La chasse aux erreurs - Le Moniteur des Pharmacies n° 2577 du 09/04/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2577 du 09/04/2005
 

DÉLIVRANCE

Actualité

Enquête

Pas enseignée dans les facs, parfois niée dans la pratique, l'erreur de délivrance fait pourtant partie de l'environnement officinal. Pour les éviter il faut commencer par en parler.

Un instant d'inattention, la délivrance se termine... et le patient quitte la pharmacie. Et puis la boule au ventre, ou le creux dans la poitrine, parfois bien plus tard : la certitude est là, il y a eu une erreur de délivrance. Impression diffuse et pas toujours vraie, mais peu importe. Difficile d'en parler : « Je suis un professionnel, ce genre de choses ne devrait pas arriver », se dit-on. Puis on occulte, à moins que le patient ne revienne avec les produits. La meilleure défense est alors l'excuse, ou un petit geste commercial.

Mais pour une erreur décelée et corrigée, combien passent à l'as ? Peu, au regard des précautions imposées : multiples relectures de l'ordonnance, comptage des boîtes, questions aux patients. Pourtant, l'erreur s'immisce toujours là où on ne l'attend pas. Subrepticement. « Tout le monde a honte de se tromper. J'ai eu en début de carrière des erreurs de délivrance dans ma pharmacie, et je reste persuadée encore maintenant que ce n'est pas ma faute, que ce n'est pas moi. J'ai gravé ça dans un coin de mon inconscient », témoigne une titulaire à Paris.

Au cours de l'année 2003, 2,6 milliards de boîtes, flacons ou autres présentations de médicaments ont été remboursées en France, selon l'Assurance maladie. Dosage, posologie, forme galénique, spécialités..., tout est sujet à maldonne. Alors, sur ces 2,6 milliards de boîtes, combien d'erreurs ? Impossible de le savoir précisément. En ce domaine, la conjecture est reine. Si une étude américaine de 1995 rapportait le chiffre exorbitant de 24 erreurs sur 100 ordonnances délivrées dans des « community pharmacies » aux Etats-Unis, le consensus s'établit bien en dessous. En se penchant sur la délivrance de 4 481 prescriptions dans cinquante pharmacies disséminées aux Etats-Unis, des statisticiens ont trouvé un taux d'erreur de 1,7 %. Soit à peu près quatre erreurs par jour pour une officine délivrant 250 ordonnances. Deux études anglaises rapportent, elles, des taux d'erreur encore inférieurs : 0,08 % pour l'une et 0,04 % pour l'autre. Pour la France, une simple règle de trois donne les chiffres suivants : tous les ans, de 1 à 44 millions de boîtes de médicaments seraient délivrées par erreur. Astronomique... et hypothétique tant ces erreurs sont dures à déceler. « C'est généralement comme l'iceberg, suppose Camille Hybois, préparateur en pharmacie à Lorient, c'est-à-dire que seules 1/6 émergent. Que deviennent les 5/6 ? » Faute d'un suivi ou d'une sensibilisation suffisante, l'erreur commise passe effectivement inaperçue... jusqu'à l'éventuel retour du client. Il est alors trop tard.

Une question de culture.

Pour s'occuper des erreurs de délivrance, il faut commencer par en parler. Et surmonter un complexe bien français. L'effet « dernier intervenant égale coupable », qui empêche les professionnels de rapporter leurs bévues, est encore très prégnant dans notre culture. L'erreur est souvent multiple et une délivrance erronée n'est que le fruit d'une chaîne de dysfonctionnements. « Dix tâches fiables à 90 % aboutissent à un risque global d'erreur de 35 % », comme il était rappelé en introduction du 3e congrès de l'Association française des gestionnaires de risques sanitaires, en octobre 2004. A ce tarif, tous les intervenants de la chaîne du soin pourraient être considérés comme responsables, pas seulement le pharmacien qui a effectué une délivrance erronée ou l'infirmière qui s'est trompée de voie d'administration.

Pas de bouc émissaire, donc. Toute malveillance mise à part, on se trompe aussi parce que les circonstances le favorisent. Si l'erreur est humaine, comme le rappelle l'adage, l'environnement et les habitudes de travail jouent pour beaucoup dans le long processus qui mène à la bourde.

Pascal Maire, pharmacien aux Hospices civils de Lyon et chargé d'enseignement en sciences humaines et sociales, analyse cette « inculture » française en la matière : « Toute personne effectuant un travail posté et routinier fait des erreurs, en moyenne de trois à cinq par heure. En France, nous avons un problème culturel vis-à-vis de l'erreur, surtout à l'hôpital. » Encore que des initiatives, comme celle du REEM (Réseau épidémiologique de l'erreur médicamenteuse (voir ci-dessous), contribuent à soulever un pan du voile pudique qui l'entoure encore. Alors qu'en ville, rien n'est fait. « Dans l'aéronautique par exemple, le facteur humain est pris en compte dès le départ dans la chaîne de fabrication. On n'est jamais à l'abri. Dans les années 80, quand l'horizon artificiel des avions est devenu électronique, il y a eu beaucoup d'incidents », continue Pascal Maire. L'infaillibilité est donc un leurre, et d'autres secteurs encore s'en sont rendu compte avant les professionnels de santé, comme le nucléaire. « Nous nions encore la valeur pédagogique de l'erreur, alors qu'elle fait partie intégrante de notre façon de travailler. On négocie avec l'environnement de travail pour diminuer l'effort produit, en mettant en balance règles et habitudes », analyse le chercheur.

L'important est de rapporter.

Prévenir permettra peut-être d'éviter des réveils douloureux, comme aux Etats-Unis, en 1998, lorsque l'Institute of Medicine plaça les accidents iatrogènes à la quatrième place des causes de mortalité, soit 44 000 à 98 000 morts par an. Pour cela, il faudra que la France se dote d'un système de report d'erreurs par les professionnels fiable - dont le REEM est l'ébauche - que seule la pratique quotidienne pourra mettre à jour : boîtages semblables, étiquetages incomplets, noms trop ressemblants. L'Institute of Safe Medicine Practice américain et la National Patient Safety Agency anglaise montrent la voie : ils ont tous deux mis en place de tels systèmes, anonymes et non coercitifs.

Création d'une boîte aux lettres dédiée aux erreurs.

Garante de la sécurité médicamenteuse en France, l'Afssaps est consciente de ses lacunes. « Nous avons lancé récemment une campagne d'harmonisation des étiquetages concernant les ampoules de morphine. L'enquête que nous avons menée était officieuse, nous avons procédé à partir des professionnels de santé que connaît l'Agence, qui ont rempli - parfois à plusieurs - un questionnaire. Ce qui fait que nous n'avons pas une idée précise du nombre de personnes qui nous ont répondu : 200, 300, 400 ?... », témoigne Antoine Sawaya, chef du département de l'Evaluation de la qualité pharmaceutique des médicaments.

A brève échéance, l'Afssaps va donc mettre en place une boîte aux lettres et une ligne de fax spécifique pour que les professionnels de santé répercutent à l'Agence les erreurs médicamenteuses ou les risques de confusion. Ce qui remplacera la remontée d'informations « au petit bonheur la chance » par les centres régionaux de pharmacovigilance - dont ce n'est pas le rôle -, les particuliers, les médecins, les pharmaciens officinaux ou hospitaliers.

Sondage : L'erreur : combien, comment ?

Entre le 2 mars et le 22 mars, vous avez été 338 à répondre à notre sondage. En voici les résultats. A la question « Avez-vous déjà commis des erreurs de délivrance ? », vous avez répondu (plusieurs réponses possibles) :

A savoir

- Pister l'erreur

Le REEM (Réseau épidémiologique de l'erreur médicamenteuse) est le premier - et le seul - organe de report et d'analyse des erreurs médicamenteuses en France. Essentiellement limité au milieu hospitalier, le report se fait par un formulaire téléchargeable*. Le système est anonyme et non coercitif. Sur 877 citations d'erreurs en 2005, les facteurs humains étaient impliqués dans 56 % des cas (méconnaissance, mauvaise transcription...) et le médicament dans 20,5 % des cas (mauvaise information, confusion entre spécialités...).

* http://www.adiph.org/aaqte/.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


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