La chienlit - Le Moniteur des Pharmacies n° 2615 du 11/02/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2615 du 11/02/2006
 

MAISONS DE RETRAITE

Actualité

L'événement

La pression des maisons de retraite sur les officinaux pour qu'ils reconditionnent les médicaments se fait plus pressante que jamais. Dans l'attente de référentiels et d'une position officielle claire, c'est donc la loi du marché - sauvage - qui prévaut toujours.

Notre établissement [...] est entré dans une démarche qualité pour la délivrance de ses médicaments et produits de santé. [...] A ce jour nous n'avons malheureusement pas obtenu de votre part une réponse [...]. Nous regrettons sincèrement que vous n'ayez pas pu participer à la mise en place de notre démarche qualité. » C'est en ces termes qu'un pharmacien d'Etretat, en Seine-Maritime, s'est vu signifier qu'il ne fournirait plus la maison de retraite locale de par son refus de pratiquer la préparation des doses à administrer aux résidents. Christophe Payen n'avait pas accepté le devis, jugé astronomique, que lui présentait Medissimo pour travailler avec l'établissement (voir ci-contre).

Même motif, même punition en Dordogne où, en un an, la Pharmacie Bourgeois-L'Evêque a été évincée du médicament, puis de l'oxygénothérapie et enfin du matériel, raconte Jean-Louis Bourgeois. Ceci « dans le respect du libre choix des pensionnaires et des règles déontologiques qui régissent votre profession », lui a écrit le directeur de l'établissement ! « C'était 20 % de notre CA. Ils ont fait signer une procuration aux résidents qui souhaitaient continuer avec moi », précise l'officinal.

« Economiser une infirmière. »

Le scénario est le même depuis deux ans. « Ils laissent bien la possibilité aux résidents de se fournir où ils veulent, mais dans ce cas ils doivent eux-mêmes aller chercher leurs médicaments, explique un confrère du Pas-de-Calais confronté aussi au problème. Je ne vois pas trop comment refuser, sinon je perds 50 lits de l'établissement. D'un autre côté, je suis en contact avec des confrères qui ont investi dans du matériel de déconditionnement et ils sont obligés d'avoir d'autres maisons de retraite pour l'amortir. »

La concurrence fait rage sur le terrain entre les fournisseurs de systèmes de distribution de médicaments Manrex et Medissimo (Distraimaid se faisant plus discret). Dans tous les cas, les établissements sont séduits. Il faut dire que ces prestataires manient des arguments massue. « Faites l'économie pour 80 lits d'un temps plein d'infirmière », proposait Medissimo lors d'un récent congrès de directeurs de maisons de retraite. Ovation du public... Quant à leurs process, s'ils n'ont pas été officiellement validés, ils ne sont pas non plus remis en cause.

« Il est vrai que nous pouvons avoir des positions antinomiques avec les représentants des pharmaciens, note Benoît Greffe, membre du bureau du Synerpa, la première fédération de maisons de retraite privées. Mais chacun défend ses intérêts. Nous, nous avons à gérer des pénuries chroniques de personnel soignant, alors nous préférons l'affecter ailleurs qu'à la préparation de médicaments. » « Je comprends les difficultés des maisons de retraite, réagit Yves Trouillet, président de l'Association de pharmacie rurale (APR). Mais se défausser sur les officines ne résoudra pas pour autant leurs problèmes budgétaires ! »

« Abus de bien social. »

Alors quid des contrats que les maisons de retraite vous demandent de signer, prévoyant le reconditionnement à grande échelle ? Pour Pierre Béguerie, président du conseil de l'Ordre d'Aquitaine et membre du groupe de travail Deloménie*, « les pharmaciens signent actuellement des conventions qui, dans bien des cas, sont illégales ». « En tout cas, ils risquent d'être très contestés demain », prévient Gilles Bonnefond, secrétaire général de l'USPO. Concernant la licéité des contrats signés avec les maisons de retraite, « tout dépend du contenu de cette convention », nuance pourtant Francis Mégerlin, docteur en droit et maître de conférences à Paris-V. « S'il porte sur la fourniture de médicaments selon les critères de qualités - aux plans technique et clinique - évoqués dans les conclusions du groupe de travail Deloménie, il n'y a pas grand-chose à dire. Si l'appel d'offres va au mieux-disant sur le plan sanitaire-traçabilité, pas de problème. S'il va simplement au mieux-disant commercial, alors là l'établissement et le pharmacien sont attaquables. »

Un pharmacien peut-il donc se retrouver en chambre de discipline pour avoir régulièrement reconditionné des médicaments pour des maisons de retraite ? « Oui, affirme Pierre Béguerie. Non seulement il peut, mais j'estime qu'il le doit s'il se soumet à des contraintes financières et techniques, ce qui va à l'encontre du Code de la santé. Par exemple, la mention du paiement d'indemnités par le pharmacien en cas de rupture du contrat est clairement une contrainte financière. Sans compter que si le pharmacien achète du matériel qui sera utilisé, in fine, par une autre structure (en l'occurrence la maison de retraite), cela peut s'appeler de l'abus de bien social. » Selon ce responsable ordinal, il y aurait actuellement entre une et trois pharmacies par région mises en cause au plan disciplinaire pour reconditionnement.

« Le Conseil de l'Ordre ne sait pas sur quel pied danser. »

Des peines d'interdiction d'exercice ont déjà été prononcées. « Mais le vrai terrain de l'action disciplinaire, c'est la qualité des actes, affirme Francis Mégerlin. Est-ce qu'on est capable d'assurer la qualité à grande échelle, tout en gardant à l'esprit que le démarchage reste condamnable ? »

Jean-Louis Bourgeois est dubitatif. Il a vu un confrère éloigné écoper d'un blâme en chambre disciplinaire pour avoir capté la maison de retraite locale : « Autant dire rien. J'attends avec impatience sa convocation en appel par l'Ordre national, même si je suis pessimiste sur le résultat. » Il faut dire que le conseil national vient de relaxer un pharmacien du Limousin qui se livrait à du reconditionnement à grande échelle... « En fait, on est en attente d'un positionnement clair du ministère et de bonnes pratiques. Le Conseil de l'Ordre ne sait pas sur quel pied danser ni quelle conduite tenir », admet Jean-Jacques Des Moutis.

« Je ne comprends pas vraiment : on a un ministre de la Santé qui, en séance publique au Parlement, dit que le déconditionnement est interdit. Et j'entendais récemment un responsable de la DDASS se félicitant de ce type de fonctionnement ! », s'insurge Pierre Béguerie. Effectivement, à une question du député Henri Sicre le 21 décembre 2004, le ministre de la Santé de l'époque, Philippe Douste-Blazy, répondait que, « concernant la demande faite aux pharmaciens par les maisons de retraite, la réglementation interdit pour des raisons de sécurité sanitaire aux pharmaciens de déconditionner les présentations des médicaments ». Il précisait que la distribution des médicaments aux résidents relevait de l'acte infirmier. « Mais cette réponse ministérielle n'avait pas de base légale, analyse Francis Mégerlin. Du moins, c'est une interprétation erronée car rien dans le Code de la santé n'interdit formellement au pharmacien de pratiquer le déconditionnement. »« Ces recommandations ne concernaient que la mise à disposition des doses à administrer, à réaliser sur prescription du médecin, dans le cadre de patients non encadrés pour assurer l'observance de leur traitement », précise Pierre Béguerie.

« La réglementation, nous l'avons étudiée. Les seuls contentieux qui nous sont remontés portaient sur des appels d'offres et la concurrence loyale/déloyale entre pharmaciens. Là-dessus, nous n'avons pas à nous prononcer », informe, serein, Benoît Greffe.

La convention Officine-UNCAM à la rescousse.

On se retrouve là sur un terrain purement économique : cette concurrence aboutit-elle à des licenciements dans les officines ? Remet-elle l'existence de ces dernières en cause ? Oui, répondent les syndicats et l'APR. Mais il est cependant difficile d'avancer des chiffres. Au final, tout le monde attend impatiemment qu'on tire les conclusions du groupe de travail Deloménie (mars 2005), qui servira de base au chapitre « maisons de retraite » de la future convention pharmaceutique (voir encadré ci-dessous). Reste à voir tout cela officiellement écrit noir sur blanc. Un conseil : patientez encore quelques mois - si la pression n'est pas trop forte... - jusqu'à la signature de la convention Officine-UNCAM qui abordera le sujet de front.

En attendant, la tension est à son comble et les attaques fusent, jusqu'à exhumer le spectre de l'affaire Cyclamed. « N'allez pas me faire croire que les produits réutilisables sont réellement jetés ! », accuse Jean-Louis Bourgeois. « Medissimo assure que ces produits sont écartés via Cyclamed, commente sur ce point Jean-Jacques Des Moutis. Mais on sait bien ce qui se passe. » « Je vous laisse imaginer ce qui retomberait sur la profession si on apprenait que des médicaments non consommés sont réutilisés dans d'autres conditionnements et pour d'autres patients ! », lance Pierre Béguerie. Là aussi, seule l'exigence d'une parfaite traçabilité étouffera toute dérive dans l'oeuf.

La foire d'empoigne continue.

Quant à l'émergence d'une concurrence sauvage entre pharmacies, ce n'est pas une première. « Une démarche commerciale pour vendre un produit sous prédiv de la qualité, on connaît la musique par coeur !, commente Gilles Bonnefond. Il y aura des plaintes contre des pharmaciens qui pratiquent le dumping... » « Dans l'approche du service des maisons de retraite, le pharmacien ne doit pas avoir une attitude mercantile, conclut Yves Trouillet. A ce petit jeu commercial, il y a des gens qui sauront faire beaucoup mieux que nous et à grande échelle. Tous ceux qui captent le marché de leurs confrères seront, à un moment, à leur tour sur la touche. »

En 2002, Le Moniteur titrait « La foire d'empoigne » à propos d'une enquête sur le médicament dans les maisons de retraite. Quatre ans après, nous pourrions utiliser le même titre. Les promoteurs des PUI doivent se frotter les mains.

* Le groupe de travail Deloménie s'est penché l'an dernier sur le médicament en maison de retraite pour aboutir à un rapport de l'IGAS. Voir sur http://www.moniteurpharmacies.com la fiche issue de ces travaux présentant les éléments d'un possible contrat type entre officine et maisons de retraite.

Coût

Devis Medissimo pour 50 résidents* - Abonnement mensuel label Medissimo : 299 Euro(s). - Stage de formation sur site : 2 000 Euro(s). - Achat de thermoscelleuse : 1 350 Euro(s). - Achat de chariots de distribution et d'accessoires pour 50 résidents : 2 996 Euro(s). - Achat de consommables pour 1 an pour 50 résidents : 744,40 Euro(s). - Achat d'imprimante étiquettes : 595 Euro(s).

* En 2005, prix hors taxes.

Devis Manrex 2005 pour 78 résidents Manrex propose trois solutions pour acquérir son système de contrôle posologique* (montant hors taxes), hors formation : - Achat du matériel : 11 739,50 Euro(s). - Location sur 60 mois : 239,48 Euro(s) par mois. - Location sur 48 mois : 291,13 Euro(s) par mois. - Forfait formation : 747 Euro(s) net.

* La totalité de l'équipement pour la pharmacie et la maison de retraite : presse, chariot, matériel administration, stockage.

Comment aguicher une maison de retraite - Sans Manrex, une infirmière passe chaque semaine quatre heures à préparer les médicaments pour 30 personnes, soit un coût annuel de 5 073,50 Euro(s) (à 24,40 Euro(s) de l'heure). - Avec Manrex, une infirmière passe quatre heures par mois pour la même chose. Gain annuel : 160 heures, soit un coût de 1 170 Euro(s) et une économie de 3 902,69 Euro(s). Et « un gain de temps encore plus considérable si la préparation des doses à administrer se fait par le pharmacien », indique Manrex dans sa documentation. Sans commentaire.

Reconditionnement : une source officielle

- On lit dans les conclusions du groupe de travail Deloménie* que le droit commun est la préparation des doses par le personnel infirmier au sein de l'établissement. Les représentants des maisons de retraite insistaient eux pour que figure la possibilité de faire faire le déconditionnement non pas dans l'établissement mais dans la pharmacie. « Nous n'avons pas de position de principe, note Benoît Greffe, du Synerpa, première fédération de maisons de retraite privées. On n'y est pas hostiles à partir du moment où les conditions de traçabilité sont remplies. » Les administrations centrales ont tranché, laissant la porte ouverte à la préparation par un pharmacien (pas un préparateur !) mais dans la maison de retraite - lors d'une réunion du 14 décembre 2004, la DGS, la DHOS (ministère de la Santé) ainsi que la DSS (Sécurité sociale) s'étaient montrées défavorables au déconditionnement systématique à l'officine. De plus, la préparation est prévue pour une semaine à la fois maximum... Et non un mois, comme le proposent les prestataires de matériel.

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