Histoire d'un malentendu - Le Moniteur des Pharmacies n° 2716 du 16/02/2008 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2716 du 16/02/2008
 

Le grand débat

Les relations entre pharmaciens et médecins n'ont jamais été faciles. Pourtant, quand on les interroge, on sent qu'il suffirait d'un rien pour sortir de ce blocage corporatiste. Ouvrir le dialogue par exemple. La santé des patients ne s'en porterait que mieux. Les témoignages à suivre et le sondage Direct Medica ne disent pas autre chose.

Demandez à un carabin ce qu'il pense des potards. Il y a de grandes chances qu'il les qualifie d'« épiciers » ou de « commerçants ». Posez la même question au potard vis-à-vis des médecins. Il répondra probablement « lobbying », « enfants chéris du système de soins », « condescendance ». Bref, médecins et pharmaciens ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde.

Il suffit de se remémorer les difficultés de reconnaissance de l'acquisition du droit de substitution. L'année dernière, la consultation pharmaceutique proposée par un groupe de mutuelles a déclenché un tollé, certains médecins n'hésitant pas à qualifier la proposition d'une rémunération à 20 euros de « pure provocation ». Des prescripteurs s'inquiètent déjà de l'automédication en libre accès, faisant remarquer, lors du passage en OTC de certaines molécules, une explosion des ventes inversement proportionnelle à toute logique de santé publique. Le rapport d'évaluation présenté début janvier par la Mutualité sociale agricole, après une expérimentation menée en milieu rural sur la dispensation et le maintien à domicile par les pharmaciens, est lui aussi éloquent. « Le pharmacien connaît peu l'environnement du malade par rapport au médecin généraliste », « Il arrive avec son catalogue de fournitures, trop commercial », peut-on malheureusement y lire.

Et pourtant, à l'échelon local, le tableau n'est pas si sombre. Chacun a besoin et se nourrit - dans tous les sens du terme - de l'autre. Les échanges sont souvent cordiaux voire amicaux. Les expériences en réseaux, toujours constructives, se multiplient. Le plaisir d'échanger dans des séances de formation est intact. Mais comment faire pour améliorer les relations entre médecins et pharmaciens ? Et si, finalement, à l'heure où l'on parle de transferts de tâches, de pénurie de médecins, de développement du maintien à domicile, d'éducation thérapeutique, la solution tenait en une simple phrase : apprendre à mieux se

Apprenons à mieux nous connaître

André Deseur, délégué général à la communication du Conseil national de l'ordre des médecins et vice-président de la section « Exercice professionnel »

Créer des relations est de nature à améliorer largement la qualité de nos échanges. Apprenons à nous connaître dans nos missions respectives mais aussi à titre individuel, et pas seulement dans un cadre formalisé ou contraignant. En ce sens, je suis personnellement un ardent défenseur des formations communes entre médecins, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, dentistes ou encore orthophonistes. L'important est d'échanger, de se rencontrer. Cela doit avoir lieu à l'initiative des professionnels eux-mêmes. Dans le futur, il sera important que le médecin accède aux données du dossier pharmaceutique. Plus proche de nous, l'autorisation donnée aux pharmaciens de délivrer une boîte de plus, sans ordonnance, pour les patients chroniques est une bonne mesure pour assurer la continuité des soins. Quant à la notion de transfert de compétences, c'est une absurdité car une compétence ne se transmet pas, elle s'acquiert. En revanche, le transfert de tâches s'impose, compte tenu du condiv médical démographique, et il ne devrait pas poser problème s'il est bien géré. Il n'y a aucune raison d'aller consulter un médecin pour une pathologie à l'évidence bénigne. Si des difficultés surgissent, c'est plus parce que les médecins auront l'impression d'être "déshabillés" de tâches médicales pour ne garder que le travail administratif ingrat. Mais attention, qui dit transfert de tâches dit aussi transfert de responsabilités. Des responsabilités qu'il faudra assumer. »

Respecter le territoire de compétences de chacun

Philippe Gaertner, président de la FSPF

D'une manière générale, je dirais que les relations sont bonnes, en tout cas avec les prescripteurs directs d'une officine. Dans le futur, il faudra trouver une méthodologie pour travailler plus efficacement ensemble. Chacun devra pouvoir bénéficier des informations dont il a besoin, sans forcément déranger ou être dérangé pour la trouver. Les réseaux participent déjà à l'amélioration des relations entre médecins et pharmaciens, grâce aux rencontres régulières sur une thématique commune. Bien évidemment, il n'est pas envisageable que tous les pharmaciens fassent partie de tous les réseaux. Mais ceux qui y sont déjà doivent réfléchir à des outils de communication entre les différents acteurs et ne pas hésiter à le mettre à disposition de ceux qui n'y sont pas impliqués. Cela peut passer, entre autres, par des fiches de liaison. Chacun doit également bien définir le territoire de compétences dans lequel l'un et l'autre doivent agir. Et si les actions quotidiennes doivent conduire à franchir le périmètre du domaine de l'autre, alors ce dernier doit en être informé. En ce qui concerne la formation, la première année commune médecin-pharmacien va être une réalité rapidement. La cinquième AHU est actuellement sous-exploitée en termes organisationnels et d'objectifs de stage. Quant à une formation continue commune, je reste prudent : les objectifs des uns et des autres sont différents. »

Faisons fi des intérêts personnels

Noëlle Davoust, pharmacien titulaire à Rennes, chargée de cours à la faculté de pharmacie

Entre médecins et pharmaciens, il y a probablement un passif très lourd, plus culturel que médical finalement. Déjà, dans les divs juridiques officiels, le pharmacien n'est ni répertorié dans les professions médicales, ni dans les professions paramédicales. Pourtant, il faut se dire que nous appartenons, les uns et les autres, à une chaîne de soins dont chaque maillon est incontournable pour en améliorer la qualité. Plutôt que de penser à la hiérarchie, au conflit ou au cloisonnement, nous aurons gagné si ce souci est permanent. Car des points positifs, il y en aura. Commençons par les réseaux où l'échange et le partage entre professionnels sont la clé de voûte. L'année hospitalo-universitaire permet également aux futurs pharmaciens de rencontrer les médecins sur leur lieu de travail. Même si les étudiants font état de stages de qualité hétérogène avec un accueil plus ou moins valorisant ! Plusieurs choses pourraient être améliorées à la faculté, dont la mise en place d'enseignements communs, plutôt en fin de cursus. On pourrait imaginer que le futur médecin rédige une ordonnance et que le pharmacien l'analyse, mais pas pour le plaisir de critiquer, au contraire, pour une réflexion commune autour de la prescription. Parmi les éléments très positifs, je retiens mon expérience dans le groupe de qualité auquel j'appartiens (Pharmaker). Nous avons organisé des rapprochements avec un autre groupe du même type mené par des médecins. Très vite, les préjugés ont volé en éclat et nous avons échangé autour de dossiers patients, dans un climat de concertation, sans la moindre idée préconçue. Je suis pleine d'espoir car cette expérience m'a montré que la jeune génération de médecins est plus perméable aux messages pharmaceutiques. Mais il faut aussi que notre valeur scientifique soit officiellement reconnue. Alors oui, cela passe aussi par nous. Nous devons être vigilants sur l'image que nous donnons. Pour être respectés, soyons respectables ! Bref, partageons, échangeons, rencontrons-nous, il y a tellement de bonnes volontés de part et d'autre qui éclipsent les quelques jalousies. Et si, demain, la notion de "pharmaceutical-care" émerge, qu'on le fasse en concertation avec le monde médical. Il est hors de question de faire un enfant dans le dos aux médecins ou de jouer au docteur. On ne le veut pas et on n'en est pas capables. »

Une formation commune médecins-pharmaciens

Hélène de Graeve, pharmacienne titulaire à Muret, membre du réseau DiaMP (Diabète Midi-Pyrénées)

Cela passe par les réseaux, où chacun a un rôle à jouer. De telles structures aident à prendre conscience des atouts des uns et des autres. Par exemple, le pharmacien est conscient qu'il n'a pas de diagnostic à faire et le médecin prend mieux la mesure de la valeur ajoutée du pharmacien pour les conseils sur les médicaments. Une formation commune entre médecins et pharmaciens permettrait aussi d'accroître la confiance des praticiens les uns vis-à-vis des autres. Dans le même état d'esprit, ce serait particulièrement constructif d'y intégrer les infirmiers, pour un seul but : une meilleure éducation de proximité apportée à nos patients. Il s'agirait plutôt d'une formation après les études, mais pas un grand raout où l'on rassemblerait tous les médecins et les pharmaciens ! Non, la zone délimitée doit être plus petite, limitée à un niveau régional. »

Installons le dialogue et la confiance s'instaurera naturellement

Claude Japhet, président de l'UNPF

En ville, le médecin généraliste est devenu le pivot du parcours de soins. Il est surchargé de travail. Au final, la possibilité de dialogue et de rencontre avec les officinaux devient encore plus difficile. La délégation de tâches est un moyen d'alléger ce quotidien. Accompagnée d'une bonne communication, elle permettra de renvoyer à bon escient le patient vers son médecin muni de toutes les informations dont il a besoin. Au niveau des instances, lorsqu'un sujet concerne tous les professionnels de santé, comme l'éducation thérapeutique du patient diabétique par exemple, "oublier" l'un de ces professionnels va forcément à l'encontre des bonnes relations entre eux. A l'hôpital, ce n'est même plus une question d'amélioration, il faut bâtir quelque chose, de façon à ce qu'il y ait enfin des relations. Cela passe par une identification du prescripteur, une meilleure implication de ce dernier et la possibilité de le joindre. Aujourd'hui, la plupart du temps, ceci est impossible. Il faut créer des ponts pour que l'on comprenne la façon de prescrire (posologies et dosages particuliers, expérimentations et protocoles) des hospitaliers et que l'hôpital en retour comprenne nos impératifs réglementaires ou autres. On ne peut avoir un dialogue constructif sans se comprendre. A mon avis, une formation commune n'est pas nécessaire car nous n'avons pas le même formatage. En revanche, il me semble envisageable de nous répartir la tâche sur les produits prescrits. J'entends par-là que le médecin resterait maître de sa prescription sur des médicaments essentiels en termes de soins (antibiotiques...), mais qu'il pourrait déléguer au pharmacien le choix de délivrer tel ou tel pansement le plus adapté au condiv clinique, tel ou tel antiseptique. Evidemment, dans l'intérêt du patient. Je suis convaincu que l'amélioration de la prise en charge du patient va passer par le dialogue. Et quand le dialogue s'installe, la confiance s'instaure et la délégation de tâches devient plus facile. »

Se rassembler pour se défendre

Michel Combier, médecin généraliste à Toulouse et président de l'UNOFSMF

Le rôle de chacun, pas toujours net, est à définir, d'autant que les modifications apportées dans le paysage (génériques, rapport Attali, menaces de dérégulation de la délivrance et de la vente de certains médicaments...) font que nos professions respectives sont plus ou moins attaquées. Dans le futur, il n'y aura aucune raison pour que les médecins soient maintenus à l'écart du dossier pharmaceutique lorsque ce dernier aura fait la preuve de son utilité. Il ne me semble pas non plus normal qu'une profession soit la seule à porter des messages, surtout quand ils ne sont pas évidents à faire passer. Il faudra parler plus souvent d'une seule voix et faire bloc. Dire la même chose, que l'on soit médecin ou pharmacien, permet à chacun de gagner en crédibilité et d'améliorer son image. On ne pourra compter que sur nous car l'Etat ne fait pas toujours preuve d'un courage suffisant. Je pense en particulier aux franchises, dont la vertu éducative initialement recherchée est totalement noyée par la retenue appliquée sur le remboursement des consultations. Même si je comprends le soulagement des pharmaciens, lesquels n'ont pas à se transformer en collecteurs d'impôts, les patients nous font maintenant remarquer que nos actes sont moins bien pris en charge, et c'est un sujet de crispation. Quant au libre accès des produits d'automédication, cette évolution n'est pas spécifique à la France. Quoi qu'il en soit, les professions médicales ont intérêt à garder la main sur le médicament. Entre l'avoir en accès libre dans une pharmacie ou sur les rayons d'un hypermarché, le choix sera vite fait pour un médecin, ne serait-ce que pour le retour d'informations. Maintenant, si les pharmaciens en profitent pour être dans le mercantilisme pur et dur, il y aura toujours quelqu'un qui le fera mieux qu'eux ! Nous avons d'avantage intérêt à faire évoluer le système pas à pas plutôt qu'à chercher à le bouleverser. On a plus à craindre de ce qui peut arriver de l'extérieur que de ce qui peut arriver entre nous. »

Il faut organiser la coordination des soins

Gilles Bonnefond, président délégué de l'USPO

Qu'est ce qui fait l'unité des professions de santé sinon de s'occuper d'un même patient ? La réflexion est là : comment organiser le parcours de soins ? On ne peut plus continuer à retarder ce dossier qui est mûr. Qu'est-ce qu'on demande à chaque professionnel de santé ? Que faut-il faire entre deux consultations ? Quels sont les critères de surveillance permettant de décréter qu'un patient est parfaitement stabilisé et qu'il n'a pas besoin de consultation médicale ? Une autre question est fondamentale : comment partager efficacement l'information ? Les médecins de ville sont débordés, leur temps est compté, les pharmaciens et l'hôpital aussi. Il faut donc des outils modernes. Aujourd'hui, quand un pharmacien appelle un médecin, ce qui est légitime, il doit absolument organiser cet appel pour ne pas donner l'impression qu'il dérange ou qu'il se mêle de quelque chose qui ne le regarde pas. Il faut arrêter de se limiter aux appels du type "Je n'arrive pas à lire ce que vous avez écrit". Il est grave de constater que lorsque l'information peut être disponible, elle ne l'est pas. Par exemple, quand un malade est hospitalisé en urgence un samedi après-midi, le médecin hospitalier ne peut, la plupart du temps, pas contacter le médecin généraliste. Pourquoi ne pas organiser un système qui lui permette de contacter le pharmacien pour connaître le traitement en cours ? Il faut absolument que l'on considère que, comme il y a un médecin traitant, il y a un pharmacien traitant. En ce sens, le décret sur la continuité des soins via le renouvellement d'une boîte sans ordonnance est l'illustration même d'une bonne intelligence entre médecins et pharmaciens. »

Sondage

Sondage réalisé par téléphone du 23 au 24 janvier 2008 sur un échantillon représentatif de 101 pharmacies en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d'affaires.

ENQUETE PHARMACIEN

Des contacts fréquents

Avec quelle fréquence contactez-vous les médecins dans le cadre de votre exercice professionnel ?

Apprécié mais dépendant

Avez-vous l'impression...

Entente cordiale

Comment jugez-vous la qualité de vos relations avec les médecins ?

Vive les réseaux !

Pensez-vous que vous impliquer personnelle-ment dans un réseau améliorerait vos relations avec les prescripteurs ?

Droit de substitution : la hache de guerre est enterrée

Le droit de substitution complique-t-il toujours vos relations avec les médecins ?

Le libre accès n'est pas une pomme de discorde

La mise en place du libre accès est-il un frein au maintien ou à l'établissement de bonnes relations avec les prescripteurs ?

Des relations en léger mieux

Dans les 10 à 15 dernières années, diriez-vous que les relations entre médecins et pharmaciens se sont ...

Trop timides sur la délégation

Les médecins que vous connaissez seraient-ils prêts à vous déléguer certaines tâches (petit risque, dépistage, renouvellement des traitements chroniques, renouvellement de vaccins) ?

Sondage réalisé par téléphone du 25 au 30 janvier 2008 sur un échantillon représentatif de 90 médecins généralistes en fonction de leur répartition géographique.

ENQUÊTE MÉDECIN

Et pourtant les relations sont bonnes !

Comment jugez-vous la qualité de vos relations avec les pharmaciens ?

Continuez à appeler les médecins...

Quand un pharmacien vous contacte, trouvez-vous la raison de son appel pertinente ?

... et faites en sorte qu'ils vous appellent

Vous arrive-t-il de prendre contact avec des pharmaciens ?

Stabilité dans les relations

Dans les 10 à 15 dernières années, diriez-vous que les relations entre médecins et pharmaciens se sont ?

Transferts de tâches :

ce n'est plus un tabou

Dans le cadre des transferts de tâches, seriez-vous prêt à déléguer des tâches aux pharmaciens ?

Le pharmacien idéal vu par le médecin

- Il est disponible pour ses patients et non ses clients.

- Il connaît bien ses patients.

- Il connaît bien les prescripteurs.

- Il rend service à la population.

- Il a son domaine de compétences, est conscient de sa complémentarité avec le médecin.

Le médecin idéal vu par le pharmacien

- Il prend en charge son patient avec rigueur et humanité.

- Il fait preuve d'humilité, d'empathie et d'altruisme.

- Il travaille en symbiose avec tous les acteurs de la chaîne de soins.

Erratum

De nombreuses erreurs se sont glissées dans les graphiques du sondage Direct Medica sur « Les LABM » (voir « Le Moniteur » n° 2713). u1er graphique : 58 % des pharmaciens ne pensent pas que la concentration capitalistique et l'organisation en pôles de SEL soient la bonne stratégie en réponse aux menaces de l'Europe ; 32 % pensent le contraire et 10 % ne se prononcent pas.

-2e graphique : 47 % pensent que la vente d'un LABM à des investisseurs étrangers est une bonne opération financière pour le biologiste ; 42 % pensent le contraire et 10 % ne se prononcent pas.

-3e graphique (idem mais sur le plan professionnel) : 91 % de « non », 6 % de « oui » et 3 % de « ne sait pas ».

u4e graphique (idem mais sur le critère de la pérennité du LABM) : 82 % de « non », 10 % de « oui » et 8 % de « ne sait pas ».

-5e graphique : 76 % des officinaux ne sont pas favorables à ce que des LABM deviennent de simples centres de prélèvement reliés à un plateau technique et 14 % sont favorables.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


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