Pas de faux frais pour la qualité - Le Moniteur des Pharmacies n° 2643 du 30/09/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2643 du 30/09/2006
 

Actualité

Enquête

On en parle depuis la multiplication des sorties de la réserve hospitalière. Aujourd'hui, la qualité de la chaîne du froid est sous les feux de l'actualité avec les recommandations de l'Ordre, publiées en juin dernier. Un texte qui propose des évolutions légitimes mais qui suscite des inquiétudes vis-à-vis de certaines exigences jugées trop drastiques .

Les sorties de la réserve hospitalière ont été un catalyseur dans la prise de conscience des enjeux liés à la chaîne du froid, à tous les niveaux du circuit du médicament. Des enjeux qui cristallisent beaucoup d'interrogations et d'inquiétudes. Il faut dire que le condiv socioprofessionnel dans lequel ils interviennent est plutôt morose. Mais la chaîne du froid représente un enjeu sanitaire bien réel.

Et d'ailleurs, les pharmaciens se sentent concernés. C'est le constat que dresse Pierre Constantin, pharmacien-inspecteur de santé publique dans la région des Pays de la Loire : « Après inspection, neuf pharmacies sur dix s'engagent dans une action de mise en conformité, alors qu'il n'existe pas de sentence à un manquement aux divs régissant la question... » Il n'y a pas eu effectivement d'évolutions du Code de la santé publique sur cette question durant les dernières années : les seuls divs référents sont constitués par les articles R. 4235-12 et R. 5125-9 relatifs à la qualité des locaux et équipements pour exercice officinal, et l'article R. 4235-55 garantissant la qualité des actes pratiqués.

C'est donc bien de leur propre volonté qu'est née la prise de conscience de la nécessité de la traçabilité du froid, attisée par l'évolution des bonnes pratiques qui, elles, n'ont eu de cesse que de s'affiner. A commencer par le besoin de se doter d'un matériel adéquat et de mettre en place des procédures spécifiques. A l'avant-garde de la profession, une partie notable des pharmaciens se mobilise. Ils ont une forte sensibilité à la démarche qualité, « comme notamment les jeunes diplômés », décrit Pierre Constantin, « dont la motivation devrait faire effet boule de neige sur leurs collègues ».

Les recommandations ordinales sont arrivées.

C'est dans ce condiv que les « recommandations relatives aux bonnes pratiques de gestion des produits de santé soumis à la chaîne du froid entre 2 et 8 °C » ont été publiées par l'ordre des pharmaciens en juin dernier*. Un div commun à tous les maillons de la chaîne pharmaceutique. Ce document propose des orientations qui, dans les prochains mois, seront déclinées pour chaque métier de la pharmacie en un guide adapté à leurs propres spécificités.

En pratique, il s'agit de mettre en place des procédures à tous les niveaux de l'activité officinale : la réception de produits thermosensibles doit faire l'objet d'un traitement prioritaire et immédiat, suivant une procédure validée et archivée. Côté dispensation, les recommandations préconisent une délivrance « dans un emballage individualisé portant une signalétique spécifique "produits froids" » où date et heure de délivrance sont portées. La délivrance doit être assortie « de conseils circonstanciés, et éventuellement de la mise à disposition de moyens, pour minimiser l'exposition des produits à des températures inadaptées ».

Des relevés de température obligatoires et fréquents.

Les recommandations sont rigoureuses : le stockage doit avoir lieu dans des « enceintes climatiques à température dirigée et contrôlée, de taille adaptée au volume stocké ». « Des enregistrements, dont la fréquence permet d'assurer que le maintien de la température dans les limites définies est réalisé, sont effectués et archivés afin d'apporter la preuve des conditions de conservation », indique l'Ordre. Enfin, « un système d'alerte [...] est recommandé afin de permettre d'éventuelles opérations de maintenance au plus tôt, et d'éviter ainsi les pertes de produits. De la même manière, un système, opérationnel et validé, de secours et de dépannage devrait être prévu ».

La gestion des incidents relatifs à la chaîne du froid doit faire l'objet d'une procédure définissant le comportement à adopter et les actions à engager, notamment envers les produits ayant subi une éventuelle « excursion » de température (voir lexique), qui « devront être clairement identifiés et isolés en attente de décision ».

« Comme celui qui faisait de la prose, le pharmacien fait de la qualité sans le savoir, ironise un officinal de Meurthe-et-Moselle. Certaines recommandations sont évidentes, et on a parfois trop tendance à réglementer des pratiques qui tombent sous le sens. » Car conseils de dispensation, traitement rapide des produits issus du froid, entre autres, sont des actions déjà intégrées dans la pratique quotidienne de nombreuses officines. Mais il n'est jamais inutile de rappeler l'évidence, d'autant que si les pharmaciens sont des familiers de la qualité, celle-ci reste une « tradition orale ». « Les officinaux ont plus de difficultés à mettre en place des procédures qu'à s'équiper avec un matériel adapté, souligne Pierre Constantin. Pourtant, elles sont indispensables. Par exemple, le relevé des températures de l'enregistreur doit être suffisamment fréquent, sinon un équipement performant ne sert à rien ! »

La question qui suscite le plus d'interrogations dans la profession n'est pas celle des procédures mais celle de l'équipement : peut-on encore prétendre faire de la qualité avec un simple réfrigérateur ménager ? La technicité et le coût des médicaments thermosensibles demandent aujourd'hui un appareillage bien plus conséquent. Le div issu des recommandations déterminera les critères de choix des enceintes réfrigérées (lire page 24).

Un investissement conséquent.

Les appareils qui constituent le strict minimum en termes d'équipement ont toutefois un coût qui reste encore un frein pour certains. « Il faut que les progrès soient compatibles avec l'économie de l'officine », résume Jean-Luc Audhoui, trésorier du Conseil national de l'Ordre. « Quid des petites officines qui n'auront pas le nombre de prescriptions suffisantes pour amortir les coûts ? », interroge de son, côté Patrice Devillers, président de l'USPO. Au-delà de leurs performances, « l'augmentation de la demande devra nécessairement faire baisser les prix », insiste-t-il. Comme le souligne Danièle Paoli, présidente de la commission Exercice professionnel de la FSPF, « le pharmacien est vu comme un professionnel riche, les prix peuvent s'en ressentir. Il ne faut pas hésiter à faire appel à d'autres branches - comme l'agroalimentaire, qui est clairement en avance sur nous - pour trouver des prix plus compétitifs ».

Sans compter qu'en plus de l'enceinte (voir lexique), il faut investir dans des systèmes de surveillance et d'alarme. « Aujourd'hui, nous demandons aux pharmaciens de nous apporter la preuve qu'entre deux inspections, la température de l'enceinte n'a pas fait d'excursion hors des limites imposées », précise Pierre Constantin. La technologie, comme un enregistreur ou une alarme, n'est pas imposée mais elle simplifie les exigences : « Il faut, au minimum, un relevé quotidien des minima et maxima de l'enceinte. Il faut préférer des thermomètres digitaux à sonde car ils sont plus précis, plus lisibles et moins sensibles aux conditions de manipulation. L'idéal est de se doter de deux appareils, placés en deux points de l'enceinte, ce qui permet de mesurer les variations internes et de poursuivre les enregistrements en cas de panne de l'un d'eux. Cela ne représente qu'un investissement de quelques dizaines d'euros », ajoute Pierre Constantin.

Si le nerf de la guerre est assurément économique, la plupart des officinaux sont convaincus de la nécessité du renouvellement de leur parc à moyen terme. Aussi, bon gré mal gré, tous passeront le cap. Mais un autre aspect de ces recommandations pourrait bien en crisper plus d'un : la qualification. C'est-à-dire une phase de tests réalisés par un organisme certifié et permettant de vérifier que l'appareil répond aux performances qui lui sont demandées.

Des assureurs très incitatifs.

Une évidence sur le principe. La question du prix, elle, l'est beaucoup moins : qui prendra en charge le surcoût engendré ? Tous se renvoient la balle. Côté officinal, on n'envisage pas de payer pour démontrer une performance qu'on achète implicitement avec l'appareil. Côté fabricant, on souligne la complexité de l'appareillage, qui ne peut se satisfaire d'une qualification de série mais doit passer par l'évaluation individuelle de chaque machine. Au-delà du surcoût, c'est aussi la justification de cette étape qui laisse la profession perplexe. Demander une précision en température à un dixième de degré semble trop drastique face à des produits devant être conservés entre 2 et 8 °C, soulignent bon nombre des officinaux. « Rapportées à la durée de stockage des produits à l'officine, les exigences qui nous sont imposées sont trop importantes, alors que le gros du problème se situe en amont de l'officine », remarque Claude Japhet, président de l'UNPF. « Les pharmaciens sont prêts à s'investir, mais le rythme des évolutions doit être supportable par tous », ajoute Danièle Paoli.

Des voix qui pourraient bien prêcher la bonne parole : car, côté assureurs, on déclare un nombre faible de sinistres liés à la rupture de la chaîne du froid. Quant aux incidents sanitaires liés à des produits ayant subi un échappement au froid, ils sont exceptionnels. C'est sans doute la raison pour laquelle les assureurs se veulent rassurants quant à l'évolution des contrats et donc de la couverture du risque. Ils se veulent cependant « incitateurs de bonnes pratiques », afin d'évoluer vers « la nécessaire rigueur de la profession face à cet enjeu », selon Yvon Bléas, directeur commercial de la Médicale de France : « Nous serons plus efficaces en incitant positivement qu'en sanctionnant. »

Aussi, aucune conséquence d'un manquement aux recommandations n'est à prévoir pour l'instant. Aujourd'hui, pour inciter les pharmaciens à s'équiper correctement, MADP et Médicale de France proposent des réductions de franchise et un plafond de garantie augmenté. « Nous souhaitons nous appuyer sur les recommandations de l'Ordre pour poursuivre la sensibilisation de la profession aux risques de la chaîne du froid, pas pour sanctionner », explique Pierre Leroux, directeur de la MADP. Cet assureur propose quant à lui des solutions de financement pour le matériel réfrigérant.

Soyez plus exigeants avec vos fournisseurs !

Les pharmaciens doivent fournir un niveau légitime de qualité, ayez la même exigence face à vos fournisseurs. Tel est, en substance, le message des syndicats : pas de livraison en dehors des heures d'ouverture, prise de température dans les bacs de transport à réception côté grossistes-répartiteurs ; exigence de garanties et mise en concurrence côté fabricants d'appareillage. Il ne s'agit pas d'entrer en conflit avec les uns ou les autres. Mais si elle constitue le dernier maillon professionnel avant le patient, il ne s'agit pas pour l'officine de répondre à des exigences supérieures à celles qui lui incombent effectivement.

Les officinaux sont donc attendus sur le terrain de la traçabilité du froid. Reste à connaître les recommandations définitives qui seront fixées par le div ordinal en fin d'année. Côté fabricants, les portes sont loin d'être fermées : Medifroid déclare prendre en compte la problématique économique du matériel dans l'offre faite aux officines ; Froilabo offre la qualification au lieu de négocier une remise. Ne reste plus qu'à trouver un terrain d'entente. A bonne température !

* div disponible sur le site de l'Ordre : http://www.ordre.pharmacien.fr, rubrique « Documents de référence », sous-rubrique « Documents pratiques ».

Lexique

Enceinte climatique ou thermostatique : tout système ou équipement générant dans un volume défini une température maîtrisée (réfrigérateur, congélateur).

Excursion de température : tout dépassement des limites basse ou haute de température.

Dispositif isotherme : ensemble constitué des éléments d'emballage et des accumulateurs de froid permettant la conservation de la température dans des limites déterminées pendant une durée précisée.

« Le patient attend de la filière pharmaceutique une garantie sanitaire totale »

« Le Moniteur » : Dans quel condiv la rédaction des recommandations de l'Ordre est-elle née ?

Jean-Luc Delmas : En arrivant à la présidence, en 2005, j'ai mis en place divers groupes de travail, dont un consacré à la chaîne du froid. Nous avons donc entamé une réflexion avec la section B, avec laquelle nous partageons un terrain d'expérience commun. En rédigeant ce div, nous nous sommes vite rendu compte que cette démarche devait englober tous les professionnels concernés.

Quel est l'ambition de ce div ?

Il n'a ni vocation ni pouvoir d'être opposable. Il constitue plutôt un recueil d'intentions et de voeux ambitieux. Aujourd'hui, c'est un div fédérateur qui démontre la prise de conscience globale du monde pharmaceutique à la problématique du froid. Demain, il sera décliné par chaque section, selon sa spécificité. Devant l'importance thérapeutique croissante des produits de santé thermosensibles innovants, que reflète d'ailleurs bien leur coût, il était nécessaire de prendre une initiative de ce type. N'oublions pas qu'au bout de la chaîne, le patient attend de la filière pharmaceutique une garantie sanitaire totale. Ce div s'intègre pleinement dans la démarche qualité dont il reprend le vocabulaire, afin que tous puissent petit à petit s'en approprier les termes et la démarche.

Des recommandations pratiques pour l'officine d'ici la fin de l'année

« Le Moniteur » : Quand un div spécifique à la pratique officinale sera-t-il publié ?

Jean Arnoult : Avec Isabelle Adenot, nous travaillons actuellement sur une déclinaison des recommandations pour la fin de l'année. Ce div sera beaucoup plus pratique, il permettra d'appliquer les recommandations à l'officine depuis la réception des marchandises jusqu'à la dispensation, voire même l'administration. Elles seront déclinées en deux chapitres : un dédié aux procédures à mettre en place, le second centré sur l'appareillage.

Quelle position avez-vous sur la question de la qualification ?

Cette question est essentielle mais problématique. Nous ne pouvons être trop exigeants sur l'appareillage car nous ne pourrions être suivis par l'ensemble de la profession. Mais si nous ne bougeons pas, l'Afssaps interviendra. Et on sait parfaitement que toutes les enceintes ne se valent pas. Acheter un appareil professionnel n'est pas une fin en soi. Par ce div, nous voulons offrir aux officinaux les bases nécessaires afin de s'équiper correctement. Quant à la question de la qualification, nous en discutons actuellement avec les fabricants. Car, si nous devons assurer un niveau de performances, nous devons tout autant être exigeants avec nos partenaires et nos fournisseurs.

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