Moins de freins mais pas de moteur ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2620 du 18/03/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2620 du 18/03/2006
 

Actualité

Enquête

Les regroupements prévus par la loi de 1999 ont été rares. L'objectif de rationalisation du réseau par le biais des fusions de licences n'est donc pas atteint. Le sera-t-il davantage avec la levée de certaines contraintes par la loi Dutreil 2 ? Pas sûr.

Six ans après la promulgation de la loi de répartition de 1999, les regroupements n'ont jamais réellement décollé. Seuls trois ont été recensés par l'Ordre sur l'année 2005 ! Ce chiffre signe un échec cuisant. La loi Dutreil 2 saura-t-elle faire mieux ? Même si le div est un progrès par rapport à la loi antérieure, beaucoup au sein de la profession pensent qu'il ne va pas assez loin. Gilles Bonnefond, secrétaire général de l'USPO, le premier : « La profession a raté le coche, ce qui est dans la loi est une avancée au plus petit dénominateur commun. »

La loi n'est pas à la hdiv des ambitions souhaitées par l'USPO dont deux de ses propositions ont été rejetées : l'augmentation des quotas de population à 3 500 habitants pour l'implantation d'une seconde pharmacie, tout en maintenant le quota à 2 500 pour la première, afin de protéger les pharmacies regroupées du risque d'une création ultérieure ; et la possibilité de regrouper dans les grandes agglomérations des pharmacies situées dans des communes différentes mais limitrophes. Pascal Louis, président du Collectif des groupements, regrette aussi que « la loi maintienne des limites géographiques et ne soit pas assez protectrice vis-à-vis des créations après le regroupement ». Laurent Simon, de l'étude Dintras, déplore également que le gel des licences n'ait pas été retenu dans la nouvelle loi. Néanmoins, il pense qu'elle facilitera les regroupements à venir.

Les conseils régionaux de l'ordre sont là pour vous guider.

« En l'absence de cumul de licences dans les pharmacies regroupées, celles-ci restent sous la menace d'une création », explique Claude Japhet, président de l'UNPF, estimant également que cette loi a un goût d'inachevé. « Le risque de création ou de transfert après regroupement n'est pas sécurisé, il est donc normal que les pharmaciens aient peur de se regrouper », fait remarquer Luc Fialletout, directeur général adjoint d'Interfimo.

Le risque paraît toutefois minime dans les zones en dépopulation et/ou dans nombre de centres-villes. C'est ce que pense Isabelle Adenot, président du conseil central A de l'Ordre, qui relativise cette menace par rapport à l'ensemble des regroupements rendus possibles par les nouveaux divs : « Trop souvent, les confrères pensent que les regroupements effectués dans les villes de faible importance vont déclencher une création. S'il est exact que ce risque est patent dans des zones en forte croissance démographique - mais alors, le regroupement se justifie-t-il ? -, dans la grande majorité des cas il est totalement virtuel. En effet, les créations impliquent de prendre en compte la population de la commune concernée, et non pas celle de la zone géographique déterminée par l'arrêté préfectoral. » Isabelle Adenot est consciente du rôle pédagogique de l'Ordre qui devra donner à ceux qui souhaitent se regrouper toutes les explications nécessaires pour sécuriser leur opération. « Les conseils régionaux se tiendront à leur disposition pour les accompagner dans leur démarche et les aider à la réussir, regarder quelles sont les données de population à prendre en compte et voir si le regroupement projeté ouvre ou pas sur une création potentielle. A cet égard, il serait souhaitable que le prochain recensement officiel, en 2008, permette de se pencher à nouveau sur les arrêtés préfectoraux et de s'interroger sur l'utilité éventuelle de faire évoluer les critères de seuils de population. »

Penser au regroupement sur un site différent.

Paradoxalement, le bien-fondé des regroupements n'est pas contesté et la perception des pharmaciens, lorsqu'on les interroge, est dans l'ensemble plutôt favorable. Dans une enquête réalisée par le cabinet Smart Pharma Consulting en 2004, 64 % des pharmaciens interrogés identifiaient déjà les vertus des regroupements. Parmi eux, 48 % considéraient qu'ils permettent d'augmenter leur pouvoir de négociation face à leurs partenaires, tandis que 38 % y voyaient une opportunité d'améliorer leur performance financière par le biais des baisses de charges et des économies d'échelle. Mais seulement 8 % pensaient que c'est un bon moyen d'assainir le marché et de régler le problème des pharmacies excédentaires dans les grands pôles urbains et des petites officines économiquement fragiles et sans avenir.

Mais la réunion de deux entités économiques est une opération complexe et lourde de contraintes en tous genres. Avant les modifications apportées par la loi Dutreil 2, 13 % des pharmaciens interrogés soulignaient les difficultés techniques de mise en oeuvre des fusions d'officines et 11 % n'étaient pas certains que le regroupement soit le résultat de l'addition des résultats et performances antérieurs des deux officines fusionnées. Rémy Gautard, du cabinet Pharmétudes, confirme cette complexité : « Seules se font des opérations de transferts/regroupements sur un site existant, alors que la loi autorise désormais le regroupement de plusieurs officines candidates au transfert sur un site différent, ce que nous n'avons jamais nous-mêmes réalisé. »

Malgré les dernières avancées de la loi, les pharmaciens ne semblent pas davantage prêts aujourd'hui à se regrouper. L'enquête « APR 2005 » montre que 85 % des titulaires interrogés ne l'ont jamais envisagé en pratique. Le passage à l'acte reste donc toujours aussi difficile. Parmi les problèmes qui les rebutent, les pharmaciens citent en priorité l'éloignement géographique entre les deux officines à fusionner, le risque de mauvaise entente entre les associés et l'individualisme encore très marqué dans la profession. « Le regroupement humain est le plus difficile à faire », commente Christian Ciccione, membre du bureau de l'APR (Association de pharmacie rurale) et consultant.

Un moyen de réaliser son capital pour des officines invendables.

Pourtant, la loi Dutreil 2 a supprimé un certain nombre d'entraves au regroupement. Il est désormais possible de regrouper plus de deux officines et pas seulement celles en « surnombre » ! Les dispositions qui empêchaient la revente avant cinq ans de l'officine, fruit du regroupement, et l'obligation de conserver pendant la même durée un nombre de pharmaciens équivalent à celui des officines préexistantes ont été également annulées. Il n'y a donc plus sur ce plan d'incertitudes sur les économies d'échelle.

Isabelle Adenot trouve que le regroupement est particulièrement intéressant dans le cas de communes rurales qui ne comptent que deux officines par exemple, car la fusion peut apporter une synergie de compétences et un plus grand confort de travail et de vie aux titulaires. Elle rappelle aussi que le regroupement de deux officines sur un troisième site est légalement prioritaire par rapport au transfert. Pour Laurent Simon, le regroupement peut être un outil permettant à des titulaires de petites pharmacies devenues invendables de réaliser leur capital dans des conditions satisfaisantes : « La solution consiste à les regrouper et à les transférer sur un site qui fera revenir les acquéreurs, puis de céder puisque les pharmaciens regroupés ne sont plus tenus par le délai de cinq ans pour revendre la nouvelle entité. »

« L'intérêt économique d'un regroupement peut se justifier dans une commune avec deux officines, pour laquelle il n'y a pas de risque de perte d'une partie de la clientèle », pense Claude Japhet. Le problème se pose en présence de communes limitrophes. « La loi de répartition est régulièrement attaquée, et l'APR est en alerte permanente pour déjouer un projet d'amendement qui déstabiliserait le réseau en milieu rural, explique Christian Ciccione. Car il y existe une pression politique permanente des élus locaux pour pouvoir ouvrir une pharmacie afin de maintenir les populations ou de faire revenir les médecins dans les villages. »

« Avant la loi Dutreil 2, les conditions de regroupement étaient trop difficiles à respecter », souligne Laurent Simon. En particulier, dans les grandes métropoles, l'opération était jusqu'ici mission impossible. « Lorsque le regroupement se fait dans un nouveau lieu, on change la répartition géographique des officines sur un secteur et l'implantation d'une officine en surnuméraire crée forcément des problèmes avec les confrères des alentours, explique Laurent Simon. A Paris, la notion de quartier n'est pas définie dans la loi et nous ne disposons d'aucune jurisprudence en la matière. Pour que la situation se débloque sur la capitale et dans les grands pôles urbains, il faudrait pouvoir disposer d'une définition pragmatique du quartier d'accueil, d'un modus operandi ou encore d'un "gentleman agreement" convenu avec les instances professionnelles (Ordre, syndicats) et les services de la préfecture. Ainsi, les regroupements envisagés ne seraient pas contestables ni sources de contentieux. » Laurent Simon estime qu'une nouvelle implantation d'officine par annulation de deux licences est acceptable à condition que l'emplacement prévu pour la future officine se situe à plus de 200 mètres par rapport à l'officine la plus proche, que ce regroupement/transfert ne soit pas un non-sens économique et qu'il améliore significativement l'approvisionnement en médicaments de la population du quartier d'accueil et remplisse les conditions de « desserte optimale » posée par l'article L. 5125-3 du CSP.

L'adoption de telles règles, même si elles ne reposent sur aucun écrit ou base légale, aurait l'intérêt selon Laurent Simon, « d'éviter les recours de pharmaciens et de créer une jurisprudence qui ne pourrait être que nuisible à la loi Dutreil 2 ».

Le regroupement coûte cher.

Le regroupement ne restera donc qu'une grande idée sans lendemain si on continue à légiférer sans financer. « On a enlevé des freins mais on n'a pas encore mis de moteur », constate Claude Japhet. « Les nouvelles mesures vont dans la bonne direction et ne bloqueront plus le processus décisionnel, analyse de façon plus optimiste Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les pharmacies qui se regroupent aujourd'hui sont celles qui sont le plus fragiles économiquement, or se regrouper coûte très cher ! Elles manquent de capacité financière pour payer un transfert dans de nouveaux locaux. Il est indispensable qu'un regroupement, pour qu'il se passe dans de bonnes conditions, soit accompagné de mesures d'incitation sur le plan fiscal et d'aides financières. Si les divs ne changent pas, n'en bénéficieront que ceux qui ont de gros moyens. » Au final, Pascal Louis craint que « les nouvelles dispositions ne permettent d'obtenir de meilleurs résultats que les précédents ».

Si elle veut faire des émules, la nouvelle loi va donc devoir encore être améliorée. « Si des évolutions apparaissent nécessaires, il faudra les envisager avec pragmatisme », affirme Isabelle Adenot. L'Ordre verra donc à l'usage et restera ouverte à toute solution ou piste de réflexion nouvelles. « Le but est de donner des outils aux confrères leur permettant, s'ils le souhaitent ou s'ils le doivent, de se regrouper, et cela sans altérer notre maillage territorial, explique Isabelle Adenot qui, au-delà de la problématique des regroupements, entend concilier au mieux rationalisation volontaire du réseau et défense du service de proximité, surtout dans un condiv de vieillissement de la population. Or l'organisation du réseau risque d'être mise à mal à la fois par la migration des populations (notamment du centre vers la périphérie des villes), par la désertification médicale en zone rurale et le regroupement des médecins dans des maisons médicales. « Ce nouveau mode d'organisation des médecins est maintenant inscrit dans la loi et va croître de façon exponentielle », alerte Isabelle Adenot. Tout cela interdit l'immobilisme, nécessite d'avoir une nouvelle vision du réseau officinal dans l'avenir et de s'interroger sur les moyens juridiques ou autres pour maintenir la cohérence de son maillage, en particulier en campagne.

Des contraintes persistantes

Si certains freins ont disparu, d'autres inconvénients demeurent :

- Tout d'abord, le coût de la fusion : le déplacement dans un lieu unique a un coût. Il faut aussi tenir compte de la valeur et de la destination des anciens baux non exploités, du rééchelonnement des emprunts avec une seule banque, de la restructuration du personnel, du sort des autres contrats, des stocks, du matériel...

- Le risque de perte de clientèle : la fusion n'engendre pas forcément l'addition des deux clientèles antérieures. Il est en effet très difficile d'anticiper la réaction des clients, c'est une incertitude non maîtrisable.

- Les contraintes de l'association : une majorité de titulaires exercent seuls. La profession est encore individualiste, bien que cette tendance aille en diminuant parce que la jeune génération de pharmaciens recherche davantage que ses aînés les avantages de l'exercice à plusieurs. Il faut un travail d'accompagnement si on ne veut pas qu'une association ne se transforme en catastrophe économique et humaine.

- Les autres obligations : obligation d'ouverture au public au plus tard à l'issue d'un délai de un an, qui court à partir du jour de la notification de l'arrêté de licence, sauf prolongation en cas de force majeure. Le transfert de l'officine regroupée dans un délai également de cinq ans reste interdit pour couper court à toute opération spéculative.

- La différence de régimes selon les structures juridiques fusionnées et les conséquences fiscales qui en découlent pour le pharmacien (imposition des plus-values, droit d'enregistrement...).

Quand l'Ordre bloque certains dossiers

La rareté des regroupements n'est pas due seulement au manque de candidats. En effet, les obstacles administratifs sont parfois tels que les pharmaciens doivent renoncer à leur projet. « Antérieurement à la publication de loi Dutreil 2, aucune demande de regroupement déposée auprès des instances ordinale et ministérielle n'a reçu d'avis favorable, affirme Rémy Gautard, pour Pharmétudes. Néanmoins, depuis la sortie de cette loi, nous sommes consultés par différents acteurs demandeurs pour leur soumettre un process juridique et financier qui sera agréé par l'ordre des pharmaciens, la DDASS et le ministère de la Santé. Tant qu'un montage juridique n'aura pas reçu l'aval des instances décisionnaires, Pharmétudes ne pourra conseiller les pharmaciens sur le regroupement. »

Répondant sur ce point, Isabelle Adenot précise que « l'Ordre a été amené à bloquer un certain nombre de dossiers en temps et en heure en fonction de la situation législative ».

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