Quand l'erreur devient sinistre - Le Moniteur des Pharmacies n° 2730 du 17/05/2008 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2730 du 17/05/2008
 

Enquête

Une erreur de délivrance est prise en charge au titre de la responsabilité civile professionnelle. Bernard Sénéchal, responsable du service gestion de la MADP, détaille quelques sinistres déclarés à la Mutuelle en 2007.

« Le Moniteur » : A quel moment peut-on mettre en cause la responsabilité d'un officinal ?

Bernard Sénéchal : Un client « attaque » un pharmacien lorsqu'il estime que l'erreur ou la faute a eu des conséquences. Pour engager la responsabilité civile, il faut le triptyque suivant : une erreur ou une faute - on ne fait pas la distinction -, un dommage indemnisable pour la victime et l'existence d'une relation de cause à effet entre la faute et le dommage.

Recevez-vous de nombreuses plaintes mettant en cause la responsabilité professionnelle des officinaux ?

Ce n'est pas si fréquent que cela. Peut-être que nombre d'erreurs passent inaperçues ou sont sans conséquence pour le patient. Sur l'année 2007, il m'a été déclaré 10 sinistres de responsabilité civile. En 2006, 11 et une vingtaine en 2005. Il n'y a pas eu d'augmentation de la « sinistralité » avec le droit de substitution, comme si ce droit avait exigé du pharmacien une vigilance accrue !

Comment êtes-vous saisi d'un dossier ?

Soit le pharmacien me prévient qu'un client est passé se plaindre à la pharmacie, soit la mise en cause se fait par courrier d'un client ou d'un avocat. Lorsque le pharmacien sent qu'il y a un problème, il m'appelle. C'est là toute la difficulté de l'appréciation du départ : il faut savoir si le client est vindicatif, s'il cherche une transaction à l'amiable, un enrichissement... On a affaire à tous les comportements. Ma compréhension de son métier et une gestion rapprochée avec le pharmacien qui connaît bien son client sont primordiales. Je sers de tampon et de médiateur. J'informe le pharmacien de négociations éventuelles et je recueille son avis. Cependant, la décision d'une prise en charge ou d'une transaction incombe au seul assureur. Je contacte le client pour lui dire que je suis heureux qu'il n'y ait pas eu d'incidence durable et qu'il me contacte si un problème quelconque survenait. Lorsque l'erreur est incontestable avec des dommages, je prends contact avec la victime ou l'avocat pour lui indiquer ma présence dans ce dossier, ma volonté de trouver une solution à l'amiable et je lui demande l'ensemble des pièces nécessaires : photocopie de l'ordonnance, certificat relatif aux conséquences médicales de l'erreur (hospitalisation, journée d'ITT...).

Pourriez-vous détailler ces 10 sinistres déclarés en 2007 ?

Il s'agit de 10 erreurs de délivrance : Tercian 100 mg au lieu de Théralène 5 mg prescrit ; Rivotril comprimés à la place de gouttes (le médecin n'avait pas précisé la forme galénique, mais avait inscrit « 200 » et le patient a cru qu'il s'agissait de 200 mg) ; deux délivrances de Séresta 50 mg au lieu de 10 mg prescrit ; deux cas de substitution de Bi-Profénid par du kétoprofène Sandoz 100 mg avec une posologie non modifiée ; la délivrance d'Effexor 75 au lieu de 37,5 ; de la teinture de belladone au lieu de teinture de ballote fétide ; Xanax 0,5 au lieu du 0,25 et la substitution de Zoltum 20 mg par de la simvastatine Merck 20 mg.

Quelles ont été les suites de ces affaires ?

Ces sinistres ont été enregistrés, mais il n'y a pas eu forcément de suites. Pour le Xanax, la victime n'a pas donné suite. De même pour le Rivotril et l'Effexor. Pour un cas « Séresta », le fils de la victime, juge de métier, ne semblait pas souhaiter de réparation pécuniaire mais mettre en garde le pharmacien. Pour l'autre cas, la victime me demande le remboursement de sa Carte Orange de la RATP qu'elle a perdue parce qu'elle s'est endormie dans les transports. Pour le Tercian, j'ai eu une réclamation par l'intermédiaire d'un avocat avec un premier rapport d'expertise. La victime a été hospitalisée dans un état confusionnel. Les souffrances endurées sur une échelle de 0 à 7 sont de 3,7 avec une ITT. En ce qui concerne la teinture de belladone délivrée en lieu et place de la ballote fétide, la victime a eu une hyperthermie, la langue gonflée. Elle a adressé une lettre de trois pages au pharmacien dans laquelle elle décrivait ses symptômes et indiquait « Je me retrouve avec des problèmes de santé gênants [...] ; problème d'insomnie [...] ; ma recherche d'emploi est perturbée [...] ; en raison des faits susmentionnés, et sans possibilité de solution à l'amiable, j'envisagerai sérieusement de mandater mon avocat et de porter plainte contre votre pharmacie ». L'assureur de la victime et moi-même avons recouru à une expertise amiable contradictoire. Les médecins ont fait part de leurs conclusions : il y a eu erreur avec une gêne temporaire partielle sans déficit fonctionnel ni dommage esthétique.

Quel est le coût de ces dossiers ? La durée de procédure ?

Pour le cas « Tercian », c'est un dossier dont le coût peut être apprécié entre 30 000 et 40 000 euros. Pour le cas de la teinture de belladone, nous avons transigé pour une somme d'environ 2 000 euros. Dans ce cas, l'erreur, datée du 18 mai, a été signalée le 1er juillet et le dossier a été réglé le 12 février de l'année d'après. Une erreur peut cependant avoir des conséquences pécuniaires beaucoup plus importantes pour son responsable.

Comment le pharmacien vit-il cette erreur ?

Quand on fait une erreur, on ne se sent pas très bien ! Le pharmacien est d'autant plus perturbé qu'il connaît généralement bien ses clients. Apprendre que l'un d'entre eux a été hospitalisé voire est décédé en raison de son erreur... C'est le cas pour l'erreur de substitution du Zoltum par la simvastatine. Il peut également y avoir l'inquiétude de procédures et de sanctions pénales et/ou ordinales.

Comment éviter l'évitable

« Eviter l'évitable » est un programme collectif de prévention des erreurs liées aux soins élaboré par la revue Prescrire et réservé à ses abonnés. Fondé sur la « pédagogie de l'erreur », « Eviter l'évitable » a pour objectifs d'analyser et de prévenir les conséquences négatives pour un ou plusieurs patients d'une intervention de soins, de prévention ou de dépistage.

« Nous voulions mettre au point quelque chose qui soit un continuum entre information-formation et évaluation des pratiques », explique Etienne Schmitt, responsable du programme. Concrètement, un abonné signale une erreur sur le site (http://www.prescrire.org) en s'identifiant. Puis il est contacté pour une analyse approfondie du cas et partage des expériences. « Nous avons pris un engagement de confidentialité, précise ce pharmacien hospitalier. L'erreur liée aux soins dépasse largement le cadre de l'erreur médicamenteuse. »

Le programme « Eviter l'évitable » - et sa douzaine de chargés d'analyse formés à la gestion des risques - et le guichet « Erreurs médicamenteuses » de l'Afssaps ne sont ni complémentaires ni rivaux. Donc, déclarer à l'un ne dispense pas de déclarer à l'autre...

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