Trois experts se penchent sur l'avenir - Le Moniteur des Pharmacies n° 2597 du 01/10/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2597 du 01/10/2005
 

Actualité

Enquête

Hier instrument de politique économique et sociale, notre Sécu est de plus en plus évoquée à travers le prisme du « coût du travail ». Notre sexagénaire est-elle si malade que cela ? Le point avec Henry Noguès, économiste, professeur à l'université de Nantes, Bruno Palier, agrégé de sciences économiques et sociales, docteur en sciences politiques*, et Jean-Claude Mallet, secrétaire confédéral FO à la protection sociale.

« Le Moniteur » Le système de Sécurité sociale tel que ses fondements de 1945 le prévoyaient a-t-il vécu ?

Bruno Palier : La majorité de ce qui existe aujourd'hui est dans la continuité de ce qui avait été fait en 1945, avec une ambiguïté s'agissant d'un système prévu pour couvrir « les travailleurs ». On imaginait à l'époque que tout le monde trouverait du travail mais on a assisté à une grande transformation du système en 30 ans. D'abord, il y a eu le développement croissant du monde de l'insertion (RMI, minima sociaux, CMU...) et, en même temps, une dualisation de la population. Le système de sécurité sociale a accompagné cette évolution. La démocratie sociale, elle, n'a jamais vraiment fonctionné, les partenaires sociaux n'ayant jamais pris seuls les décisions, sans doute parce que ni eux ni l'Etat ne le voulaient... Mais il faut reconnaître une réussite du système : malgré les crises actuelles, nous ne retrouvons pas une situation de type récession sociale que nous avons connue par le passé.

Jean-Claude Mallet : C'est indéniablement une réussite dans l'organisation de la solidarité entre nos concitoyens, et les travailleurs salariés en particulier malgré la montée du chômage et de la précarité ces dernières années. Pour l'assurance maladie, c'est le vieil adage qui veut que « chacun paie en fonction de ses moyens, et que chacun reçoive en fonction de ses besoins ». Seul un système d'assurance sociale tel que le nôtre est en mesure de garantir la pérennité de tels principes.

Ce système de protection est-il voué à l'échec hors période de plein emploi ?

Henri Noguès : Le système a été viable tant que la main-d'oeuvre a été rare (taxer un facteur de production relativement rare n'est pas une mauvaise chose). Il était tout à fait pertinent en 1945. Le problème, c'est qu'on n'a pas su le changer au milieu des années 70, quand il y a eu excès de main-d'oeuvre disponible. Cela a favorisé dans les entreprises un système de croissance pauvre en emploi, dans la mesure où celui-ci était taxé.

Bruno Palier : La question concerne moins le niveau de prélèvement que la façon dont il est prélevé. La Suède est extrêmement compétitive avec 52 % de prélèvements obligatoires, y compris sur le capital ! Mais le coût du travail y est moindre, surtout sur les petits salaires. C'est pour cela qu'aujourd'hui, en France, la CSG est beaucoup plus viable que la cotisation sociale. Sur le fond, les Suédois sont prêts à payer beaucoup d'impôts car ils estiment que cela correspond à leurs besoins et leur système est performant. Problème : on n'y a pas la liberté de choix qu'on a en France. A titre de comparaison, dans les systèmes de protection sociale libéraux, on a la liberté mais aussi beaucoup d'inégalités. Quant au nôtre, c'est le système le plus libre et le plus généreux en période de forte croissance, mais nous ne sommes performants ni au plan social ni au plan économique dans une période économique comme celle d'aujourd'hui.

L'apparition de la CSG, en sus puis en remplacement de certaines cotisations salariales, a donc été pertinente ?

Jean-Claude Mallet : L'assiette et surtout le rendement de la CSG et de la CRDS font que ces deux contributions ressemblent bien davantage à des cotisations qu'à des formes d'impôts affectés. Ainsi, 88 % du produit de la CSG sont versés soit directement soit indirectement par les travailleurs salariés. Il est cependant évident qu'un recours croissant à d'autres formes d'imposition risquerait de remettre en cause la nature même de la Sécurité Sociale, la transformant en système d'assistance sociale. Mais n'oublions pas de rappeler que le régime général est majoritairement (62 %) financé par des cotisations sociales. De plus, il faut noter que les entreprises sont de plus en plus exonérées du paiement de cotisations sociales pour des motifs de réduction du coût du travail : les résultats en matière de réduction du chômage sont invisibles et n'empêchent pas les délocalisations.

Henri Noguès : La CSG a fait l'unanimité contre elle... au départ. La CSG est sans doute ce vers quoi il aurait fallu aller dès les années 70. Quant à la CRDS, autrement dit le recours à la dette, c'est une anomalie. Il faut soit trouver les recettes fiscales suffisantes de l'année, soit limiter les soins. C'est ce qu'on a d'ailleurs progressivement cherché à faire avec une diminution progressive du taux de remboursement, le 1 euro... Celui-ci pourrait parfaitement être vu comme un prélèvement obligatoire et considéré comme tel dans les comptes nationaux ! On joue un peu sur les mots. Au final, il faudrait augmenter la CSG (qui ne pèse pas sur le coût du travail) pour pouvoir abandonner la CRDS.

Tout en maîtrisant les dépenses ?...

Henri Noguès : Oui. Mais je ne crois pas qu'on puisse empêcher les gens de vieillir. Je ne vois pas pourquoi leur évolution devrait suivre le PIB et non le dépasser. Il faut accepter une dérive, la plus faible possible... Trouver le juste soin.

La réforme de l'assurance maladie de 2004 paraît-elle viable?

Bruno Palier : C'est un plan traditionnel : hausse des recettes et baisse d'une partie de la prise en charge. Des ingrédients classiques. La nouveauté intéressante, c'était le parcours de soins. Ce qui est étrange, c'est la manière dont il a été mis en place : à bien y regarder, les spécialistes y gagnent plus d'argent si les gens n'ont pas été vertueux et n'ont pas suivi le parcours. Cela m'inquiète d'autant plus que lorsqu'on va voir que ça ne marche pas, on va jeter le bébé avec l'eau du bain et invalider les belles idées. Mais le pire n'est jamais sûr...

Henri Noguès : L'aspect positif, c'est que cette « réforme » a obligé tout le monde à discuter : depuis la réforme Juppé, il y avait un déficit de discussion avec les professionnels de santé. Or on ne régulera pas les dépenses sans cela. Par contre, on ne voit pas la politique sous-tendue par cette réforme et les professions médicales n'ont pas pris conscience des enjeux et de leurs responsabilités. Economiquement, cette réforme est intéressante mais pas suffisante. Je ne crois pas qu'elle permette d'arriver à l'équilibre. Si on allait vers une marchandisation, au lieu de payer des impôts, on paierait de plus en plus les complémentaires... Cela serait-il un progrès dans le financement des dépenses de santé ? C'est à voir ! Le risque en cas d'échec, c'est le recul dans l'équité de l'accès aux soins.

Et la réforme des retraites de 2003 ?

Henri Noguès : On sait déjà qu'on n'a pas fait suffisamment... Et puis faire partir plus tard les gens à la retraite alors que l'on a du mal à passer sous la barre des 10 % de chômage, ce n'est guère cohérent. Quant au financement, il faudrait à la fois augmenter les cotisations salariales (c'est une forme d'épargne différée...) et baisser les montants des retraites. On a calculé qu'il faudrait réduire de 20 à 25 % le niveau des retraites si l'on ne veut pas augmenter les cotisations car on n'a pas fait de réserves. Et l'on a besoin d'autres piliers, par capitalisation collective (pour compléter la répartition). Mais cela ne résoudra pas le problème de fond. Cela étant, il faut voir que notre régime de retraite par répartition a rempli le rôle qui lui était dévolu : sortir la vieillesse de l'indigence. En 1970, un tiers des plus de 75 ans vivaient en dessous du seuil de pauvreté...

Bruno Palier : Seulement un tiers du déficit démographique va être compensé par les mesures prises et le problème de l'emploi des seniors n'est pas résolu. Du coup, on peut par ricochet s'inquiéter de l'avenir de l'assurance chômage. Rappelons que l'UNEDIC brasse dans les 25 milliards d'euros pour un déficit de 13 milliards d'euros ! Par ailleurs, nous avons un culture intensive du travail : notre pays est l'un de ceux où le nombre d'heures travaillées est le plus faible et où la productivité horaire est en revanche pratiquement la meilleure du monde. Il faudrait peut-être revenir à une culture plus extensive du travail... De plus, beaucoup d'experts disent qu'il nous faudrait passer en partie à un système de retraite par capitalisation afin d'avoir des fonds de pension européens qui auraient une vision différente des entreprises que les fonds anglo-saxons.

Jean-Claude Mallet : Malgré les sacrifices imposés aux salariés, une partie importante de cette réforme repose sur des projections de croissance économique et de taux de chômage totalement irréalistes. Dans de telles conditions, les problèmes de financement ne manqueront pas de se reposer.

La flexibilité du travail, c'est une solution aux problèmes de recettes ?

Henri Noguès : Ce qui compte en économie, c'est la capacité à créer de la valeur ajoutée sur le territoire et en même temps des emplois durables. Car il faut bien voir que les emplois précaires sont, eux aussi, générateurs de surcoûts sociaux ! Ils ne participent donc en rien à l'équilibre d'un système de sécurité sociale. On parle de plus en plus de rechercher une certaine « flexisécurité ». Car si on ne s'en tient qu'à la « flexibilité », le phénomène classique est que les gens ont peur et ne sont pas dynamiques, ce qui n'est pas bon non plus pour l'économie.

On entend souvent les professionnels de santé dire que le déficit de la Sécu n'est rien par rapport au total des prestations servies et que le niveau admissible de dépenses de santé n'est qu'une question de volonté politique. Peut-on raisonner ainsi ?

Henri Noguès : Je suis assez d'accord. C'est là au débat politique de trancher. Le déficit en lui-même n'est pas insurmontable si on augmente les prélèvements obligatoires. Mais l'incohérence totale vient du recours à la dette. Que l'on emprunte pour financer des routes, des infrastructures ou la recherche se tient, car la société en profitera dans le futur. En revanche, il n'est pas normal de financer à crédit les soins d'aujourd'hui. Par ailleurs, je me demande dans quelle mesure on n'utilise pas politiquement le déficit pour éviter d'avoir une inflation des demandes.

Bruno Palier : Oui, mais raisonner ainsi n'irait pas forcément dans le sens de ce que souhaitent ou imaginent les professionnels car cela conduirait logiquement a remettre en cause le mode de rémunération des professionnels de santé (à l'acte ou de type commercial), peut-être en allant davantage vers des rémunérations à la capitation par exemple. Ce qui ne signifierait aucunement les payer moins (les généralistes sont beaucoup mieux payés en Angleterre qu'en France). Mais on peut noter que notre pays se caractérise aujourd'hui par de grosses inégalités entre professionnels de santé.

Jean-Claude Mallet : Ce qui est vrai c'est que le déficit de la Sécurité sociale est proportionnellement beaucoup moins important que celui de l'Etat, et ce d'autant qu'une part des déficits sociaux résulte du fait que l'Etat ne rembourse pas à la Sécu la totalité du montant des exonérations syndicales. Cela représente plus de 2 milliards d'euros par an depuis plus de 5 ans !

La CMU, c'est de l'assurance sociale ou de l'assistance sociale ?

Jean-Claude Mallet : Pour un nombre non négligeable de salariés, la CMU est une assurance sociale. Un smicard à mi-temps a des revenus si peu importants qu'il peut prétendre à la CMU complémentaire : il n'en est pas moins un assuré. La logique est exactement la même pour des chômeurs arrivés en fin de droits.

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