« Le commerce associé est une arme efficace contre la grande distri bution » - Le Moniteur des Pharmacies n° 2736 du 28/06/2008 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2736 du 28/06/2008
 

INTERVIEW PHILIPPE MOATI

Cahier spécial

Marché 2007

Libre accès à l'OTC, monopole officinal menacé, injonction européenne sur l'ouverture du capital... Face aux incertitudes qui pèsent sur la profession, l'économiste Philippe Moati, directeur de recherche au CRÉDOC, trace de nouvelles pistes de développement du commerce. Et, en particulier, de l'officine si la vente de médicaments venait à se libéraliser.

« Le Moniteur » : Comment se porte le commerce indépendant ?

Philippe Moati : Le commerce indépendant a d'abord bénéficié de la réglementation, avec la loi Galland, qui a permis de resserrer l'écart des prix entre les hypermarchés et les commerces de centre-ville. Ensuite, un nombre croissant de consommateurs est aujourd'hui réfractaire aux grands hypermarchés, en opposition aux nouvelles valeurs de convivialité et d'authenticité qu'il défend. Cela crée un condiv favorable qui pourrait permettre aux commerces indépendants de mieux résister.

Un accroissement de la concurrence permettra-t-il de doper la croissance du marché ? Et la loi de modernisation de l'économie va-t-elle dans ce sens ?

Le commerce est en train de vivre une révolution. Je suis convaincu qu'une plus forte concurrence pourrait apporter un peu d'oxygène à des positions concurrentielles jusque-là figées. Cela permettra de faire émerger de nouveaux acteurs et d'inciter les commerces existants - y compris la grande distribution - à se remettre en cause. Cela ne peut être que bénéfique pour créer le commerce du XXIe siècle. S'il reste assez sage, le projet de loi sur la modernisation de l'économie, qui supprime les autorisations d'implantation pour les surfaces de moins de 1 000 mètres carrés, va dans ce sens. Le div devrait alors favoriser le développement de petites et moyennes surfaces de centre-ville, permettant un rééquilibrage avec les grandes surfaces de périphérie. Or, l'accroissement de la concurrence permettrait de faire baisser les prix, en réduisant la concentration sur certaines zones.

Considérez-vous que la pharmacie représente aussi une activité de commerce ou plutôt de service ?

Cette distinction est aujourd'hui caduque. Même s'il s'en défend, le pharmacien est un commerçant comme un autre, à partir du moment où il achète des produits pour les revendre. Or, s'il ne revendique pas son statut de commerçant, face à un environnement qui se libéralise, il va avoir des problèmes.

Le rapport Rochefort préconisait la vente de produits de première nécessité dans certains commerces. Michel-Edouard Leclerc fait du lobbying pour libéraliser le circuit de vente de médicaments. L'ouverture du monopole officinal est-elle inéluctable ?

A partir du moment où cette libéralisation dépend d'une décision politique, rien n'est inéluctable. Mais l'ouverture du monopole va dans le sens de l'histoire. L'opinion publique comprend de moins en moins que certains îlots privilégiés, comme la pharmacie, échappent aux règles générales, alors que le commerce indépendant est, lui, contraint à une forte adaptabilité pour faire face à la concurrence. En outre, les consommateurs voient que dans d'autres pays européens la sortie du monopole n'a pas entraîné une baisse de la qualité de soins.

Comment expliquez-vous les velléités de la grande distribution à vouloir casser le monopole officinal ?

Aujourd'hui, la grande distribution s'essouffle, elle peine à trouver de nouveaux vecteurs de croissance. Les enseignes cherchent donc à s'accaparer des marchés porteurs tels que l'optique, la parfumerie et les médicaments. Cette stratégie de conquête est fondée sur l'espoir d'une meilleure rentabilité, contrairement aux produits de consommation courante dont la marge brute excède rarement 15 %. Seul point d'interrogation : le problème de l'approvisionnement, qui requiert un vrai savoir-faire. Pour honorer la demande, la grande distribution devra avoir des stocks considérables de médicaments ou, alors, négocier avec les répartiteurs un approvisionnement régulier, comme pour les pharmacies. En cas de libéralisation, les grossistes-répartiteurs accepteront-ils d'assurer cette qualité de service, au risque de se mettre à dos leurs clients historiques ? Le succès de la distribution de médicaments dans la grande distribution en dépend.

Qu'est-ce qui, selon vous, pourra faire toute la différence ?

Tout d'abord, il faut prendre garde à ne pas casser deux qualités du circuit officinal qui sont essentielles : la compétence et le service. Ensuite, quel que soit le point de vente dans lequel les médicaments sont vendus, le consommateur doit pouvoir y trouver un conseil et un diagnostic, même si cela ne concerne que 5 % des cas. Mais, plus que tout autre chose, c'est la proximité physique et relationnelle avec une partie de la clientèle à faible mobilité qui doit être sauvegardée. Néanmoins, ces arguments ne sont pas suffisants, à mon sens, pour empêcher l'ouverture du monopole car, dans 95 % des cas, les patients viennent à l'officine simplement se faire délivrer une ordonnance.

Justement, la libéralisation du circuit du médicament ne risque-t-elle pas de mettre en péril cette proximité du pharmacien avec les patients ?

C'est une crainte légitime, mais ce n'est pas une certitude. Car, si les médicaments devaient se vendre ailleurs qu'en pharmacie, d'autres formes de proximité pourraient être inventées. On peut, par exemple, imaginer des livraisons directement chez les consommateurs (comme c'est le cas dans le secteur textile), avec des points relais dans des supérettes de centre-ville. Dans les cas où le patient aurait besoin d'un conseil, il peut aussi être envisagé de créer une ligne téléphonique où des pharmaciens répondraient aux questions des patients.

Pour être encore plus compétitives, les pharmacies doivent-elles se spécialiser davantage ?

Sur les secteurs de la santé, la concurrence est très forte. Quelle est la valeur ajoutée du pharmacien sur ce marché ? Il doit trouver un autre positionnement. Surtout, pour s'imposer sur ce marché, l'argument marketing doit être fort, ce que les pharmaciens semblent rejeter pour le moment.

Comment les pharmaciens pourraient-ils alors se battre ?

Les pharmaciens devront d'abord être compétitifs en affichant des prix qui ne doivent pas être supérieurs à ceux du marché. Pour cela, ils doivent privilégier le regroupement. Ils ont déjà commencé à le faire, mais doivent donner un coup d'accélérateur pour anticiper la libéralisation. A cet égard, le commerce associé, avec la création de chaînes de pharmacies, pourrait permettre de comprimer les coûts de distribution et réduire l'écart des prix avec les grandes et moyennes surfaces. Mais, pour le pharmacien, très attaché à son indépendance, le virage risque d'être difficile.

La nouvelle économie fleure bon le service

Dans son nouvel ouvrage, « L'Economie des bouquets », Philippe Moati décortique cette nouvelle approche marketing consistant à proposer des « bouquets », lesquels réunissent des biens et des services, habituellement vendus sur des marchés distincts, mais qui peuvent être complémentaires. Par exemple un ensemble informatique multimédia, une offre d'entretien et une assurance accompagnant la vente

d'une automobile... Une nouvelle tendance qui pourrait, à terme, gagner l'officine.

« L'Economie des bouquets », Philippe Moati, éditions de l'Aube, 2008.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


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