La chute d'un régime - Le Moniteur des Pharmacies n° 2584 du 28/05/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2584 du 28/05/2005
 

PHARMACIES MINIÈRES

Actualité

Enquête

Ils sont 182 pharmaciens, gérants, assistants principaux et assistants, à s'interroger sur leur avenir au sein d'un régime minier en pleine transformation. Le 1er juillet prochain, les 250 000 affiliés de ce régime hors du commun auront le choix du lieu de la délivrance de leurs prescriptions. La question même de la survie des pharmacies minières est ainsi posée.

Petit retour en arrière. En décembre 1990, la dernière mine en exploitation dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais cesse son activité. En février 2003, c'est le tour de Meyreuil, près de Gardanne (Bouches-du-Rhône), pour le bassin du Centre et du Midi. Le 23 avril 2004, les mineurs de la Houve, près de Creutzwald (Moselle), ont symboliquement remonté le dernier bloc de charbon extrait du sous-sol français. Conséquence directe de ces fermetures : aujourd'hui il ne reste plus guère de cotisants dans les mines (16 939 à fin 2003, deux fois moins qu'il y a encore dix ans, soit un actif pour 22,52 ayants droit) et le nombre de bénéficiaires ne cesse de décroître (1,64% en assurance vieillesse, - 5,1% en assurance maladie). Une « baisse annuelle conforme à la tendance observée depuis plusieurs années », peut-on lire dans le rapport de gestion 2003 de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANSSM). Depuis 2000, le nombre des bénéficiaires de soins est passé sous le cap des 400 000 et leur âge moyen est de 74 ans.

La réorganisation sur les rails.

Depuis longtemps évoqué, le problème de la baisse du nombre d'affiliés s'est doucement emballé après la publication d'un rapport des inspections générales des Affaires sociales et des Finances qui, en septembre 2002, proposait l'adaptation du régime à cette donne inéluctable.

Un accord politique a été signé en décembre 2003 entre l'Etat et quatre organisations salariales sur cinq - hors la CGT- pour fixer les grandes orientations de la réforme. Depuis, le décret du 27 novembre 1946 portant organisation du régime a été revu en date du 2 novembre 2004, et une ordonnance publiée le 28 avril 2005 règle les problèmes du personnel de la Caisse nationale. Et c'est tout prochainement que va être signée entre l'Etat et la CANSSM la convention d'objectifs et de gestion qui réorganise le régime minier.

Que retenir de toutes ces évolutions ? Les retraites minières sont gérées par la Caisse des dépôts et consignations, avec intégration à cet établissement financier public de tous les personnels de la CANSSM depuis le 1er mai dernier. Les oeuvres ambulatoires vont être transformées en centres de santé, la gestion de la maladie, des accidents de travail et des maladies professionnelles a été confiée à la Caisse nationale. Cette dernière va chapeauter les sept unions régionales et les quinze sociétés de secours minières (SSM) - qui, au passage, fusionneront en sept caisses régionales (CARMI) - centralisant les comptes, allouant les moyens financiers, exerçant la tutelle, homogénéisant les moyens. L'ensemble fonctionnant telle une petite CPAM forte de 280 000 affiliés. C'est à elle qu'il reviendra de déployer, de juillet à décembre 2005 en principe, la carte Vitale dans le double but de dématérialiser les remboursements et ainsi de diffuser le travail vers les agents pour éviter leurs déplacements. Les engagements publics de garantie de l'emploi sont ainsi respectés.

Hémorragie dans les pharmacies.

Mais la révolution aura lieu le 1er juillet prochain avec l'ouverture bilatérale des oeuvres sociales, une des fiertés du régime minier. En clair, les affiliés auront à cette date le libre choix de leur professionnel de santé alors que, jusque-là, s'ils habitaient dans un secteur où était installée une oeuvre, ils étaient tenus de la fréquenter sauf convention expresse (urgences et gardes le week-end, par exemple). Si cette réorganisation répond peu ou prou à toutes les attentes des partenaires du régime, elle ne résout en aucun cas le dossier des pharmacies minières.

Ici se pose un problème majeur : en tant que pharmacies à usage intérieur de par leur statut, les pharmacies minières ne sont pas comptabilisées dans le quorum, ni inscrites en conséquence dans la carte sanitaire pharmaceutique. Elles ne peuvent délivrer des médicaments et de la parapharmacie qu'aux seuls ressortissants du régime minier et en aucun cas aux assurés du régime général. L'ouverture bilatérale possible pour les oeuvres ambulatoires ne l'est pas pour les officines. Grand est donc le risque pour les pharmacies minières de voir leurs clients miniers exercer leur choix pour l'une ou l'autre des officines libérales situées - et il n'est pas rare qu'elles soient plusieurs - sur la route menant chez elles malgré leur fidélité aux oeuvres, et ce sans contrepartie possible.

Les conséquences sont évidentes : les pharmacies minières enregistreront une baisse substantielle de leur chiffre d'affaires du fait de la conjugaison du libre choix et de la délivrance de la carte Vitale, porte ouverte à la généralisation du tiers payant. Des chiffres sont même avancés : de - 40 % à - 80 % dans les trois années à venir. Avec une interrogation : érosion lente ou chute brutale ?

Débat collatéral, les excédents générés par ces pharmacies, qui permettaient de financer les oeuvres de la sécurité sociale minière, devraient fondre voire se transformer rapidement en déficits, entraînant des répercussions quasi mécaniques sur l'ensemble des équipements de santé. « Pour ces pharmacies, c'est dramatique, leur clientèle ne sera plus captive. Dans les dix-huit mois, on s'attend à une chute vertigineuse d'activité », explique Patrick Fortuit, ancien président du syndicat national des pharmaciens au service des SSM et aujourd'hui membre du Conseil national de l'ordre des pharmaciens.

L'an dernier, le ministère des Affaires sociales a diligenté une commission dans le cadre des régimes spéciaux sur le seul sujet du devenir des pharmacies minières. Finalisé en mars, le rapport Leroux, du nom de la présidente de ladite commission, est aujourd'hui sur le bureau du ministre.

Théoriquement, le spectre de solutions envisageables est large, à commencer par le reclassement pur et simple au cas par cas d'environ quatre cents personnes (pharmaciens, préparateurs, agents de services).

Solutions « sauve-qui-peut ».

Il semble en effet que seules quelques pharmacies minières doivent être maintenues, qu'elles soient déjà ouvertes avec autorisation préfectorale parce qu'elles rendent un service public - comme à La Vernarède (Gard) ou à Graissessac (Hérault) - ou qu'elles arrivent à profiter d'une confrontation avec leurs confrères libéraux, comme ce pourrait être le cas à Vermelles ou à Avion (Pas-de-Calais) où elles se font face.

Une autre solution pourrait être un rapprochement avec la Mutualité - dont les pharmacies sont aussi considérées à usage intérieur -, qui prendrait la forme d'un agrément mutuel de clientèle. Une solution simple juridiquement, mais qui a ses limites - les pharmacies mutualistes ont aussi leurs propres difficultés - et nécessite une forte volonté locale. Le régime minier pourrait aussi envisager la création de sa propre mutuelle pour couvrir le forfait hospitalier, les suppléments optiques, etc.

Mais, à n'en pas douter, la solution la plus conforme aux voeux du régime minier serait un amendement législatif qui, par dérogation, voire sur une période limitée, autoriserait les non-mineurs à fréquenter les pharmacies minières en contrepartie de la fréquentation des oeuvres par des non-affiliés. Un processus qui se heurte à l'opposition des pharmacies libérales.

D'autres vont même plus loin et proposent que les pharmacies rendent leur numerus clausus, en prenant pour exemple la ville d'Oignies (Pas-de-Calais) qui, avec ses 10 500 habitants, dont la moitié est affiliée au régime minier, compte cinq pharmacies dont quatre libérales...

D'autres encore, se refusant à légiférer pour 68 pharmacies face à un parc de 22 658, prônent des accords locaux basés sur le bon sens. Mais les rares accords envisageables n'ont pas tenu la route. En Alsace, à Staffelfelden (Haut-Rhin), la pharmacie minière aurait pu profiter de l'abaissement du quota de population à 3 500 habitants pour obtenir une ouverture avec la bénédiction des pouvoirs publics locaux, mais elle s'est heurtée au refus cinglant du ministère ! A Molières-sur-Cèze, dans le Gard, la pharmacie minière avait obtenu l'autorisation d'ouverture au privé en raison de l'absence d'officine libérale. Cette autorisation a été remise en cause dès l'ouverture d'une pharmacie libérale !

Trouver une sortie honorable.

Et pourquoi pas le rachat des officines concernées ? Pas évident non plus, tant les modes de gestion et d'évaluation économique sont différents entre les deux modes d'exercice. Une pharmacie excédentaire ou qui s'équilibre serait-elle viable en changeant de modèle économique ? Pas si sûr.

Néanmoins, le sentiment qui prédomine est que chacun, sans le dire, est bien conscient qu'il faut trouver une sortie honorable. Il est difficile de croire à la solution d'une « ouverture bilatérale », qui reviendrait à créer de nouvelles officines (puisque les pharmacies minières seraient de fait dans le quorum de population générale), alors même que le réseau officinal est, dit-on, excédentaire de 700 unités (celui du Nord-Pas-de-Calais d'une centaine à lui seul). Les arguments contre foisonnent, juridiques, économiques et même concurrentiels : comment admettre qu'un pharmacien puisse se trouver avec une pharmacie compétitive sans y avoir investi ?

Cette « sortie honorable » pourrait passer par des solutions transitoires et ponctuelles en faveur des personnels salariés pour peu qu'un minimum de consensus se dégage avec ses inévitables indemnisations, retraites anticipées, reclassements, dérogations... Les assistants du régime minier pourraient par exemple intégrer des pharmacies libérales depuis trop longtemps mises en demeure de respecter les quotas de pharmaciens adjoints. Autant d'idées à creuser et à négocier, tout comme l'idée de créer des fonctions pharmaceutiques dans d'autres systèmes comme les services départementaux d'incendie et de secours ou les réseaux de soins.

Que retiendra le ministre des Affaires sociales d'un rapport Leroux dont il est dit - même s'il n'est pas public à ce jour - qu'il a dressé le spectre des solutions envisageables pour, in fine, établir des préconisations au cas par cas ? Le ministre aussi peut jouer les prolongations !

Le régime minier en chiffres

Bénéficiaires

- Assurance vieillesse : - 381 502 (- 1,64%) dont 64 985 pensionnés de droit direct.

- 158 618 en droit de survivants pour 16 939 actifs soit 0,044 actif par bénéficiaire (22,52 bénéficiaires pour 1 actif).

- Assurance maladie : 251 880 affiliés* (- 5,1 %) :

- 94 489 dans le Nord,

- 86 658 dans l'Est,

- 12 072 dans le Centre-Est,

- 11 097 dans le Centre,

- 24 098 dans le Sud-Est,

- 17 549 dans le Sud-Ouest,

- 5 917 dans l'Ouest.

* par circonscription URSSM

Prestations : 4 MdEuro(s)

- vieillesse : - 3 %

- maladie : + 4,5 %

Résultats 2003 : - 69 MEuro(s)(Sources : rapport de gestion 2003)

Les prestations d'assurance maladie : 1 188,5 MEuro(s)

- Hospitalisation : 6 27,5 Euro(s) (52,9 %).

- Honoraires médicaux et dentaires : 146,9 MEuro(s) dont 53 % correspondant aux services du régime.

- Prescriptions pharmaceutiques (hors appareils et pansements) : 240,1 MEuro(s) dont 125,3 (52,2 %) délivrés dans les officines du

régime et 114,8 en dehors des services ; 274,9 au global (+1,3 %).

La part des ventes de génériques est de 9,37 % des médicaments remboursés (en valeur) contre 8,62 % en 2002.

(Source : rapport de gestion 2003)

Les pharmacies

Nombre : 68

Répartition par SSM : 14 dans le Nord, 22 dans le Pas-de-Calais, 1 dans le Haut-Rhin, 5 en Bourgogne, 2 en Alpes et Rhône, 6 dans la Loire, 2 dans le Midi, 8 dans le Gard, 2 dans l'Ouest, 2 dans l'Hérault, 4 dans l'Aveyron et le Tarn.

Effectifs des pharmaciens : 186 (dont 68 gérants)

dont 182 en officines (158 à temps plein et 24 à temps partiel), 4 en établissements sanitaires + 15 pharmaciens biologistes dans 7 laboratoires d'analyses médicales.

Répartition : 126 dans le Nord-Pas-de-Calais, 18 dans le Sud-Est, 13 en Centre-Est, 9 dans le Centre, 9 dans le Sud-Ouest, 7 dans l'Est et 4 dans l'Ouest (par circonscription URSSM).

Effectifs des préparateurs : 100 environ dont 60 dans le Nord-Pas-de-Calais.

Point de vue

- Maryse Griffon, secrétaire du Syndicat national des pharmaciens au service des SSM : « On aimerait bien en savoir plus. Rien n'a filtré. On ne veut pas mourir comme ça, de notre belle mort. On veut savoir dans quelles conditions ! »

- Patrick Fortuit, gérant de la pharmacie mutualiste de Flers-en-Escrebieux (59), membre de l'Ordre : « On n'observe plus la tension d'il y a quelques années entre pharmacies minières et privées. Nous devons nous épauler sur les problèmes humains. L'Ordre et l'Etat doivent être capables de prendre des dispositions pour imaginer des solutions transitoires et ponctuelles. »

- Richard Caudy, membre du bureau de la CANSSM (CGT) : « Le gouvernement ne veut pas prendre d'options politiques pour sauvegarder les pharmacies minières, pourtant indispensables au maintien du service en direction des affilés à la moyenne d'âge élevée, qui risquent déjà de subir les prochaines échéances comme l'ouverture bilatérale des centres de soins. Si on rajoute là-dessus les pharmacies, c'est explosif ! »

- Jean Arnoult, président du Conseil de l'Ordre du Nord-Pas-de-Calais : « Les divs en vigueur doivent être appliqués. La fermeture de ces pharmacies ne posera aucun problème au niveau de la santé publique. On devrait être capable d'absorber la reconversion des personnels. »

- Roland Houp, vice-président de la CANSSM (FO) : « Il faut relever leur activité pour permettre leur maintien avec des activités complémentaires comme la désinfection de matériels orthopédiques par exemple. Je ne vois pas pourquoi on leur demanderait de se suicider. »

- Jean-Etienne Martineau, secrétaire général de la FSPF : « Il n'y a plus d'intérêt à maintenir les pharmacies minières artificiellement en vie, elles ne se justifient plus. Le réseau des pharmacies privées est tout à fait réparti harmonieusement. Attendons que le problème des fermetures se pose pour apporter des solutions. »

- Patrice Devillers, président de l'USPO : « C'est un sujet brûlant sur lequel personne ne veut se prononcer. Je ne suis pas très favorable à une ouverture réciproque. Les pharmacies libérales, souvent plus petites, risqueraient de souffrir énormément. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Syndicalement, c'est difficile de prendre une décision. Leur devenir doit faire l'objet de négociations pointues. C'est un dossier qui suscite beaucoup d'interrogations. Il faut être vigilant. »

- Yves Trouillet, président de l'APR : « La logique veut que les pharmacies minières ferment. Au moment où l'on parle regroupement, c'est non à toute pharmacie surnuméraire. Mais la clé de réussite de cette sortie passe par un traitement honorable du problème social. »

Une organisation centralisée

La plus importante des 68 pharmacies minières réalise un chiffre d'affaires de plus de 7 MEuro(s) et la plus petite, ouverte à temps partiel dans la Loire, 350 000 Euro(s). Ces pharmacies sont plutôt installées en milieu urbain et même en centre-ville. Le chiffre d'affaires consolidé avoisine les 150 MEuro(s) dont 125 de prescriptions hors matériels et pansements.

Le schéma d'organisation économique est très centralisé. Les achats de médicaments sont soumis au Code des marchés publics et prennent la forme d'appels d'offres auprès des grossistes-répartiteurs ainsi que pour les achats de matériels médicaux, de pansements et pour les génériques inscrits au Répertoire. La parapharmacie est traitée en marchés négociés.

Grâce à la collaboration entre médecins et pharmaciens, le taux des génériques atteignait fin 2004 les 70 % en nombre d'unités distribuées pour un taux de 10,70 % en montant des médicaments remboursables (à fin 2003). Au total, les pharmacies minières dégageaient en 2003 un excédent global de 24,3 MEuro(s), seules quelques officines de la Loire et une dans l'Aveyron affichant des déficits pour 59 000 euros.

Les salaires y sont généralement plus élevés qu'en libéral, de l'ordre de 10 à 20 % pour un assistant en début de carrière, recruté à l'indice 500 avec une progression assez rapide.

Prévoyez-vous de fermer votre officine le 30 mai prochain en signe de protestation ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !