Revenus et revenants - Le Moniteur des Pharmacies n° 2616 du 18/02/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2616 du 18/02/2006
 

Actualité

Enquête

Gérer une pharmacie après le décès du titulaire est une épreuve. Quatre officinaux ayant vécu l'expérience témoignent. Leur souci commun d'avoir voulu perpétuer la rentabilité d'une entreprise n'a d'égal que la réminiscence du souvenir du défunt.

Répétition générale.

« J'avais signé pour l'acquisition d'une pharmacie, ce qui me laissait encore cinq mois libres avant la reprise. En août 2003, la tante de l'un de mes amis, titulaire d'une petite officine (530 000 Euro(s)), décède. J'en ai naturellement accepté la gérance. J'ai paré au plus pressé pour trouver un accord avec la famille et ne pas plomber l'officine restée fermée un mois. Les clients avaient déserté et ce n'était pas simple. La pharmacie avait enregistré une perte de 30 %. Heureusement, j'ai été bien informé et soutenu par l'expert-comptable, frère de la défunte. La présence de celle-ci était très forte dans l'équipe qui était encore sous le choc. On pensait beaucoup à cette pharmacienne qui avait été très charismatique. Avec moi, les deux préparatrices ont eu l'impression de rester en famille. Finalement, c'est spécial de succéder à quelqu'un qu'on n'a pas connu ! »

La reprise est difficile mais Franck Gellusseau, 37 ans, la vit comme une répétition de sa prochaine installation. « J'ai expérimenté les rapports avec une clientèle très dure, désorientée de ne pouvoir retrouver les relations qu'elle avait eues avec la titulaire. J'ai soutenu le moral de l'équipe que je devais encadrer, et j'ai d'ailleurs conservé des contacts avec elle. Il y a aussi eu "l'après" à organiser. J'ai passé l'annonce pour trouver un repreneur. J'ai informé les postulants à la succession sur le bilan, la clientèle, les horaires... Je me suis comporté en titulaire, ce qui n'a visiblement pas été le cas de la gérante qui m'a succédé et qui a agi dans un esprit de salarié. Il a d'ailleurs fallu la remplacer. »

Le piège de l'affect.

L'expérience de Marie-Annick est plutôt douloureuse, même si elle s'est soldée par le rachat de la pharmacie dont elle a été la gérante. Le condiv de la gérance fut lourd, la titulaire venant de se suicider. « J'ai hésité à accepter cette gérance et la reprise dès le lendemain du décès, mais j'étais sans emploi. L'offre m'est parvenue par le répartiteur. Le choc était énorme. La pharmacienne, âgée de 40 ans, avait succédé à son père 15 ans auparavant. L'affaire périclitait. Elle avait souscrit un crédit de 200 000 francs assuré et versé juste avant sa disparition. Cette trésorerie a permis à l'officine de continuer. Un comptable venait à la pharmacie et m'a aidée à apprendre comment gérer. J'étais seule avec la préparatrice qui s'est montrée très patiente face à mon manque d'expérience. Je n'avais jamais eu de telles responsabilités et je ne connaissais rien à l'informatique. Bien que la pharmacie ait été très bien rangée, dès que j'ouvrais des placards, je découvrais des effets personnels. C'était dur, il m'a fallu plusieurs années pour m'approprier les lieux. Au début, on parlait continuellement d'elle avec ses clients. Une relation émue et un rapport de confiance se sont établis avec ses parents. Ils n'ont pas mis en vente l'officine, souhaitant que je la reprenne. Nous étions tous dans la même galère ! »

La gérance dure deux années, puis Marie Annick rachète, a 47 ans, cette pharmacie qu'elle connaît à 100 % et dont elle a développé le chiffre d'affaires. Elle est célibataire et se donne sans compter. Le chiffre d'affaires grimpe encore pour parvenir à 700 000 Euro(s) (400 000 Euro(s) au début de la gérance), mais elle se heurte à l'infrastructure et au bail, mis en place antérieurement, qui engendrent des frais conséquents qu'elle doit toujours assumer. « Je n'ai jamais ressenti de pression de la famille, dont je suis restée proche, ni du comptable lorsque je tente de changer quelque chose. » Il y a 15 mois, Marie-Annick subit un AVC qui l'éloigne plus d'un an de l'officine. Elle est à son tour remplacée par deux gérantes. Avec le recul, elle regrette d'avoir acheté cette officine qui, en temps ordinaire, ne l'aurait pas attirée.

Le goût du risque.

« Difficile mais intéressant ! », déclare Béatrice, 53 ans, gérante d'une petite pharmacie (530 000 Euro(s)) de la région parisienne et déjà placée en redressement judiciaire avant le décès de son titulaire. Envoyée par une agence d'intérim en avril 2005, elle a pris la suite de trois gérants qui avaient déclaré forfait. Sa qualité d'ancienne titulaire l'a aidée à faire face. « C'était un vrai foutoir ! Le pharmacien laissait aller les choses. Il était alcoolique. J'ai dû me débrouiller seule pour dénicher les factures, les commandes en cours... J'ai découvert le condiv d'un redressement judiciaire et les rapports particuliers que cela engendre avec l'administrateur judiciaire et le comptable. Je n'ai pas d'autonomie pour les achats car, sans crédit, pas de stock ! La pharmacie est en période d'observation renouvelable tous les quatre mois. Le stress est permanent. On ne sait jamais si l'activité va se poursuivre. Et puis il faut travailler avec la "présence" encore perceptible du pharmacien décédé. Côté salaire, la famille a hésité à m'accorder un coefficient 550. Nos relations sont plutôt tendues et elles ne sont pas près de s'arranger puisque je figure parmi les candidats à la reprise. On pourrait penser qu'étant sur place j'obtiens plus de renseignements sur l'historique de l'officine. Il n'en n'est rien. J'en sais sans doute déjà trop pour eux ! »

Le temps ne fait rien à l'affaire.

Brigitte, 46 ans, est encore sous le choc du décès brutal de sa titulaire, il y a trois semaines. Malade, celle-ci ne pressentait pas l'imminence de sa disparition et elle n'avait pas instruit son adjointe sur une possible relève. L'époux de cette pharmacienne s'occupe comme avant de l'administration et de la comptabilité. Il a naturellement demandé à Brigitte, adjointe depuis 22 ans, d'assurer la gérance. « Il m'a établi un nouveau contrat de travail, sur les conseils de l'Ordre, précisant mes nouvelles fonctions et mon salaire à un coefficient 700 puisqu'il a fallu recruter aussi un nouvel adjoint. Jusque-là, je n'avais pas été associée à la gestion ni aux achats ou négociations avec les fournisseurs, c'est donc très lourd pour moi. Je dois me débrouiller seule tout en étant soutenue par l'équipe et la famille. La pharmacie va être mise en vente mais il est trop tôt pour que je m'avance à vouloir la reprendre ! »

Prévoyez-vous de fermer votre officine le 30 mai prochain en signe de protestation ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !