La tentation de l'officine - Le Moniteur des Pharmacies n° 2617 du 25/02/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2617 du 25/02/2006
 

PHARMACIENS INDUSTRIELS

Actualité

Enquête

De plus en plus de pharmaciens industriels songent à travailler à l'officine, usés par le stress et les horaires à rallonge mais aussi désireux de devenir leur propre patron. Témoignages de celles et ceux qui ont troqué le costume ou le tailleur pour la blouse blanche.

Un certain nombre de pharmaciens travaillant dans l'industrie finissent par s'installer à l'officine. Estimez-vous qu'ils soient suffisamment connectés à la réalité de l'officine pour dispenser de manière optimale ?

Cinq mois à peine après son installation, Michèle Bonniot a tout cassé. « Je voulais moderniser l'officine que j'avais rachetée. J'ai fait appel à un merchandiser pour réorganiser les linéaires. Mon objectif est de développer de nouvelles activités : j'attends l'agrément pour mettre en place un cabinet d'orthopédie. Je mise également sur la prévention avec des tests de dépistage gratuits. » A 50 ans, après plus d'une vingtaine d'années passées dans l'industrie, notamment comme directrice pharmaceutique d'un gros groupe industriel, Michèle Bonniot ne manque pas de projets. « J'ai quitté le secteur car j'avais l'impression d'en avoir fait le tour et parce que j'avais des divergences de vue avec ma hiérarchie. Je voulais me sentir libre, arrêter de travailler quand je le décide et non parce qu'on m'y pousse. »

« On nous traite comme des diplômes ambulants. »

Difficile à estimer, le nombre de pharmaciens industriels désireux de travailler en officine est toutefois en nette augmentation. Les agences d'intérim le confirment : « Ils sont plus nombreux qu'il y a quelques années à nous rendre visite pour savoir comment intégrer un secteur où ils n'ont parfois jamais exercé », explique Véronique Mougin, responsable recrutement chez 3S Santé. « Depuis dix ans, ils ne sont pas plus nombreux qu'avant en Midi-Pyrénées mais ils se posent tous, en général, la question de l'installation après une dizaine d'années de salariat », constate Valérie Lebeaupin, responsable de la division pharmacie de Quick Médical Service à Toulouse.

Les raisons de ce changement sont multiples. Les témoignages en ligne sur le forum du Moniteur témoignent de l'envers du décor : « La situation est dure, les postes que je recherche ne sont pas nombreux et les recrutements difficiles, exprime un confrère qui, après six ans d'expériences dans l'industrie, enchaîne aujourd'hui des missions d'intérim. J'ai peur d'être toujours au même stade dans quelques années. » Un second, qui travaille dans le service informatique d'un laboratoire, évoque principalement « le sentiment de n'être qu'un pion auquel on n'accorde aucune considération, la mauvaise conjoncture sur le marché de la recherche et développement en France et le ras-le-bol des remarques et des ordres des supérieurs ». Autre témoignage, dans la même veine : « J'en suis à quatre ans d'expérience en production et je n'en peux plus ! On nous traite comme des numéros ou plutôt comme des "diplômes ambulants" ! J'ai demandé une année sabbatique et je compte assurer quelques remplacements en officine, après un petit stage, ou même en parapharmacie. Je ferai ensuite le bilan mais je pense que ma décision est prise. » Philippe, lui, a été « jeté comme un coton-tige usagé » après 20 ans d'industrie pharmaceutique en R #amp; D. « En ayant assez des relations fausses développées dans l'industrie, où l'on se trouve souvent en porte à faux à cause de décisions incompréhensibles, j'ai aussi décidé de changer de métier en allant à l'officine. »

D'autres évoquent le désir d'autonomie : « Après sept ans dans l'industrie, j'ai envie de devenir mon propre patron et de faire des heures pour mon compte », écrit un diplômé sur notre forum. « C'est plus souvent le cas des cadres moyens d'une quarantaine d'années, surtout responsables marketing, qui ont déjà dans les 15 ans d'ancienneté et peu de perspectives d'évolution, souligne Véronique Mougin. L'industrie compte peu de postes de cadres supérieurs. L'officine est une nouvelle perspective d'avenir jusqu'à 60-65 ans. »

Simple en apparence, la reconversion n'est pas si aisée. Car le pharmacien industriel, qui n'a jamais fait de stage en officine, ne connaît pas les dernières molécules commercialisées, sans parler des génériques, des interactions médicamenteuses, des conseils à dispenser aux clients lors de la délivrance des produits ou encore des joyeusetés liées à SESAM-Vitale. Il existe toutefois deux formations qui peuvent faciliter un retour à l'officine, l'une à la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, la seconde à la faculté de Lyon (voir encadré p. 22).

Pratique du terrain indispensable.

« Les candidats viennent nous voir pour que nous leur remettions le pied à l'étrier, souligne Valérie Lebeaupin, mais, dans le cadre des missions d'intérim, nous devons proposer aux titulaires des professionnels opérationnels. » Une situation qui a quelque peu évolué, notamment dans la région parisienne : « La pénurie d'adjoints, début 2005, a permis de compenser le manque d'expérience aux yeux des titulaires, assure Betty Guelennoc, responsable de Pharm'Appel Conseils et Recrutement à Paris. Les recrues font des efforts, proposent par exemple de venir deux heures avant l'ouverture pour connaître le logiciel informatique utilisé. »

Alexandre Vagliot a tenté sa chance en consultant des annonces sur un site Internet. Le titulaire contacté, installé à Marly-le-Roi (Yvelines), n'avait pas trouvé d'adjoint. « Il employait des préparateurs mais cherchait un diplômé en pharmacie. Il m'a prise au coefficient 400 les deux premiers mois puis au coefficient 550. Pour lui, mes six années passées dans les affaires réglementaires dans une banque de données, puis dans un laboratoire spécialisé dans les antidotes pour les intoxications chimiques, n'étaient pas un frein. Il m'a formé à la connaissance des produits, des génériques et à la relation avec le patient. »

Hind Tlemcani, adjointe dans une ville de l'Isère, a trouvé également son emploi sur Internet. « Au début, je ne servais pas au comptoir. Ma titulaire m'a d'abord expliqué le fonctionnement de la pharmacie, comment ranger les produits, les rayons. Elle m'a également appris à analyser les ordonnances, les questions à poser à partir d'arbres décisionnels... » Après un CDD de 3 mois au coefficient 400, l'ancienne spécialiste de la production est passée en CDI au coefficient 450 après un congé maternité.

Devraient-ils avoir une formation particulière ?

Ne s'installe pas qui veut.

Pour racheter une officine ou s'associer, il faut justifier de six mois d'exercice comme pharmacien assistant ou remplaçant et, bien sûr, avoir un apport suffisant pour envisager un rachat (lire p. 19). Toujours en poste dans le marketing, Sophie songe à s'associer avec une amie mais veut prendre son temps. « Je ne suis pas si pressée. Le choix de l'officine est crucial, il ne faut pas se tromper. Une fois l'investissement réalisé et les capitaux empruntés, il sera difficile de revenir en arrière ! »

Avant de se lancer, Pierre-Yves Masselot a bien pesé sa décision. Son expérience de l'officine remontant à vingt ans, durant ses études. Il s'est d'abord inscrit au DU de la faculté de Lyon, tout en demandant à son maître de stage de ne pas le rémunérer pour bénéficier des Assedic. « Je me serais senti perdu en m'installant directement en officine, comme l'ont fait certains confrères. Ce sont eux qui m'ont conseillé, si j'en avais la possibilité, de prendre le temps de me former. Je touchais le chômage et je n'avais pas de pression du titulaire puisqu'il m'employait gratuitement. J'ai eu le temps d'apprendre en appliquant dans l'officine l'enseignement reçu dans le cadre du DU et me renforcer dans mon désir de changement. » Son choix s'est porté, il y a deux ans, sur une officine de petite taille. « Je suis seul maître à bord et le condiv d'une petite officine de quartier diffère largement d'une officine de taille plus importante. J'ai des contacts privilégiés avec les clients, ce que j'appréciais lorsque j'ai travaillé comme responsable secteur, de région puis responsable d'appels d'offres hospitaliers dans de petites sociétés de diagnostic. »

Pensez-vous qu'une expérience acquise dans l'industrie est un atout pour gérer une officine ?

Pierre Haas a profité de ses relations pour se mettre dans le bain. « Si on envisage une éventuelle reconversion, mieux vaut ne pas se couper complètement de la pharmacie et conserver des amis officinaux », conseille cet ancien directeur marketing et ventes. Il a pris, en accord avec son employeur, un congé sabbatique de plusieurs mois pour disposer d'une pratique de terrain dans différentes officines. « On se rend compte que le fonctionnement peut vraiment différer d'un point de vente à l'autre, selon la clientèle, bien plus qu'on ne peut l'imaginer. » Il lui a fallu deux à trois mois pour se sentir à l'aise. « Les premières 48 heures ont été les plus difficiles, se souvient de son côté Michèle Bonniot. Je n'osais tout simplement pas m'approcher du comptoir par crainte de ne pas savoir faire face aux questions. Mais nous sommes entourés de collègues et il suffit de demander quand on ne sait pas. Le client voit qu'on s'occupe de lui, c'est ce qui lui importe. »

Chance ou hasard, Pierre Haas n'a pas mis un an pour trouver où s'installer. A Hoenheim (Bas-Rhin), il s'est associé avec une titulaire dans le cadre d'une SNC au capital de 1,7 million d'euros. « Elle a trente ans d'expérience et l'équipe est composée de quatre préparateurs, d'un apprenti et d'un conditionneur. Nous nous sommes réparti les tâches : elle s'occupe de la parapharmacie, du tiers payant, des relations avec les organismes payants, et je gère le stock, les relations avec les représentants des laboratoires. » Son expérience passée (directeur d'établissement, responsable export, directeur marketing et ventes) lui a été profitable. « Je connais les méthodes de vente. On se rend compte tout de suite quand un délégué pharmaceutique veut vous placer du stock ou vous vendre des produits miracle. » La rigueur de l'industrie a été un atout : « Nous avons revu par exemple le rangement du stock et des produits en passant en alphabétique intégral au lieu d'un rangement par formes qui compliquait la recherche. »

Compte tenu des difficultés croissantes à l'officine, envisageriez-vous pour votre part de rejoindre l'industrie ?

Un salaire en chute libre.

« L'envie de partir de l'industrie est parfois liée au salaire. Au bout de 10 ans de carrière, en province, un pharmacien en affaires réglementaires, en assurance qualité ou en marketing plafonne à 40 000 euros par an, explique Valérie Lebeaupin, mais ils ne veulent pas redémarrer à zéro comme salarié en officine. » Car côté revenus, le changement est marqué. « La différence est du simple au double mais les horaires sont aussi divisés par deux, déclare Stéfanie Lolivret, qui assure des remplacements après six années passées au marketing de produits dermocosmétiques au sein de différentes sociétés. Et une fois la clef mise sous la porte, on peut penser à autre chose tandis que dans l'industrie, notamment le marketing, des réunions peuvent être prévues à la dernière minute... » Pour elle, cette phase n'est que transitoire, le temps de réfléchir à une nouvelle orientation de carrière dans l'industrie. « Après avoir vu beaucoup de collègues péter les plombs en raison des horaires à rallonge, d'un mégastress, d'une ambiance très moyenne et en sachant que la plupart des postes en industrie se concrétisent par passer toutes ses journées dans un bureau devant un ordinateur, j'ai finalement décidé de trouver un poste en officine, et cela se passe très bien, témoigne un néo-adjoint parisien. Comme je travaille dans une grosse pharmacie et fais 35 h sur 3,5 jours, il m'arrive de faire de l'intérim dans d'autres officines et je gagne finalement plus qu'avant. Et si je fais parfois beaucoup d'heures, c'est un choix et je suis payé. »

Pour Alexandre Vagliot, l'objectif visé est l'installation d'ici douze à dix-huit mois. La perte de revenus est une donne qu'il a complètement intégrée. « Vous êtes obligé de passer par là pour être titulaire. Vous faites un investissement sur le long terme. » La perte financière par rapport au précédent revenu est de 30 à 40 % dans les premiers temps, mais « vous le rattrapez différemment, vous capitalisez sur ce que vous avez investi dans votre affaire », considère Pierre Haas.

Dès le départ, Pierre-Yves Masselot souhaitait avoir un revenu équivalent à celui de son dernier poste. « Je ne voulais pas perdre de mon pouvoir d'achat et cela a été le cas. » Du moins quand il s'est installé en 2004. Depuis quelques mois, il se dit moins serein. « Les difficultés vont être plus grandes aujourd'hui pour ceux qui veulent s'installer. Mon chiffre d'affaires a baissé avec l'application du TFR et cela devrait continuer avec l'arrivée de la nouvelle vague et la baisse de prix des génériques, à moins de les compenser par une augmentation des ventes. Il ne faut pas oublier, quand on s'installe, rappelle le titulaire, que le crédit pèse d'un certain poids. Même si on dispose d'un apport financier initial. »

A savoir

- Que dit le Code de la santé ?

En raison de l'unicité du diplôme d'Etat de docteur en pharmacie, tous les titulaires de ce diplôme peuvent exercer la pharmacie d'officine. Mais, pour s'inscrire dans la section A et devenir titulaire ou cotitulaire, un pharmacien doit justifier de six mois d'expérience officinale (art. L. 5125-9) en qualité d'adjoint ou de remplaçant, inscrit au tableau de la section D ou en qualité d'étudiant remplaçant, muni d'un certificat de remplacement (R. 5125-39).

Cette disposition ne s'applique pas :

- aux pharmaciens qui ont effectué le stage de fin d'études de six mois dans une pharmacie d'officine ou une pharmacie hospitalière ;

- aux anciens internes en pharmacie hospitalière ;

- aux pharmaciens inscrits au tableau de l'Ordre au 1er janvier 1996, ou qui l'ont été avant cette date.

Les fonctions d'adjoint ou de remplaçant sont ouvertes à tous les pharmaciens sans conditions de filière, de formation ou d'expérience.

Attention au miroir aux alouettes !

« Dans l'industrie, plus vous montez haut, moins les capacités professionnelles comptent. C'est la politique qui entre en jeu... » En 2004, Pierre-Yves Mercier trouve l'officine de ses rêves à Saint-Maixent-l'Ecole (Deux-Sèvres). « Mais deux mois après mon installation, le cabinet médical voisin, qui avait une très grosse activité, déménage à l'autre bout de la ville, à côté de la plus grande pharmacie ! » Après la surprise, la colère : « J'ai su alors que tous étaient au courant, alors que nous avions fait une visite aux médecins du cabinet bien avant notre décision d'achat... » Pire, le chiffre d'affaires n'a plus rien à voir avec celui de l'achat. Quand la plupart seraient abattus par de telles déconvenues, lui met en place un plan d'action judiciaire et économique. « Sans mon expérience dans l'industrie, on était mort ! » Des conseils à donner à ceux qui veulent l'imiter ? « Si l'on veut changer de région, il faut avoir des circuits personnels ou professionnels sur place. Ensuite, il faut prévoir que votre vendeur va essayer de vous avoir. L'idéal est de passer par un grossiste ou un comptable qui connaît bien les affaires et n'a rien à gagner à vous rouler, puisque vous pouvez lui confier votre comptabilité par la suite... » A.L.

Les formations de reconversion

Il existe aujourd'hui deux diplômes universitaires permettant d'aider les candidats à l'officine. Ils ne sont toutefois pas dédiés spécifiquement aux pharmaciens industriels.

- Le DU « Préparation à l'exercice officinal » est organisé par la faculté de Paris-XI, sous la responsabilité du Pr Gilbert Fournier. Il faut suivre un minimum de 100 heures d'enseignements, soit cinq modules à choisir dans une liste (homéopathie, dermopharmacie, toxicomanie, vie de l'officine...) proposée également aux étudiants de 5e et de 6e année, filière officine. Les cours sont complétés par 6 mois de stage pour lequel les candidats doivent s'inscrire en section D. Une vingtaine de places sont disponibles chaque année. Renseignements : Service de formation continue, tél. : 01 46 83 56 08.

- Le DU « Actualisation des connaissances pour la pratique officinale », proposé par la faculté de pharmacie de Lyon. La formation comprend plusieurs modules : « Informatique à l'officine », sous la responsabilité d'Olivier Catala, se déroule sur 10 heures dans le cadre de la pharmacie expérimentale ; « MAD », dispensé avec les étudiants de 5e année, se déroule sur trente heures ; « Dispensation des médicaments et prise en charge des patients », d'une durée de 90 heures, est réalisé par Geneviève Chamba.

L'inscription pour les deux premiers modules se fait au service de formation continue de la faculté ou auprès du Pr Goudable (joelle.goudable@chu-lyon.fr). Pour le troisième, l'inscription est à effectuer auprès de la société Pharmakeion (pharmakeion@yahoo.fr).Si vous êtes toujours en poste, vous pouvez vous adresser à un organisme de revalorisation professionnelle tel que le Fongecif pour garder votre rémunération actuelle et faire la formation dans le cadre d'une réorientation de carrière. Pour le stage, si vous bénéficiez d'une indemnité durant cette période, vous risquez de perdre votre assurance chômage.

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