Le marché perd la tête - Le Moniteur des Pharmacies n° 2707 du 22/12/2007 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2707 du 22/12/2007
 

TRANSACTIONS

Officine

Une économie qui se dégrade, des menaces européennes qui se précisent, des inquiétudes sur le monopole, des incertitudes sur la revente des parts de société à l'IS dans quelques années... Tous les facteurs d'une baisse des prix sont réunis, et pourtant le marché flambe... au point de se bloquer. Insensé !

La frénésie qui s'est emparée du marché en 2007 prépare des réveils douloureux. Depuis le deuxième trimestre, le marché de la transaction traverse une crise plutôt paradoxale, alors que les mesures d'exonérations de plus-values professionnelles pour les titulaires partant en retraite et les « exonérations Sarkozy » sur les cessions de parts de sociétés à l'IR étaient censées faire grimper les volumes. « Cette crise de liquidité est le reflet des positions très éloignées des vendeurs et des acquéreurs sur les prix de cession », souligne Luc Fialletout, directeur général adjoint d'Interfimo. Le fossé est tel que les cabinets de transactions ne parviennent pas à les réconcilier.

« Il n'y a pas eu de ruée sur les départs en retraite cette année », constate le responsable d'un cabinet de transaction. Pour Pascale Bancilhon, d'Interfimo, « les vendeurs jouent sur les deux tableaux ». Ils se fixent un prix élevé : s'ils réalisent leur capital à ce prix, tant mieux, sinon, ils ne transigent pas sur le prix et continuent d'exercer sans être pressés de vendre avec, en attendant, un revenu de toute façon beaucoup plus confortable qu'à la retraite.

Mais, dopés par les SEL et les mouvements spéculatifs des investisseurs, les prix ont fait perdre la tête au marché. « Des groupes de pharmaciens rachètent en SEL des pools d'officines bien placées à 115 % ou 120 %, avec l'espoir de les revendre à des répartiteurs à bon prix quand la déréglementation le permettra », constate et suppose Jean-Paul Morelle, de DGM Conseils. Jean-Michel Simonetti, de Channels, partage le même avis : « Les prix sont tirés à la hausse par les achats en SEL et les ventes à soi-même qui permettent au pharmacien de réaliser du cash qu'il pourra réinvestir ailleurs. Ce type de vente est fictif et ne peut pas être comptabilisé comme une transaction de personne à personne. L'absence de turnover déstabilise le marché car on se retrouve avec un acheteur sans qu'il y ait en face une officine à vendre. »

Les prix prohibitifs détraquent le marché

Outil de financement, la SEL à l'IS, en augmentant la capacité de remboursement des acquéreurs, est un facteur de renchérissement des prix, au même titre que l'allongement des crédits sur 15 ans. « Toutes les astuces juridiques ne jouent qu'en faveur de la spéculation sur les fonds, mais le génie financier précède toujours la chute », met en garde un des leaders de la transaction. Jean-Michel Simonetti prédit des retours de bâton douloureux au moment de la revente de parts de sociétés à l'IS du fait du coût fiscalement prohibitif de sortie d'une SEL. Philippe Becker, de Fiducial Expertise, constate un parallélisme entre l'évolution des prix de l'immobilier et les prix des officines. « C'est très certainement lié à l'effet de levier financier qui est la résultante des faibles taux d'intérêts et aussi de la capacité qu'ont les officines "leaders" à se revendre sans difficultés. »

Le problème, c'est que ces officines qui se négocient beaucoup trop cher font des envieux. « Ces prix de 110 ou 120 % deviennent des prix de référence pour les autres vendeurs qui s'imaginent avoir une affaire de qualité équivalente, et comme les acheteurs ne sont pas prêts à faire n'importe quoi, le marché se grippe... », arguë Jean-Paul Morelle. Pascale Bancillon ne dit pas autre chose : « Les prix restent sur l'envolée de 2006 et les acquéreurs hésitent à signer des compromis. »

La demande ne fait pas défaut mais, face à la démesure, elle se montre de plus en plus attentiste, sous l'effet aussi d'autres événements conjoncturels qui se superposent : la mauvaise passe de l'économie de l'officine, Bruxelles, le PLFSS 2008, le manque de lisibilité sur l'évolution du réseau... « J'ai quatre fois plus d'acquéreurs inscrits dans mon fichier qu'il y a quatre ans », confie un intermédiaire. « Le marché a retrouvé les niveaux de prix des années 90 avec des marges inférieures de dix points », s'inquiète Jean-Michel Simonetti. « Les prix doivent baisser parce que les marges baissent, ajoute encore Jean-Paul Morelle. La régulation des prix ne pourra venir que de l'attitude des banques. »

Luc Fialletout en convient : « Il faut arrêter de financer des officines dont les prix ne sont pas raisonnables au regard des fondamentaux économiques. Ils se situent actuellement à plus de huit fois l'EBE, alors que des valorisations de laboratoires d'analyses médicales et de biologie à deux ou trois fois l'EBE sont considérées comme des prix déjà très élevés, et il s'agit pourtant du même compteur ! »

Les banques froncent les sourcils

Le déraisonnable touche parfois à son comble. En Normandie, « deux acquéreurs se sont disputé une officine à coup de surenchères, celle-ci a fini par se vendre 114 % du chiffre d'affaires », signale Dominique Leroy, du cabinet Norméco.

Dans le Nord, Michel Watrelos, du cabinet Conseils et Auditeurs associés, constate également que le marché s'emballe anormalement, avec formation d'une bulle spéculative sur les officines de 2,5 MEuro(s) et plus qui offrent un potentiel de développement intéressant. « Les prix, notamment en centre commercial, atteignent des chiffres records, au-delà de 140 % ! », s'étonne-t-il. Selon lui, les pharmaciens qui surpayent ces grosses officines au mépris de leur rentabilité réelle misent sur l'arrivée des capitaux extérieurs et la réalisation d'une plus-value rapide en cas de revente à moyen terme à de puissants investisseurs.

Les banques ont cependant mis clairement le holà depuis le début du troisième trimestre 2007. « Les bilans 2005 présentés en 2006 sont faussés par les achats massifs de génériques de fin d'année, souligne Patrice Lamblin, chargé de mission à la Banque populaire du Nord. Les bilans clôturés à partir de juin 2007 sont beaucoup plus mitigés, notamment sous l'effet de l'augmentation des médicaments issus de la réserve hospitalière qui accentue la détérioration du taux de marge. » « Dans un condiv plein d'incertitudes, les banquiers ont repris leurs machines à calculer, complète Philippe Becker. Ils perçoivent l'absence d'adéquation entre les niveaux de prix moyens et la rentabilité actuelle. »

Les cabinets de transactions comptent sur les banques pour épurer le marché. « A un moment ou à un autre, les vendeurs vont devoir revoir leurs prétentions à la baisse », fait remarquer Jean-Michel Simonetti. Avec l'augmentation des taux d'intérêt de plus de un point en un an, elles sont amenées à refuser les dossiers de financement trop « courts ». Pascale Bancilhon confirme : « La banque ne donne plus aussi facilement son accord de crédit et ne suit pas l'acquéreur si son endettement est disproportionné. »

La prophétie de Michel Watrelos est sans ambages : « Si les prix ne baissent pas, il n'y aura plus d'acheteurs. Les plans de financement sont de plus en plus tendus pour les jeunes qui s'installent en entreprise individuelle dans une pharmacie moyenne achetée au prix du marché. Malgré un apport correct de 100 000 euros, ils doivent se contenter d'une rémunération mensuelle nette d'impôts de 2 000 euros ! »

Un marché plus hétérogène que jamais

Le marché des transactions n'a jamais été aussi disparate. « C'est un marché à trois vitesses, résume Jean-Michel Simonetti. Les prix augmentent de manière exponentielle dès que les chiffres d'affaires dépassent les 2 millions d'euros, ils augmentent de quelques points pour des CA compris entre 1,2 MEuro(s) et 1,8 MEuro(s), et, en dessous de 1 MEuro(s), il n'y a plus de prix de marché. »

Mais la taille n'est plus le seul juge de paix. « Des officines ne trouvent pas d'acquéreurs pour des raisons tenant aussi à la localisation géographique », remarque Patrice Lamblin. Ainsi, comme il l'explique, une affaire rurale ou rurbaine ne sera plus aussi recherchée si elle se situe à proximité d'un grand axe routier qui favorise la desserte de sa clientèle à une grande pharmacie située en périphérie urbaine.

Ceux qui entretiennent un espoir spéculatif se trompent peut-être. S'agissant des premiers repreneurs pressentis, les répartiteurs, Jean-Paul Morelle rappelle « qu'ils travaillent avec des marges extrêmement basses ». Selon lui, ils ne seront pas prêts à payer rubis sur l'ongle 120 % du CA TTC pour une pharmacie. « Le répartiteur n'achètera pas une officine pour la revendre mais pour acquérir des parts de marché, pour y placer ses produits et ses services », assure-t-il. Il pense aussi que les répartiteurs seront plus intéressés pour entrer dans le capital d'une pharmacie qui réalise 90 % de son CA en médicaments, alors que les prétendants pour les pharmacies de centre commercial qui vendent davantage de parapharmacie seront surtout des laboratoires spécialisés en dermocosmétologie, tels Pierre Fabre ou L'Oréal. Il estime enfin qu'une ouverture de bon sens serait de faire entrer dans le capital le conjoint du pharmacien non diplômé, dans l'intérêt de la famille, ou de s'allier à des managers issus d'autres professions qui seront un apport précieux pour l'entreprise.

Les paris sont ouverts, pourtant Philippe Becker se garde bien de pronostiquer sur la spéculation. Mais il est évident que les groupes qui sont dans les starting-blocks pour utiliser la déréglementation comme moyen d'imposer des réseaux intégrés - c'est-à-dire des chaînes - vont jeter leur dévolu sur les pharmacies leaders, toujours les mêmes ! On pourrait donc observer l'accentuation d'un marché à deux vitesses avec des gagnants et des perdants. Et encore plus de pharmacies quasi invendables.

2 000 à 3 000 officines très convoitées

Selon Jean-Michel Simonetti, l'ouverture du capital à des répartiteurs, assureurs et autres investisseurs financiers jouera en faveur du maintien des prix du marché. A contrario, et de l'avis général, une remise en cause du monopole (perte de l'OTC) aura des effets baissiers du fait d'un afflux de vendeurs sur le marché.

Selon les estimations d'un des leaders du marché de la transaction que nous avons interrogé, entre 2 000 et 3 000 points de vente devraient être concernés par l'intérêt des répartiteurs. Mais il est incapable de dire si les pharmacies ciblées feront l'objet d'une pression sur les prix. De son côté, Dominique Leroy ne s'attend pas à une course folle au rachat, lequel devra être mûrement réfléchi par le répartiteur : « Dans un bourg avec trois officines, un répartiteur qui investit dans l'une d'entre elles risque de perdre les deux autres en tant que client »...

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