Les pharmaciens italiens résistent ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2683 du 23/06/2007 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2683 du 23/06/2007
 

Enquête

Un an après la fin du monopole pharmaceutique sur le non-remboursable en Italie, on compte 800 points de vente, hors pharmacie, qui vendent de l'OTC, avec des 20 à 30 % inférieurs. Les clients sont satisfaits, la grande distribution se dit déçue et les pharmaciens loin d'être abattus.

Depuis un an, les consommateurs italiens peuvent acheter leur aspirine en grande surface. Une révolution ! Retour en arrière. Fin juin 2006, le gouvernement de centre-gauche de Romano Prodi adopte par décret en Conseil des ministres toute une série de mesures destinées à libéraliser divers secteurs de services, protégés jusque-là par de vieux règlements. Prenant tout le monde par surprise, le gouvernement part donc en croisade contre plusieurs corporations : taxis, avocats, banquiers, assurances mais aussi pharmaciens.

Dès le mois d'août, la loi dite Bersani, du nom du ministre du Développement économique qui l'a mise au point, est publiée au Journal officiel. Elle autorise la vente au public dans tous les commerces de « médicaments OTC ou d'automédication ainsi que de tous les produits non sujets à prescription médicale ». A une condition : la vente, consentie durant l'horaire d'ouverture du commerce, doit être effectuée dans le cadre « d'un espace spécialement consacré à ce type de produit, en présence et avec l'assistance personnelle et directe au client d'un ou de plusieurs pharmaciens habilités à l'exercice de la profession et inscrits à l'ordre des pharmaciens ».

La grande distribution reste sur sa faim

La grande distribution se frotte les mains. Soutenue par les associations de consommateurs, elle réclamait cette libéralisation depuis des années et les principaux opérateurs (Auchan, Carrefour, Coop, Conad-Leclerc, Pam, Selex...) ouvrent immédiatement des « espaces pharmacie » à l'intérieur de leurs points de vente. Un an après, on en compte un peu plus d'une centaine. Ils devraient passer à 400 d'ici à deux ans. « Les ouvertures ont été plus lentes que ce qui avait été annoncé, constate Lorenzo Brambilla, directeur de la division OTC au sein de IMS Health. Obligée d'embaucher des pharmaciens et devant affronter diverses difficultés, la grande distribution a vite déchanté. Néanmoins, elle ne veut pas revenir en arrière et cherche désormais à enrichir son offre avec d'autres produits : parapharmacie, hygiène, cosmétique, etc. » En tout, on compte plus de 800 nouveaux points de vente (parapharmacies, herboristeries et « corners » dans les supermarché).

Actuellement, selon Federfarma, le syndicat officinal, les ventes de médicaments d'automédication passe à 95 % par les pharmacies. Les parapharmacies, les herboristeries et les espaces au sein de la grande distribution se partagent les 5 % restants. Selon ACNielsen, en 2008, leur part de marché pourrait arriver jusqu'à 11,8 %. Toujours selon Federfarma, les supermarchés proposent des rabais qui tournent en moyenne autour de 25 %, mais sur un nombre limité de produits, environ 200. La plupart des pharmacies font des rabais qui oscillent entre 13 et 20 %, mais sur une gamme beaucoup plus vaste de 2 000 produits ne nécessitant pas d'ordonnance. « Les pharmacies peuvent donc conseiller des médicaments équivalents moins coûteux, assure-t-on au syndicat. La grande distribution, qui privilégie les marques les plus connues, n'offre pas une telle opportunité. Cela paraît d'ailleurs logique. Si au lieu d'acquérir un seul médicament en grande quantité les distributeurs proposaient aussi des médicaments des producteurs concurrents pour favoriser le choix des clients, ils ne pourraient pas pratiquer des rabais aussi élevés ! » Pour autant, plusieurs groupes ont annoncé la mise à disposition future de médicaments à la marque.

Le Corner della salute a du mal, Leclerc y trouve son compte

Parmi les distributeurs les plus actifs, le groupe des coopératives de consommateurs Coop Italia, leader dans la Péninsule. A l'origine de ce mouvement de libéralisation, Coop est en effet parti en campagne dès mars 2006 en lançant une pétition. Forte de 800 000 signatures, elle a même déposé au Parlement une proposition de loi d'initiative populaire. En un an, Coop a ouvert 57 Corner della salute (« Espaces de la santé ») sur un total programmé de 150. Mais le pari est loin d'être gagné, comme en témoigne Vincenzo Santaniello, à la direction du développement et de l'innovation : « C'est beaucoup plus compliqué que cela ne semblait au début, lâche-t-il. En termes de négociations et d'approvisionnements, les grossistes raisonnent encore dans une logique de la distribution pharmaceutique, un canal coûteux et surdimensionné. Il est évident que pour nous c'est une logistique qu'il faut totalement construire, ça ne s'improvise pas. Nous avons dû aussi mettre en place un système informatique et de caisses à part, car les médicaments n'ont pas de code-barre comme les autres produits mais un code spécial directement relié au ministère de la Santé. »

L'obligation, par ailleurs, d'embaucher au minimum trois pharmaciens pour chaque point de vente, afin de couvrir les 10 heures quotidiennes d'ouverture des magasins, a nettement réduit les gains escomptés. « Si l'on ne prend en compte que les OTC et les SOP (« senza obbligo di ricetta », produits d'automédication interdits de publicité, nous y perdons structurellement, admet Vincenzo Santaniello. Et le bénéfice offert au consommateur se fait en sacrifiant nos marges. Nous souhaitons étendre ce service à tous nos hypers et à nos supermarchés les plus grands. Mais, dans ces conditions, cette libéralisation risque de s'arrêter là. Si rien ne change, nous opérerons toujours dans un cadre limité et plutôt douloureux. »

Même constat chez Carrefour, qui a ouvert 13 corners et compte couvrir la totalité de ses hypers, soit 22 d'ici fin 2007, avec une gamme s'étendant à 3 000 références d'OTC et de produits de parapharmacie. « L'embauche obligatoire de pharmaciens constitue un frein, confirme l'administrateur délégué de Carrefour Italie, Michele Brambilla. Dans une logique différente, on aurait pu ouvrir une centaine de points de vente, mais, avec cette contrainte, on ne peut se limiter qu'aux hypers, où il y a l'espace et le potentiel de volume suffisants. Force est de reconnaître que le chiffre d'affaires supplémentaire drainé par cette activité n'est pas significatif. »

Arrivée aux mêmes conclusions, la première enseigne privée italienne Esselunga s'est retirée de la course, son principal canal, le « superstore », d'une superficie moyenne de 2 500 à 5 000 m2, se révélant inadapté à l'obligation d'avoir un espace spécifique et clairement séparé du reste des gondoles. Esselunga accuse la loi de « privilégier de fait les très grandes surfaces, empêchant ainsi une réelle concurrence ». D'autres, en revanche, comme Conad, la coopérative de distributeurs indépendants alliée à Leclerc, y trouvent leur compte. Bénéficiant de l'expérience de son partenaire, cette dernière a ainsi transposé avec succès en Italie le modèle des parapharmacies Leclerc existant déjà en France. Elle en compte 8 mais elle en vise 150 d'ici à 2009.

Contrairement à ses concurrents qui ont développé des corners d'une vingtaine de mètres carrés en moyenne, Conad-Leclerc propose des espaces fermés particulièrement soignés, d'une superficie allant de 70 à 110 m2, offrant 300 références pour l'automédication et 2 500 pour la para (beauté et bien-être). « Le client a d'emblée la sensation d'entrer dans une pharmacie, illustre Alberto Moretti, responsable des trois canaux du groupe. On a investi plus que les autres chaînes avec de belles structures et en portant une attention particulière à la qualité, car pour nous c'est un projet stratégique. Chaque point de vente réalise un chiffre d'affaires annuel de 1 million d'euros. » De fait, les parapharmacies ont gagné en crédibilité grâce à la présence du pharmacien, tout en jouant sur la diversité de leur offre.

La pharmacie obligée de faire des rabais

Certains pharmaciens n'ont pas hésité à ouvrir leur parapharmacie, histoire de brûler la concurrence sur son propre terrain. Autre conséquence immédiate de la loi, une diffusion désormais généralisée des rabais et des promotions sur les OTC en pharmacie. Une pratique qui avait été chaudement encouragée par un décret (Storace) adopté dès 2005. « En fait, on était plus ou moins obligé de baisser les prix de tous les OTC et SOP de 5 à 20 %, confie un pharmacien sous couvert de l'anonymat. Les rabais, on les faisait donc avant la libéralisation. Mais c'est sûr que maintenant, même si on n'est pas encore trop touchés par la concurrence, on fait des rabais plus importants. »

En Lombardie, par exemple, des initiatives avaient été prises en accord avec la Région, compétente en Italie en matière sanitaire, pour faire des campagnes ciblées sur une douzaine d'OTC sélectionnés et vendus 20 % moins chers. « Aujourd'hui, on s'organise avec des groupes d'acheteurs pour faire des promotions un peu dans le style de la grande distribution, indique Alessandro Carletti, titulaire d'une pharmacie à Milan qui réalise 2,3 millions de CA. On imprime des prospectus et, sur deux mois, par exemple en hiver, on fait - 30 % sur une aspirine leader du marché. Il y a eu un gros battage médiatique sur la portée de ces ristournes, mais à raison d'une dépense moyenne de 28 à 35 euros par an sur ce type de médicaments, le consommateur économise à peine 7 euros. Juste de quoi se payer un café et une brioche ! En fait, les distributeurs se sont lancés sur ce marché en imaginant pouvoir faire des bénéfices mirobolants et, aujourd'hui, ils pleurent. » Et de regretter aussi la « myopie » des industriels qui n'ont pas entendu les avertissements des pharmaciens et qui se refusaient à baisser leurs prix. « Maintenant, ils nous proposent d'eux-mêmes de participer à des opérations de promotion, sourit le pharmacien. Le problème, ce n'est pas la baisse des prix. Notre crainte ne porte pas sur les OTC mais sur tout le reste et sur le risque qu'une éventuelle extension de cette libéralisation en vienne à détruire le système pharmaceutique italien. » Avec plus de 17 500 pharmacies, une pour 3 500 habitants, l'Italie dispose déjà d'un réseau très dense, qui souffrirait inévitablement sous la pression d'une concurrence accrue.

L'autre grande inconnue est la disparition du prix fixé pour le public, un prix de base « suggéré » par les industriels au niveau national et identique pour toutes les pharmacies. Théoriquement, ce prix n'est plus en vigueur cette année, mais il figure toujours sur les conditionnements et sert encore de base aux pharmaciens comme « prix conseillé ». Mais à partir de 2008, il disparaîtra définitivement. « Pour moi, c'est un traumatisme, confie Francesca Marcon, titulaire d'une pharmacie à Venzone, un village montagnard du Frioul. Du point de vue culturel, c'est un changement complet. Lorsqu'on achetait un OTC, les grossistes nous le vendaient moins cher par rapport au prix public qui nous était imposé. Désormais, c'est moi qui vais devoir fixer mes propres prix. Je vais devoir raisonner de manière strictement commerciale, comme si je vendais n'importe quel bien de consommation. Pour nous, c'est une logique totalement inversée ! »

« C'est la logique du marché !, ironise Sergio Sparacio, secrétaire de l'Association des distributeurs pharmaciens, qui regroupe 80 % des grossistes. Auparavant nous étions tenus de vendre les OTC aux pharmaciens à un prix inférieur au prix public. A l'avenir, nous suivrons les conditions du marché. Le problème, c'est qu'il ne s'agit pas de vendre des téléphones portables. Le marché de l'automédication n'est pas extensible, les gens n'achetant que dans le besoin. L'augmentation des points de vente n'implique donc pas une croissance des ventes. » Il s'agit par ailleurs en Italie d'un marché assez restreint, comme le souligne Angelo Zanibello, responsable des génériques et des OTC au sein de Sanofi-Aventis en Italie : « En Italie, l'automédication représente un tiers du marché français ou anglais, car il y a beaucoup moins de principes actifs disponibles. »

Transformer les pharmacies en « centres de la santé »

Sans doute pour toutes ces raisons, la libéralisation n'a pas trop bouleversé encore le marché de l'automédication. Les consommateurs changent difficilement d'habitudes et les pharmacies transalpines restent le canal de vente principal. Mais la loi Bersani a néanmoins poussé les pharmaciens italiens à se remettre en cause et à réfléchir davantage à l'évolution de leur métier. La tendance, qui se profile, est désormais celle de transformer les pharmacies en « centres de la santé ». Divers pharmaciens multiplient ainsi les services au client en proposant sur place des analyses rapides de sang, de cholestérol, de glycémie, de triglycérides ou encore la prise de tension pour les personnes âgées. Certains proposent même des visites à domicile ou procurent les infirmières pour les piqûres.

« Nous ne nous décourageons pas, conclut Annarosa Rocca, présidente de Federfarma Lombardia, la fédération des pharmaciens en Lombardie. Cette libéralisation était inévitable. Nous cherchons maintenant à mettre en valeur nos atouts, avec des pharmaciens compétents et polyvalents comme sur l'homéopathie ou l'herboristerie, tout en nous adaptant avec, par exemple, des horaires d'ouverture plus flexibles. »

Nouveau coup d'accélérateur sur la libéralisation ?

Fin mai, un amendement présenté par la Rose au poing, parti d'inspiration radicale-socialiste, a été approuvé par le Parlement. Il autoriserait la vente en dehors du canal des pharmacies des médicaments de catégorie C, c'est-à-dire tous ceux nécessitant une ordonnance mais non remboursés par l'Etat. Soit un marché pesant 3 milliards d'euros. « C'est un pas en avant par rapport à la timide libéralisation de l'an dernier, souligne l'div de l'amendement Sergio D'Elia. On casse ainsi un tabou : le médicament est "lié" à une personne, le pharmacien, et non au magasin. »

La nouvelle a naturellement provoqué un tollé chez les pharmaciens. « Le gouvernement et la majorité font un autre cadeau aux grands groupes commerciaux, s'est insurgée Federfarma. Ils poursuivent leur projet de démanteler morceau par morceau la pharmacie italienne, jusqu'ici considérée comme l'une des meilleures au monde, en la remettant aux mains des chaînes commerciales de la grande distribution et des multinationales. Les pharmacies n'ont pas l'intention d'assister en silence à ce massacre et sont prêtes à prendre des initiatives de lutte pour défendre le service pharmaceutique. »

Pour sa part, le gouvernement s'est dissocié de cette initiative parlementaire. Le ministre de la Santé Livia Turco s'est notamment engagé à faire « éliminer au Sénat cette mauvaise mesure trop rapidement approuvée ». Avant que le div ne soit adopté, il doit en effet être approuvé par le Sénat. Autant dire que les prochains mois seront cruciaux pour l'avenir de la pharmacie italienne.

« C'est moins cher qu'en pharmacie »

Marco, 32 ans, célibataire

« Pour moi, qui suis un peu hypocondriaque, c'est le bonheur ! C'est sûr que c'est moins cher qu'en pharmacie. Du coup, j'achète mes médicaments en culpabilisant un peu moins. Surtout quand je prends des trucs juste pour essayer, comme récemment des pansements spéciaux pour le dos. Quand je vais dans un centre commercial, j'en profite pour faire des réserves d'aspirine et d'antidouleurs, dont je suis un grand usager. »

« Si j'ai une urgence, je ne vais pas faire 20 km »

Mariarosa, 60 ans

« C'est intéressant car cela permet d'acheter des médicaments courants pas trop chers. Malheureusement, ce genre de pharmacie reste encore bien rare. On en trouve seulement dans les très grands centres commerciaux, pas en centre-ville. Si j'ai une urgence, je ne vais pas prendre ma voiture et faire 20 kilomètres pour acheter un médicament ! Je les prends dans les hypermarchés, seulement lorsque j'y vais pour de grandes courses. »

Un marché de 2 milliards d'euros

En Italie, un médicament vendu sur cinq est un produit d'automédication. Ce marché dégage un CA annuel de 2 milliards, correspondant à 300 millions d'unités écoulées. Il se divise en deux catégories : les OTC et les SOP (« senza obbligo di ricetta »), ces derniers étant interdits de publicité. Une famille italienne dépense en moyenne 75 Euro(s) par an pour s'automédiquer, avec un achat moyen en grande surface d'une boîte et demie pour une valeur de 7 à 8 Euro(s). L'année dernière, les ventes ont enregistré une baisse de 7,4 %. Mais, selon ACNielsen, 2007 devrait marquer une reprise avec une croissance de 4 %. L'Italie reste toutefois en retrait par rapport aux autres pays européens en raison d'une offre en produits inférieure de 30 %. Par ailleurs, la TVA sur les médicaments italiens est de 10 %, soit l'une des plus élevées d'Europe.

« On a moins d'infos que dans une pharmacie »

Palma, 40 ans, mère de deux enfants

« Cette libéralisation est une excellente chose. Elle a fait économiser à mon ménage entre 10 à 20 % des dépenses sur ce genre de produits, en particulier sur l'aspirine et les ferments lactiques. Maintenant, quand je vais faire mes courses à l'hyper, j'en profite pour faire des provisions de médicaments. En revanche, le pharmacien présent en grande surface m'a donné l'impression d'être moins attentif et de donner moins d'informations que dans une pharmacie. »

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