DANA ET LES POCHETTES MAGIQUES

Une photo en noir et blanc découpée dans la presse. Une petite fille, cheveux longs et blonds, est assise dans un studio de télévision. L'émission a pour but de sensibiliser les enfants à la science. ça tombe bien, Dana Wyse, la petite fille, adore la science. A six ans, dans la cours de récréation, elle troque à ses petits camarades des bonbons multicolores dont elle affirme que ce sont des médicaments.

Trente-quatre ans plus tard, ses cheveux ont perdu de leur longueur et ses petits camarades sont devenus pharmaciens pour certains. Mais Dana poursuit son rêve de pilules miracle. Un bonnet de laine bleu marine enfoncé sur un visage pour une fois sans fard, cette canadienne de Toronto confie qu'elle est fascinée par les découvertes scientifiques de l'armée. Comme ce gaz qui serait capable de donner des pulsions homosexuelles aux adversaires, ou encore ce procédé qui permettrait de diriger des abeilles vers les troupes ennemies uniquement par substances interposées.

Les règles de l'art.

Et si la force de la chimie pouvait aller jusqu'à produire une vie parfaite en « prêt-à-consommer » ? Vous l'avez rêvé, Dana l'a fait. Aujourd'hui, sa gamme de « médicaments » compte 150 références. Le conditionnement est toujours le même : un sachet unidose translucide dont le revers cartonné, aux dessins tout droit sortis des années 50, vante les vertus du contenu : « Renaître », « Ne jamais plus avoir ses règles », « Etre un bon père »... Une série qui débute il y a neuf ans grâce à une couverture que le magazine Nova confie à Dana. Elle y met en scène « la gélule qui garantit l'hétérosexualité de votre enfant ». Le numéro de téléphone de l'artiste figure sur la quatrième de couverture. Très vite, les appels se succèdent, les courriers aussi. Les lecteurs y croient dur comme fer. La réalité dépasse la fiction.

C'est le déclic. En route pour la production. Les meilleures ventes se font sur « Comprendre sa mère instantanément » talonné par « Se convertir au judaïsme ». Dana Wyse implante son atelier en France. Il y est plus facile d'y obtenir la matière première nécessaire à son art.

Après avoir utilisé de vrais médicaments (le Prozac de sa soeur, par exemple), Dana décide de se tourner vers des placebos. Et pour cause. Le public adhère tellement au concept qu'il consomme le contenu des « pochettes magiques ». Après avoir obtenu l'appui d'un pharmacien éclairé, elle s'approvisionne directement auprès d'un grossiste. Son « laboratoire clandestin » est situé dans un atelier d'artiste HLM d'Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Là, Dana et ses petites mains (les siennes et celles de ses deux collaboratrices) empaquettent comprimés, gélules, poudres ou seringues en tous genres. Pour chaque promesse, les couleurs, les matières et le poids de la pochette sont pensés par l'artiste, tout comme le graphisme et le div des revers en carton.

Les psychiatres intéressés par le concept.

Mais le projet de Dana Wyse dépasse le stade de la production. Son objectif est d'ouvrir à Paris sa « pharmacie utopique ». Si les locaux font défaut, elle dispose déjà des fonds (un mécène anonyme est sur les rangs), du stock, des « pharmaciennes » et même de la croix verte ! Une vraie croix de pharmacie (elle a été conçue par un fournisseur officiel de la profession) dont l'une des branches a été rallongée afin de lui donner des allures plus spirituelles. Dana Wyse a déjà eu l'occasion de tester son officine à plusieurs reprises. Sa toute première installation eut d'ailleurs lieu dans une église en Belgique.

Si certains crient déjà au sacrilège (qu'il s'agisse de la profession ou sur le lieu d'exposition), sachez pourtant que des médecins s'intéressent de très près aux kits « prêt-à-vivre » de Dana Wyse, notamment des psychiatres suisses qui les utilisent au cours de leur thérapie. Les patients doivent choisir parmi les promesses exposées celles qu'ils souhaiteraient utiliser pour changer leur vie.

Une pédopsychiatre américaine a également contacté l'artiste afin de pouvoir utiliser des pochettes du même type, mais muettes cette fois, pour solliciter l'imagination de ses petits patients. A quand le remboursement ?