Pratiques discriminatoires condamnées - Le Moniteur des Pharmacies n° 2578 du 16/04/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2578 du 16/04/2005
 

MUTUALITÉ

Actualité

L'événement

La cour d'appel de Caen a condamné la Mutualité de l'Anjou à cesser toute pratique tarifaire discriminatoire en fonction du point de vente de médicaments. Un jugement définitif d'une grande valeur pour l'officine.

Le syndicat des pharmaciens du Maine-et-Loire vient de remporter un bras de fer judiciaire de plus de dix ans contre la Mutualité de l'Anjou. En ne s'étant pas pourvu en cassation contre cet arrêt de la cour d'appel de Caen, la Mutualité se voit ainsi interdire de pratiquer des cotisations différentes selon que l'assuré achète ses médicaments à la pharmacie mutualiste ou dans une officine libérale. « Pour nous, les conclusions de ce procès ont surtout valeur de cessation d'un combat plus tellement de bon aloi, commente Philippe Houlgard, secrétaire général de la Mutualité de l'Anjou. De toute façon, c'est une pratique que nous avons cessé depuis longtemps. »

Vraiment ? D'après le jugement de la cour d'appel, le principe actuel de cotisations différenciées, l'une assurant une couverture de médicaments à 100 %, l'autre à 90 %, aboutit toujours « à une forme de discrimination entre les adhérents qui s'approvisionnent aux pharmacies mutualistes et les autres ». « Comme à l'audience, la Mutualité fait semblant de ne pas comprendre, commente Véronique Le Meur Baudry, avocate de la chambre syndicale des pharmaciens du Maine-et-Loire. Sur le terrain, on constate que les officines libérales se voient opposer le seul remboursement à 90 %. »

Impossible de chiffrer le manque à gagner.

La Mutualité s'expose à l'astreinte de 1 000 euros par jour décidée par la cour d'appel de Caen si les pratiques dénoncées ne cessent pas. Et le syndicat ira devant le juge de l'exécution des peines pour la faire respecter. « Nous allons déjà lancer une action pour vérifier ce que nous savons déjà : ils continuent comme par le passé », informe Christian Blanc, président de la chambre syndicale des pharmaciens du Maine-et-Loire. La Cour devrait d'autant moins rechigner à faire appliquer le paiement de cette astreinte qu'elle avait pour ainsi dire déploré de ne pouvoir accorder de dommages et intérêts à la chambre syndicale car celle-ci n'avait pas été en mesure de comptabiliser les chiffres d'affaires et les marges bénéficiaires perdus par les pharmacies libérales proches des pharmacies mutualistes d'Angers et Cholet.

« Bien sûr, il y a un impact sur nos chiffres d'affaires au cours de ces dernières décennies. Comme en serait-il autrement alors que la pharmacie mutualiste d'Angers fait travailler plusieurs dizaines de pharmaciens adjoints !, lance Christian Blanc. Mais un juge exige qu'on le prouve, chiffres à l'appui. » La différence de chiffre d'affaires de 700 000 francs - entre une pharmacie du département et la moyenne nationale - avancé par le syndicat pour la seule année 1991 était une estimation trop floue pour pouvoir fixer de tels dommages et intérêts. Dommage !

Plus largement, cet arrêt très fouillé de la cour d'appel de Caen, reprenant les dix ans de procédure, dont deux arrêts de Cour de cassation portant sur des points différents de l'affaire, éclaire les possibilités des syndicats de pharmaciens dans ce type de situation.

Distorsion de concurrence.

Cet arrêt a élargi la notion de « partenaires économiques », habituellement appliquée entre fournisseurs et clients, aux relations entre concurrents : ici les pharmacies mutualistes et les pharmacies libérales. En n'obtenant pas de contrepartie réelle (une économie) de sa politique de cotisations différenciées, la Mutualité a bafoué le Code de commerce (1). Et c'est là un autre succès pour le syndicat de pharmaciens : la Mutualité est jugée personnellement responsable des faits incriminés, c'est-à-dire une distorsion de concurrence entre pharmacies mutualistes et libérales. D'une part elle est jugée responsable des tarifs proposés par ses mutuelles adhérentes, d'autre part, en tant que gestionnaire de pharmacies mutualistes, elle est bien considérée comme une concurrente directe des officines libérales même si l'on considère le caractère non lucratif de leur activité ; enfin, la chambre syndicale des pharmaciens, en tant que représentante des officines, est bien considérée comme un « partenaire économique » de la Mutualité et est donc habilitée à lui demander réparation.

De plus, le juge a estimé que le syndicat des pharmaciens pouvait se réclamer du non-respect du Code de la mutualité (2) alors que la Mutualité partait du principe que seul un adhérent pouvait l'utiliser à son encontre. Tout syndicat de pharmaciens peut donc déjà s'appuyer sur ce div en ce qui concerne la forme. Sur le fond, « la décision de Caen ne sera pas applicable mot pour mot mais elle sera d'un grand secours dans bien d'autres cas. Un autre juge saisi la regarderait très attentivement », estime Véronique Le Meur Baudry.

C'est pourquoi Christian Blanc a commencé à centraliser, au niveau de la FSPF, un certain nombre de cas sensibles liés à des pratiques de la Mutualité. Vingt-neuf départements seraient concernés. A charge ensuite aux syndicats départementaux concernés d'ester, le cas échéant, ou de négocier avec la Mutualité, forts de cette arrêt de la cour d'appel de Caen.

Interrogée par Le Moniteur, la Fédération nationale de la Mutualité française - qui a soutenu la Mutualité de l'Anjou du bout des lèvres - indique simplement que le cas de l'Anjou était isolé. « C'est faux !, affirme Christian Blanc. Ou alors ils sont très mal renseignés. Par exemple, en Touraine, il y a le même type de discrimination. C'est encore pire que chez nous ! » « D'autres départements sont concernés, confirme Véronique Le Meur Baudry. Avec des subtilités de fonctionnement, mais qui aboutissent à la même chose. »

La Mutualité ne manque pas d'assurance.

« Il est interdit de porter atteinte au principe du libre choix du pharmacien pour les malades en octroyant, directement ou indirectement à certains d'entre eux, des avantages que la loi ne leur aurait pas explicitement dévolus », avait déjà énoncé la Cour de cassation en 2002. En aucun cas le système mutualiste peut inciter financièrement ses adhérents à ne se rendre que dans des pharmacies mutualistes, expliquait-elle. Dans le Maine-et-Loire, tout était parti du constat que la Mutualité ne respectait pas la convention de tiers payant signée avec le syndicat, puisqu'elle stipulait que les mutuelles s'engagent à laisser à leurs adhérents le libre choix de leur pharmacien.

Malgré cette défaite en rase campagne, la Mutualité ne s'attend pas à des conséquences directes sur ses pharmacies. « Il y a une forme de fidélité des adhérents à nos oeuvres sociales, explique Philippe Houlgard. La pharmacie mutualiste d'Angers a maintenant cent ans, et l'attachement est peut-être encore plus fort à Cholet. Notre philosophie correspond à une façon de traiter l'adhérent. Il y a par exemple un gros travail de prévention et de promotion pour la santé en phase avec la dynamique des mutuelles, un gros travail de suivi de la qualité... » Autrement dit, les officines doivent se mettre à l'assurance qualité pour pouvoir s'aligner. Les pharmaciens libéraux apprécieront.

(1) Art. 442-6 stipulant que tout avantage ou service commercial doit avoir une contrepartie réelle.

(2) Qui donne une liste limitative des critères permettant de moduler les cotisations : revenus, durée d'appartenance à la mutuelle ou du régime de sécurité sociale d'affiliation, lieu de résidence, nombre d'ayants droit, âge des membres participants.

A retenir

- jugement définitif La Mutualité de l'Anjou assure une couverture de médicaments à 100 % pour les adhérents qui se rendaient dans ses pharmacies, et à 90 % pour les autres. Illégal et discriminatoire selon la cour d'appel de Caen.

- 1 000 euros d'astreinte par jour, c'est ce qu'encourt la Mutualité de l'Anjou si elle ne cesse pas ses pratiques discriminatoires.

- un cas isolé, selon la Fédération nationale de la Mutualité française. Faux, selon le syndicat du Maine-et-Loire qui dénombre 29 départements concernés par des pratiques approchantes.

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