Les raisons d'un échec - Le Moniteur des Pharmacies n° 2647 du 21/10/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2647 du 21/10/2006
 

EXPÉRIMENTATIONS DE DISPENSATION ET DE MAINTIEN À DOMICILE

Entreprise

Enquête

Un an après le lancement des expérimentations de la Mutualité sociale agricole de dispensation et de maintien à domicile, « Le Moniteur » a souhaité voir localement ce qu'avait donné cette idée prometteuse... sur le papier. Le résultat est désolant. Et l'on ne parle plus désormais de sa généralisation.

Un très beau projet », « une idée originale » mais « un échec », s'accordent à reconnaître les acteurs de l'expérimentation de maintien à domicile menée par la Mutualité sociale agricole depuis début 2006 en Loire-Atlantique sur les cantons d'Ancenis, de Varades et de la commune de Couffé. « C'est le bide le plus complet. Alors que notre département, très rural, s'y prêtait particulièrement », analyse aussi M. Camus, coordonnateur MSA dans la Nièvre. Las. La pensée qui prévaut dans ce département ne diffère guère des échos que nous avons pu recueillir un peu partout en France, même si le propos est souvent plus diplomatique.

Il faut dire que le bilan chiffré ne prête guère à l'optimisme. Pour des expérimentations démarrées durant l'été 2005, on recensait par exemple, à la mi-septembre, un seul (!) forfait MAD (acte effectué par le pharmacien) signé en Creuse, un en Corrèze, un forfait DAD en Charente et en Corrèze, deux en Manche et Calvados. Bref, le constat est le même partout : ça a mal... voire pas du tout fonctionné. Avec 12 demandes d'intervention du pharmacien, l'Ariège semblerait presque présenter un tableau pléthorique.

Le rejet des médecins.

L'enjeu des expérimentations lancées dans six cantons (1) pour la dispensation à domicile (DAD) et de sept départements (2) pour le maintien à domicile (voir p. 18) était loin d'être anodin, à la fois pour l'évolution du métier d'officinal et de son économie (diversification vers davantage d'actes, par rapport au volet commercial de son activité). « C'est pourquoi les syndicats appelaient non seulement à répondre positivement à la proposition de contrat, mais surtout de s'y impliquer pleinement afin de montrer l'efficacité de notre réseau dans la prise en charge du maintien à domicile », comme l'exprimait très clairement l'USPO à l'attention de ses adhérents en juin 2005.

Un an après, alors même que l'opération n'est pas terminée (elle est finalement prolongée de six mois jusqu'en fin d'année), on n'en est hélas pas à se demander si elle sera étendue sur tout le territoire et/ou à d'autres régimes, mais si on va l'abandonner ou retenter une expérimentation (voir interview p. 20).

Non pas que les pharmaciens ne se soient pas investis, au contraire. Près de deux cents ont signé des conventions avec leur MSA locale dans le cadre de ce projet (83 en DAD, 115 en MAD à la mi-septembre), ce qui correspond pleinement aux objectifs initiaux de la MSA. Mais il semble que les autres acteurs se soient pour le moins modérément impliqués. « Au départ, j'ai organisé une réunion à Tonnerre à laquelle ne se s'est rendu aucun médecin, témoigne le Dr Tilmond, du service médical de la MSA de l'Yonne. J'ai dû en relancer par téléphone. » « Quand on a lancé l'expérience DAD, on a invité les infirmiers, les kinés, les médecins, les pharmaciens. Seuls ces derniers ont répondu à l'invitation, regrette aussi Jean Quéméner, coordinateur MSA sur la Manche et le Calvados. J'ai rencontré le cas d'une patiente qui habitait sur le territoire de l'expérimentation mais qui s'approvisionnait chez un pharmacien d'une zone limitrophe, l'expérience aurait pu être menée à bien si son médecin avait voulu participer au projet, mais il n'a pas voulu. Peut-être que les médecins n'ont pas envie que le pharmacien empiète sur leur terrain... »

« Une connerie, un gadget ! »

Dans la Sarthe, renseignement pris auprès de la MSA, aucune demande ne serait parvenue aux titulaires. Et le président du conseil départemental de l'ordre des médecins ne souhaite pas s'exprimer sur ce sujet. Comme l'ensemble des médecins que nous avons contactés. Dans le cas contraire, le praticien n'est pas tendre : « Cette expérimentation de DAD, c'était une connerie, un gadget !, commente le Dr Thénault, généraliste à Montsauche-les-Settons (Nièvre). Je leur avais dit dès le départ à la MSA. Cela représentait une goutte d'eau dans tout le MAD qui fonctionne par ailleurs bien. Pour moi, le MAD, c'est autre chose que la dispensation des médicaments à domicile ! »

Bilan vierge aussi en Loire-Atlantique, en Saône-et-Loire ou en Corse du Sud. « Nous avons été contactés par la MSA mais nous avons dû y renoncer à cause de l'hostilité des médecins. Ils auraient souhaité que les infirmiers soient le pivot de l'opération », explique François Gazano, président du syndicat des pharmaciens départemental.

Alain Faucher, pharmacien à Chalais (Charente), se rappelle que son unique sortie DAD fut « pour porter un antibiotique à une personne vivant seule. Il se trouve que le médecin qui a prescrit une DAD était un remplaçant ». A Lormes (Nièvre), le prescripteur du seul forfait de DAD effectué est depuis parti à la retraite... « Il est probable, hasarde Alain Faucher, que le div a été mal apprécié par le corps médical, venant après les génériques et pas mal de choses génératrices de discordes. Alors, quand on leur parle de pharmaciens prescripteurs... » Exerçant tout à côté, le Dr Loos, médecin belge installé à Brossac depuis un an, concède qu'il subsiste ici « une certaine rivalité de compétence entre médecin et pharmacien, qui demeure un handicap. Dommage, cet outil pourrait être précieux et apporter une réponse pertinente à certains patients ». Pour lui, il manque un chaînon « entre la population et le pharmacien qui est objectivement le meilleur connaisseur du matériel ». Une manière, tout de même, de dire que ce n'est pas au pharmacien de faire l'interface avec le malade.

L'ombre des sociétés de matériel.

En Corrèze, c'est l'infirmière qui a conseillé à une famille de s'adresser au pharmacien pour réinstaller un malade après une hospitalisation « lourde ». Intervention réalisée par Pierre Crouchet (titulaire à Sainte-Féréole) qui relève l'omniprésence des prestataires de matériel (dans les couloirs des services hospitaliers, puis au domicile des patients) : « La mise en place de matériel se fait en général après un séjour en établissement, et les gens font le plus souvent appel aux sociétés qui sont présentes au niveau même de l'hôpital. » « L'expérience ne peut marcher que si c'est le médecin qui veut garder son patient à domicile. Si celui-ci est sollicité dès l'hôpital par les prestataires, il est difficile pour le pharmacien de se positionner », observe aussi Jacques Tetu, coprésident du syndicat des pharmaciens de Saône-et-Loire, et adhérent d'un réseau gérontologique où collaborent pourtant efficacement les deux professions en matière de MAD.

Dans le Rhône, le vice-président du syndicat, Martin Vial, avait organisé au début de l'expérimentation une réunion d'information ouverte à tous les professionnels de santé. Les infirmières sont venues mais pas les médecins. Et, surprise, orthopédistes et loueurs de matériel se sont invités ! Pour juger la manière dont les pharmaciens allaient marcher sur leurs plates-bandes ? En Creuse, Jean-Pierre Bonnin (titulaire à Bussière-Dunoise), très motivé, a été le seul à souscrire un forfait d'intervention MAD : « Il s'agit pour nous de ne pas se laisser manger la laine sur le dos par des sociétés de matériel qui font de la publicité et dont la démarche est d'abord commerciale. »

Incompréhension des patients.

Jean-Pierre Bonnin estime que la profession n'a pas su valoriser ce service. Le malade trouve normal que le pharmacien se déplace au moindre petit souci sur le lit qu'il a loué, mais n'imagine pas qu'il doive être rémunéré pour un acte de soins : il le perçoit comme un intervenant commercial.

Le médecin-conseil de la MSA de l'Ariège met d'ailleurs l'échec de l'expérimentation en partie sur le compte du « manque d'habitude des patients à faire appel au pharmacien. Un professionnel de santé supplémentaire qui entre dans la maison en plus du médecin et de l'infirmière ce n'est pas si évident. L'information est peut-être mal passée, il faudra un peu de temps pour que cela entre dans les moeurs. Mais il faut bien commencer et je suis sûr que cette expérience a de l'avenir si elle est bien évaluée et adaptée. Pour les pharmaciens, dont certains doivent "sauver leur peau", cela peut contribuer au maintien de l'activité tout en répondant à un vrai besoin. Les gens acceptent qu'on entre chez eux quand c'est un travailleur social, parce que son intervention va déclencher l'APA. Le pharmacien qui viendrait poser des questions sur le mode de vie du patient serait reçu comme une sorte d'inquisiteur... »

Plusieurs structures se marchent sur les pieds.

Et s'il n'y avait en fait pas de besoin ? Un raisonnement que la MSA de Saône-et-Loire n'est pas loin de tenir en ce qui concerne la DAD. Dans ce département très rural mais bien couvert en pharmacies, « les gens ont pris l'habitude de se débrouiller avec leurs voisins, les infirmières et même les pharmaciens. Certains qui ont signé pour cette expérimentation font de la DAD gracieusement depuis des années », témoigne Catherine Debiol, médecin-conseil MSA et chef de projet. L'affaire aurait-elle péché par manque d'information ? Manifestement non. En Loire-Atlantique, les patients ont été alertés par courrier, voie d'affichage dans les officines, la presse locale, la radio, la télévision... L'information en Charente a été bien faite, insiste aussi Jean-Philippe Brégère, président du syndicat : la MSA l'a diffusée, la presse locale l'a relayée, les pharmaciens l'ont répétée par téléphone.

Autre difficulté, en matière gérontologique, les structures (aide ménagère, repas à domicile, téléassistance, etc. ) se marchent sur les pieds. Les gens ont du mal à savoir qui fait quoi entre les attributions des instances départementales, des associations, en marge des soignants, note Pierre Crouchet. En Creuse, où une vingtaine d'officines sont parties prenantes, aucune réticence apparente - notent aussi bien la MSA que les pharmaciens - de la part du conseil général. Encore que le médecin qui lui est attaché ait montré son sentiment : « Qu'est-ce que vous allez vous embêter ? Votre métier c'est le médicament, non ? »

Au conseil général de la Corrèze, pas de position hostile mais cette réflexion lâchée au détour d'une conversation : « Si les officinaux voulaient réellement intervenir dans la chaîne des soins, ils seraient présents aux réunions des réseaux de santé. »

Des pharmaciens sur la réserve.

Et si les pharmaciens n'avaient pas trouvé leur place dans cette histoire ? A Auzances, gros bourg de l'est de la Creuse, Roger Arnaud dirige les deux officines. « Je m'implique beaucoup de cette façon, dit-il. Je me déplace toujours moi-même au domicile du client avec l'installateur. Mais je n'ai pas participé à l'expérience, parce que matériellement j'ai trop de travail pour prendre le temps de remplir la paperasserie. Et je n'ai pas le souci de "piquer des sous" à la MSA... » Il considère en fait que ce ne peut être lui le décideur parce que le médecin, l'infirmière, l'aide à domicile sont passés devant.

Certaines autres réactions de pharmaciens pendant l'expérience (notées par la MSA du Limousin) sont symptomatiques : « Je le fais gratuitement et sans formalisme », « J'ai scrupule à faire payer ce service », « Je ne demande pas de rémunération pour cet acte », « Cela fait partie du métier, je le fais gratuitement quand cela se présente »... Dans la Nièvre, M. Camus (MSA) confirme ces réactions de pharmaciens, précisant qu'ils font depuis longtemps de la DAD à titre gratuit, et d'autre titulaires, seuls à l'officine, expliquant qu'ils ne peuvent en aucun cas quitter le comptoir. Le Dr Juteau, médecin-conseil de la MSA de l'Ariège, le formule ainsi : « C'est venu finalement officialiser une pratique empirique. »

« Pour l'instant, cela représente beaucoup d'énergie pour pas grand-chose, regrette Frédéric Chatelus, titulaire à Pamiers (Ariège). La démarche est très intéressante mais l'information encore insuffisante. Je pense qu'il faut simplifier les choses et avancer avec ceux qui le souhaitent. On ne peut pas faire semblant alors qu'il n'y a pas encore de véritable suivi et de coordination efficace. »

Pour Pierre Iché, pharmacien au Fossat, toujours en Ariège, et coprésident du syndicat départemental, la démarche est carrément inutile et relève de l'utopie : « Il est très difficile de repérer les vrais besoins au comptoir et nous n'avons eu qu'une seule demande. Les mieux placés sont les médecins qui pourraient nous signaler les cas où nous pouvons intervenir, mais ils ont l'habitude de décider seuls. Le pharmacien a du mal à trouver sa place. Et puis, en milieu rural, il existe une entraide naturelle, les personnes vraiment seules sont très rares. »

Trop restrictif.

Jean-François Robert, titulaire à Ancenis (Loire-Atlantique) et responsable des réseaux au conseil régional de l'ordre des pharmaciens, estime que le cahier des charges de la MSA était trop restrictif. L'officinal devait réaliser un audit, un devis et une proposition de prescription. Ensuite, le généraliste tranchait... et l'ambiguïté naissait. « Certains médecins pouvaient estimer que l'on remettait en cause leur prescription. On entre dans le domaine de la compétence partagée et la MSA n'a sans doute pas voulu s'engager dans cette voie », regrette Jean-François Robert.

Et puis, c'est une démarche MSA et non interrégimes. « Les patients MSA représentent à peine 10 % de la clientèle des médecins, on comprend que ceux-ci n'aient pas trop joué le jeu », observe-t-on en Saône-et-Loire. Didier Thouverey, pharmacien à Branges, a été contacté sur un cas de polyarthrite rhumatoïde. Il souligne la lourdeur administrative du processus, sa durée, notamment la nécessité de faire un rapport au médecin qui prescrira ensuite. Doté d'un DU de MAD, il interroge : « Pourquoi le pharmacien ne serait-il pas prescripteur ? » « Les infirmières ont apprécié la démarche et convenu qu'il y avait complémentarité avec elles, ne s'estimant pas compétentes dans le gros matériel, estime Martin Vial. Il aurait fallu les mettre au coeur de l'expérience. » Pour lui aussi, la mise en service est trop complexe pour le pharmacien, avec en particulier beaucoup de paperasserie et la nécessité de faire le travail en amont : « Dès que les gens sont hospitalisés, il faut leur faire une offre globale. Nous n'avons pas réussi à grignoter quelques parts, ce sera un travail de longue haleine ». Et de conclure : « C'était une année pour voir. Résultat : on n'a absolument rien vu. »

(1) En Charente, Calvados, Manche, Sarthe, Nièvre et Yonne.

(2) Haute-Saône, Côte-d'Or, Corrèze, Ariège, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique et Creuse.

A retenir

trois raisons à cet échec : la non-collaboration des médecins, l'incompréhension des patients et la difficulté qu'éprouvent les pharmaciens à se faire reconnaître.

200 confrères ont pourtant signé des conventions avec leur MSA locale.

Trois questions à Omar Tarsissi, médecin, conseiller technique national à la caisse centrale de la MSA

Comment expliquer le bilan plus que mitigé des expérimentations de DAD et MAD menées avec les pharmaciens ?

Soit le besoin n'existe pas, or c'est une explication à laquelle je ne peux pas croire. Soit il y a eu totale incompréhension sur l'opportunité d'une telle action. Il y a en tout cas une incompréhension du rôle que le pharmacien peut jouer dans le MAD. Des acteurs tertiaires [NdlR : hors médecins et pharmaciens] n'imaginent pas la place possible du pharmacien dans le MAD des personnes dépendantes. Peut-être que dans certains cas le pharmacien lui-même ne sait pas trop comment se positionner... C'est un service qu'il rendait déjà parfois mais que nous voulions formaliser. Quant à l'expérimentation DAD, elle a souffert du manque de demandes (de motivation ?) du médecin, puisque c'est lui qui doit les déclencher.

Que va donc donner cette expérience ? Initialement, on parlait de généralisation après cette phase d'expérimentation...

Si nous n'avons pas un nombre significatif de forfaits [NDlR : d'actes effectués] en fin d'année, je devrai avoir en parallèle une évaluation qualitative des expérimentations. Je suis en train de mettre cela au point avec un sociologue. En tout cas, à ce jour nous sommes obligés de constater que ça n'a pas fonctionné. Sur la DAD, on peut facilement incriminer la trop faible demande des médecins. Sur le MAD, je m'attendais à un plus grand dynamisme... Personnellement, je verrais bien une reconduction des expérimentations et même leur multiplication. Mais on ne peut présager de la décision que prendra la MSA. Il faudra attendre l'évaluation et en tirer les enseignements. Verdict au premier trimestre 2007. Malgré tout, je pense que la MSA a ouvert la porte puisque le régime général envisageait des essais dans une ou deux régions.

Craignez vous pour l'implication du pharmacien dans d'autres missions ?

La dichotomie ne vient pas de nous mais du terrain. L'expérience est pourtant inspirée de ce qui se passe en Europe. Si, dans d'autres pays, on travaille davantage avec les pharmaciens, cela signifie que la France s'y mettra aussi un jour ou l'autre. Et la convention pharmaceutique est la plus grande preuve qu'il existe une nécessité de telles interventions du pharmacien. L'objectif de la MSA, c'était de mettre les différents acteurs de santé dans une situation de dialogue. L'étude des raisons pour lesquelles cette expérimentation n'a pas marché nous permettra de rectifier le tir.

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