La psychose - Le Moniteur des Pharmacies n° 2617 du 25/02/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2617 du 25/02/2006
 

CHIKUNGUNYA

Actualité

L'événement

Avec l'épidémie de chikungunya, les pharmaciens réunionnais ont été confrontés à ce qui ressemble à un véritable cas d'école en matière d'angoisse collective, voire de psychose, face à une épidémie. A méditer.

Alors que le ministre de l'Outre-mer, François Baroin, se rendait mercredi à la Réunion, il semble que le pic épidémique soit passé, même si plus de 110 000 personnes étaient atteintes au 12 février (1). « Ça nous a quand même secoués, on est tous un peu épuisés », note Claude Marodon, titulaire à Saint-Denis. « La population a pris pour argent comptant tout ce que disait la radio locale. On a entendu tout et n'importe quoi sur la prévention, les traitements, les gens ont cru qu'il y aurait des ruptures de stock de médicaments, que c'était une maladie mortelle transmissible d'homme à homme, que la Réunion serait mise en quarantaine ! », énumère Benjamin Suiffet, titulaire à Saint-André, sur la côte est, plus tardivement mais davantage touchée en raison de sa pluviosité. Il a ainsi vu défiler 300 à 350 personnes par garde du samedi. « Environ 40 % de ma clientèle a été atteinte. Trois salariés sur huit de l'officine. J'ai dû prendre un intérimaire. » Face au phénomène, les pharmaciens ont vu leurs ventes d'antalgiques et d'anti-inflammatoires exploser, sans problème de rupture de stock. « Sauf sur certains princeps. Les stocks de génériques notamment nous ont permis de répondre à la demande », analyse Frédéric Larosa, titulaire à Saint-Pierre d'une des plus grosses pharmacies de l'île et responsable UNPF.

La foire aux plantes.

Benjamin Suiffet se montre en revanche circonspect sur nombre de contre-indications qu'il a constatées, notamment avec des anti-inflammatoires. « Même lorsque nous les appelions, les médecins maintenaient leurs prescriptions, confrontés aux douleurs extrêmes des patients. J'espère qu'il n'y aura pas trop d'iatrogénie. » « Surtout, les prescriptions de départ d'ibuprofène et d'aspirine ont été ensuite remises en cause car on suspecte une corrélation avec la dengue hémorragique », informe Claude Marodon.

Par ailleurs, la population a surconsommé des vitamines. Chez Benjamin Suiffet, les ventes de Mag 2 ont doublé : « Surtout, ils se sont jetés sur des produits comme la gelée royale, le ginseng ou le propolis ! Après qu'un pharmacien eut déclaré à la télévision locale que ce dernier guérissait le virus ! » « On a essayé de compléter les prescriptions par de l'oligothérapie, de l'homéopathie, de la gemmothérapie », raconte Nayla Andrieux, pharmacienne à Saint-Philippe, village de la côte sud, plus isolée. « La phytothérapie semble avoir été efficace pour lutter contre les symptômes », confirme Claude Marodon. On a même exhumé le noni, une plante découverte à Tahiti et poussant sur l'île, censée avoir ici des vertus mais non avérées scientifiquement. « Quelqu'un a dit dans un journal que cela l'avait remis sur pied en 24 heures. J'ai dû expliquer aux clients que je ne vendais pas n'importe quel produit sans AMM sur la foi d'un témoignage dans la presse », narre Fabrice Teyssier, titulaire au Tampon, quatrième agglomération de l'île.

Polémiques sur les répulsifs.

Mais c'est sur les répulsifs que la folie à fait rage, suite à l'épuisement des rayons aussi bien en grande surface qu'en officine. Les pharmaciens ont été accusés de s'être livrés à une guerre commerciale aboutissant à des prix prohibitifs. En fait, sur un marché habituellement marginal, donc avec peu de stocks, les petites pharmacies ont dû initialement commander à leur répartiteur et revendre au prix fort, surtout lorsque ce dernier a dû faire d'urgence des réassorts par avion. Les grosses officines, elles, ont pu acheter en direct, d'où des prix publics relevés entre officines allant de 7 à 14 Euro(s). « Des confrères ont été confrontés à des demandes de collectivités pour des achats par milliers de flacons, complète Benjamin Suiffet. En plus, quand une officine recevait 300 flacons dans la matinée, ce qui peut nous faire deux ans, tout était vendu avant midi. » « On sentait venir les choses, j'ai donc commandé 3 000 unités au lieu de 500-600 pour mon année habituellement, mais j'en ai vendu la totalité en un mois ! », explique Frédéric Larosa.

Tous les distributeurs sont désormais suffisamment approvisionnés. Normalement, la modération devrait être à l'ordre du jour. Pourtant, Nayla Andrieux a annulé purement et simplement sa dernière commande d'Insect Ecran « car le fabricant facturait 7 Euro(s) HT l'unité pour une grosse commande contre 3 Euro(s) HT il y un an ! ». Abus confirmé par Claude Marodon, qui note que « les autres fabricants ont au contraire baissé ou maintenu leurs prix, voire ont offert le transport ». En tout cas, il ne devrait plus y avoir de rupture, sauf si les clients ne se focalisent que sur quelques marques. Il faut dire que dans un condiv d'incertitude scientifique, de rumeurs et de contre-vérités ambiantes, les pharmaciens ont souvent été désarmés pour rétablir les faits face aux clients. Les « tisaniers » (herboristes traditionnels) ont fait leur miel de cette situation.

80 % de la population immunisée.

En revanche, tout le monde s'accorde à critiquer l'attentisme des autorités. « La DRASS n'a pas voulu bouger tant que le chikungunya n'a pas représenté une épidémie », commente Nayla Andrieux. « Si elle avait fait sont travail en circonscrivant les trois foyers de la maladie, on n'aurait certainement pas eu cette épidémie après l'hiver austral et aujourd'hui l'île ne serait pas économiquement sinistrée », complète Fabrice Teyssier. Aujourd'hui, on espère une décrue de l'épidémie avec la fin de l'été austral, mais le retour de la pluie en début de semaine a fait craindre une nouvelle recrudescence du virus. Des modèles mathématiques montrent cependant que 80 % de la population devrait être immunisée par les piqûres, mais la résurgence des douleurs reste une hantise populaire. « Ma fille de 9 ans l'a eu en septembre et elle est tranquille depuis, témoigne Frédéric Larosa. Quand on voit ce qui s'est passé ici pour le chikungunya, s'il y avait une mutation du virus aviaire en France, cela serait du délire ! »

(1) Dont 100 000 nouveaux cas depuis début 2006 sur une population de 780 000 habitants.

(2) Le virus a vraisemblablement provoqué le décès de deux enfants et l'INVS signale qu'un travail concernant la mortalité sur l'île en 2005 (396 décès de plus qu'en 2004 et 258 de plus qu'en 2003) est en cours. Sans faire de lien automatique avec l'épidémie.

A noter

- Numéro Vert : 0 800 110 000. - Service de démoustication : 02 62 41 00 00. - Pour une information exhaustive sur le virus, consultez : - le site ressources de l'Observatoire régional de la santé de la Réunion : http://www.orsrun.net ; - le « BEH » consacré au chikungunya : http://www.invs.sante.fr/display/?doc=beh/2006/hs_310106/index.htm ; - le site du ministère de la Santé (lien en page d'accueil) : http://www.sante.gouv.fr/.

- Carte d'identité Le chikungunya est transmis par Ædes. Les primates et le bétail domestique en constituent les principaux réservoirs. Quatre à sept jours après la piqûre, une soudaine fièvre élevée, associée à des maux de tête, s'accompagne de douleurs musculaires et articulaires. Il n'existe ni vaccin, ni traitement préventif. Le traitement est symptomatique (AINS et antalgiques non salicylés). La maladie peut parfois entraîner des arthralgies récidivantes et invalidantes. La lutte contre la maladie passe par la réduction de tous les gîtes larvaires (eaux stagnantes) et la pulvérisation insecticide.

Conseils aux voyageurs

- Se protéger des moustiques

- Porter dans la journée (principalement en début et fin de journée, périodes d'intense activité du moustique vecteur) des vêtements amples et longs couvrant les bras et les jambes jusqu'aux chevilles.

- Imprégner les vêtements d'insecticide spécial pour tissu dans les zones de prolifération.

- Appliquer des répulsifs sur les zones de la peau découvertes (voir la liste sur http://www.moniteurpharmacies.com. Rubriques Documentations #gt; Documents de référence #gt; Santé publique).

- Utiliser des moustiquaires et des diffuseurs électriques ou des « bandeaux collants » dans l'habitat.

- Femmes enceintes et nourrissons

Devant le risque, même faible, de contamination maternofoetale décrite, les femmes enceintes doivent se prémunir contre les piqûres notamment au cours du dernier trimestre de grossesse. Piqués, les nourrissons sont susceptibles de faire une infection aiguë entraînant notamment des troubles de l'alimentation. Attention, aucun insectifuge ne peut être utilisé avant trois mois ! La prévention repose donc essentiellement sur l'utilisation d'une moustiquaire de berceau imprégnée d'insecticide pyréthrinoïde (permutation, deltaméthrine).

- Malade en cours ou au retour de séjour

L'utilisation d'anti-inflammatoires doit être surveillée par un médecin. Il est indispensable de continuer à se protéger même lorsque la maladie est déclarée. Pendant les cinq premiers jours de la maladie, le virus est présent dans le sang. N.F.

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