L'aîné de vos soucis - Le Moniteur des Pharmacies n° 2634 du 24/06/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2634 du 24/06/2006
 

Actualité

Enquête

La population vieillit et est de plus en plus médicalisée. D'où une iatrogénie médicamenteuse de plus en plus dévastatrice. Pivots de toutes les médications, les équipes officinales doivent dès lors montrer une vigilance accrue dans leur pratique professionnelle quotidienne.

En 2010, les plus de 60 ans devraient représenter près de 23 % de la population, 27 % en 2020 et près de 34 % en 2050. Ces chiffres mettent en évidence des enjeux énormes en termes de santé publique, avec des interrogations non résolues sur les évolutions économiques et organisationnelles du système de santé.

Mais de qui parle-t-on exactement ? En médecine, on ne peut considérer l'âge « social » qui reste ancré à la perception du rôle actif ou non de l'individu dans la société. Déterminer le seuil à partir duquel un individu devient un sujet âgé reste d'actualité : 60 ans ? 70 ans ? Avec le temps, le seuil s'est naturellement décalé vers les âges les plus élevés du fait de l'allongement de l'espérance de vie. S'ajoute à cela la problématique de la variabilité individuelle, car l'âge « chronologique » et l'âge « biologique » sont deux choses différentes. La population âgée reflète donc une vraie hétérogénéité. Et les professionnels de santé se doivent d'intégrer une véritable personnalisation de prise en charge.

Il faut apprendre à « déprescrire ».

Les pathologies spécifiquement liées à l'avancée en âge sont nombreuses : ostéoporose, altération visuelle, démences séniles... Sans compter les pathologies chroniques qui se sont développées avec le temps : maladies cardiovasculaires, métaboliques, ostéoarticulaires... La sénescence vient compliquer ce tableau. Regroupant les altérations structurales et fonctionnelles liées à l'avancée en âge, elle débouche sur un ensemble conséquent de bouleversements physiologiques : ralentissement de la vidange gastrique et augmentation du pH, augmentation de la masse grasse au détriment de la masse maigre, modification de la concentration des protéines plasmatiques et des débits sanguins viscéraux, détérioration de la fonction hépatique, rénale. Sans compter, bien évidemment, les possibles altérations de l'état général en termes de déshydratation, de dénutrition...

Effets de la sénescence et polypathologies donnent lieu à des incapacités fonctionnelles et sociales. Le médecin doit composer avec chaque pièce de ce puzzle pathologique pour construire une prise en charge thérapeutique parfaitement adaptée au patient. A défaut, le risque iatrogène devient inévitable. Et c'est là que le rôle de « sentinelle » du pharmacien prend tout son sens.

Les polymédications sont aussi peu évitables que le sont les polypathologies. « Un diabétique hypertendu avec des antécédents cardiovasculaires prend déjà quatre ou cinq médicaments », rappelle, comme une évidence, le Pr Jean-Louis Imbs, responsable du centre régional de pharmacovigilance de Strasbourg. Cela n'empêche pas les professionnels de santé de porter un regard critique et analytique sur l'ordonnance de leur patient, même si celle-ci reste inchangée depuis plusieurs mois. Bien au contraire !

Le Pr Claude Jeandel, chef du service gériatrie au CHU de Montpellier, insiste sur la responsabilité des médecins. « Le praticien français a appris à prescrire, rarement à "déprescrire" », explique-t-il. Avec l'allongement du nombre de spécialités sur l'ordonnance, il doit être plus exigeant : « Evaluer régulièrement l'intérêt de chaque molécule, éviter les médicaments de confort, se référer strictement à l'AMM... » On sait parfaitement que l'observance diminue avec l'augmentation du nombre de médicaments ou avec la durée de traitement. Classer par ordre de priorité les indications et donc les traitements apparaît essentiel. « L'exemple le plus classique d'accidents iatrogènes est celui du traitement d'une pathologie aiguë dans un condiv polypathologique chronique », décrit Jean-Louis Imbs. Il faut donc « profiter » de ces événements pour rediscuter l'utilité de chaque traitement, et ne pas hésiter à suspendre un ou plusieurs d'entre eux, même ponctuellement. C'est aussi l'occasion de fléchir certains patients qui n'aiment pas voir leur traitement modifié.

Finalement, la plus grande difficulté du médecin est d'éviter l'escalade thérapeutique. Face à une nouvelle symptomatologie, son souci doit être triple. Le premier point à évaluer est l'observance : à mauvaise observance, mauvaise efficacité thérapeutique et donc symptomatologie accrue. Ensuite, il convient d'éviter de poser un diagnostic sur une sémiologie trop subjective : avant de traiter les troubles du sommeil en tant que symptôme idiopathique, il faut les envisager comme secondaires à une étiologie spécifique, comme la douleur. Le troisième et dernier point est de ne pas éluder l'éventualité d'un effet indésirable ou d'une interaction médicamenteuse, lié à sa propre prescription, à celle d'un autre confrère ou à une automédication.

Le pharmacien dernier rempart contre l'iatrogénie.

Le choix des thérapeutiques et des posologies ne peut être fait qu'en regard de l'altération des fonctions physiologiques du patient. La qualité de la fonction rénale est « le facteur influençant la pharmacocinétique le plus fréquemment associé à l'iatrogénie médicamenteuse », précise Jean-Louis Imbs. En effet, la réduction de la filtration glomérulaire liée à l'âge peut se révéler néfaste pour tous les médicaments éliminés sous forme active en augmentant le temps de demi-vie et la concentration sanguine et tissulaire. « Ce paramètre est le plus facile à évaluer et mérite une surveillance semestrielle ou annuelle », insiste Jean-Louis Imbs. Claude Jeandel va plus loin en soutenant qu'il serait indispensable pour le pharmacien de disposer sur l'ordonnance de la clairance de la créatinine (calculée à l'aide de la formule de Cockcroft) pour pouvoir valider les posologies prescrites et ne pas passer à côté d'une insuffisance rénale masquée par un état dénutri. Au total, ce sont cinq catégories de médicaments que le prescripteur doit manier avec la plus grande précaution chez le sujet âgé, selon ses propres spécificités (voir ci-dessous).

Dans la chronologie des événements, le pharmacien a un rôle crucial puisqu'il reste le dernier rempart avant la survenue d'un éventuel effet iatrogène. Outre l'analyse pharmaceutique, il a également une grande visibilité sur les prescriptions d'autres médecins et sur les pratiques d'automédication de son client. Bien évidemment, le respect du parcours de soins limite le nomadisme médical et les risques d'interaction médicamenteuse entre différentes prescriptions, et l'accès au dossier médical personnel ne pourra qu'améliorer cette vigilance. Pour autant, cette dernière reste de mise.

L'analyse pharmaceutique reste classique : il faut déterminer l'objectif thérapeutique de l'ordonnance et l'importance relative de chacune des molécules, repérer les nouvelles prescriptions et les médicaments à éviter chez les personnes âgées (voir ci-contre), tout en gardant à l'esprit les caractéristiques physiopathologiques du patient (insuffisance rénale, insuffisance cardiaque...).

Il faut ensuite faire attention à quelques classes thérapeutiques à risque. Ensemble, elles regroupent plus de 9 accidents iatrogènes sur 10. Mais un second groupe demande une attention accrue : « celui des médicaments dont les effets secondaires sont particulièrement à risque pour les personnes âgées », détaille Vanessa Bloch, directrice du DU « Gérontologie et pharmacie clinique » de Paris-V. Somnolence, hypotension orthostatique et confusion sont autant d'effets indésirables à fort risque pour les personnes âgées (voir tableau page 21). « Le pharmacien doit alors alerter le patient et lui donner des conseils de prise appropriés pour limiter au mieux ces risques », poursuit-elle.

Prendre en compte les habitudes du patient.

La proximité et la fréquence des entrevues entre le pharmacien et ses clients initient un dialogue plus ouvert et moins formel que celui qui prend place au cabinet du médecin. Un dialogue qui agit comme un levier pour améliorer la connaissance et la compréhension de son client ainsi que pour favoriser le bon usage et limiter les risques liés aux médicaments. Directement ou indirectement, le pharmacien agit très largement sur l'observance : en expliquant et en réexpliquant la prescription du médecin, en indiquant les posologies sur les boîtes et en précisant l'importance de chaque traitement au patient. Même les choses les plus simples ne doivent pas être oubliées : « Il n'est pas rare de voir des accidents de surdosage liés à la prise simultanée d'un princeps et de son générique, lorsque le pharmacien a omis de préciser la nature de sa substitution », souligne Jean-Louis Imbs.

Simplifier la prise médicamenteuse est aussi une arme efficace pour garantir cette observance : « Le pharmacien est là pour établir un plan de prise cohérent avec le patient. Ce qui signifie prendre en compte en premier lieu les habitudes du patient et rendre leur consommation plus facile », insiste Vanessa Bloch. Il est vrai que le nombre de traitements quotidiens peut être conséquent et que les spécificités de chacun (« à prendre à distance des repas », « à prendre à distance de la prise de calcium »...) peuvent dérouter le patient. « Plus le plan de prise sera simplifié et plus il sera facile à suivre. Ici encore, le pharmacien est idéalement positionné pour repérer les formes galéniques inadaptées : comprimés trop gros pour être avalés, trop petits pour être coupés, compte-gouttes incompatibles avec les aptitudes manuelles du patient, mauvais goût... », poursuit Vanessa Bloch.

Le pharmacien est un excellent intermédiaire pour repérer tous les changements de mode de vie, les nouvelles pathologies, les altérations de l'état général qui pourraient nécessiter une adaptation posologique par le médecin. L'exercice est plus délicat pour les patients dépendants : le pharmacien ne rencontre plus alors que le conjoint, l'enfant ou l'aide à domicile. Cette situation introduit de nouvelles problématiques, notamment parce que la tolérance des médicaments n'est évaluée que par personne interposée. Mais elle introduit également de nouvelles opportunités, parce que l'observance est souvent facilitée par l'implication personnelle d'une tierce personne. Celle-ci peut être une aide précieuse lorsque les capacités manuelles, physiques ou intellectuelles des patients ne sont même que légèrement diminuées.

Automédication : avec des pincettes !

Dans un tel condiv, le conseil officinal a-t-il une place ? Il faut évidemment être prudent car les symptômes évoqués par le patient au comptoir peuvent résulter d'un ou plusieurs médicaments. Une difficulté supplémentaire est introduite par le fait que de nombreuses pathologies se manifestent de façon atypique chez le sujet âgé. Un interrogatoire précis sur les traitements en cours et les règles hygiénodiététiques est donc indispensable pour repérer les risques. Et si la délivrance peut être envisagée, il faut insister sur la nécessité de limiter ce traitement à quelques jours et de consulter un médecin si les symptômes persistent.

L'attention doit aussi être portée sur certaines classes thérapeutiques particulièrement « appréciées » des sujets âgés comme les antalgiques, les antidiarrhéiques, les laxatifs. Elles peuvent faire l'objet d'une automédication potentiellement à risque. Jean-Louis Imbs rappelle que « la prise d'un anti-inflammatoire non stéroïdien, même sur quelques jours, peut induire une réduction de la filtration glomérulaire à l'origine du surdosage d'un autre traitement ». La phytothérapie n'échappe pas à la règle : comme l'allopathie, elle doit faire l'objet d'une vigilance particulière. « Un nombre non négligeable d'événements de pharmacovigilance chez le sujet âgé est rattaché au millepertuis », rappelle Jean-Louis Imbs comme exemple.

L'éducation du patient âgé au bon usage du médicament passe donc par sa sensibilisation aux risques de l'automédication. Elle peut concerner des molécules variées, notamment des médicaments anciennement prescrits et même parfois périmés. Inciter ses patients à entreprendre un « nettoyage de printemps » de leur armoire à pharmacie peut réduire ce risque.

« Une perte de chance inacceptable. »

Face à la problématique soulevée par les polymédications, une question est légitime : faut-il tout traiter ? « Même s'il faut arrêter de penser que la polymédication est critiquable, il est utopique de vouloir tout traiter », souligne Claude Jeandel. Jean-Claude Henrard, gérontologue à l'hôpital Sainte-Perrine à Paris et professeur de santé publique, réfute quant à lui la problématique en précisant le double antagonisme dans lequel la société s'est engagée : « D'un côté, la surmédicalisation peut être néfaste, notamment à cause du risque iatrogène, mais l'instauration d'un rationnement des soins lié à l'âge est une perte de chance inacceptable. De l'autre, la société refuse de payer le prix du progrès médical, dont l'allongement de l'espérance de vie représente partiellement une illustration. Au lieu d'être considéré comme une source de dépenses de santé non maîtrisables, le vieillissement de la population peut se révéler source d'enseignement et d'évolution sociétale. »

Les regards se tournent alors vers les enjeux à venir liés au grand âge : véritable essor du maintien à domicile, placement en institution retardé, aide intragénérationnelle en devenir. « A plus ou moins long terme, les institutions seront amenées à se spécialiser dans la prise en charge des personnes atteintes de déficience mentale. La prise en charge des atteintes physiques sera de plus en plus à considérer dans la sphère du maintien à domicile ou de l'hospitalisation de jour, supportés par la disponibilité d'aides de vie plus nombreuses et mieux formées », résume Jean-Claude Henrard.

Se profile donc à moyen terme une évolution de la filière gériatrique et de la coordination des soins. Dans ce condiv en mutation, une chose reste inchangée : la place du pharmacien reste centrale pour garantir le bon usage du médicament chez la personne âgée.

Chiffres : consommation pharmaceutique journalière*:

- 3,3 médicaments différents pour les 65-74 ans.

- 4 médicaments différents pour les 75-84 ans.

- 4,6 médicaments différents pour les plus de 85 ans.

- Les dépenses pharmaceutiques de ville sont de 850 Euro(s) annuels pour les plus de 65 ans.

* Moyenne hors institution.

Chiffres : iatrogénie :

- 10 % des hospitalisations des plus de 65 ans,

- 20 % des hospitalisations des plus de 80 ans. - 91 % des cas sont dus aux prescriptions, - 9 % à l'automédication.

Le défaut d'observance est la cause de 10 % des hospitalisations chez les plus de 70 ans.

A retenir : médicaments à eviter en gériatrie :

antidépresseurs tricycliques (amitriptyline, imipramine, clomipramine), analgésiques (dextropropoxyphène), AINS (indométacine, phénylbutazone, piroxicam), antihypertenseurs (méthyldopa, clonidine), benzodiazépines à longue demi-vie (diazépam, flunitrazépam, bromazépam), relaxants musculaires (baclofène, méthocarbamol), ISRS (fluoxétine), décongestionnants ORL (pseudo-éphédrine, oxymétazoline), anti-H1 (alimémazine), flunarizine, méprobamate.

Peut-on se passer des antioxydants ?

Essentiels - à faible concentration - à de nombreux mécanismes cellulaires, les radicaux libres peuvent se révéler néfastes lorsqu'ils sont produits en excès par l'organisme et que les mécanismes antioxydants de régulation cellulaire se trouvent dépassés. La conséquence de cette rupture d'adaptation se traduit par des dégâts oxydatifs cellulaires et tissulaires aboutissant au stress oxydant.

« Il est reconnu qu'il est impliqué dans la physiopathologie du vieillissement et de nombreuses maladies (cancer, maladies neurodégénératives, syndromes inflammatoires...), mais, pour la majorité, on ne sait pas s'il représente une cause ou une conséquence, explique le Dr Catherine Garrel, du CHU Grenoble. Il est d'autre part clairement établi que certains facteurs extrinsèques augmentent ce déséquilibre : stress psychologique, tabac, déficit alimentaire en antioxydant, syndromes inflammatoires... »

La question des antioxydants comme alternative thérapeutique se pose alors. Les études menées sur les animaux en prévention de certaines pathologies sont prometteuses mais sont plus décevantes chez l'homme. « Il faut être très prudent. Une supplémentation ne peut être proposée que si le condiv clinique et biologique le nécessite », précise Catherine Garrel.

En pratique, détecter un état de stress oxydant consiste à doser notamment des marqueurs indirects de lésions oxydatives au niveau des lipides, des protéines, des acides nucléiques ou intracellulaires. Mais Catherine Garrel insiste : « Mais sa réalisation technique, sa validation analytique et son interprétation doivent être réalisées dans des centres spécialisés, par des professionnels experts. »

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