Les troubles bipolaires - Le Moniteur des Pharmacies n° 2652 du 25/11/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2652 du 25/11/2006
 

Cahier formation

l'essentiel Les troubles affectifs bipolaires se traduisent par l'existence d'épisodes maniaques et/ou hypomaniaques alternant ou non avec des épisodes dépressifs. La plupart des patients peuvent être simultanément euphoriques, irritables et ressentir une profonde tristesse. La maladie est le plus souvent diagnostiquée entre 15 et 24 ans. Près de 9 patients sur 10 ayant présenté un épisode maniaque connaissent des récidives. Le traitement des accès aigus ou de la prévention des récidives repose sur les thymorégulateurs. Il implique de plus en plus fréquemment le recours aux antipsychotiques atypiques. Parmi les thymorégulateurs, on trouve le lithium (il faut se méfier de l'intoxication hyperlithiémique) et les anticonvulsivants, surtout les dérivés de l'acide valproïque. Les neuroleptiques conventionnels (loxapine, zuclopenthixol) tendent à être supplantés par les molécules atypiques (olanzapine, rispéridone) et bientôt aripiprazole.

ORDONNANCE : Une patiente, en sevrage alcoolique, souffrant de troubles bipolaires

Mme T, souffre d'un trouble bipolaire. Le traitement instauré en première intention par le psychiatre a été modifié. Après trois semaines d'hospitalisation, l'ordonnance de sortie comporte un normothymique (Dépakote), un antipsychotique (Loxapac), un anxiolytique (Xanax) et un antiparkinsonien (Lepticur).

LA PRESCRIPTION

Dr Cohen

Service de psychiatrie

Centre hospitalier des Tilleuls

1, rue Sainte-Anne

78000 Versailles

Tél. : 01 41 55 44 22

78 1 99999 1

Le 24 novembre 2006

Mireille T.,

47 ans, 64 kg

Dépakote 500 mg : 2 comprimés le matin, 1 comprimé à midi et 2 comprimés le soir. Loxapac solution buvable à 25 mg/ml : 50 gouttes matin et midi, 100 gouttes le soir + 100 gouttes si besoin.

Xanax 0,50 mg : 1 comprimé matin, midi et soir.

Lepticur 10 mg : 1 comprimé le matin.

qsp 2 semaines.

LE CAS

Ce que vous savez de la patiente

- Mme T., 47 ans, 1,70 m, 64 kg, sans travail depuis 2 ans, est traitée par un psychiatre pour un trouble bipolaire de type I, probablement déclenché pendant sa cure de sevrage alcoolique.

Trois semaines plus tôt, elle a été hospitalisée lors d'un épisode maniaque avec accélération psychomotrice, désinhibition, logorrhée, jeux de mots, passage du « coq à l'âne ». Lors de l'hospitalisation, la non-amélioration clinique a motivé plusieurs changements. Elle rejoint son domicile avec une nouvelle prescription. Le psychiatre a remplacé Dépamide par Dépakote. Loxapac se substitue à Théralène et Nozinan. L'arrêt de Rivotril est compensé par Xanax et Lepticur fait son apparition.

Ce dont la patiente se plaint

- D'après son mari, Mme T. se plaint d'une capacité de concentration diminuée, de confusion, de gestes imprécis. Son époux mentionne une grande anxiété et des hallucinations (madame T voit des gens dans sa chambre). Sa sécheresse buccale la gêne.

Ce que le psychiatre lui a dit

- Le médecin l'a rassurée sur une réduction des effets indésirables, notamment sur la cognition. Il a insisté pour qu'elle revienne en consultation tous les 15 jours, accompagnée de son mari. Elle doit refaire des analyses (dépakotémie, ammoniémie, bilan hépatique).

Ses analyses et examens

- Le bilan sanguin effectué (ionogramme, hémogramme, bilan hépatique) est normal ainsi que l'ECG (intervalle QT). Après 4 jours de traitement à une posologie de 500 mg, 5 fois par jour, la dépakotémie est de 103 mg/l et l'ammoniémie est de 64 µmol/l.

DÉTECTION DES INTERACTIONS

- Loxapac/Xanax

Cette association majore l'effet dépresseur du SNC. Elle est à prendre en compte pour les activités demandant de la vigilance.

- Dépakote

Ce médicament à marge thérapeutique étroite se lie fortement aux protéines plasmatiques. D'où une vigilance particulière lors d'ajout de médicament à forte fixation protéique (AINS, salicylés...) qui peut augmenter sa fraction libre active.

ANALYSE DES POSOLOGIES

-#gt; Dépakote ne doit pas être prescrit à plus de 2 500 mg par jour, ce qui majore les effets secondaires hépatiques.

-#gt; Pour Loxapac (1 mg = 1 goutte), la posologie est supérieure aux posologies préconisées (en cas de prise des 100 gouttes supplémentaires), mais reste en dessous de la limite de 600 mg/jour autorisés.

AVIS PHARMACEUTIQUE

-#gt; La prescription d'un sel de l'acide valproïque est justifiée par sa coadministration avec Loxapac. Pour Mme T., pas de lithium car sa toxicité intrinsèque serait majorée par le neuroleptique associé.

-#gt; Les symptômes de Mme T. (difficulté de concentration, hallucinations) justifient la prescription de Loxapac. Il diminue la sédation induite par les médicaments précédemment prescrits (Nozinan, Théralène). Le traitement, instauré pour six mois à un an, est parfois prolongé à vie en raison du risque de rechute.

-#gt; Xanax agit sur l'agitation psychomotrice et l'anxiété, tout en prévenant les manifestations du sevrage alcoolique. Chez un patient bipolaire, la prescription d'une benzodiazépine reste délicate (pharmacodépendance).

La durée du traitement ne doit pas excéder 8 à 12 semaines.

-#gt; Lepticur corrige les troubles moteurs induits par le neuroleptique.

INITIATION DU TRAITEMENT

Le psychiatre procède à la recherche d'antécédents susceptibles de contre-indiquer la prescription.

- Bilan clinique

Il comprend un examen cardiaque (pouls, tension, ECG), neurologique (EEG) et la mesure du poids.

- Bilan biologique

NFS, bilans rénal (créatinine) et hépatique (transaminases), glycémie à jeun, ionogramme plasmatique, triglycérides et cholestérol, hormones thyroïdiennes.

- Stratégie de mise en place

Le traitement de l'épisode maniaque comprend un thymorégulateur et, en fonction de la forme clinique, un antipsychotique et/ou une benzodiazépine à interrompre après rémission.

Ce traitement est progressif, sous surveillance clinique et biologique, avec (parfois) contrôle des concentrations plasmatiques jusqu'à équilibre.

SUIVI DU TRAITEMENT

La prescription d'un thymorégulateur et d'un antipsychotique impose une surveillance rigoureuse afin d'éviter les rechutes et de gérer au mieux les effets secondaires dose-dépendants. Ceux-ci mènent à une réévaluation fréquente et une recherche des doses minimales efficaces. Les consultations tous les 15 jours permettent cette réévaluation constante du rapport bénéfice/risque.

Le contrôle clinique est orienté selon trois axes :

-#gt; l'adhésion au schéma thérapeutique (observance) ;

-#gt; l'efficacité du traitement (disparition des symptômes, amélioration de l'état de la patiente) ;

-#gt; la tolérance (effets indésirables).

Effets secondaires attendus

L'interrogatoire est essentiel pour les dépister. Mais la plupart sont rares : rassurer la patiente.

-#gt; Asthénie, anorexie, douleurs abdominales,vomissements signent une hépatopathie ou une pancréatite (Dépakote).

-#gt; Hyperthermie, instabilité neurovégétative, rigidité musculaire, altération des facultés mentales évoquent un syndrome malin des neuroleptiques.

-#gt; Insomnie, céphalées, anxiété, myalgies, tension musculaire et irritabilité alertent sur une pharmacodépendance aux benzodiazépines.

-#gt; Les effets atropiniques (sécheresse buccale, troubles de l'accommodation, troubles mictionnels, constipation...) sont dus à Lepticur.

-#gt; La prise de poids peut démotiver les patients (Dépakote, Loxapac).

Suivi clinique

-#gt; Des troubles du comportement sont les signes d'une inefficacité ou d'une mauvaise observance.

-#gt; Des troubles de la conscience (de la somnolence au coma) sont les signes d'un surdosage.

Suivi biologique

Il concerne la « dépakotémie » et la détection rapide d'effets secondaires éventuels dus au traitement. Bien que non obligatoire, le dosage plasmatique du valproate est recommandé pour cibler la posologie minimale efficace. Les taux au-delà de 150 mg/l nécessitent une réduction de la posologie. Sont contrôlées régulièrement les fonctions hépatique et hématologique. L'arrêt est immédiat s'il y a une altération importante des paramètres.

Dossier patient

Il est judicieux de noter l'automédication sur le dossier de la patiente. La demande d'antiémétiques et d'antispasmodiques peut révéler une hépatopathie.

VALIDATION DU CHOIX DES MÉDICAMENTS

Loxapac 25 mg/ml (loxapine)

- Antipsychotique de la famille des dibenzo-oxazépines.

- Indiqué dans les états psychotiques aigus et chroniques.

- La posologie, comprise entre 75 et 200 mg par jour en une seule prise le soir ou fractionnée, peut s'élever à 600 mg.

Dépakote 500 mg (divalproate de sodium)

- Anticonvulsivant thymorégulateur.

- Indiqué dans les épisodes maniaques chez les patients souffrant de trouble bipolaire en cas de contre-indication ou d'intolérance au lithium.

- La posologie initiale de 750 mg par jour répartie en 2 à 3 prises est augmentée de façon progressive par paliers pour atteindre la dose minimale efficace en une semaine environ. La dose quotidienne se situe entre 1 000 et 2 000 mg.

Xanax 0,50 mg (alprazolam)

- Anxiolytique de la classe des benzodiazépines.

- Indiqué dans le traitement symptomatique de l'anxiété sévère et/ou invalidante, dans la prévention et le traitement du delirium tremens et autres manifestations du sevrage alcoolique.

- La posologie moyenne se situe entre 1 et 2 mg par jour. Le traitement est initié à la dose de 0,75 à 1 mg par jour, répartie en 3 prises avec adaptation en fonction de la réponse thérapeutique. Le traitement doit être aussi bref que possible : 8 à 12 semaines pour la majorité des patients.

Lepticur 10 mg (tropatépine)

- Antiparkinsonien, anticholinergique

- Indiqué dans la correction des syndromes parkinsoniens induits par les neuroleptiques.

- La posologie est variable, adaptée individuellement, en moyenne de 2 à 3 comprimés par jour.

PLAN DE PRISE CONSEILLÉ -#gt; Dépakote : avaler les comprimés avec un verre d'eau. Bien que l'effet optimal soit obtenu à distance des repas, la prise en cours de repas améliore la tolérance digestive. -#gt; Loxapac : mettre les gouttes dans un peu d'eau et avaler le liquide au cours du repas. -#gt; Xanax : avaler les comprimés, sans les écraser, avec un grand verre d'eau. Le moment de prise est indifférent par rapport aux repas. -#gt; Lepticur : prendre le comprimé avec une boisson non gazeuse au cours du petit déjeuner.

CONSEILS À LA PATIENTE

Calendrier de traitement

-#gt; Insister sur l'observance avec respect des posologies.

-#gt; Ne pas interrompre brutalement le traitement.

-#gt; Les médicaments doivent être pris chaque jour à heures régulières.

-#gt; Eviter toute automédication. Les AINS et salicylés modifient l'équilibre thérapeutique du valproate (préférer le paracétamol). Les autres dépresseurs du SNC (antihistaminiques H1, analgésiques et antitussifs avec dérivés morphiniques...) et les médicaments alcoolisés majorent l'effet sédatif du traitement et peuvent aggraver les troubles bipolaires en induisant des épisodes maniaques. Attention à la phytothérapie : pas de millepertuis (contre-indiqué avec Dépakote) !

-#gt; Insister sur l'importance des examens de suivi permettant d'évaluer l'efficacité du traitement.

-#gt; Effectuer les examens biologiques toujours à la même heure et si possible dans le même laboratoire.

-#gt; Signaler la prise du traitement lors de toute autre consultation.

Rester vigilant

-#gt; Contacter le médecin en cas de signes inhabituels : fièvre ou hyperthermie inexpliquée, recrudescence des signes extrapyramidaux.

-#gt; Surveiller son poids : manger moins de sucres rapides et avoir une activité physique (marche, natation...).

-#gt; Des troubles de la vision peuvent survenir (avec Loxapac).

-#gt; Pour lutter contre la sécheresse buccale (plainte de la patiente), une hygiène buccodentaire rigoureuse avec surveillance des dents (apparition de caries), soins de bouche fréquents au bicarbonate et maintien de l'humidité de la bouche au moyen de brumisateurs est souhaitable.

Proposer également les substituts salivaires, correcteurs de l'hyposialie (Artisial, Aequasyal, voire le spray Buccotherm), ou les sialagogues : anétholtrithione (Sulfarlem S25).

-#gt; Eviter les activités génératrices de stress.

-#gt; Dormir au moins 7 heures par nuit, éviter les grasses matinées et les siestes, mais ne pas lutter contre le sommeil.

Pour les proches

-#gt; Suggérer l'adhésion de la patiente à un centre d'hygiène alimentaire et d'alcoologie.

-#gt; Maintenir l'implication de l'entourage afin qu'il s'assure de la bonne observance du traitement, qu'il signale les effets indésirables, qu'il détecte des posologies inefficaces.

-#gt; Témoigner de la patience à l'égard de la malade : l'encourager, éviter les critiques, les émotions exagérées.

Par G. Désaméricq, L. Chorfa-BakirKhodja et Pr J. Calop, CEEPPPO, CHU de Grenoble, I. De Beauchamp, R. Puech, centre hospitalier psychiatrique de Saint-Egrève

PATHOLOGIE : Qu'est-ce qu'un trouble affectif bipolaire ?

Les troubles affectifs bipolaires sont caractérisés par l'alternance, selon des séquences variables en intensité et en durée, d'épisodes d'hyperréactivité et d'hyporéactivité émotionnelles.

Les troubles affectifs bipolaires, autrefois nommés psychose maniacodépressive, fédèrent un ensemble pathologique dont l'unité pourrait confiner avec celle des psychoses. Ils se traduisent par l'existence d'épisodes maniaques et/ou hypomaniaques, alternant ou non avec des épisodes dépressifs. La plupart des sujets bipolaires peuvent être simultanément euphoriques, irritables et ressentir une profonde tristesse : c'est l'intensité des émotions plus que leur seule tonalité affective qui caractérise la bipolarité, selon un continuum allant d'une hyperréactivité à une hyporéactivité émotionnelle.

Ces états pathologiques de la thymie ne sont pas induits par la consommation de substances psychoactives, n'ont pas une origine iatrogène (corticothérapie...) et ne révèlent pas une pathologie somatique (hyperthyroïdie...). L'existence d'un épisode maniaque ou hypomaniaque, même isolé, permet de porter en général un diagnostic de trouble bipolaire, même en cas d'absence d'épisode dépressif. L'inverse n'est pas exact car la maladie dépressive isolée (en fait un trouble affectif unipolaire) n'est pas considérée comme une expression de la maladie bipolaire.

EPIDÉMIOLOGIE

-#gt; Le risque de morbidité en population générale varie entre 0,6 et 1,6 % pour les formes typiques et jusqu'à 8 % pour les présentations plus frustres. Le sex-ratio de leur prévalence est voisin de 1.

-#gt; La maladie est souvent diagnostiquée entre 15 ans et 24 ans, mais il existe des formes plus tardives.

-#gt; Le risque pathologique s'accroît lorsqu'il y a des antécédents familiaux pour atteindre 10 % si la maladie est repérée chez des parents de premier degré.

-#gt; Le taux des récurrences est élevé : environ 85 % des patients ayant présenté un épisode maniaque ou dépressif connaîtront des récidives.

FACTEURS DE RISQUE

Le déterminisme de l'affection intrique des facteurs de vulnérabilité génétique à des facteurs environnementaux dans lesquels les événements de vie jouent un rôle important : carences affectives, agressions sexuelles dans l'enfance, conflits conjugaux, deuils, difficultés sociales et/ou professionnelles, stress continu, non-respect des rythmes biologiques propres.

PHYSIO-PATHOLOGIE

La bipolarité résulterait d'une dysfonction dans le contrôle sérotoninergique des stimuli noradrénergiques centraux. Le non-contrôle de l'hypernoradrénergie finirait par induire un épuisement noradrénergique avec perte de réactivité émotionnelle se traduisant par un épisode dépressif. Le circuit dopaminergique jouerait un rôle secondaire, les variations des taux de dopamine ne faisant que dépendre de l'équilibre noradrénaline/sérotonine. Ce modèle explique notamment :

-#gt; l'emballement émotionnel susceptible d'être observé lors d'un sevrage brutal après traitement antidopaminergique ;

-#gt; l'instabilité émotionnelle observée lors de traitements par des molécules trop puissamment et sélectivement sérotoninergiques ou noradrénergiques.

SIGNES CLINIQUES SYNDROMIQUES

La maladie bipolaire constitue un ensemble syndromique d'une extrême hétérogénéité. On distingue plus de huit types de troubles bipolaires : quatre troubles principaux (BP I à BP IV) et quatre troubles intermédiaires (BP 1/2 à BP III 1/2).

Trouble bipolaire I

Le trouble bipolaire I (BP I) se caractérise par l'alternance d'épisodes dysthymiques majeurs justifiant souvent l'hospitalisation du malade. Se succèdent de façon variable des accès maniaques dominant la maladie et des accès dépressifs. Ces phases paroxystiques sont entrecoupées de phases de rémission plus ou moins prolongées pendant lesquelles l'humeur du patient est normale ou presque (euthymie).

- Episode maniaque

L'accès maniaque (« mania » désignant en grec un état de folie accompagné d'excitation) suit souvent une période dépressive ou subdépressive. Il se caractérise par un état d'euphorie persistante, de tachypsychie accompagnée d'une exaltation affective et d'irritabilité. Cet épisode aigu s'installe d'une manière souvent brutale. L'agitation du patient augmente rapidement : il dort de moins en moins, multiplie ses activités, a des désirs sexuels augmentés, se lance dans des achats inconsidérés et inutiles (d'où un danger social et familial, lorsque l'équilibre économique du foyer est mis en jeu), parle et/ou écrit beaucoup (logorrhée, graphorrhée), il se révèle d'une familiarité inusitée et parfois déplacée. Se disant vivre plus intensément, il paraît infatigable, échafaude des projets d'envergure (avec souvent le sentiment d'être investi de missions dans le domaine humanitaire ou religieux) et se sent capable de tout réussir. Cependant, la versatilité de son humeur, la fuite de ses idées et sa distractibilité frappent autant que son exaltation. La crise d'optimisme est entrecoupée de moments d'angoisse, voire de colère et d'agressivité. Il est fréquent que des incidents émaillent l'accès, même chez des sujets ordinairement réservés : tapage nocturne, outrage à la pudeur, scandales publics. Les signes cliniques sont aggravés par la consommation de substances psychoactives (environ la moitié des sujets bipolaires sont concernés par des abus de drogue et d'alcool). Le patient ne reconnaît pas son état comme pathologique, ne se vit pas comme malade : une hospitalisation libre demeurant difficile à faire accepter, il doit souvent être hospitalisé d'office (loi du 27 juin 1990).

En l'absence de traitement, l'accès maniaque régresse en quelques mois. Certains accès se limitent à quelques semaines, alors que d'autres se prolongent plusieurs années, notamment chez le sujet de plus de 50 ans. La chimiothérapie réduit considérablement l'intensité de l'accès, qui ne dure désormais pas plus de un à deux mois - la normalisation du sommeil constituant l'un des meilleurs critères de guérison -, mais un traitement d'entretien doit être poursuivi pendant une période prolongée. Pour autant, une phase dépressive fait quasiment toujours suite à échéance plus ou moins rapide.

- Episode dépressif

L'épisode dépressif est habituellement inauguré par de l'insomnie et une asthénie. La symptomatologie se précise en quelques semaines à quelques mois. Lorsque tous les signes caractérisant la dépression sont réunis (épisode dépressif dit « majeur »), le patient, incapable de toute activité, ne s'intéresse plus à ce qui l'entoure, à ses activités, à sa famille et à ses proches. Vieilli, affaissé sur lui-même, le regard fixe, les sourcils froncés, il reste inerte, prostré, limitant ses gestes au maximum, parlant peu. Certaines formes anxieuses peuvent, au contraire, être caractérisées par une agitation importante. Une bradypsychie est de règle, la pensée est appauvrie et tout effort de concentration s'avère impossible. Le patient se focalise sur des idées pessimistes, des préoccupations hypocondriaques, un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité susceptible de l'entraîner au suicide.

Les symptômes somatiques sont dominés par une insomnie constante, rebelle aux hypnotiques, survenant parfois en début mais plus souvent en fin de nuit. L'enregistrement électroencéphalographique présente des anomalies. S'y ajoutent des troubles digestifs avec anorexie, constipation et amaigrissement. Des troubles neurovégétatifs peuvent s'observer : ils associent crises sudorales, frilosité, lipothymie. La libido est fortement diminuée. L'aménorrhée est quasiment constante chez la femme.

Autres troubles bipolaires

Si le modèle typique demeure le BP I, il existe d'autres troubles, dont la symptomatologie maniaque est plus frustre. Ces présentations « atténuées », intermédiaires entre maladie dépressive et BP I, bien plus fréquentes que le BP I (5 % à 8 % de la population), se caractérisent par la survenue d'accès hypomaniaques moins spectaculaires que les accès maniaques et dont le diagnostic peut se révéler difficile. On retrouve en association hyperthymie, excitation intellectuelle, hyperactivité, troubles du caractère, mais ces manifestations n'atteignent pas une intensité justifiant l'hospitalisation ou perturbant gravement les relations socioprofessionnelles.

Le symptôme d'alerte le plus fréquent demeure l'insomnie car l'entourage familial ou professionnel du patient peut méconnaître le caractère pathologique des signes purement thymiques.

- Trouble bipolaire II

Il est défini par la succession d'épisodes dépressifs majeurs et d'hypomanie d'une durée d'au moins quatre jours ne nécessitant pas d'hospitalisation. Il peut, rarement, évoluer en BP I.

- Trouble bipolaire III

Il correspond à l'association d'épisodes dépressifs majeurs récurrents, d'épisodes maniaques ou hypomaniaques brefs (2 à 4 jours) induits pharmacologiquement par l'administration du traitement antidépresseur. La tonalité thymique générale reste dépressive.

- Trouble bipolaire IV

Le trouble bipolaire IV (« dépression hyperthymique ») associe des épisodes dépressifs majeurs, généralement de type mixte (sensation de tristesse importante mais pulsions sexuelles irrépressibles), à un tempérament hyperthymique (expression presque permanente de traits hypomaniaques).

- Trouble cyclothymique

Il a pour définition l'existence pendant au moins deux ans de variations de l'humeur n'atteignant pas l'intensité d'épisodes majeurs, sans que les rémissions excèdent deux mois, avec une souffrance cliniquement significative.

- Troubles « non spécifiés »

Ils ne répondent pas aux critères des troubles évoqués précédemment. Ils se caractérisent par l'alternance sur quelques jours de symptômes maniaques et dépressifs ou d'épisodes hypomaniaques récurrents sans symptomatologie dépressive.

Ces formes sont individualisées, notamment chez les femmes. Leur origine est controversée. On ne sait s'il s'agit d'un trouble bipolaire ou d'une affection autonome (ces patients répondent inconstamment au lithium mais de façon souvent satisfaisante aux anticonvulsivants).

Il existe même des sujets « cycleurs ultrarapides », avec alternance des cycles sur un ou deux jours.

SIGNES CLINIQUES SUBSYNDROMIQUES

Il existe des formes moins repérables dont les symptômes sont extrêmement discrets.

Les troubles subsyndromiques caractérisent les « tempéraments affectifs » ou « maniacodépressifs » : tempérament cyclothymique, hyperthymique, dysthymique ou irritable. Le spectre maniacodépressif est progressivement élargi vers les troubles de la personnalité.

L'intérêt des formes subsyndromiques a été longtemps négligé, même si leur retentissement en termes de souffrance et de morbidité se constate au quotidien et si elles entraînent des conséquences psychosociales importantes, exposant à un risque toxicomaniaque et/ou suicidaire en l'absence de tout trouble bipolaire cliniquement individualisé.

La problématique de la thymorégulation englobe donc l'ensemble de l'existence du patient bipolaire.

Cette dimension pathologique influence l'expression clinique des épisodes syndromiques (un patient ayant un tempérament plutôt dépressif en période intercritique présente des épisodes syndromiques moins purement maniaques) et se traduit par une hyperréactivité et une instabilité émotionnelles qu'accompagne une labilité affective, voire une dysthymie, une irritabilité et une tendance à la cyclothymie.

Il semble que ces formes subsyndromiques constituent un facteur de risque de développer une maladie bipolaire caractérisée lorsqu'elles apparaissent précocement dans l'histoire psychique du sujet.

On ne peut donc évoquer de rémissions qu'en ce qui concerne les manifestations aiguës de la maladie bipolaire, mais non en ce qui concerne la maladie elle-même.

COMPLICATIONS

-#gt; Le taux de mortalité des sujets non traités est deux à trois fois supérieur à celui de la population générale.

Les troubles bipolaires constituent l'une des premières causes de mortalité par suicide : 25 à 50 % des patients souffrant de cette affection font une tentative de suicide et plus de 60 % d'entre eux présentent régulièrement des idées suicidaires, indépendamment de la survenue d'épisodes dépressifs caractérisés.

-#gt; Les relations sociales et le parcours professionnel sont très fréquemment détériorés.

-#gt; Les troubles affectifs bipolaires occasionnent pour la société un coût très élevé aussi bien en termes de consommation de soins qu'en pertes indirectes de productivité (arrêt de travail, manque d'efficacité).

Par le docteur Jean-Louis Senon, professeur de psychiatrie adulte, et Denis Richard, pharmacien hospitalier

ThÉrapeutique : Comment traiter la maladie bipolaire ?

Le traitement des troubles bipolaires implique de plus en plus fréquemment le recours aux antipsychotiques atypiques et aux anticonvulsivants. Les stratégies de prophylaxie ou de traitement des accès aigus tiennent compte de la résistance de la maladie et du profil symptomatique du patient.

THYMO-RÉGULATEURS

La famille des médicaments régulateurs de l'humeur (normothymiques ou thymorégulateurs) a été inaugurée par le lithium. L'action thymorégulatrice pourrait être liée à des effets qui préviendraient l'embrasement (ou « kindling ») de la transmission nerveuse dans le système limbique : c'est l'effet « antikindling », analogue à celui des anticonvulsivants dans l'épilepsie.

Le lithium

- En curatif

-#gt; La lithiothérapie (Téralithe, Neurolithium) constitue le traitement de référence de l'épisode maniaque : les sels de lithium ont un effet curatif chez 60 à 95 % des patients. Il faut cependant attendre une à trois semaines pour un impact thérapeutique. On associe entre-temps soit un antipsychotique, soit un thymorégulateur anticonvulsivant, soit parfois une benzodiazépine.

-#gt; L'activité demeure moindre dans les formes dysphoriques, mixtes, délirantes et chez les cycleurs rapides. Elle est également plus inconstante quand les accès maniaques sont associés à des troubles addictifs, à un abus toxicomaniaque ou alcoolique, à des lésions cérébrales ou à des troubles de la personnalité.

-#gt; La réponse au lithium est bonne sur les épisodes dépressifs s'ils s'inscrivent dans l'évolution d'un trouble bipolaire. L'avantage du lithium est d'éviter le virage maniaque observé dans plus de 35 % des cas avec les antidépresseurs.

- En prophylaxie

L'intérêt d'une lithiothérapie prophylactique peut être discuté dès le premier épisode maniaque, d'autant plus qu'il est brutal, intensif, sans facteurs précipitants et, surtout, avec antécédents familiaux. Pour éviter la résistance ultérieure, certains psychiatres préconisent une prescription précoce et ininterrompue. Le lithium est parfois utilisé pour la prévention des épisodes dépressifs majeurs récurrents, souvent en association à un traitement antidépresseur. Il est le seul thymorégulateur à bénéficier d'une AMM dans les troubles schizoaffectifs.

- Effets indésirables

Jusqu'à 75 % des patients sous lithium rapportent des effets indésirables, dont la plupart, bénins, sont supprimés par l'écrêtement des pics plasmatiques (forme LP) ou par une diminution des doses.

Les effets secondaires les plus courants sont une polyurie et une polydypsie (limitées par administration de diurétiques ou par administration d'une dose vespérale unique), une prise de poids, des troubles cognitifs (difficultés de concentration, perte de mémoire), un tremblement (limité par administration de bêtabloquants), une sédation, des troubles digestifs (limités par la prise lors des repas), une perte de cheveux, une leucocytose modérée, de l'acné, des oedèmes. La survenue de troubles cardiaques est plus rare. Un hypothyroïdisme est décrit chez 5 à 35 % des patients.

Ces effets indésirables expliquent la nécessité d'un examen clinique, biologique et biochimique rigoureux. En l'absence de contraception chez la femme en âge de procréer, on réalise un test de grossesse (la grossesse pendant les trois premiers mois n'est plus une contre-indication absolue au traitement, mais, lorsque le traitement est poursuivi, il impose une surveillance anténatale stricte. Au-delà de 50 ans, on pratique un électrocardiogramme.

- Initiation

Le traitement est initié par deux ou trois administrations quotidiennes d'un sel de lithium (Neurolithium, Téralithe) réparties sur le nycthémère (lors des repas pour Téralithe 250 mg). L'observance est facilitée par l'utilisation de la forme à libération prolongée administrée en une prise unique vespérale (Téralithe LP 400 mg). Malgré tout, la compliance au traitement demeure médiocre, et ce d'autant que le sujet dénie l'existence d'un trouble chronique et accepte mal les contraintes quotidiennes de la prescription.

En cas d'inefficacité d'une prophylaxie par le lithium ou de résistance secondaire, on envisage d'augmenter la posologie en surveillant la tolérance et les taux plasmatiques, de changer de thymorégulateur ou d'associer le lithium à un autre antimaniaque.

- Surveillance

Outre l'humeur et les fonctions psychiques, il faut surveiller le poids (régime adapté), l'hydratation et les interactions médicamenteuses.

Les anticonvulsivants

- Dérivés de l'acide valproïque

Le valproate de sodium (Dépakine) a longtemps été utilisé hors AMM en psychiatrie. Aujourd'hui, deux molécules sont spécifiquement indiquées dans le traitement de la maladie bipolaire : le divalproate de sodium (Dépakote) et le valpromide (Dépamide). Très bien tolérées, elles exposent cependant à un risque de somnolence, à des troubles digestifs transitoires, à une chute des cheveux, à une prise de poids, à des troubles du cycle menstruel. Exceptionnellement et notamment en cas d'antécédents, elles peuvent induire des troubles hépatiques, hématologiques ou pancréatiques.

L'intoxication est dominée par un coma calme avec hypotonie et hyperréflexie, myosis, diminution de l'amplitude respiratoire. Elle peut justifier une dialyse.

-#gt; Le divalproate de sodium (Dépakote) est une alternative aux limites du lithium - inefficace, contre-indiqué ou mal toléré chez plus d'un tiers des patients - ou de la carbamazépine. Il bénéficie d'une bonne tolérance à 20-30 mg/kg/jour.

Les recommandations internationales en font un traitement de première ligne (comme le lithium), en monothérapie dans les formes légères à modérées ou en association avec un antipsychotique atypique dans les formes sévères. Son efficacité est supérieure à celle du lithium dans les formes mixtes et il constitue une référence dans le traitement des épisodes maniaques chez les sujets à cycles rapides.

Le divalproate peut aussi être prescrit au long cours, en prophylaxie, au même titre que le lithium avec lequel il peut d'ailleurs être associé (hors AMM).

-#gt; Le valpromide (Dépamide), presque complètement métabolisé en acide valproïque, franchit la barrière hématoencéphalique. Il prolonge la demi-vie du métabolite actif de la carbamazépine qui passe de 6,5 à 20,5 heures en moyenne. L'association carbamazépine-valpromide risque d'induire un syndrome confusionnel ou une hépatite. Le valpromide augmente le taux plasmatique de nombreux médicaments. Il est indiqué à posologie progressive après bilan hépatique, dans le traitement du trouble bipolaire des patients présentant une contre-indication ou une intolérance à l'emploi du lithium ou de la carbamazépine.

- Carbamazépine et dérivés

-#gt; La carbamazépine (Tégrétol) a une action curative sur les épisodes maniaques aigus comparable au lithium et aux antipsychotiques. Elle est moins efficace dans la prophylaxie des épisodes maniaques et dépressifs. Elle a aussi une action prophylactique sur les épisodes dysthymiques de toute nature.

La carbamazépine est indiquée en cas de résistance ou de contre-indication au lithium auquel elle peut être associée.

Après avoir effectué un bilan complet, la carbamazépine est administrée à doses progressives (paliers de deux à cinq jours), en évaluant la tolérance, en deux à trois prises quotidiennes avant de passer à la forme à libération prolongée. La posologie est de 400 à 800 mg/j dans les indications préventives et de 600 à 1 200 mg/j dans le traitement curatif des états maniaques.

Les effets indésirables neurologiques (diplopie et autres troubles de la vision, fatigue, nausée, ataxie) sont souvent transitoires. Rashs cutanés, leucopénie, thrombocytopénie, hyponatrémie, hypo-osmolalité, prise de poids sont moins fréquents. La fonction hépatique peut être altérée.

L'intoxication aiguë par la carbamazépine est aggravée par l'association à l'alcool, aux tricycliques, au lithium, aux barbituriques, aux hydantoïnes (phénytoïne).

-#gt; L'oxcarbazépine (Trileptal) ne bénéficie pas d'une AMM dans le traitement des troubles psychiatriques mais est cependant prescrite à la place de la carbamazépine en raison de sa meilleure maniabilité.

- Lamotrigine

La lamotrigine (Lamictal) exerce essentiellement une activité prophylactique sur les récidives dépressives ou maniaques et s'est avérée également active dans le traitement des épisodes dépressifs chez le sujet bipolaire.

Son administration expose à des effets indésirables cutanés, notamment en cas d'association au divalproate et l'instauration du traitement doit être très progressive. Son association au divalproate augmente ses taux sériques et donc le risque toxique. Elle ne bénéficie pas encore d'une AMM dans les troubles bipolaires.

- Autres anticonvulsivants

-#gt; Le topiramate et la gabapentine sont proposés en dernière ligne dans le traitement des accès aigus de manie chez les sujets résistants aux associations plus classiques (hors AMM). Les données sont encore insuffisantes.

ANTI-PSYCHOTIQUES

- Neuroleptiques conventionnels

Bien que tous les neuroleptiques puissent théoriquement être utilisés dans les accès maniaques ou hypomaniaques, seules deux molécules bénéficient d'une AMM, la loxapine (Loxapac) et le zuclopenthixol (Clopixol). Souvent prescrits en association au lithium ou à un anticonvulsivant, ils sont intéressants dans les accès avec agitation, agressivité ou illusions sensorielles car ils agissent rapidement. Toutefois, ils exposent à des effets indésirables extrapyramidaux, à des dyskinésies tardives, à une prise de poids parfois importante et à des troubles sexuels, d'où une mauvaise observance du traitement.

- Antipsychotiques atypiques

Les antipsychotiques atypiques sont prescrits en première ligne ou comme adjuvants aux thymorégulateurs ou comme alternatives aux stratégies de traitement classiques. Cet usage est officialisé par des extensions d'AMM (olanzapine, rispéridone). Il n'implique pas de bilan préalable ni de surveillance systématique, ni de contrôle du taux plasmatique.

-#gt; L'olanzapine (Zyprexa, Zyprexa Velotab) est un antipsychotique proche de la clozapine (Leponex) ayant démontré une action antimaniaque et thymorégulatrice intrinsèque. Elle est indiquée en première intention :

- sous forme orale dans le traitement des épisodes maniaques modérés à sévères ainsi que dans la prévention des récidives du trouble bipolaire ;

- sous forme injectable pour obtenir un contrôle rapide de l'agitation et des troubles du comportement chez les patients présentant des épisodes maniaques lorsque le traitement oral n'est pas adapté.

Associée à des normothymiques conventionnels, elle se révèle plus active qu'une monothérapie sur les épisodes maniaques ou mixtes.

-#gt; La rispéridone (Risperdal, Risperdaloro) manifeste une action antidépressive intrinsèque et exerce également une action antimaniaque aussi efficace que le lithium à une posologie moyenne de 2 à 6 mg/jour (inférieure à la posologie habituellement requise chez le patient schizophrène). En monothérapie ou en association à un normothymique conventionnel, elle bénéficie d'une AMM, chez l'adulte, dans le traitement à court terme des épisodes maniaques aigus modérés à sévères. L'administration ne doit toutefois pas excéder trois semaines.

-#gt; L'aripiprazole (Abilify) a une efficacité démontrée dans le traitement des épisodes maniaques ou mixtes et il bénéficiera prochainement d'une extension d'indication.

-#gt; La clozapine (Leponex) se révèle, outre son action sur les patients schizophrènes résistants, efficace sur les troubles schizoaffectifs ou bipolaires, y compris chez les sujets résistants ou intolérants au lithium, à la carbamazépine, au divalproate ou aux antipsychotiques conventionnels, ainsi que chez les sujets à cycles rapides. Elle expose à un risque d'agranulocytose, à une hypersialorrhée et à une sédation. Sa prescription dans ce type d'indication demeure hors AMM.

PRINCIPALES INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES

ANTI-DÉPRESSEURS

Les antidépresseurs constituent le traitement de première intention de l'épisode dépressif. Aucune famille n'est à privilégier. Les antidépresseurs sont généralement associés à un normothymique pour prévenir le risque de virage maniaque.

Le traitement est poursuivi sur une période d'au moins six mois après la disparition totale de la symptomatologie dépressive pour prévenir les rechutes.

Constituant le traitement de première intention de l'épisode sévère, notamment lorsqu'il y a un fort ralentissement psychomoteur et une importante hyporéactivité émotionnelle, les antidépresseurs sont moins puissants chez les sujets à traits névrotiques ou délirants.

STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE

-#gt; La gravité de la maladie bipolaire et la souffrance qu'elle induit imposent une prise en charge thérapeutique précoce et rapide, qui conditionne à la fois le pronostic et les risques évolutifs sociorelationnels ultérieurs.

-#gt; Le traitement repose sur la chimiothérapie et sur une psychothérapie pour prévenir les troubles socio-relationnels et apprendre au patient à gérer ses émotions, ses stress, à reconnaître les signes cliniques caractérisant l'épisode maniaque.

La survenue des épisodes aigus est ainsi mieux contrôlée et/ou leur symptomatologie est moins exacerbée.

-#gt; L'électroconvulsivothérapie est aussi utilisée en curatif.

-#gt; Les objectifs majeurs sont le traitement de l'épisode maniaque ou dépressif aigu puis la prévention de ses récidives et la stabilisation du patient en veillant à ne jamais induire un virage de polarité opposée à l'accès aigu. Ce traitement doit bénéficier d'une bonne tolérance car il est poursuivi au minimum sur trois à six mois (accès maniaque).

-#gt; La pathologie étant repérée à l'occasion d'un accès dysthymique aigu, le traitement est initié lors de la prise en charge de cet accès. Le traitement de l'accès maniaque caractérisé doit débuter en milieu hospitalier (pour protéger le patient vis-à-vis de lui-même et obtenir une observance satisfaisante pendant l'accès), comme celui de l'accès dépressif (risque suicidaire).

-#gt; Le traitement prophylactique est destiné à prévenir la récurrence de nouveaux épisodes dysthymiques chez un sujet redevenu euthymique. En pratique, on instaure souvent une prophylaxie après un épisode maniaque ; dans les autres cas (épisode hypomaniaque, épisode dépressif), la décision est prise au vu des antécédents familiaux et du condiv.

Par Denis Richard, pharmacien hospitalier, et le docteur Jean-Louis Senon, professeur de psychiatrie adulte

CONSEILS AUX PATIENTS

Un diagnostic parfois méconnu

Dix ans s'écoulent parfois entre les premiers signes et le diagnostic des troubles bipolaires, trop souvent soignés comme une dépression classique. Si un patient jugé dépressif ne réagit pas au traitement prescrit, en épuise plusieurs sans aucune amélioration au bout de quelques mois, mieux vaut alerter le médecin généraliste ou consulter un psychiatre.

Ne pas stigmatiser

Utiliser le terme « troubles bipolaires » à la place de « maniacodépressif » ou « psychose maniaco-dépressive » permet d'évacuer la stigmatisation des termes « manie », « dépression » ou « psychose ».

Favoriser l'observance

-#gt; Informer précocement des effets secondaires, à l'origine d'une inobservance qui concerne 3 à 5 patients sur 10 : prise de poids rapide et importante (olanzapine), chute de cheveux (divalproate), tremblements (lithium...) et perte d'élan vital ressenties avec tous les normothymiques. L'arrêt thérapeutique peut entraîner une rechute dans les 15 jours.

-#gt; Dès la primoprescription d'olanzapine, avertir du risque d'augmentation de l'appétit - avec prédilection pour les produits sucrés dont la consommation est à modérer. Le poids est à surveiller. Une augmentation de plus de 5 kg après 3 mois de traitement nécessite une consultation diététique.

-#gt; Contacter le psychiatre en cas de survenue d'effets gênants afin de réclamer soit une modification de posologie, soit un changement de molécule. Le patient doit éviter les non-dits et exprimer ce qu'il ressent auprès de son médecin dans un souci d'alliance thérapeutique.

-#gt; Suspecter le stockage : un patient dont le comportement change, qui continue à venir chercher son traitement et pour lequel la famille s'inquiète de l'observance, doit inciter à la prudence. Une consultation médicale rapide peut éviter une tentative de suicide en phase dépressive, facilitée par un gros stock de médicaments.

Surveiller le traitement

-#gt; Veiller à la réalisation de la lithiémie chez les patients sous lithium (3 à 4 dosages par an), particulièrement en cas de déshydratation, de régime désodé strict (à éviter) ou de prise d'AINS (préférer le paracétamol en automédication).

-#gt; Les signes d'une pancréatite sous divalproate se manifestent par des douleurs abdominales, des nausées, une perte d'appétit.

-#gt; Surveiller toute éruption cutanée sous lamotrigine qui survient généralement dans les premières semaines de traitement. Certaines éruptions peuvent s'avérer graves (nécrolyse épidermique toxique, syndrome de Stevens-Johnson).

-#gt; L'olanzapine est un neuroleptique avec des effets secondaires classiques (hypotension orthostatique...) et qui provoque une diminution de la tolérance aux glucides (risque de diabète).

Un mode de vie adéquat

-#gt; Eviter au maximum les situations de stress, les carences de sommeil, en essayant de se réveiller à la même heure tous les jours.

-#gt; Aménager son emploi du temps professionnel avec la médecine du travail afin d'éviter les postes dont la charge peut s'avérer nuisible à un bon équilibre psychiatrique.

-#gt; Restreindre la consommation de tous les psychostimulants (caféine, alcool...).

-#gt; La somnolence inhérente à la plupart des médicaments doit être prise en compte (conduite, utilisation de machines) pour éviter tout accident.

Rassurer et déculpabiliser

-#gt; Les conduites délictueuses (vol, agression physique...) en accès maniaque perturbent profondément le malade lorsqu'il s'en rend compte ultérieurement, sans parler des proches confrontés aux autorités. Il est bon d'encourager l'entourage à renforcer les liens entre le médecin et le patient.

L'entourage doit participer activement à la prise en charge de la maladie et s'informer pour faire preuve de compréhension et fixer des limites.

-#gt; En cas de violence, l'hospitalisation en urgence est possible. L'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) nécessite deux certificats médicaux (un seul en cas de HDT dite à péril immédiat) de médecins qui ne peuvent être en aucun cas psychiatres de l'hôpital où l'hospitalisation sera faite.

En cas de troubles de l'ordre public, le maire ou le préfet peuvent demander l'hospitalisation d'office.

-#gt; Laisser bien en vue les coordonnées d'un médecin joignable rapidement en cas de problème, y compris le week-end.

Par Christine Julien, pharmacienne

L'AVIS DU SPÉCIALISTE : « Ne pas hésiter à demander l'hospitalisation »

Annie Labbé, présidente de l'association de patients Argos 2001

Que faire face à un accès maniaque, une agressivité ou un risque suicidaire ?

Les proches doivent éviter les questions du type « Tu ne serais pas en train de virer ? ». Mieux vaut éviter d'argumenter et attendre avant d'aborder le patient, et lui dire « Tu m'as fait vivre ça, c'est insupportable ». Au-delà de 48 heures, on doit alerter le médecin. Si le patient ou les proches sont en danger, il ne faut pas hésiter à recourir à l'hospitalisation à la demande d'un tiers, en appelant les pompiers ou le médecin de garde. Cette hospitalisation peut être levée dès le matin suivant.

Mais le patient doit en vouloir à ses proches ?

C'est pour cela que je conseille de profiter de l'intervalle hors crise, pour demander au patient d'écrire un mot dans lequel il signifie l'envie d'être pris en charge à l'hôpital en cas d'épisode maniaque.

Quels sont les prémices ?

On parle de signal-symptôme, souvent le même pour un patient. Pour les exaltations, le premier signe est la perte de sommeil, plusieurs jours de suite, avec une logorrhée, un débit très rapide et une exacerbation des sens (odorat...). Pour la phase dépressive - détectée plus rapidement parce qu'on est plus sensible à la souffrance dépressive qu'à l'exaltation -, outre les perturbations du sommeil, l'envie de rester calfeutré chez soi sans bouger est un signe prégnant.

Annie Labbé, présidente de l'association de patients Argos 2001, interrogée par Christine Julien, pharmacienne

POUR EN SAVOIR PLUS

ASSOCIATIONS

Argos 2001- Association d'aide aux personnes atteintes de troubles bipolaires et à l'entourage

Maison des associations du XIIIe arrondissement, boîte n° 30, 11, rue Caillaux, 75013 Paris - tél. : 01.69.24.22.90 - http://argos.2001.free.fr/L'association Argos 2001 compte 12 antennes régionales. Elle propose des réunions d'informations et de soutien. Les thèmes de ces réunions sont présentés sur le site. L'association fournit des informations pratiques pour les patients et leur entourage qu'elle soutient par une écoute attentive. A découvrir également sur le site, le test « Etes-vous un bipolaire ? ».

LIVRES

Vivre avec des hauts et des bas, un psy et un patient racontent

Dr Christian Gay et Jean-Alain Génermont, Hachette Littératures, 2002

Ce livre alterne la mise au point d'un expert de la maladie maniacodépressive et l'expérience d'un patient souffrant de troubles bipolaires. Le patient analyse rétrospectivement (et difficilement) ses exaltations, ses conduites mégalomaniaques et ses profondes dépressions. Quant au médecin, il met en lumière les différents aspects de la pathologie, son diagnostic, son évolution et son traitement. Un éclairage utile pour appréhender cette maladie si paradoxale.

Diagnostic différentiel

Plus de la moitié des patients BP I présentent des idées délirantes et 20 à 25 % d'entre eux des hallucinations (auditives notamment). Ces signes d'allure psychotique sont parfois diagnostiqués comme des bouffées délirantes, à tort car ces patients ne sont pas psychotiques (la manie n'est pas un délire construit, systématisé). Il ne faut donc pas confondre un accès maniaque chez un patient BP I avec une ivresse excitomotrice, une phase d'excitation chez un sujet psychotique, un syndrome d'atteinte neurologique frontale (maladie de Pick) ou bien un état maniaque d'origine organique (maladie de Cushing, tumeurs) ou iatrogène (isoniazide, cyclosérine, L-dopa, corticoïdes...).

Classification des troubles bipolaires intermédiaires

- Type 1/2 ou schizobipolaire.

- Type I 1/2 : épisode dépressif récurrent avec hypomanie chronique.

- Type II 1/2 : forme inaugurée chez l'adulte jeune associant dépression et tempérament cyclothymique. Les épisodes hypomaniaques sont de courte durée (moins de 2 jours) mais intenses, accompagnés fréquemment d'un abus de psychotropes et donnant lieu à des tentatives de suicide récurrentes. Ce trouble affectif est particulièrement récidivant.

- Type III 1/2 : instabilité thymique induite par l'abus de psychostimulants.

D'après Akishal et Pinto, 1999.

Intoxication au lithium : une urgence !

L'intoxication hyperlithiémique (taux #gt; 1,5 mEq/l, avec menace vitale dès 2 mEq/l) se traduit par la survenue de tremblements, de vertiges, de troubles de la vision, de nausées et de diarrhées, d'une confusion mentale. Pouvant laisser des séquelles neurologiques parfois irréversibles, elle est particulièrement alarmante chez

le sujet âgé. Elle est facilitée par diverses associations médicamenteuses (diurétiques, IEC, AINS y compris coxibs, cyclines, 5-nitro-imidazolés), une insuffisance rénale, une pathologie cardiaque, une déshydratation, un régime désodé, un diabète, une hyperthermie, une rechute maniaque ou dépressive. Elle implique de suspendre l'administration de lithium, d'effectuer en urgence une lithiémie, d'alcaliniser l'urine, d'induire une diurèse osmotique (mannitol), d'administrer du chlorure de sodium. L'hémodialyse est recommandée si la lithiémie excède 2,5 mEq/l.

Contre indications absolues

- Sels de lithium (Téralithe, Neurolithium)

- Hyponatrémie (notamment par régime désodé) : risque d'hyperlithiémie par augmentation de la réabsorption tubulaire

- Allaitement

- Insuffisance rénale en l'absence de surveillance étroite

- Valpromide (Dépamide) et divalproate de sodium (Dépakote)

- Hépatites aiguë et chronique

- Antécédent personnel ou familial d'hépatite sévère, notamment médicamenteuse

- Porphyrie hépatique

- Intolérance au fructose, syndrome de malabsorption du glucose et du galactose, déficit en sucrase-isomaltase (présence de saccharose dans la formulation de Dépamide)

- Moins de 18 ans (Dépakote), faute d'évaluation

- Carbamazépine (Tégrétol)

- Bloc auriculoventriculaire

- Antécédents d'hypoplasie médullaire

- Antécédents de porphyrie aiguë intermittente

- Occlusion intestinale (présence d'huile de ricin dans les formes LP)

- Zuclopenthixol (Clopixol)

- Risque connu de glaucome par fermeture de l'angle

- Risque de rétention urinaire lié à des troubles urétroprostatiques

- Insuffisances hépatiques et/ou rénales graves

- Loxapine (Loxapac)

- Comas ou états graves causés par l'alcool ou certains barbituriques

- Moins de 16 ans

- Olanzapine (Zyprexa, Zyprexa Velotab)

- Risque connu de glaucome à angle fermé

- Rispéridone (Risperdal, Risperdaloro)

- Phénylcétonurie (Risperdaloro contient de l'aspartam)

- Allaitement

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