Comment éviter le trafic et le mésusage - Le Moniteur des Pharmacies n° 2642 du 23/09/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2642 du 23/09/2006
 

Actualité

Enquête

Facile d'accès. Trop facile? La buprénorphine haut dosage est régulièrement détournée. Pour y remédier, une nouvelle forme ininjectable de Subutex devrait être mise sur le marché début 2007.

A la fin des années 70, les Etats-Unis s'interrogent sur les risques et les limites d'une prescription massive de méthadone. La buprénorphine, molécule de synthèse dérivée de la thébaïne, un des alcaloïdes de l'opium, est découverte au même moment. Malgré quelques études, les premières prescriptions ne se font pas aux Etats-Unis mais en Australie et en Europe surtout, avec une première publication en 1985 par un psychiatre belge, Marc Reisinger. A cette époque, les prescriptions de Temgésic sont « sauvages ». En France, à la fin des années 80, quelques médecins isolés se lancent aussi dans ce type de prescriptions. Jusqu'en 1990, la buprénorphine n'est accessible que sous forme injectable, puis sublinguale hydrosoluble peu dosée (0,2 mg) et facilement injectable. Quelques cliniciens observent déjà des cas de mésusage et de dépendance à ce produit dont fait cas aussi la littérature internationale (1991-1992). A l'époque, plusieurs pays sont décidés à la classer comme stupéfiant, suivant la suggestion d'experts de l'OMS et de l'ONU. En France, cela suscite une controverse et aboutit à un compromis : la buprénorphine reste sur liste I, mais est prescrite sur carnet à souche !

Un nouveau facteur apparaît dans les années 80 : le sida.

Si, au début des années 90, la communauté scientifique internationale hésite à développer cette molécule dans une visée substitutive, une décision administrative et politique française fait pression sur le laboratoire détenteur de la molécule en Europe afin qu'il produise une forme hautement dosée destinée aux toxicomanes. L'AMM sera donnée en un temps record. Pourquoi ce choix français ? Il résulte, d'une part, de la mise en cause des pouvoirs publics dans la politique menée contre le sida et, d'autre part, de la réticence des spécialistes envers les médicaments de substitution (en 92, seuls trois centres délivrent de la méthadone à une cinquantaine de patients). La réduction des risques sanitaires en présence du sida est une évidence, d'autant que l'histoire du sang contaminé hante les esprits. Le coût financier d'une ouverture élargie de centres méthadone pèse dans la balance pour décider la France à privilégier le recours à la BHD en médecine de ville. Cette molécule semble plus « sûre » que la méthadone et convient mieux aux médecins qui commencent à s'organiser en réseaux. Subutex est mis sur le marché en février 1996. En 1999, les carnets à souche sont supprimés pour « banaliser » ces traitements. Face à l'accroissement des détournements de Subutex, la délivrance hebdomadaire devient obligatoire en 2000, sauf mention expresse du médecin sur l'ordonnance.

Subutex : entre 22 et 25 % de trafic au niveau national.

Selon une étude réalisée à Marseille, 20 % des quantités de BHD remboursées par l'assurance maladie seraient utilisées en dehors du cadre thérapeutique de la molécule (injection ou snif) et 3 à 4 % relèveraient d'un véritable trafic. Des chiffres retrouvés dans l'enquête « Appropos 2005 » (voir ci-contre). Des cas de primo-utilisation de rue évoluent vers une pharmacodépendance (59 % des patients traités depuis moins d'un an auraient consommé Subutex sans ordonnance avant la première prescription). Paradoxe : le mésusage contribue aussi à faire venir le patient dans le système de soin !

Fervent partisan de la substitution, le président de la MILDT, Didier Jayle, est ulcéré par ce trafic très important en volume de Subutex : « Entre 22 et 25 % au niveau national. A Paris, 38 % du Subutex remboursé se retrouve dans la rue. Beaucoup de gens disent donc que Subutex est une drogue. En laissant ce phénomène de trafic croître sans rien faire, on accrédite cette hypothèse. » En raison du coût de ces détournements et de l'atteinte portée à l'image des traitements de substitution aux opiacés, il a proposé que la BHD soit classée comme stupéfiant et d'autres mesures telle l'inscription obligatoire du nom de la pharmacie la prescrivant, en simplifiant la délivrance des substances vénéneuses. Mais pourquoi une telle mesure alors que les recommandations de la conférence de consensus, si elles étaient correctement mises en oeuvre, limiteraient fortement le trafic et le mésusage ? « C'est un message aux professionnels de santé pour leur dire de manier ce produit avec précaution car il présente des risques importants de mésusage, explique Didier Jayle. Mon objectif est d'utiliser tout ce qu'on peut mettre en oeuvre rapidement pour casser le marché noir du Subutex. »

Volte-face de Xavier Bertrand.

Eric Fernandes, titulaire dans le XIXe arrondissement de Paris, y voit éventuellement un effet sur le long terme : « Psychologiquement, pour un médecin, dès qu'un patient est sous stupéfiant cela lui fait peur et il a tendance à en prescrire automatiquement moins. »

Après s'être prononcé, début, juin en faveur du classement de la buprénorphine comme stupéfiant, sur proposition de la Commission nationale des stupéfiants et psychotropes, Xavier Bertrand a fait volte-face cet été « face aux réactions hostiles d'un grand nombre d'acteurs en toxicomanie ». Pourtant, René Maarek, à Montreuil, délivre depuis le début Subutex comme s'il s'agissait d'un stupéfiant : registre et mise au coffre avec tenue drastique des entrées et des sorties. Pour la délivrance, ses patients attendent une quinzaine de minutes. L'ordre des pharmaciens s'inquiète d'une trop longue attente et écrit, dans la Lettre des Nouvelles pharmaceutiques du 22 juin 2006 : « Les patients traités par la BHD sont souvent des patients impatients... Tout changement dans le suivi doit être bien préparé pour éviter les situations conflictuelles. » Le patient substitué est-il par essence si pressé ? « Un type excité qui ne veut pas patienter ne sera pas mon client. Celui qui sait attendre montre ainsi son désir de s'insérer dans un système. Cela lui rend service puisqu'il voit qu'il obtient son médicament dans des conditions propices », livre René Maarek.

Cet hypothétique passage de la BHD en stupéfiant « serait intéressant uniquement s'il figurait dans un plan d'ensemble touchant à tous les facteurs de mésusage et pas seulement la question du trafic », prévient Alain Morel, psychiatre. Il a travaillé en étroite collaboration avec les médecins-conseils de la CNAM sur un plan d'action, lancé en 2004, destiné à faire la chasse aux fraudeurs. « Il dévoilera ses résultats en fin d'année », précise Gaetano Saba, en charge de ces actions au département médical de la Direction de la répression des fraudes. Et si certains pharmaciens s'insurgent de l'inertie de la CNAM, c'est en totale méconnaissance d'un travail fastidieux. « J'ai vu des dossiers où plusieurs milliers de boîtes étaient délivrés en six mois au milieu d'autres produits dans le cadre d'un véritable trafic. Les personnes ne viennent pas aux convocations, les médecins-conseils, désarmés, passent ces dossiers à leurs services juridiques puis au procureur », relate Alain Morel. Est-ce que la BHD sur la liste des stupéfiants faciliterait pour autant la répression ? En attendant, d'autres mesures sont à l'étude.

Lutter contre l'« insécurité sanitaire ».

« Les centres de soins et de suivi des toxicomanes - les seuls, avec les établissements de santé, à pouvoir faire de la primoprescription de méthadone- doivent travailler en étroite collaboration avec les médecins de ville et accélérer le passage des patients équilibrés en ville », explique Didier Jayle. Une forme sèche de méthadone doit justement obtenir son AMM en fin d'année. Cette gélule, dont la non-injectabilité est assurée par l'addition de carboxyméthylcellulose, à l'image de ce qui se fait en Belgique, sera réservée à des patients qui ont pris la forme sirop pendant un an. « Nous allons aussi expérimenter une primoprescription de méthadone en ville par des médecins expérimentés et formés aux traitements de substitution aux opiacés », annonce le président de la MILDT. Sous l'égide de l'Agence nationale de recherches sur le sida, un groupe d'experts travaille afin d'éviter « une insécurité sanitaire tout en montrant que l'impact peut être positif, notamment sur les aspects de mésusage », précise Alain Morel, qui participe à ce travail. Cette primoprescription ne fait pas bondir de joie Thierry Kin, directeur du développement de la méthadone (Bouchara-Recordati) : « Je préférerais que l'on optimise plutôt la dispensation dans les centres de soins et de suivi des toxicomanes, dont certains rechignent encore à la prescrire, avant de la mettre dans les mains des généralistes qui n'en veulent pas forcément. »

Dernière nouveauté, qui devrait arriver début 2007, Suboxone de Schering-Plough, une version ininjectable de Subutex censée réduire les pratiques d'injection de la BHD en raison de l'ajout de naloxone. Cet antagoniste complet au niveau des récepteurs morphiniques à la buprénorphine entraîne un effet de manque si on se l'injecte. L'ajout de naloxone n'altère pas l'efficacité de la BHD par voie sublinguale. Certains y voient une façon de « punir » les patients injecteurs en créant un syndrome de manque. « En fait, ça ne sert à rien. Les études sérieuses qui ont commencé, notamment en Australie, où la controverse sur ce sujet existe aussi, montrent assez clairement que la Suboxone n'empêche pas la consommation par voie intraveineuse. Finalement, cela ne fait que poser un problème éthique quant à la conception même d'une pharmacologie destinée à punir », dénonce Alain Morel. Petite précision, Suboxone ne serait pas classé comme stupéfiant, « car si elle est injectée elle n'a pas d'effet », précise Didier Jayle. Quoi qu'il en soit, Suboxone, BHD stupéfiant ou prescription élargie de méthadone ne doivent pas occulter l'importance de la formation des professionnels de santé. Le besoin de rappeler encore et encore le bon usage des médicaments de substitution est crucial. Trop de patients fractionnent la prise de buprénorphine, un sur cinq ne laisse pas fondre le comprimé, d'où des sous-dosages. Un patient sur deux a tenté d'arrêter, dans huit cas sur dix de son propre chef. La mission n'est pas terminée.

Chiffres : UNE ÉTUDE riche d'enseignements

L'étude « Appropos » (« Attitudes et pratiques de prise en charge par les omnipraticiens des pharmacodépendants à l'héroïne) a été menée par Schering-Plough en 1997, 1999 et 2004.

26 % des généralistes, soit environ 16 000 médecins, ont prescrit Subutex (contre 20 % en 1999 et 17 % en 1997) ; 12 % d'entre eux prennent en charge la moitié des patients.

21 % des généralistes travaillent dans le cadre d'un réseau (37 % en 1997). 38 % des généralistes exercent en pratique isolée (29 % en 1997).

Plus un médecin travaille en réseau, plus il prend en charge un nombre important de patients (4,1 patients versus 12,3).

71 % des prescripteurs de Subutex estiment le bilan des traitements de substitution aux opiacés positif, 14 % négatif.

Fraudes au Subutex

En 2005, les assurés ayant une consommation suspecte de Subutex (plus de 32 mg/j contre 16 mg au maximum) ont été systématiquement convoqués par l'Assurance maladie. Sur plus de 80 000 personnes traitées, environ 5 % ont été suspectées. Au total, plus de 4 500 bénéficiaires ont été contrôlés pour des comportements dangereux ou frauduleux liés aux traitements de substitution aux opiacés. Ces contrôles ont fait baisser de 20 % le nombre de consommateurs abusifs de BHD. 986 interruptions de prise en charge de traitements non justifiés ont été prononcées, 43 procédures pénales engagées et 54 signalements au procureur.

Parallèlement, 67 médecins et 11 pharmaciens ont été contrôlés pour prescriptions suspectes de fraudes ou dangereuses pour la santé. L'objectif affiché de la CNAM est de réaliser en 2006 une économie de 1,4 million d'euros sur les pratiques dangereuses ou frauduleuses des personnes consommant en moyenne 32 mg/j de Subutex.

Source : « Contrôle et lutte contre les abus et les fraudes à l'assurance maladie », 23 février 2006.

La buprénorphine et ses mésusages

Les mésusages peuvent s'aborder soit sous l'angle médical - ce qui se passe dans le cadre des prescriptions médicales -, soit selon le point de vue des usagers, « sous » et « hors » protocole médical. Il existe cinq types de mésusage.

- L'autosubstitution est un usage de type « thérapeutique ». La buprénorphine haut dosage vient se substituer pour tout ou partie à une consommation antérieure d'héroïne dans le but d'en arrêter ou d'en réduire la consommation, mais en dehors d'un protocole médical.

- L'usage toxicomaniaque conduit à utiliser la buprénorphine haut dosage comme une drogue parmi d'autres, à défaut d'héroïne. Cet usage non substitutif de buprénorphine haut dosage se rencontre soit chez des personnes préalablement dépendantes à un opiacé, soit chez des personnes pour lesquelles la buprénorphine haut dosage est le premier opiacé consommé ou le premier à l'origine d'une dépendance.

D'après l'Association support des usagers de drogues (ASUD), c'est un « mauvais produit de défonce », peu aimé des usagers de produits opiacés.

- Le mésusage de voie d'administration passe par le recours à une voie d'administration autre que la voie sublinguale (injection, snif, fumette), « dans » ou « hors » protocole médical.

- Le mésusage de doses appropriées et la consommation problématique d'autres produits soulève l'hypothèse d'une inefficience ou d'une insatisfaction de la buprénorphine haut dosage.

- Le trafic

Délimiter l'usage autosubstitutif et l'usage toxicomaniaque est quasi impossible, les deux pouvant être alternativement en jeu. Une enquête, menée en 2003 auprès des usagers encore dans un parcours de toxicomanie et fréquentant des structures de première ligne, a montré que 41 % des personnes ont consommé du Subutex au cours du mois écoulé : 13 % exclusivement pour « se droguer », 34 % mêlant usage thérapeutique et usage toxicomaniaque.

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