Le pied du diabétique - Le Moniteur des Pharmacies n° 2631 du 03/06/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2631 du 03/06/2006
 

Cahier formation

l'essentiel Chaque année en France, les lésions des pieds sont responsables de 10 000 amputations chez les diabétiques. Trois mécanismes sont en cause : la neuropathie avec perte de la sensibilité, les blessures passant alors inaperçues, l'artériopathie, qui expose à une ischémie des plaies retardant la cicatrisation, et l'infection, favorisée par le déséquilibre glycémique et de pronostic redoutable. Le traitement de la neuropathie repose sur la normalisation de la glycémie, et l'utilisation d'antalgiques classiques ou d'antidépresseurs tricycliques. L'artériopathie est traitée par des anti-ischémiques ou par revascularisation chirurgicale. En présence d'une plaie infectée, le recours aux antibiotiques se fait par voie orale ou IV. La béclapermine, facteur de croissance cellulaire, peut être utilisée en cas d'ulcère chronique.

ORDONNANCE : Un patient diabétique souffrant d'un ulcère au pied

Charles S., 66 ans, diabétique, a été hospitalisé suite à un ulcère infecté localisé du pied. Après équilibration stricte du diabète, antibiothérapie et soins locaux appropriés, l'infection de l'ulcère est à présent totalement guérie et autorise sa sortie de l'hôpital avec mise en place d'un traitement local spécifique à base de Regranex.

LES PRESCRIPTIONS

Docteur Marie Sucret

Diabétologue

Service d'Endocrinologie - Diabétologie et Maladies Métaboliques

1346, avenue de la Résistance

92 000 NANTERRE

Tél. : 01 41 55 44 22

92 1 99999 1

le 1er Juin 2006,

Pour M Charles S.,

66 ans, 1m68, 75 kg

Adaptic 7,6 x 7,6 : 3 boîtes

Compresses stériles non tissées 10x10 : 1 boîte de 50

Sérum physiologique : 4 flacons 250 ml

Micropore : 1 rouleau

Bande Nylex 10 cm : 10 boîtes

Chaussures de décharge type Barouk : pied droit pointure 42

LE CAS

Ce que vous savez du patient

- Charles S. est diabétique de type 2, traité par antidiabétiques oraux (Glucophage 1000, Novonorm 2 mg, Glucor 100) et par insuline à raison d'une injection par jour le soir au coucher (Lantus) en vue d'un meilleur contrôle de son diabète.

- Par ailleurs il est traité en prévention secondaire suite à un infarctus avec un anti-hypertenseur (Triatec 10), un hypocholestérolémiant (Vasten) et un anti-aggrégant plaquettaire (Plavix).

- Lors d'une consultation chez son médecin traitant, le mois dernier, Charles S. lui a montré une plaie indolore sous l'avant du pied. La surinfection de la plaie a amené le médecin à faire hospitaliser Charles S.

- Aujourd'hui, Charles S. sort de l'hôpital avec des soins à faire pratiquer par une infirmière.

Ce dont le patient se plaint

- Charles S. vit seul. Il a les pieds déformés, des durillons, de nombreuses callosités et une importante sécheresse cutanée. Il se plaint de ne pas pouvoir examiner seul ses pieds compte tenu de sa mauvaise vue et de son embonpoint, ce qui rend donc difficile une hygiène et une surveillance irréprochables de ses pieds au quotidien.

Ce que le diabétologue lui a dit

- Le médecin lui a confirmé que l'infection de son ulcère était terminée mais que la cicatrisation allait nécessiter de longs soins réalisés par une infirmière. Le médecin a insisté sur le régime alimentaire, la prise scrupuleuse du traitement et l'équilibre du diabète. Il lui a aussi recommandé de changer ses chaussures car les siennes, trop usées, sont sources de blessures.

DÉTECTION DES INTERACTIONS

L'interaction de Regranex avec d'autres médicaments appliqués sur le site de l'ulcère n'a pas été étudiée. Il est donc recommandé que Regranex ne soit pas appliqué en association avec d'autres médicaments topiques.

ANALYSE DES POSOLOGIES

La posologie de Regranex est correcte.

AVIS PHARMACEUTIQUE

Regranex

La prescription de Regranex est justifiée.

Le suivi médical de Charles S. a permis de déceler un ulcère de pied infecté. L'apparition d'un ulcère de pied est l'une des conséquences d'un mauvais équilibre glycémique (comme l'avait d'ailleurs prouvé ses dernières analyses de sang avec une hémoglobine glycosylée à 10 %).

L'infection a été traitée et le diabétologue a prescrit Regranex, afin de permettre une bonne cicatrisation de cet ulcère. Charles S. a un ulcère de pied neuropathique de petite surface (2,5 cm2) correspondant aux indications de cette thérapeutique.

Dans la mesure où Regranex est un facteur de croissance cellulaire, il est préférable que les soins soient assurés par une infirmière, d'autant que le patient a des difficultés à appliquer lui-même le gel, du fait de son embompoint et de sa mauvaise vue.

L'ordonnance présentée est réglementairement conforme : prescription libellée sur une ordonnance de médicaments d'exception (coût d'un tube : 357,83 Euro(s)).

Adaptic

Les indications de Regranex précisent que le site d'application doit être recouvert d'une compresse imprégnée de sérum physiologique qui maintient un milieu humide propice à la cicatrisation. La prescription d'Adaptic pour recouvrir l'ulcère nécessite donc d'être validée auprès du laboratoire commercialisant Regranex.

Après appel téléphonique, celui-ci confirme qu'Adaptic peut être utilisé en ambulatoire. Plus simple et assurant un meilleur confort au patient, Adaptic préserve un milieu humide sur la plaie sans avoir à humidifier souvent la compresse et évite que le gel de bécaplermine ne soit absorbé par la compresse. C'est un pansement neutre, non occlusif, ne présentant aucun risque d'allergie.

Chaussure type Barouk

Elle permet de supprimer l'appui donc la pression au niveau de la plaie. La mise en décharge des plaies du pied diabétique est une composante fondamentale de toutes les recommandations de prise en charge en association aux soins locaux. La décharge est importante et nécessite une mise au repos provisoire (limitation de la station debout et de la déambulation...).

INITIATION DU TRAITEMENT

Compte tenu des difficultés pour Charles S. d'examiner ses pieds, le traitement par Regranex est initié à son domicile par une infirmière, dès sa sortie de l'hôpital (après que tous les examens nécessaires soient réalisés et après un rééquilibrage de son diabète).

Certains diagnostics doivent être éliminés avant la prescription (et l'utilisation) de Regranex.

- L'infection de l'ulcère doit avoir été traitée avec une thérapeutique antimicrobienne adaptée.

- L'existence d'ostéomyélite doit être recherchée radiologiquement. Elle doit être exclue ou traitée.

- Une artériopathie périphérique doit être recherchée par une palpation des pouls des pieds ou par une autre technique appropriée (Regranex ne doit pas être utilisé chez les patients dont les ulcères ne sont pas d'origine neuropathique).

- Les ulcères cliniquement suspects (processus malin ?), doivent être biopsiés.

VALIDATION DU CHOIX DES MÉDICAMENTS

- Regranex 0,01 % (bécaplermine)

- Indiqué, en association à d'autres soins adaptés de la plaie, pour stimuler la granulation et la cicatrisation des ulcères diabétiques chroniques profonds d'origine neuropathique et de surface inférieure ou égale à 5 cm2. Regranex ne doit pas être utilisé en association avec des pansements occlusifs.

- La posologie est d'une application par jour à l'aide d'un applicateur propre, en couche fine continue sur toute la surface ulcérée. Le site d'application est recouvert d'une compresse imprégnée de sérum physiologique qui maintient un milieu humide propice à la cicatrisation. Ne pas dépasser 20 semaines de traitement chez un même patient.

- Adaptic 7,6 cm x 7,6 cm (pansements non adhérents)

- Tricot de viscose imprégné d'une émulsion stabilisée d'huile de vaseline dans l'eau.

- Indiqué dans le traitement de tous types de plaie, en particulier escarres, ulcères et brûlures.

- Conçu pour protéger la plaie tout en empêchant le pansement d'y adhérer. Perméable aux exsudats, il évite tout phénomène de macération et crée un environnement favorable à la cicatrisation.

- Compresses stériles non tissées, sérum physiologique

- Indiqués pour nettoyer la plaie avant l'application du gel Regranex. Une compresse stérile recouvre le pansement Adaptic.

- Bande Nylex 10 cm,

- Indiquée pour maintenir en place la compresse Adaptic recouverte d'une compresse stérile non tissée.

- Micropore

- Micropore ne doit pas être collé directement sur la peau, mais sur la bande de gaze

- Chaussure de décharge type Barouk

- Chaussure de décharge temporaire à appui partiel talonnier (sans avant-pied).

- Indiquée pour mettre en décharge une plaie de l'avant-pied et éviter d'exercer une pression sur l'ulcère dans les lésions du pied des diabétiques.

SUIVI DU TRAITEMENT

Effets indésirables potentiels de Regranex

Des effets indésirables ont été observés dans les études cliniques randomisées : infection, ulcération cutanée, érythème, douleur (mais l'imputation au Regranex n'est pas clairement établie). Des éruptions bulleuses et des oedèmes ont été rapportés, ainsi que de rares cas de granulation hypertrophique.

Aucun effet systémique indésirable n'est attendu en cas de surdosage, car l'absorption à partir du site d'application est négligeable.

Progression de la cicatrisation de l'ulcère

Le diabétologue réévaluera la cicatrisation de l'ulcère au bout de 10 semaines. Entre temps le médecin généraliste assurera le renouvellement de la prescription. Si, après les 10 premières semaines de traitement continu par Regranex, aucun progrès significatif de la cicatrisation n'est observé, le traitement doit être reconsidéré et les facteurs connus pour freiner la cicatrisation (ostéomyélite, ischémie, infection) doivent être recherchés à nouveau. Le traitement est poursuivi tant qu'une amélioration de la cicatrisation est constatée, sans dépasser 20 semaines chez un même patient.

Le rôle de l'infirmière est fondamental car c'est elle, qui tous les jours, procèdera à la réalisation des soins et pourra alerter le médecin en cas d'évolution suspecte.

Prévention du risque de récidive

L'ulcère est une affection récidivante dont il faut déterminer la cause afin d'en prévenir la récidive. Il faudra donc surveiller les cors, durillons et callosités (favorisées par la sécheresse cutanée), reflets d'une augmentation de l'appui sur la peau.

Une fois l'ulcère guéri, la chaussure de décharge laissera sa place à des orthèses plantaires ou des chaussures préventives sur mesure qui pourront être réalisées par un orthésiste spécialisé.

PLAN DE PRISE CONSEILLÉ ' Sérum physiologique, compresses : destinés au nettoyage de la plaie. ' Regranex : une application par jour à l'aide d'un applicateur propre, en couche fine continue sur toute la surface ulcérée. ' Adaptic, bande Nylex, Micropore, compresses : Adaptic est appliqué directement sur la plaie après l'application de Regranex, recouvert d'une compresse et maintenu par une bande Nylex fixée par du Micropore.

CONSEILS AU PATIENT

Bien conserver le Regranex

Prendre des précautions pendant l'utilisation du Regranex pour éviter une contamination microbienne et une altération du produit. Tout tube ouvert doit être utilisé dans les 6 semaines.

Refermer soigneusement le tube après chaque utilisation et le replacer au réfrigérateur entre +2 et +8°C. Une fois le traitement terminé, tout tube de gel entamé doit être éliminé.

Maîtriser les facteurs de risques

Les glycémies doivent être équilibrées à des valeurs proches de la normale. Encourager l'utilisation régulière du lecteur de glycémie.

Insister sur la prise correcte du traitement quotidien (antidiabétiques oraux, antihypertenseur, hypolipémiant).

Rappeler les règles hygiénodiététiques, car un bon état nutritionnel est favorable à une bonne cicatrisation.

Hygiène et surveillance des pieds

' Faire surveiller régulièrement l'état de ses pieds par l'infirmière le temps des soins par Regranex et avoir recours à un pédicure-podologue en relais, averti de l'insensibilité du pied du diabétique, en vue des soins et de l'hygiène des pieds (ongles coupés, limés, ablation des hyperkératoses, durillons, cors, ampoules..).

' Avoir une hygiène rigoureuse avec lavage de pieds quotidien à l'eau tiède (36 - 37 °C) et au savon accompagné d'un séchage minutieux en insistant entre les orteils. Vérifier la température de l'eau à l'aide d'un thermomètre.

' Porter des chaussures confortables, de bonne qualité pour éviter la formation de callosités fragilisant la peau et favorisant l'infection.

' Penser à vérifier tous les jours l'intérieur des chaussures avec la main pour détecter d'éventuels corps étrangers.

' Signaler immédiatement toute lésion ou coloration suspecte de la peau.

' Proscrire formellement coricides, verrucides et tous produits agressifs.

' Appliquer une crème hydratante neutre.

Informer des signes d'alerte

Informer et donner des instructions au patient et à son entourage sur la façon de reconnaître les signes d'infection tels que la fièvre, la modification de l'état de la plaie ou l'hyperglycémie.

Par Caroline Roussanne, pharmacienne, et Vivien Veyrat, pharmacien, professeur associé (Paris XI)

PATHOLOGIE : Qu'est-ce que le pied diabétique ?

Le terme « pied diabétique » regroupe l'ensemble des manifestations pathologiques atteignant le pied, directement en rapport avec la maladie diabétique sous-jacente. La survenue d'une ulcération et le risque d'amputation en font toute la gravité.

On appelle « pied diabétique », toute lésion du pied, ouverte ou non, en rapport avec une complication de la maladie diabétique sous-jacente. Les atteintes sont principalement imputables à l'effet délétère du diabète sur les nerfs périphériques et/ou sur la circulation artérielle des membres inférieurs, et sont souvent précipitées par la survenue d'une infection.

La pathologie « pied diabétique » est dominée par la survenue d'une ulcération et le risque d'amputation.

ÉPIDÉMIOLOGIE

Les troubles trophiques du pied sont fréquents chez les diabétiques, estimés entre 40 000 et 80 000 en France.

Environ 15 % des diabétiques présenteront un ulcère au cours de leur vie. L'étude ENTRED montre que 7 % des diabétiques de type 2 en France en souffrent ou en ont souffert. De plus, la récidive survient chez 70 % des patients dans les 5 ans qui suivent la cicatrisation.

Au moins 50 % des amputations non traumatiques des membres inférieurs ont lieu chez les diabétiques. Dans 70 à 90 % des cas, l'amputation est précédée d'une ulcération du pied.

Environ 40 % des actes sont des amputations au niveau des orteils, 25 % du pied, 20 % de la jambe et 15 % de la cuisse. Une nouvelle amputation est nécessaire chez 1 patient sur 2, cinq ans après la première ; seuls 58 % des patients survivent.

L'amputation touche fréquemment le sujet jeune : 1500 patients de moins de 60 ans sont concernés chaque année.

Au final, il y a environ 10 000 amputations chez les diabétiques par an en France.

PHYSIO-PATHOLOGIE

Trois mécanismes plus ou moins associés sont à l'origine des lésions.

La neuropathie

Toutes les fibres nerveuses (sensitives, motrices et végétatives) peuvent être touchées dans la neuropathie diabétique, mais c'est l'atteinte sensitive qui est principalement en cause, avec une perte progressive de la sensibilité douloureuse superficielle. Elle expose aux ouvertures cutanées par insensibilité et perte des sensations de défense, les hyper-appuis ou les blessures passant inaperçus.

L'atteinte motrice est responsable d'une amyotrophie distale touchant la musculature intrinsèque du pied. Il s'ensuit un déséquilibre entre fléchisseurs et extenseurs responsable à la longue de déformations (orteils en griffe ou en marteau...), zones sur lesquelles surviendront les ulcérations (en regard de la tête des métatarsiens, face dorsale des articulations inter-phalangiennes, pulpe des orteils).

L'atteinte végétative (neuropathie autonome) entraîne :

' des anomalies de la sudation responsable d'une sécheresse cutanée locale fragilisant le pied (crevasses, fissurations),

' des oedèmes et des troubles vasomoteurs (shunt artério-veineux en amont des capillaires, gênant la bonne oxygénation des cellules ; épaississement de la membrane basale des capillaires, et possible effet négatif sur la cicatrisation),

' des calcifications de la media des artères (mediacalcose) générant une rigidité artérielle gênant l'exploration et les gestes de revascularisation.

Les complications spécifiques du diabète que sont la rétinopathie, la glomérulopathie et la neuropathie diabétiques sont regroupées sous le terme de microangiopathie diabétique. Elles sont souvent associées et forment la triopathie diabétique.

L'artériopathie

La macroangiopathie est une atteinte de l'intima des artères de gros et moyens calibres, responsable de l'artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI). Ce rétrécissement des vaisseaux par des plaques d'athérome a des caractéristiques particulières chez le diabétique. Il est plus fréquent, les deux sexes sont également atteints (au lieu de 4 hommes pour une femme chez les non diabétiques), l'âge de survenue est plus précoce, l'affection est plus distale et plus diffuse. Elle est moins souvent symptomatique sous forme de claudication en raison de la neuropathie associée. Les douleurs de décubitus sont assez rares même si l'artérite est sévère.

L'artériopathie conduit à un état d'ischémie chronique responsable d'une mauvaise trophicité tissulaire avec une sensibilité accrue aux traumatismes et une restriction du potentiel de cicatrisation. En effet, il faut 20 fois plus d'oxygène pour obtenir la cicatrisation d'une plaie qu'en absence d'artériopathie.

L'infection

L'infection aggrave les troubles trophiques, mettant en péril le(s) membre(s) et parfois la vie du patient. Elle est plus fréquente chez le diabétique en raison du déficit des défenses cellulaires avec de nombreuses anomalies des polynucléaires aggravées par l'hyperglycémie. On distingue, selon la profondeur de la lésion, les infections superficielles (en général monomicrobiennes à Cocci Gram+ touchant la peau et le tissu sous-cutané), et profondes (exposant les tendons, aponévroses, fascia), et selon la sévérité, les infections modérées (sans signes d'extension régionale ni générale, souvent multimicrobiennes) et sévères (avec syndrome systémique inflammatoire).

TABLEAUX CLINIQUES

Les plaies purement ischémiques sont rares (20 % environ des ulcères du pied chez le diabétique), les ulcères neuropathiques sont beaucoup plus fréquents. En fait, la cause du trouble trophique est le plus souvent la combinaison d'une neuropathie diabétique et d'une insuffisance artérielle.

L'atteinte neuropathique

Le pied neuropathique est chaud, sec, « décharné », les veines du dessus du pied sont turgescentes, les pouls « bondissants ». Il est souvent déformé avec une hyper-kératose en regard de la tête des métatarsiens. La sensibilité est nettement diminuée voire abolie et les réflexes achilléens sont souvent absents.

- Le mal perforant plantaire

C'est l'ulcération neuropathique par excellence. Il s'agit d'une ulcération à l'emporte-pièce, non douloureuse entourée d'un halo d'hyper-kératose et siégeant préférentiellement sous la tête des métatarsiens ou à la face plantaire des orteils. Le principal danger est celui d'une infection se propageant rapidement aux parties molles et aux structures osseuses sous-jacentes.

Le mécanisme de constitution est le suivant : en réponse à une hyper-pression localisée, la peau s'épaissit. Sous cette hyperkératose se développe une vésicule inflammatoire qui s'agrandit et dissèque le tissu environnant avec la persistance de l'hyper-pression. Cette vésicule finit par s'ouvrir au milieu de la zone d'hyper-kératose et par favoriser l'apparition d'une infection d'autant plus grave que la vésicule met en contact l'extérieur et les structures profondes du pied.

- L'ostéoarthropathie nerveuse

Encore appelé "pied de Charcot", c'est une complication gravissime de la neuropathie diabétique aboutissant à des déformations catastrophiques, source d'instabilité ostéo-articulaire et conduisant parfois à l'amputation. Relativement indolore et souvent unilatérale, cette atteinte osseuse peut toucher un ou plusieurs os du pied. Elle évolue en deux phases :

' une phase aiguë avec une lyse osseuse et articulaire avec fractures spontanées et sub-luxations, associée à des signes inflammatoires locaux et un oedème souvent volumineux et chaud.

' une phase chronique : une reconstruction osseuse anarchique au bout de 2 à 6 mois aboutissant à des déformations caricaturales du pied rendant le chaussage difficile. La plus caractéristique est le pied en « tampon buvard » avec convexité de l'arche plantaire. Peuvent alors apparaître des ulcérations sur la face plantaire du médio-pied, région qui normalement n'est pas en contact avec le sol lors de la marche.

L'atteinte artérielle

Le pied ischémique est froid, dépilé, cyanotique avec érythrose de déclivité ; les pouls sont amortis, voire absents et il n'y a pas d'hyper-kératose.

- Les ulcères ischémiques

Il s'agit d'une perte de substance bien limitée, atone. Le fond est un tissu fibrinoïde jaunâtre et adhérent, douloureux lors des soins et le hâlo est inflammatoire.

Ces ulcères résultent d'un frottement excessif entre le pied et la chaussure, d'où leur siège de prédilection sur les bords du pied ou sur la face dorsale des orteils en cas de griffe. Le talon peut être touché en cas d'alitement avec une hyper-pression localisée sur un terrain d'insuffisance circulatoire.

- La nécrose ischémique distale

L'insuffisance circulatoire est responsable de nécrose tissulaire distale avec gangrène parcellaire portant sur un ou plusieurs orteils. Souvent de survenue brutale après un traumatisme, elle débute par une zone violacée. L'évolution se fait vers le noircissement de l'orteil. Si la gangrène est sèche (absence de surinfection), l'atteinte reste limitée, la partie nécrosée se dessèche et tombe spontanément (auto-amputation par momification). En cas de surinfection (gangène humide), la nécrose s'étend et nécessite une amputation chirurgicale.

L'infection

On distingue infections superficielles et profondes.

- Les infections superficielles

Elles ne mettent pas en danger le membre inférieur. Le plus souvent c'est une cellulite limitée, sans lymphangite, ni abcès. Il n'y a pas de signes généraux (fièvre, hyperleucocytose), l'infection est le plus souvent monobactérienne (staphylocoque doré) et relève d'une antibiothérapie probabiliste.

- Les infections profondes

Cellulite extensive avec cordon lymphangitique, abcès profond, phlegmon des gaines, septicémie... ces infections non jugulées peuvent aboutir à une amputation. Elles en seraient la cause directe 1 à 2 fois sur 4 chez le diabétique. Les signes systémiques sont souvent absents, mais un déséquilibre glycémique peut être un signe d'alerte. Ces infections profondes comportent un risque d'ostéite dont le diagnostic repose sur les radiographies et le sondage grâce à un stylet pointe mousse qui permet d'évaluer la profondeur et de rechercher un « contact osseux » signant une ostéïte sous-jacente.

En cas de doute sur une atteinte osseuse, une IRM ou une scintigraphie peuvent être indiquées.

Evaluation de la plaie

En cas de plaie, son évaluation est essentielle. Elle précise : sa nature (neuropathie, artériopathie, mixte), son stade évolutif en utilisant un système coloriel (noir = nécrose ; jaune = fibrine ; rouge = tissu de granulation), la présence ou non d'une infection, sa surface et son extension en profondeur. A l'issue de cette évaluation, l'ulcération est classée selon le système de l'Université du Texas : en degré selon la profondeur de l'atteinte (en chiffre romain, de 0 « plaie pré-ou post-ulcérée totalement épithélialisée » à III « plaie pénétrant l'os ou l'articulation ») et en stade selon la présence ou non d'une ischémie et/ou d'une infection (en lettre, de A « pas d'infection ni d'ischémie » à D « infection et ischémie » ).

ÉTIOLOGIES

L'hyperglycémie chronique est responsable de perturbations précoces de la microcirculation, mais on ne connaît pas encore bien les mécanismes liant l'hyperglycémie aux perturbations fonctionnelles et histologiques observées. De grandes études de suivi longitudinales ont montré que le fait de réduire de 1 % l'HbA1c diminuait de 30 à 40 % la prévalence de la neuropathie.

Quant à l'artériopathie, le diabète ne semble pas intervenir directement, mais plutôt en potentialisant les facteurs de risque d'athérosclérose ou en aggravant l'athérome constitué. D'autres hypothèses sont évoquées : le diabète comporte fréquemment une association de facteurs de risque vasculaire (HTA, hyperlipidémie, tabac) ; l'hyperglycémie associée à des anomalies qualitatives des lipoprotéines, pourrait favoriser les complications thrombotiques et être un agent causal de l'accélération du vieillissement de la paroi artérielle.

DÉPISTAGE DES FACTEURS DE RISQUE

Pour prévenir l'apparition des lésions, il est primordial de dépister les patients jugés les plus à risque afin de sélectionner ceux pour lesquels une éducation attentive doit être mise en oeuvre. Les patients diabétiques à risque sont ceux ayant des antécédents de trouble trophique, une artériopathie, une neuropathie sensitive, une déformation du pied (orteil en griffe, hyperkératose...). Le dépistage est basé sur l'interrogatoire, la clinique et parfois sur des examens complémentaires permettant de graduer le risque podologique.

Le dépistage permet de définir des stratégies de prévention adaptées à chaque situation. Ainsi, dans les grades 2 et 3 (haut risque), des soins podologiques réguliers ont montré leur efficacité.

Par Christine Julien, pharmacienne, en collaboration avec le Dr Dominique Malgrange, diabétologue.

L'AVIS DU SPÉCIALISTE : « Un tiers des diabétiques a un risque de lésion du pied »

Dominique Malgrange, diabétologue au CHU de Reims, secrétaire du groupe Pied diabétique de l'Alfediam

On parle de « pied diabétique » en présence d'une lésion constituée. Ne faudrait-il pas parler également de « pied diabétique » lorsqu'un patient présente un risque podologique important en dehors de toute lésion constituée ?

Effectivement, on pourrait déjà parler de pied diabétique lorsqu'on parle de prévention. Quelqu'un qui n'a jamais fait de lésion, mais qui a déjà une neuropathie, des déformations du pied ou une artérite est à haut risque de faire une lésion et dans ce cas, se situe dans un cadre de prise en charge préventive très important.

Environ deux tiers des diabétiques n'ont pas de neuropathie et sont considérés sans risque, comme la population générale. En revanche, environ 30 à 35 % des diabétiques ont au moins un risque de faire une lésion : une neuropathie isolée, voire une neuropathie avec une artériopathie ou une déformation. C'est sur ce tiers-là qu'il faut faire le forcing en terme de prise en charge et de prévention afin d'éviter la survenue d'une lésion.

Ensuite, lorsque les patients ont une lésion, nous ne sommes plus dans la prévention, mais dans la thérapeutique pour obtenir la cicatrisation et réduire ainsi le risque d'amputation, toujours dramatique.

Dr Dominique Malgrange, interrogé par Christine Julien

THÉRAPEUTIQUE : Comment traiter le pied diabétique ?

Le traitement du « pied diabétique » est aujourd'hui un enjeu de santé publique, afin d'éviter ou de limiter le chiffre inacceptable de plus de 10 000 amputations en France chaque année. Son origine étant plurifactorielle, sa prise en charge est essentiellement étiologique.

Le pied diabétique est le carrefour de complications vasculaires et neurologiques, spécifiquement délétères au niveau des pieds, et le mal perforant en est l'expression la plus courante. Les lésions cutanées du pied étant étroitement liées aux complications neuropathiques et/ou artériopathiques du diabète, leur prise en charge thérapeutique passe de fait par une prise en charge étiologique.

ARTÉRITE DIABÉTIQUE

Vingt pour cent des artéritiques diabétiques développant une gangrène, une intervention thérapeutique est indispensable ; essentiellement médicale par le biais d'anti-ischémiques, et chirurgicale pour les cas à risque.

Dans tous les cas, la pratique de la marche permet d'augmenter le périmètre de marche des patients artéritiques présentant une claudication intermittente, mais sous condition que le chaussage soit adéquat afin d'éviter toute ulcération due à une marche prolongée et au frottement de chaussures non adaptées.

Traitement médical

- Anti-ischémiques

La prise en charge médicale passe par l'utilisation de médicaments anti-ischémiques, indiqués dans la claudication intermittente des artériopathies chroniques oblitérantes des membres inférieurs. Au nombre de quatre, ils possèdent des mécanismes d'action différents, mais pour tous le SMR (Service Médical Rendu) a été jugé insuffisant en 2005. Leurs formes injectables sont réservées aux cas sévères à risque d'amputation et chez lesquels la revascularisation a échoué.

' Le buflomédil (Fonzylane) agit en exerçant une action a-adrénolytique non spécifique s'opposant aux effets vasoconstricteurs de l'adrénaline, ainsi qu'en restaurant la microcirculation.

' La pentoxifylline (Torental), possède un effet vasodilatateur artériel par action sur les fibres musculaires lisses des vaisseaux, et entraîne une augmentation de la déformabilité des globules rouges qui est diminuée dans les cas d'artériopathies. Chez le patient diabétique, la prise de Torental expose à un risque hémorragique accru nécessitant la mise en place d'une surveillance ophtalmologique.

' Le naftidrofuryl (Praxilène), possédant une activité antisérotoninergique 5HT2, agit en s'opposant aux effets vasoconstricteurs et pro-agrégants plaquettaires de la sérotonine.

' Enfin, le ginkgo biloba (Tanakan) présente expérimentalement des propriétés anti-anoxiques, mais qui n'ont pas encore été démontrées chez l'homme.

- Anti-agrégants plaquettaires

Les médicaments antiagrégants plaquettaires permettent de prolonger la perméabilité de la vascularisation des membres inférieurs suite à un geste chirurgical. ' Il s'agit du clopidogrel (Plavix) ou bien de l'association dipyridamole + aspirine (hors AMM).

' Iloprost (Ilomédine), analogue de la prostacycline à effet antiagrégant plaquettaire, est indiqué dans les ischémies chroniques sévères, pour lesquelles une revascularisation chirurgicale ou angioplastique n'est pas envisageable, ou après échec de celle-ci lorsque le geste de l'amputation d'urgence n'est pas retenu.

Revascularisation

La revascularisation trouve toute sa place lorsque la claudication est invalidante, que le patient présente toujours des douleurs au repos, ou que le membre inférieur est ulcéré ou gangrené, faisant peser la menace de l'amputation. Cette revascularisation sera pratiquée soit par angioplastie endoluminale, soit par insertion d'un stent endovasculaire, soit par pontage distal. L'angioplastie repose sur l'utilisation d'un ballonnet indéformable, monté sur un cathéter d'angiographie. Elle peut aider à faire passer une situation ischémique aiguë ou à guérir des ulcères ischémiques chroniques. L'alternative est la pose d'un stent endovasculaire, complétant ou remplaçant l'angioplastie en cas d'échec, ou lorsqu'il existe un risque élevé de réocclusion. Mais le réel progrès chirurgical dans cette indication est la revascularisation par pontage, par veine saphène autogène, permettant de ponter l'artère pédieuse voire même l'arcade plantaire. Cette technique est à envisager systématiquement en cas de menace d'amputation. Ses seules contre-indications sont les séquelles d'AVC, les états grabataires ou les phases terminales de pathologies chroniques.

Oxygénothérapie hyperbare

Pour les cas graves de gangrène traités sans succès par les méthodes conventionnelles et lorsque l'amputation semble devoir être envisagée, il est recommandé de traiter par oxygénothérapie hyperbare. Cette recommandation issue d'une conférence de consensus datant de 1999, s'explique par une efficacité démontrée de ce traitement dans le cadre d'hypoxies cellulaires, d'ostéomyélites et d'infections des tissus mous.

Amputation

Enfin, lorsqu'aucun des traitements décrits n'est suffisamment efficace et que l'amputation s'avère inéluctable devant des lésions évoluées et putrides, une douleur difficile à maîtriser, une aggravation rapide des lésions ou de l'état général, celle-ci ne doit pas être retardée. Le niveau d'amputation est difficile à déterminer et se décide sur la conjonction d'éléments essentiellement cliniques et artériographiques. Elle doit être aussi conservatrice que possible en évitant le risque de réinterventions successives. Elle consiste soit en une exérèse localisée qui permet de conserver l'appui talonnier, soit en une amputation haute (jambe ou cuisse). La conservation du genou est liée aux possibilités de cicatrisation et d'appareillage ultérieur.

NEUROPATHIE DIABÉTIQUE

Aucun traitement curatif n'ayant fait ses preuves, la prise en charge de la neuropathie diabétique est étiologique et symptomatique. En effet, si la normalisation de la glycémie sur le long terme ne permet pas d'améliorer la conduction nerveuse, elle permet au moins de stabiliser l'évolution de sa dégradation.

Il convient de garder à l'esprit que la prise en charge de la neuropathie diabétique est avant tout préventive, tabac, alcool, drogues neurotoxiques et mauvais contrôle glycémique étant les principaux facteurs de risque.

Antalgiques classiques

Les douleurs et dysesthésies douloureuses répondent à un traitement symptomatique, faisant appel aux antalgiques type acide acétylsalicylique, paracétamol ou dextropropoxyphène et aux AINS, ainsi qu'aux antiépileptiques type carbamazépine, phénytoïne ou clonazépam surtout efficaces pour les douleurs fulgurantes. Il est aussi possible d'utiliser des anesthésiques locaux, type capsaïcine en application cutanée.

Antidépresseurs tricycliques

Enfin et surtout, le recours aux antidépresseurs tricycliques (imipramine, clomipramine, amitryptilline) permet d'avoir un impact démontré sur la douleur neuropathique. Leur action antalgique est retardée de 5 à 10 jours, avec une dose inférieure à la dose antidépressive. La posologie est d'instauration progressive par palier de 10 à 25 mg.

OSTÉO- ARTHROPATHIE

La déformation ostéo-arthropathique la plus grave et la plus typique est le pied de Charcot. Son traitement est tout d'abord préventif en tentant de mieux répartir les pressions. Pour cela, le plâtre de décharge équipé de talonnette présente l'avantage de conserver la déambulation, de permettre une diminution de l'oedème et de préserver l'architecture du pied. En revanche, le risque d'ulcération asymptomatique sous plâtre est présent. Les orthèses jambières de décharge faites sur mesure permettent cette surveillance cutanée par ouverture de l'appareil. Lors de déformation majeure, il est possible d'avoir recours à la chirurgie pour procéder à la résection d'un os proéminent en regard d'une ulcération chronique.

INFECTIONS DU PIED DIABÉTIQUE

Leur prise en charge consiste bien sûr en l'instauration d'une antibiothérapie, dont le choix sera guidé par la nature des germes probablement responsables et par leur localisation. Certains sites comme les zones nécrotiques ne sont pas accessibles aux antibiotiques par défaut de vascularisation, quant aux plaies superficielles sur terrain neuropathique pur, elles ne sont pas justiciables d'une antibiothérapie en l'absence de signes inflammatoires locaux, mais relèvent plutôt d'un traitement antiseptique. Classiquement, un protocole d'antibiothérapie probabiliste est instauré en attente des résultats de l'antibiogramme. Le traitement retenu est fonction de la présence ou non d'une artérite, de l'existence de signes infectieux généraux, et des antécédents d'hospitalisation avec infection nosocomiale dans l'année écoulée. En ville, il comprend classiquement de l'amoxicilline/acide clavulanique en cas de signes locaux extensifs, associé à de la gentamicine en cas de signes généraux d'infection (cf tableau).

Le traitement est ensuite adapté en fonction des résultats de l'antibiogramme, sachant que les doses maximales sont généralement requises si la fonction rénale le permet, afin d'obtenir une bonne diffusion surtout en cas d'ischémie. La durée habituelle de traitement en cas d'ostéite est de 3 mois, 4 semaines IV puis relais per os.

SOIN DE LA PLAIE

Sauf dans le cas d'un pied ischémique, la plaie chronique doit d'abord faire l'objet d'un débridement (décornage, pelage). Celui-ci doit être large, retirant toute l'hyperkératose en cas de mal perforant, une incision permettant d'évacuer la collection purulente le cas échéant. Afin de ramollir et faciliter le détachement des nécroses noires et sèches, il est possible de s'aider d'un gel hypertonique de type Hypergel.

Puis un traitement antibiotique tel que décrit ci-dessus est instauré, et l'insulinothérapie optimisée par de multiples injections ou par pompe. Une héparinothérapie et une vaccination antitétanique sont souvent nécessaires. Les antiseptiques type polividone iodée ou solution de Dakin étant cytotoxiques pour le tissu de granulation, il est indispensable de les rincer avec du sérum physiologique.

QUELLES SONT LES PRINCIPALES INTERACTIONS ?

Choix du pansement

Une fois la détersion de la plaie effectuée, le choix du pansement est dicté par le caractère exsudatif plus ou moins abondant de celle-ci, ainsi que la présence ou non d'une infection.

' Si la plaie est exsudative, mais non infectée, le choix se porte sur un pansement hydrocellulaire (Allevyn, Askina, Biatain, Combiderm, Tielle...), absorbant les fluides par capillarité et assurant une barrière antibactérienne. Le rythme de changement varie de 2 à 8 jours en fonction des exsudats.

' Si la plaie est exsudative et infectée ou malodorante, le choix se porte alors sur un pansement au charbon actif et à l'argent (Actisorb plus, Carbonet, Carboflex, Lyofoam, Acticoat...), conjuguant un effet antibactérien et un effet absorbant. Le renouvellement est quotidien en cas d'infection, et tous les 2 à 3 jours si la plaie est uniquement malodorante.

' En cas de nécessité d'une cicatrisation dirigée et si la plaie est exempte de tissu nécrotique, le choix se porte sur une matrice à effet antiprotéase (Promogran), spécifiquement indiquée dans la prise en charge du pied diabétique. Composée de cellulose oxydée et de collagène, elle sert de substrat aux protéases nuisibles car dégradant le tissu de bourgeonnement et les facteurs de croissance. Un pansement hydrocellulaire vient la recouvrir, le changement s'effectuant toutes les 72 heures.

' L'utilisation de pansements gras (Adaptic, Jelonet, Urgotul, Physiotulle...) permet de favoriser le bourgeonnement. Mais ils ont l'inconvénient de sécher vite et d'emprisonner le tissu de bourgeonnement, entraînant des douleurs vives au renouvellement de pansement par arrachage des bourgeons charnus. Ils doivent être changés tous les deux jours.

' Une fois le bourgeonnement obtenu, il est possible d'accélérer la cicatrisation en utilisant un pansement à l'acide hyaluronique (Hyalogran, Ialuset...), qui va moduler l'inflammation, stimuler la production de cytokines, faciliter la prolifération cellulaire et l'angiogénèse des tissus en phase de réparation. La fréquence du changement est fonction de la plaie.

' Les hydrocolloïdes (Comfeel, Duoderm...) sont déconseillés chez les patients diabétiques, en raison du risque accru de prolifération bactérienne sous le pansement.

Facteur de croissance

' Afin de stimuler le bourgeonnement et la cicatrisation de la plaie, il est possible d'utiliser un facteur de croissance cellulaire, la bécaplermine (Regranex), inducteur de la synthèse protéique, intervenant dans les différentes phases de la cicatrisation cutanée. Il agit sur les kératinocytes, les fibroblastes, les cellules endothéliales, les polynucléaires et les monocytes. Il s'agit du premier et seul médicament participant à la régénération tissulaire en stimulant le processus de cicatrisation.

Son indication est ciblée sur l'ulcère diabétique chronique d'origine neuropathique et de taille inférieure à 5 cm. Il s'utilise à l'aide d'un applicateur propre en couche fine et continue, sur toute la surface ulcérée. Le site d'application est ensuite recouvert d'une compresse imbibée de sérum physiologique, maintenant un milieu humide propice à la cicatrisation, mais sans utiliser de pansement occlusif.

Mise en décharge

Enfin, une condition indispensable à la guérison de la plaie, quelque soit son type et sa localisation, est sa mise en décharge jusqu'à guérison totale. Pour cela il est possible d'utiliser des chaussures de décharge de l'avant-pied (type Barouk) ou du talon (type Sanital), mais elles font courir le risque de rendre la marche instable et donc de créer de nouveaux points de pression. Afin de mieux répartir la pression sur l'ensemble de la surface plantaire, il est possible d'utiliser les bottes à contact total, ou bien les bottes pneumatiques gonflables. Enfin, parmi les moyens disponibles, le plus efficace et le plus radical reste l'alitement, incontournable en cas d'infection.

Par Frédéric Chauvelot, pharmacien hospitalier

CONSEILS AUX PATIENTS

Eviter les complications

' Un objectif d'HbA1c inférieure ou égale à 7 % permet de réduire le risque de survenue ou d'aggravation des complications graves de microangiopathie.

' Encourager la normalisation des facteurs de risque cardiovasculaire (pression artérielle #lt;140-90 mm Hg, cholestérol, triglycérides).

' Accompagner l'aide au sevrage tabagique si nécessaire (75 % des artérites chez les diabétiques surviennent chez les fumeurs).

Personnaliser le conseil

Il ne s'agit pas de dire à un patient, sous prédiv qu'il est diabétique, de faire particulièrement attention à ses pieds ! L'écueil serait qu'un patient le fasse durant quelques années avant de constater qu'il ne se passe rien et abandonne cette pratique au moment même où un risque commence à s'installer. Les conseils doivent s'adapter au niveau de risque de chaque patient. Les diabétiques à risque de lésion grave des pieds sont ceux atteints d'une neuropathie et/ou d'une artériopathie, surtout si leurs pieds sont déformés ou porteurs de callosités.

Le discours doit être personnalisé. Le patient n'adaptera son comportement que si les objectifs lui paraissent réalistes. Il faut trouver des compromis, des terrains d'entente et vérifier au prochain renouvellement.

Encourager à montrer ses pieds

Aujourd'hui seuls 10 à 20% des patients voient leurs pieds examinés en consultation ! Incitez les à montrer leurs pieds à leur médecin au moins une fois par an.

Conseiller aux patients âgés de signaler au médecin la moindre diminution ou abolition de la sensibilité tactile, thermique et algique des pieds (ex : fourmillement, engourdissements, « j'ai l'impression de marcher sur de la moquette » alors que le patient porte des chaussures, ou « le carrelage est moins rafraîchissant que d'habitude quand je marche pieds nus »).

En l'absence de risque podologique (grade 0)

- Chaque jour :

' Laver les pieds en séchant bien entre les orteils et en évitant les bains de pieds prolongés.

' Changer de chaussettes.

' Faire des mouvements d'assouplissement des pieds (flexion, extension au niveau de l'avant-pied, de la cheville et des orteils).

' Hydrater les pieds secs (la corne favorise les fissures) avec une crème hydratante.

' Ne pas utiliser de métal sur les pieds (lame métallique, ciseaux pointus, râpe métallique...), ni de coricide.

' Choisir des chaussures confortables en cuir souple.

- En cas de blessure (en l'absence de risque podologique)

' Laver la plaie avec de l'eau et du savon. Appliquer un pansement gras (Adaptic, Jelonet...) puis une compresse fixée par une bande. Eviter tout antiseptique coloré. Ne pas mettre de sparadrap directement sur la peau. Si la cause de la blessure est inconnue ou si la plaie est inflammatoire, orienter vers le médecin.

' Mettre à jour la vaccination antitétanique.

En présence d'un pied à risque (grade 1)

' Choisir ses chaussants

Se méfier des chaussures neuves, trop serrées ou ouvertes aux corps étrangers, voire usées. Une couture saillante ou le pli d'une chaussette frottant un pied fragilisé peuvent blesser.

Acheter toujours des chaussures fermées (à essayer en fin de journée) et porter des chaussettes même en été. Préférer le cuir, souple sur le dessus et rigide à la semelle (sauf à la pliure des orteils) pour éviter que le pied ne frotte davantage sur le cuir du dessus.

' Enlever la corne

La corne se forme au niveau des points d'appui ou de frottement. Au niveau des talons, elle entraîne fissures et crevasses pouvant s'infecter. Cors, durillons et autres lésions peuvent blesser la chair sous-jacente entraînant une petite poche sous la peau qui finit par s'infecter. Retirer la corne avec un instrument non agressif (pierre-ponce ou petite meule fonctionnant sur pile telle Mani-Quick). Hydrater la peau pour éviter son retour. Bannir les accessoires métalliques et les corricides chimiques.

' S'occuper de ses ongles

Pouvant blesser les orteils voisins, les ongles sont coupés pas trop courts et plutôt à angles droits avec des ciseaux à bouts ronds. Le mieux : les raccourcir et les désépaissir régulièrement avec une lime en carton ou la meuleuse.

' Eviter les mycoses

Une mycose peut être source de fissure et donc d'une voie d'entrée pour les infections. Pour les éviter, chasser les sources de macération : pas de bains de pieds prolongés, séchage soigneux des pieds, changement de chaussettes (en coton) tous les jours. En cas de mycose, utiliser les poudres et un spray pour les chaussures en évitant gel et crème sur les pieds.

' Chasser les corps étrangers

Graviers, aiguille, les ennemis des pieds peuvent se glisser dans une chaussure ouverte ou fermée. Toujours glisser sa main dans les chaussures avant de les enfiler. Ne pas marcher pieds-nus.

' Prévenir les brûlures

Un pied insensible peut être brûlé par une bouillote, un cataplasme... Ne jamais utiliser d'objet chauffant sur des pieds sensibles. Avant de mettre ses pieds dans une baignoire, vérifier la température de l'eau avec un thermomètre ou la main.

Par Christine Julien, pharmacienne

POUR EN SAVOIR PLUS

FORMATION

Off#amp;Diab

Contact : Dr Lalej, offdiab@wanadoo.fr, tél : 06 08 16 22 69

L'association Off#amp;Diab propose aux diabétologues de dispenser aux officinaux une formation pratique sur le diabète. Six thèmes, dont le "pied diabétique", sont abordés sous un angle très pratique. Le but d'Off#amp;Diab est de constituer des équipes locales diabétologues/pharmaciens pour une meilleure prise en charge des patients.

INTERNET

Société française et francophone des plaies et cicatrisations

http://www.sffpc.org

La rubrique "Base de connaissances" comporte un important dossier consacré au pied diabétique (Etat des lieux en 2005, Dr Jean Louis Richard), des conseils sur la prise en charge et la prévention des plaies, sur l'éducation du diabétique. Les illustrations appuient le propos et démontrent à quel point il est urgent de mobiliser tous les professionnels de santé.

LIVRES

Guide pratique du diabète,

André Grimaldi et collaborateurs, collection Mediguides Masson, 3e édition, Paris 2005.

Un ouvrage très complet et concret sur le diabète, abordant en 28 chapitres l'essentiel du traitement curatif et préventif, sous l'angle des conduites pratiques à tenir.

Le chapitre 22 « Le pied diabétique ou comment prévenir les amputations » regorge d'explications claires, sobrement illustrées et de conseils judicieux.

Facteurs de risque du pied diabétique

- Antécédents d'ulcération ou d'amputation.

- Neuropathie périphérique.

- Artériopathie des membres inférieurs.

- Déformations des pieds : consécutives à la neuropathie motrice ou non directement liées au diabète (Hallus valgus = déviation en dehors du gros orteil, quintus varus = saillie de la tête du 5e métatarsien).

- Rigidité articulaire : la limitation des amplitudes articulaires semble impliquée dans le mécanisme de l'augmentation des pressions plantaires et dans la survenue des ulcérations. En cause : la glycation des protéines de la peau, des tissus mous et des articulations, conséquence de l'hyperglycémie chronique.

- Autres facteurs de risque : âge du patient et durée d'évolution du diabète multiplient par 2 à 4 le risque d'ulcération du pied chez le diabétique, rétinopathie et/ou néphropathie, isolement du patient, facteurs psychologiques (déni de la maladie, attitude négative...), mauvaise hygiène.

Les facteurs déclenchants d'une lésion sont pratiquement toujours une blessure provoquée par des microtraumatismes passés inaperçus (chaussures inadaptées ou blessantes, source de chaleur non ressentie, soin de pédicurie mal fait...), bénigne chez le sujet normal et catastrophique chez les diabétiques à risque podologique.

Dépistage par monofilament

La perte de sensibilité au niveau du pied est définie par une mauvaise perception du « monofilament de 10 g ». Ce monofilament métallique est appliqué perpendiculairement à la peau, avec suffisamment de force pour le courber, sans que le patient ne voie le point d'application et correspond à une pression de 10 g sur la peau. Il est appliqué à la face plantaire de la tête du 1er et 5e métatarse, et à la face plantaire de la pulpe du premier orteil. Chaque application est répétée trois fois. Si le patient ne la détecte pas 2 fois sur 3, il existe une neuropathie et un risque d'ulcération.

Diagnostic différentiel

Ne pas confondre :

- « pied de Charcot » avec crise de goutte ou ostéo-arthrite en phase aiguë

- artériopathie avec sténose du canal médullaire (en cas de claudication intermittente mais pouls distaux normaux)

- ischémie, si elle est associée à une rubéfaction, des douleurs et des oedèmes du pied, avec cellulite ou insuffisance veineuse.

Effets indésirables les plus fréquents

- Buflomédil : nausées, vomissements, céphalées, picotements, vertiges, tremblements, urticaire, rash.

- Pentoxifylline : nausées, vomissements, diarrhées, céphalées, vertiges.

- Clopidrogel : dyspepsie, douleurs abdominales, diarrhées, saignements.

- Antidépresseurs tricycliques : effets anticholinergiques, adrénolytiques.

- Bécaplermine : infections, ulcérations cutanées, érythème, douleur.

Contre-indications absolues

- Buflomédil : épilepsie.

- Pentoxifylline : phase aiguë de l'infarctus du myocarde, risque hémorragique majeur.

- Clopidrogel : insuffisance hépatique sévère, lésion hémorragique évolutive, allaitement.

- Antidépresseurs tricycliques : glaucome à angle fermé, rétention urinaire urétroprostatique, IDM récent, IMAO non sélectif.

- Bécaplermine : lésion néoplasique connue près du site d'application, grossesse et allaitement.

A dire et à répéter aux patients dès le grade 1

1 Examiner chaque jour ses pieds (ou tierce personne en cas d'impossibilité) avec un bon éclairage et un miroir assez grand. Rechercher : un cor, un durillon fissuré ou gonflé sur les orteils ou sous le pied, une rougeur autour des ongles, un ongle incarné, des fissures ou une macération entre les orteils, une plaie sur ou sous le pied.

2 Ne jamais marcher pieds nus, ni sans mettre de chaussette dans les chaussures.

3 Passer chaque jour la main dans les chaussures pour rechercher un corps étranger ou une aspérité blessante.

4 En présence d'une mauvaise vue, de difficultés à atteindre les pieds ou d'ongles trop durs ou déformés, ne pas se couper les ongles soi-même, mais consulter un podologue qui les taillera.

5 Ne pas enlever soi-même les callosités : consulter un podologue.

6 En cas de lésion des pieds (coupure, plaie, saignement, rougeur boursouflée...), avertir immédiatement le médecin, même en l'absence de douleur.

7 En cas de plaie, ne jamais coller de sparadrap à même la peau au risque de l'arracher avec le pansement.

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