Entre réalité et dérives de société - Le Moniteur des Pharmacies n° 2611 du 14/01/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2611 du 14/01/2006
 

Actualité

Enquête

Fibromyalgie, phobie sociale, TOC, hyperactivité... Les nouvelles maladies fleurissent à la une des médias. Il semblerait pourtant que les avancées scientifiques n'en soient pas les seules responsables. L'industrie pharmaceutique, les patients, la société tout entière sont aussi impliqués. A moins d'être spécialiste, difficile de s'y retrouver. Surtout dans un contexte de surmédicalisation et lorsque l'on sait que certaines de ces « nouvelles maladies » existaient déjà !

Une maladie ne naît pas seule : elle résulte toujours de la conjonction de facteurs médicaux et extramédicaux. Du côté scientifique, le xxe siècle aura été celui de toutes les découvertes. Biologie moléculaire, génomique, imagerie médicale, entre autres, ont permis de comprendre le corps humain et ses dysfonctionnements, faisant avancer considérablement la thérapeutique.

Une nouvelle maladie est-elle définie par une incidence qui explose, un nouveau risque (pollution, hygiène de vie, tabac, alimentation, sédentarité...), ou est-elle « spontanée » ? Difficile à dire. D'autant que l'évolution perpétuelle des classifications nosologiques redéfinit sans cesse les maladies déjà identifiées en de nouvelles entités (voir encadré ci-dessous). Globalement, un tiers des nouvelles maladies serait lié au vieillissement de la population et un deuxième tiers serait issu de l'amélioration des outils diagnostiques. Pour le dernier tiers, le débat reste ouvert.

La société malade d'elle-même.

La société nous rend malades. A plus ou moins grande échelle, nul ne peut le contester. « Quand une société ne fonctionne pas bien, ses citoyens s'illustrent collectivement dans des conflits ; mais, à titre individuel, les plus fragiles d'entre eux développent des pathologies », explique Gustave-Nicolas Fischer (1), professeur de psychologie sociale à l'université de Metz. Les conséquences sont connues : stress, anxiété, dépression, insomnie pour les troubles les plus classiques ; phobie sociale, troubles obsessionnels compulsifs, trouble anxieux généralisé pour certaines maladies émergentes.

Car si le mal-être ne peut être exprimé par des mots, il l'est par des maux qui ne sont pas toujours d'ordre psychiatrique. Christian Lehmann, médecin généraliste et écrivain (2), le décrit dans son quotidien : « A mon cabinet, je constate l'émergence de maladies par vagues : il y a eu des années à spasmophilie, des années à ulcères ou des années à colopathies fonctionnelles. Pour moi, il s'agit véritablement d'une somatisation de la souffrance. »

Lorsque des symptômes n'ont pas de nom, les patients agissent individuellement et collectivement pour que leur souffrance soit reconnue. Le rôle des associations de patients américains dans le cancer ou de patients atteints de sida est, à ce titre, caractéristique. « Ils ont pu obtenir une reconnaissance de leur statut et agir comme un véritable contre-pouvoir sur l'orientation des recherches et des thérapeutiques. Mais ces exemples sont exceptionnels et relèvent de conjonctures particulières », explique Jean-Paul Gaudillière, historien et chercheur au Cermes (3). Une pression collective que le chercheur qualifie de « modérée » dans les autres condivs pathologiques.

A titre individuel, lorsqu'il arrive en consultation, le patient suit deux pulsions antagonistes : il veut être reconnu comme souffrant et attend un soulagement, mais il craint aussi le médicament. L'exemple des psychotropes en est une parfaite illustration. Entre toute-puissance de la médecine et crainte de dépendance médicamenteuse, les patients peinent parfois à trouver l'équilibre. D'autant que le message véhiculé par la société, notamment les médias, manque souvent de mesure et de pondération.

Le syndrome « ça se discute ».

L'actualité offre une place grandissante aux problèmes de santé mais, globalement, le message n'est pas toujours clair. Les nouvelles maladies infectieuses (VIH, SRAS, grippe aviaire...) sont parfaitement identifiées par le public : quelques cas apparaissent sporadiquement et leur multiplication suscite une médiatisation. Mais il y a toutes ces maladies non infectieuses dont les médias s'emparent brusquement et qui touchent une proportion considérable de la population : 0,5 à 3 % risque de développer des troubles obsessionnels compulsifs, 2 à 5 % est touchée par la fibromyalgie, 8 % par le syndrome des jambes sans repos... Pour le grand public, si la presse en parle, c'est que la maladie est nouvelle. Mais bien souvent, il ne s'agit que d'une redéfinition des classifications nosologiques.

Dans certaines situations, la disproportion finit par brouiller le message : la course au scoop peut annoncer un traitement miraculeux qui n'est pourtant qu'au stade de l'expérimentation animale. Le besoin de sensationnel banalise en prime time des maladies relativement rares. « Après vu l'émission ça se discute, tout le monde croit présenter des TOC ! », s'insurge Christian Lehmann. Manque d'esprit critique, manque de recul ?, qu'importe : les médias savent pourtant d'où viennent la plupart des informations...

Nouveaux marchés pour médicaments existants.

« Pour le médecin généraliste, l'industrie pharmaceutique devrait rester un outil, pas un partenaire », poursuit Christian Lehmann. L'industrie pharmaceutique est une entreprise commerciale. Personne ne peut s'étonner que son objectif soit de vendre des médicaments. « Mais lorsqu'elle s'investit dans des campagnes de communication, de prévention, ou lorsqu'elle soutient - notamment financièrement - les associations de patients, elle sort de son rôle », considère-t-il.

Promouvoir la prévention et le dépistage de nouvelles maladies, quand on est industriel, c'est agir pour la santé publique ou augmenter le potentiel du marché ? Très certainement les deux. Et si l'industrie pharmaceutique peut s'engager dans cette voie, c'est que les pouvoirs publics n'ont pas les capacités à faire face.

Le rôle des industriels dans l'émergence de nouvelles maladies est double : en tant qu'acteurs de la recherche médicale, ils sont liés à ces découvertes. Mais sont-elles toujours innovantes ? « Théoriquement, vous avez une maladie puis un médicament. Lorsque trouble et traitement apparaissent simultanément, vous êtes en droit de vous poser la question », juge la psychiatre et psychanalyste Sophie Bialek. Hyperactivité/Ritaline, dysfonction érectile/Viagra, syndrome des jambes sans repos/Adartrel, dépression/Prozac... : les exemples sont nombreux.

L'industrie pharmaceutique a développé des thérapeutiques innovantes, parfois révolutionnaires. « Mais nous assistons à une crise de l'innovation pharmaceutique, remarque Jean-Paul Gaudillière. Aussi, les industriels recherchent naturellement de nouveaux marchés pour les médicaments existants. » Si la maladie a toujours été à l'origine du médicament, il semblerait donc que le processus s'inverse.

Pour autant, l'industrie a des moyens immenses qui peuvent profiter à la santé publique. Son implication dans les actions de prévention pourrait être un atout. « Prenons l'exemple du syndrome métabolique, une épidémie bien réelle dont la définition a permis d'avoir une meilleure appréciation globale, explique Bruno Schnebert, cardiologue. L'industrie semblerait presque timorée dans ces actions de prévention. Résultat, elles se font souvent à court ou moyen terme, alors que le domaine de la prévention cardiovasculaire ne peut bénéficier que d'actions à long terme. »

Tous malades.

La société a développé un culte de la jeunesse et du bien-être disproportionné et, en bout de chaîne, un véritable déni de la mort. Finalement, on entretient l'idée qu'il faudrait être bien portant jusqu'au bout. Si ce n'est obtenu naturellement, les gens se retournent vers les médicaments. Gustave-Nicolas Fischer tire la sonnette d'alarme : « Dans notre société, la médecine est considérée comme une science toute-puissante ; les gens ont finalement plus confiance dans le médicament qu'en eux-mêmes... »

Aujourd'hui, cette science nous propose de médicaliser notre quotidien (voir encadré page 24). L'avenir serait à la « caractérisation génétique ». Si cette avancée constitue un véritable espoir pour de nombreuses maladies orphelines, elle pourrait aussi représenter une menace : « La génétique ouvre la possibilité de nous définir tous comme malades, en diagnostiquant des gènes "déficients" qui nous prédisposent à la maladie », s'inquiétait le rédacteur en chef du British Medical Journal en 2002 (4). Au final, nous nous dirigerions vers une médicalisation du risque. Un risque à prendre ?

(1) div du « Traité de la psychologie de la santé », chez Dunod.

(2) « Patients, si vous saviez... », chez Robert Laffont, 2003.

(3) Centre de recherche médecine, sciences, santé et société, unité mixte CNRS-INSERM-EHESS.

(4) « Too much Medicine ? », Richard Smith and Ray Moynihan, « BMJ », 2002, 324, 859-860.

A retenir

Un tiers des nouvelles maladies est lié au vieillissement et un autre tiers à l'amélioration des diagnostics. Pour le dernier tiers, le débat reste ouvert.

Beaucoup de maladies semblent nouvelles alors qu'elles ont en réalité fait l'objet d'une redéfinition.

Les maladies émergentes sont principalement d'origine psychiatrique car elles ne disposent d'aucun marqueur biologique.

Quand les nouvelles maladies existaient déjà

La redéfinition des nosographies, qui permet d'établir un diagnostic à partir d'un groupe de symptômes, est une évolution normale de la médecine qui améliore et affine les classifications selon les connaissances actuelles de la science. Ainsi, le tableau des myopathies s'est particulièrement étoffé avec le développement des technologies d'analyse génétique.

Mais beaucoup de maladies semblent nouvelles alors qu'elles ont, en réalité, fait l'objet d'une redéfinition. L'évolution de la psychiatrie en est l'illustration : elle est entrée dans l'ère du médicament dans les années 50, bouleversant les concepts. « Aujourd'hui, des pans entiers de la psychiatrie disparaissent de la pratique clinique parce qu'on ne dispose pas de médicament », s'inquiète Sophie Bialek, psychiatre et psychanalyste. On assiste à une dérive où c'est l'efficacité médicamenteuse qui définit la maladie. La dépression d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle d'hier. Et les TOC ne sont ni plus ni moins que les névroses obsessionnelles décrites par Freud...

« Médicalisationite » aiguë

Médicaliser, c'est faire relever du domaine médical quelque chose qui ne l'est pas. Selon le Petit Robert, le mot serait apparu dans les années 70. C'est au théologien, philosophe, sociologue et historien Ivan Illich que l'on doit cette notion associée à celle de l'iatrogenèse clinique, sociale et culturelle.

Avec le xxe siècle, les populations industrialisées ne souffrent plus de grandes affections dévastatrices. En s'éloignant du quotidien, la maladie devient plus angoissante. Et avec le développement de la norme dans nos sociétés, tout ce qui sort du cadre classique est vécu comme anormal. Sophie Bialek interroge : « Dans les dysfonctionnements érectiles, qu'est-ce qui relève de l'organique, qu'est ce qui relève du psychologique ? » L'exemple de la médicalisation de la sexualité est éloquente : une étude anglaise* retrace ainsi l'historique de la prise en charge médicale des perversions pathologiques au cours du xixe siècle jusqu'à celle du plaisir et de la satisfaction sexuelle contemporaine. La standardisation et la médicalisation des comportements sexuels entraînent le public dans une remise en cause perpétuelle : « Suis-je normal ? » Il en va ainsi également de la naissance, du vieillissement, du bonheur... Si cette attitude a pu être bénéfique, la question est de savoir si nous ne sommes pas allés trop loin.

* « Sexual Behaviour and its Medicalisation : in Sickness and in Health », Graham Hart and Kaye Wellings, « BMJ », 2002, 324 : 896-900.

Somatique ou organique ?

Souffrances somatisées ou maladie à part entière ? Le syndrome des jambes sans repos (SJSR), la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique sont des tableaux symptomatologiques complexes qui sont reconnus au niveau international mais qui laissent encore beaucoup de questions sans réponse. Les publications scientifiques en sont le parfait reflet.

Les propos de la Commission de la transparence de l'Afssaps, au sujet du SJSR*, résument assez bien les questions qui gravitent autour de ces maladies : « Les critères diagnostiques validés sont récents et méconnus des médecins à l'heure actuelle. Les symptômes ressentis ne sont pas spécifiques de la maladie et peuvent entrer dans le cadre nosologique d'autres pathologies avec lesquelles un diagnostic différentiel doit être fait [...]. Compte tenu de l'imprécision nosologique [...], de l'insuffisance de données sur l'épidémiologie et la gravité des formes dites idiopathiques et sur l'évolution naturelle [...], il n'est pas possible d'apprécier l'importance du fardeau de la maladie en termes de santé publique. » En réalité, ces cas sont bien réels puisque les patients existent. Mais est-ce une nouvelle maladie ? Quoi qu'il en soit, organique ou somatique, il s'agit sans aucun doute d'une nouvelle forme de souffrance.

* Avis de la Commission de la transparence du 22 décembre 2004 sur Adartrel.

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