De l'art de travailler en couple - Le Moniteur des Pharmacies n° 2697 du 20/10/2007 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2697 du 20/10/2007
 

MANAGEMENT

Entreprise

Mêler affaire et sentiments, est-ce bien raisonnable ? Si la pratique est courante, elle est périlleuse et ne s'improvise pas. Cela impose de fixer, au préalable, des règles strictes sous peine de voir l'existence même de son entreprise menacée. Mode d'emploi et témoignages.

Mari et femme dans la vie, associés au comptoir : la gestion d'une affaire en tandem est monnaie courante chez les pharmaciens, mais aussi, plus généralement, dans les très petites entreprises. Ainsi, en 2005, 49 % des entrepreneurs indépendants (soit 582 000) et 65 % des sociétés commerciales ont recours à l'appui de leur conjoint pour gérer leur entreprise au quotidien (source : ministère des PME, 2005).

Dans la plupart des cas, ces conjoints sont une aide précieuse. « Ils tiennent la comptabilité, répondent au téléphone, gèrent les achats. Il s'agit d'un travail non négligeable, que l'on estime à quelque six heures par jour », indique Annie Deudé, présidente d'ACTIF, la fédération des Associations de conjoints de travailleurs indépendants de France (voir ci-dessous).

Dans les officines, la part du conjoint est là aussi loin d'être superflue. S'il est pharmacien, il peut apporter une aide au comptoir et permettre au titulaire de se décharger de certaines tâches, en toute confiance. S'il n'est pas pharmacien, le conjoint apporte souvent un regard différent et peut prendre en charge la comptabilité, les négociations commerciales ou les ressources humaines (voir l'enquête « Témoignages » du Moniteur n° 2695), autant de tâches pour lesquelles le pharmacien n'a pas forcément été formé. Mais, pour que la lune de miel ne vire pas au cauchemar, il est crucial de fixer des règles de jeu claires, dès le départ.

Choisir le statut juridique approprié

La première règle d'or est juridique : il faut choisir un statut pour son conjoint. Une précaution qui est devenue une obligation légale depuis la loi en faveur des PME du 2 août 2005. « Jusqu'ici, la majorité des conjoints travaillait de façon bénévole. Désormais, le conjoint doit avoir un statut reconnu, grâce auquel il acquiert des droits, notamment en matière de retraite et de formation professionnelle », prévient Régine Noulin, présidente de l'Union nationale des conjoints des professionnels libéraux. Vous devrez alors opter pour l'un des trois statuts existants : le conjoint collaborateur, le conjoint salarié et le conjoint associé. Lequel choisir ? Si vous êtes tous les deux pharmaciens, votre conjoint peut être associé dans le capital de la pharmacie. Avantage : vous aurez le même pouvoir dans l'entreprise, mais, en cas de faillite, le conjoint associé doit, comme vous, contribuer aux pertes de l'entreprise. Risqué. Autre statut, celui de conjoint salarié : le conjoint fait partie de l'effectif, ce qui impose le versement d'un salaire et le paiement des charges patronales. Rassurant, mais plus onéreux. Enfin, le statut le plus courant est celui de conjoint collaborateur. « Il permet d'avoir une couverture sociale et de cotiser à une caisse de retraite. Sur le plan juridique, il offre au conjoint un mandat de gestion, mais sans rémunération. C'est un bon compromis », assure Lysiane Yvon, experte juridique à l'Agence pour la création d'entreprise.

D'un point de vue juridique, une autre protection semble nécessaire quand un couple travaille côte à côte : le choix du régime matrimonial adapté. Car si un jour le torchon brûle, votre conjoint pourra vous réclamer une partie du patrimoine commun, dans lequel figurera naturellement l'officine si vous n'avez pas pris les dispositions adéquates. L'idéal ? Opter pour le régime de la participation réduite aux acquêts, avec une clause spécifique excluant les biens professionnels du patrimoine du couple. « Ce régime permet de séparer le patrimoine du couple pendant le mariage, protégeant ainsi le patrimoine du conjoint en cas de dettes, explique Jacques Vautier, notaire à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). En cas de divorce, le couple partage ce qui a été acquis pendant le mariage, mais en excluant les biens professionnels. » Et rien ne vous empêche de changer de régime matrimonial en cours de route : il vous en coûtera des frais de notaire, soit 1 000 à 2 000 euros en moyenne, mais vous aurez une vraie tranquillité d'esprit.

Déterminer des domaines réservés pour chacun

Au quotidien, la gestion d'une officine en couple soulève beaucoup de questions : faut-il travailler en tandem sur les mêmes tâches ? manager l'équipe officinale à deux têtes ? Les experts en management recommandent aux dirigeants de déterminer, pour chaque conjoint, des tâches et des responsabilités distinctes. « Les deux conjoints doivent avoir des domaines réservés séparés. Sinon, ils risquent de se contredire et de se court-circuiter dans leurs prises de décisions », conseille Nathalie Fontaine, associée du cabinet de conseil en management Korda #amp; Partners. Une règle d'or quand l'officine doit gérer une équipe. « Le couple gérant doit pouvoir parler d'une même voix à tous ses collaborateurs. Dans le cas contraire, les collaborateurs pourront facilement jouer sur les désaccords de l'un et de l'autre pour obtenir ce qu'ils veulent », soutient, à son tour, Jean-Louis Muller, expert en management au sein de l'organisme de formation Cegos.

Comment, alors, se répartir les tâches au mieux ? Si votre conjoint n'est pas pharmacien, vous pouvez lui confier les tâches administratives et la gestion des achats, mais aussi l'animation de l'équipe officinale. C'est lui, alors, qui pourra gérer les congés, décider d'accorder une augmentation et recadrer un collaborateur. « Cette responsabilité ne doit pas nécessairement être confiée au pharmacien titulaire mais au conjoint, lequel saura se montrer le plus disponible », suggère Nathalie Fontaine. Or le pharmacien titulaire risque d'être, lui, déjà impliqué dans la gestion des clients au comptoir. Quoi qu'il en soit, il est indispensable que les deux conjoints puissent s'entretenir régulièrement, à l'abri des regards indiscrets. « Au moins une fois par semaine, ils doivent faire le point sur l'avancée de leurs tâches respectives. Cela leur permet d'accorder leurs violons sur certains points litigieux dans l'entreprise, comme un conflit avec un collaborateur, ou de définir ensemble les nouveaux produits à commander », ajoute Jean-Louis Muller. Enfin, devant vos collaborateurs, veillez à ne pas (trop) étaler vos sentiments vis-à-vis de votre cher(e) et tendre. « Le couple gérant doit être exemplaire. Il doit définir un code de communication strictement professionnel s'il veut être crédible vis-à-vis de son personnel », assure l'expert.

Préserver sa vie de couple en dehors de l'officine

En gérant votre affaire avec votre conjoint, vous vivrez à ses côtés 24 heures sur 24. Ce mode de vie fusionnel peut, si l'on n'y prend pas garde, conduire directement à la case divorce. « Chez les couples qui travaillent ensemble, le risque d'étouffement et de perte du désir amoureux est plus fréquent que dans les autres couples car la proximité physique est très forte », alerte Sophie Martin, conseillère conjugale, membre de l'association CLER amour et famille. Comment éviter ce délitement du couple ? Outre l'indispensable séparation des domaines d'activité au sein de l'entreprise, la psychologue recommande aux tandems à la ville comme derrière le comptoir de s'offrir des parenthèses, en solo, en dehors de l'officine et du foyer conjugal. « Cette ouverture sur l'extérieur, en allant faire du sport ou retrouver des amis sans son conjoint, est essentielle chez les couples d'entrepreneurs », conseille Sophie Martin. De même, la vie de couple ne doit pas se réduire à la gestion de l'officine. C'est pourquoi la conseillère conjugale recommande aux conjoints collaborateurs de se garder quelques parenthèses, en dehors de l'officine, seulement dédiées au couple. Un petit café le matin avant l'ouverture de la pharmacie peut, par exemple, permettre de créer ce précieux équilibre entre le couple et l'officine.

en savoir plus

Un CD-ROM pour apprendre à gérer son entreprise en couple

La fédération ACTIF édite un CD-ROM à destination des dirigeants de TPE qui travaillent avec leur conjoint. Témoignages de couples, avis d'experts, fiches pratiques..., cet outil informatique aborde toutes les questions que vous pouvez vous poser, comme le statut juridique, l'environnement familial, la réglementation ou la transmission. Son prix : 45 euros.

Renseignements : http://www.federation-actif.com

« Mon mari me décharge des tâches liées à la gestion de l'officine » Lakshmi Seraly, titulaire à Saint-Julien-l'Ars (Vienne)

Gérer une pharmacie en tandem ? Pour Lakshmi Seraly, c'était une évidence. « Sans l'aide de mon conjoint, je n'aurais jamais pu prétendre gérer une officine de cette taille », confie cette titulaire depuis dix ans d'une officine de cinq salariés installée dans un village de la Vienne, à Saint-Julien-l'Ars. Si son époux, Karim, est ingénieur de formation, son aide est néanmoins précieuse. « Il s'occupe de la comptabilité, de la gestion des achats et de l'animation de l'équipe », ajoute-t-elle. La répartition des rôles entre mari et femme s'est faite tout naturellement. « Etant pharmacienne, j'étais la seule à pouvoir être au comptoir et à délivrer des médicaments aux clients. » Du coup, Karim décharge Lakshmi des tâches administratives, fortement consommatrices de temps. « Il saisit les factures, reçoit les représentants et négocie les conditions commerciales des produits achetés. » Ce duo ne fonctionnerait pas s'il n'avait pas défini préalablement des règles claires. « Je n'interviens pas dans son travail, sauf lorsqu'il faut choisir de nouveaux produits à acheter. Nous nous réunissons, ponctuellement, mais pas de manière systématique », explique la pharmacienne. La lune de miel dure depuis dix ans.

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