faire remplacer...) restent un obstacle. « Pour les anticancéreux, nous avons souvent affaire à des patients en fin de vie ou à un stade avancé de la maladie, il faut donc également être formé à l'accompagnement des malades. Sur cet aspect de la prise en charge, les formations en ligne n'offrent pas la même qualité que les formations traditionnelles. »

Jean-Marc Nouyrit, installé à Jallais dans le Maine-et-Loire, s'efforce de mettre à jour ses connaissances. « J'ai suivi la formation de l'UTIP, très orientée sur la pharmacologie, et celle, plus médicale, de laboratoires ; elles se complètent bien », indique-t-il. Environ une fois par semaine, ce pharmacien est amené à délivrer un produit technique et cher. Sans - comme Annie Walla - y passer forcément plus de temps qu'avec une ordonnance ordinaire. « Le problème ne se pose pas en ces termes, corrige-t-il. Le temps que je consacre à la délivrance d'un médicament d'exception est le même que pour une ordonnance classique de 7 produits, mais l'objectif est de mieux consacrer ce temps aux aspects techniques et humains de cette délivrance. » Comme bon nombre de ses confrères, Jean-Marc Nouyrit raisonne en taux de marge et ne convertit pas la rentabilité exprimée en pourcentage en espèces sonnantes et trébuchantes. Mais, tout bien considéré, pour lui « toute marge supplémentaire sur le médicament est bonne à prendre dans le condiv déflationniste actuel. On ne va pas cracher dans la soupe et soutenir que la vente de médicaments chers ne nous intéresse pas ! ».

15 000 euros d'antirétroviraux immobilisés en stock

Exerçant à proximité de plusieurs hôpitaux de Paris, un pharmacien parisien, qui souhaite garder l'anonymat, réalise 15 % de son chiffre d'affaires en vigneté avec les médicaments chers, soit encore 10 % de son chiffre d'affaires global : « J'ai toujours eu un stock important - même s'il me coûte cher en immobilisation financière - afin de répondre aux demandes de mes clients, y compris dans les cas d'urgence. » Par exemple, 15 000 Û sont immobilisés en stock rien qu'avec les antirétroviraux, et le titulaire parisien a pour principe de rentrer en stock un médicament cher dès lors qu'il en vend une unité par semestre. Récemment, il a délivré en une fois six mois de traitement de Sandostatine à un ressortissant libanais qui rentrait dans son pays. Coût de la facture : 3 400 euros.

Très souvent, il téléphone directement au service livraison du grossiste pour s'assurer que le produit de la chaîne du froid commandé est bien dans son bac et sur le point de partir. Il ne compte plus les déplacements personnels parce que le patient a besoin d'avoir son médicament immédiatement, dès sa sortie de l'hôpital. Enfin, la complexité des traitements appelle nécessairement une plus grande coordination des soins, un rapprochement entre professionnels de santé, un dialogue nourri et des contacts plus étroits avec des médecins prescripteurs qu'il connaît bien. Tout cela concourt à un investissement personnel encore plus important pour devenir l'interlocuteur naturel des patients cancéreux ou porteurs du VIH. « C'est un état d'esprit, résume le pharmacien parisien. La dispensation de médicaments vitaux répond à un mode affectif, lié à l'impact psychologique de la maladie du patient. »

Les exigences en matière de compétences que l'on retrouve dans les différences disciplines médicales concernées (cancérologie, hépatologie, infectiologie...) montrent bien que la dispensation de médicaments techniques et chers n'est ouverte qu'à des professionnels spécifiquement formés et entraînés. Aux premières heures des sorties de la réserve hospitalière, ce pharmacien n'était pas totalement néophyte en l'espèce. « J'ai participé aux travaux de la commission chargée d'étudier la liste des médicaments de rétrocession hospitalière et ceux éligibles à une sortie en ville. »

Des honoraires permettraient d'avoir du stock

Aujourd'hui, ses ventes de médicaments chers continuent à progresser et il ne se passe pas un jour sans qu'il en délivre au moins un. S'occupant de patients toxicomanes, il gère logiquement beaucoup de traitements anti-VIH mais aussi des médicaments orphelins dans le cadre de protocoles rédigés par l'hôpital Necker pour des enfants atteints de maladies rares. Les maladies hépatiques et cancéreuses sont également bien représentées dans les prescriptions hospitalières honorées dans sa pharmacie.

Attention cependant ! Stocker des produits chers et de faible rotation n'est pas sans danger pour la trésorerie de l'officine. Ce pharmacien parisien trouve qu'une revalorisation de la rémunération, peut-être sous la forme d'honoraires, serait une juste contrepartie. Si elle ne devait jamais voir le jour, il craint qu'avec des difficultés économiques de plus en plus prégnantes, de moins en moins de pharmaciens puissent se payer le luxe de référencer des médicaments onéreux. Qui en fera alors les frais ? Les patients, forcément.

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone entre le 23 et le 25 mars 2009 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d'affaires.

Des délivrances fréquentes

Conditionnements trimestriels mis à part, vous délivrez des médicaments chers (plus de 150 euros) :

Cancérologie et en hématologie en tête

Principalement dans quel domaine thérapeutique :

De plus en plus

Avez-vous le sentiment d'en délivrer de plus en plus ?

Le dilemme du stock

En avez-vous certains en stock ?

Un petit peu de tout

Si oui, dans quel domaine thérapeutique ?

Pas si chronophage

Quand vous les délivrez, vous y consacrez :

Plus de sous SVP !

Vous sentez-vous correctement rémunéré (en euros) sur ces médicaments ?

Connaissance correcte, sans plus

Avez-vous l'impression de bien connaître ces médicaments ?

Ceux qui se forment et les autres

Avez-vous suivi une formation spécifique sur certaines classes concernées ?

Des patients informés

Vos patients sous ce type de traitement vous semblent :

Gros chiffre, petit pourcentage

Combien représente cette activité dans votre chiffre d'affaires ?

L'avenir leur appartient

Inéluctable. Les médicaments chers feront de plus en plus partie du paysage des officines du fait du vieillissement de la population. Aujourd'hui, 5 millions de Français ont plus de 75 ans, en 2020 on estime qu'ils seront 11 millions. Cette donnée démographique aura un fort impact sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie et sur les orientations futures des négociations sur la rémunération. A n'en pas douter, le sort de la marge sur les produits chers pèsera lourd dans les discussions avec les pouvoirs publics.

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