La méprise - Le Moniteur des Pharmacies n° 2576 du 02/04/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2576 du 02/04/2005
 

SUICIDE ET MÉDICAMENT

Actualité

Enquête

Facile d'accès, le médicament n'est heureusement pas un bon moyen de suicide. S'il est utilisé dans 80 % des 160 000 tentatives de suicide annuelles, il n'est responsable de la mort que dans 12,5 % des cas. Néanmoins, certaines molécules à faible indice thérapeutique restent particulièrement dévastatrices. De quoi ouvrir l'oeil au comptoir.

Juillet 2003. Une jeune femme de 23 ans se présente dans une officine parisienne avec une ordonnance de Zoloft rédigée par un psychiatre. Elle y a rajouté de sa main : « Nivaquine 3 cp/j pendant un mois ». On la retrouvera suicidée, avec dans son corps l'équivalent de 70 comprimés de chloroquine. « Ne connaissant pas cette jeune fille, je n'ai pas décelé son état pathologique avancé. Et comment se douter que la Nivaquine allait servir à un suicide ? Elle a été prescrite par un psychiatre, mais même les dentistes en prescrivent. Quant au dosage de 3 comprimés par jour, ce n'est pas aberrant, le Vidal le mentionne en cas de lucite », s'est défendu le titulaire qui comparaissait en octobre 2004 devant le conseil régional de l'Ordre d'Ile-de-France. Accusé de ne pas avoir lui-même délivré cette ordonnance mais de s'être fait remplacer ce jour-là par une stagiaire de 2e année, seule à l'officine, il a écopé de trois mois d'interdiction d'exercice pour « délivrance d'une ordonnance falsifiée par une personne non qualifiée ». Mais vous, auriez-vous délivré cette ordonnance ? Savez-vous que la chloroquine fait partie des molécules les plus létales ? Certes, toutes les ordonnances qui passent entre vos mains ne sont pas falsifiées, mais 70 à 80 % des personnes qui réussissent leur suicide ou qui tentent de se suicider utilisent tout simplement les médicaments qui leur ont été prescrits et délivrés moins d'un mois avant leur geste. Le médicament tient une place prépondérante dans le geste suicidaire. L'intoxication médicamenteuse volontaire (IMV) est responsable de 12,5 % des suicides réalisés et de 80 % des tentatives de suicide (TS).

Second mode de suicide chez la femme.

Selon les dernières statistiques disponibles de l'INSERM couvrant l'année 2001, quasiment autant d'hommes (627, soit 48 %) que de femmes (677, soit 52 %) ont réussi leur suicide avec des médicaments. Mais sur l'ensemble des suicides cette année-là (10 440), seuls 8,20 % des hommes ont choisi le médicament contre 24,3 % des femmes. Il s'agit du troisième mode de suicide chez l'homme après la pendaison (48,6 %) et le décès par arme à feu (20,8 %), le second chez la femme, pas très loin de la pendaison (29,5 %) mais devant la noyade (13,7 %) et le saut dans le vide (11,8 %).

S'agissant des types de médicaments utilisés dans les suicides accomplis, les données de l'INSERM, restent imprécises : antiépileptiques, sédatifs, hypnotiques, antiparkinsoniens et psychotropes sont présents dans 18 % des cas (240), les analgésiques, antipyrétiques et antirhumatismaux dans 6 cas seulement sur 1 304 suicides médicamenteux. Les 1 058 cas restants ne sont pas renseignés.

Le centre antipoison de Lille, qui couvre les trois régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Haute-Normandie (7,5 millions d'habitants), apporte des éléments plus précis mais similaires. En 2003, il a recensé 20 700 intoxications médicamenteuses dont 5 377 TS par médicaments. 16 décès ont été dénombrés. Les médicaments du système nerveux central sont présents six fois (Equanil deux fois, Lexomil, Mépronizine, Témesta et Xanax), ceux du système cardiovasculaire deux fois : Mono-Tildiem LP 300 et Sectral (voir tableau 24).

Quant aux tentatives de suicide, 160 000 en moyenne sont recensées chaque année. Elles sont beaucoup plus fréquentes chez les femmes, en particulier chez les plus jeunes. Selon une étude de la Direction de la recherche des études de l'évaluation et de la statistique (DRESS) en 2001, les hospitalisations pour TS montrent une prédominance des séjours féminins 2,6 fois plus élevée que pour les hommes jusqu'à 34 ans : « Les hospitalisations liées à des tentatives de suicide sont, chez les femmes, très élevées dès l'adolescence et restent à un haut niveau jusque vers 50 ans ; les séjours masculins, moins nombreux à l'adolescence, augmentent rapidement jusque vers 40 ans et deviennent ensuite, comme chez les femmes, beaucoup plus rares. » Les tentatives de suicide par intoxication médicamenteuse représentent plus de 80 % des séjours effectués, jusqu'à 90 % chez les jeunes femmes.

Toujours les psychotropes.

D'après l'étude du centre antipoison de Lille recoupée par d'autres études moins étendues (il n'existe pas d'enquête nationale), les médicaments les plus utilisés dans les TS monomédicamenteuses sont les psychotropes, plus particulièrement les benzodiazépines et les antidépresseurs non benzodiazépines (voir tableau p. 22). Normal, les médicaments du système nerveux central représentent la seconde classe de médicaments la plus remboursée par l'assurance maladie après celle du système cardiovasculaire. Stilnox était le sixième produit le plus prescrit et remboursé en 2001, Imovane le 20e, Lexomil le 24e, Xanax le 25e et Tranxène le 80e... Plus présents que d'autres dans l'armoire à pharmacie des Français, ils sont logiquement les plus retrouvés chez les suicidants.

Si un peu plus d'un suicidant sur deux (52 %) ne prend qu'un seul médicament, un quart en prend deux, l'autre quart trois et plus, et, dans 33 % des cas, la prise de médicaments s'accompagne de prise d'alcool ce qui renforce la gravité de la situation. Mais si les TS où sont présentes plusieurs molécules conduisent à des intoxications de gravité un peu supérieures, elles ne sont pas forcément celles qui conduisent le plus souvent à un décès (voir tableau p. 21).

Les classes de médicaments utilisées dans les TS évoluent peu avec le temps. Frédérik Staikowsky, urgentiste à l'hôpital Tenon (Paris), a analysé l'évolution, à dix ans d'intervalle, des médicaments utilisés dans les IMV. Le duo de tête n'a pas changé : psychotropes (77,7 % contre 77,3 % dix ans plus tard) et analgésiques (5,7 % contre 6,8 %). « En revanche, la fréquence d'utilisation des DC au sein de chaque classe varie parfois beaucoup, notamment pour les psychotropes, relève Frédérik Staikowsky. Elle suit en fait l'évolution des ventes de médicaments, des modalités de prescription des médecins, des AMM ou des décisions des pouvoirs publics en matière de santé publique. »

Réagir rapidement.

La mortalité liée aux médicaments reste donc heureusement très faible par rapport au nombre de TS. Sur les 40 000 TS observées en 30 ans aux urgences toxicologiques de l'hôpital Fernand-Widal (Paris), le médicament est impliqué dans 78 % des cas. « Mais la mortalité en réanimation n'est que de 1,8 %, alors qu'elle est de 30 % avec les produits industriels (glycols, cyanures, arsenic...) présents dans seulement 3 % des tentatives de suicide », détaille le Pr Chantal Bismuth, chef de service émérite, consultante en toxicologue au CHU Fernand-Widal.

Avec les produits domestiques (15 % de TS), la mortalité est de 16 % ; avec les pesticides (3 % de TS), elle est de 10 %. Une étude du réseau Sentinelle, en 2001, confirme ces données : sur 436 TS, 80 % des personnes ayant utilisé une arme à feu sont décédées, 72 % de celles qui se sont pendues, contre moins de 2 % par ingestion médicamenteuse, pourtant de très loin la modalité de TS la plus fréquente sur l'échantillon : 302 cas.

« Tous les médicaments sont potentiellement toxiques voire mortels. Deux facteurs sont capitaux : la quantité ingérée et le retard de prise en charge qui peut se révéler fatal », note Corinne Pulce, toxicologue au centre antipoison de Lyon. « Aujourd'hui, dans la grande majorité des cas, la prise en charge des suicidants n'excède pas 3 heures et demie après la tentative, explique Frédérik Staikowsky. Les protocoles sont bien codifiés et efficaces. Dans l'intoxication aux benzodiazépines par exemple, nous redoutons plus les complications liées au coma éventuel qu'à l'intoxication elle-même. Cette classe thérapeutique apporte une grande sécurité dans le cas d'ingestion massive. »

Sur les 5 377 TS rapportées par le centre antipoison de Lille, 83,17 % se sont avérées être sans symptôme ou de faible gravité. Les intoxications de gravité modérée ou sévère représentent 16,48 % des cas, les décès 0,35 %. Les suicides réalisés grâce au médicament sont liés dans la plupart des cas à une non-prise en charge par les services d'urgence parce qu'ils n'ont pas été prévenus ou pas suffisamment tôt, ou à l'ingestion de médicaments à faible marge thérapeutique.

Détecter les facteurs de risque.

La tentative de suicide reste un « signal d'alarme ». « Elle est un geste ambivalent. Ce n'est pas tant vouloir mourir qui prime mais souhaiter que quelque chose s'arrête, change, ne pas souffrir. Le moyen utilisé dans la tentative de suicide est en rapport avec cette ambivalence. Le médicament colle parfaitement dans ce cadre », explique le Pr Michel Walter, chef de service de psychiatrie de l'adulte au CHU de Brest.

Si le médicament apparaît comme le moins « violent » des moyens de suicide, il n'empêche pas la récidive. Une fois sur deux, la TS correspond à une récidive, et une fois sur trois les suicidants ont déjà commis trois tentatives ou plus. En 1999, selon l'INPES, 6 % des Français déclaraient avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois, principalement les jeunes filles de 15 à 19 ans et les jeunes femmes de 20 à 25 ans. Problème : alors qu'ils sont inévitablement confrontés à des patients à risque, que peuvent faire les pharmaciens pour prévenir le risque suicidaire ? « Evaluer le potentiel suicidaire, c est évaluer les risques, explique Michel Walter. Cela semble difficile au comptoir d'une pharmacie, mais certains critères peuvent attirer l'attention. » On recense les facteurs de risque primaires : antécédents personnels (troubles de l'humeur ou précédentes TS), antécédents familiaux de décès par suicide, troubles psychiatriques avérés (la sortie de service psychiatrique est un moment délicat) ; et les facteurs de risque secondaires : isolement affectif (veuvage, célibat, divorce), situations de désinsertion (chômage, emploi précaire, retraite récente), affections chroniques handicapantes ou incurables, « coups durs » (perte d'un proche, agressions...) chez les personnes vulnérables. Dans tous les cas, l'alcoolisme et la toxicomanie amplifient ces facteurs de risque.

« Si l'évaluation du risque suicidaire est impossible avec la clientèle de passage, je crois qu'il est possible de percevoir certains signes chez nos patients réguliers, assure Olivier Colboc, titulaire à Fécamp et div d'une étude sur les IMV en 1997. Face à une ordonnance à risque, il est possible de retarder ou de fractionner la délivrance : "Je n'ai pas la totalité des produits", "Revenez dans une semaine"... Si cela est possible, on peut entamer une discussion autour de l'ordonnance en sortant le client de la relation de comptoir. De manière générale, l'idée est de se donner du temps dans la délivrance du traitement pour éventuellement en reparler avec le médecin traitant. » Des conseils à suivre pour éviter peut-être de se retrouver un jour dans un prétoire.

La première cause de décès des 25-34 ans en France

Selon l'INSERM, un peu plus de 10 000 personnes décèdent par suicide chaque année en France, mais, en raison d'une sous-déclaration, les chiffres seraient plus proches des 12 000. Les suicides représentent 2 % de l'ensemble des 540 000 décès annuels. Ils constituent la première cause de décès entre 25 et 34 ans et la deuxième entre 15 et 24 ans. Les suicides sont très majoritairement masculins (8 000 hommes contre 3 000 femmes). En nombre absolu, les décès par suicide les plus nombreux interviennent entre 35 et 55 ans. Selon la DRESS, en 30 ans, le taux de suicide a fortement augmenté : il est passé de 1,73 à 2,13 pour 10 000 habitants. Les taux de décès par suicide les plus élevés concernent les veufs, notamment les hommes (58,8 pour 100 000), puis les divorcés (37,3), les célibataires (20,4) et les personnes mariées (16,8). A l'opposé, les taux de décès les moins élevés s'observent chez les femmes mariées de moins de 65 ans. Enfin, le Nord-Ouest, de la Bretagne au Nord-Pas-de-Calais, est la région de France la plus touchée (Côtes-d'Armor et Finistère pour les départements). A l'inverse, l'Est et le Sud-Ouest sont en situation de nette sous-mortalité.

Benzodiazépines en baisse, antidépresseurs en hausse

Deux périodes de douze mois (1992-1993 et 2001-2002) sont concernées par l'étude de Frédérik Staikowsky, médecin urgentiste à l'hôpital Tenon (Paris).

Les 804 intoxications médicamenteuses volontaires de la première période (1 261 médicaments concernés) ont été comparées aux 830 de la seconde période (1 535 produits). Les psychotropes restent en tête du classement. Dans cette classe, on observe une baisse significative du recours aux benzodiazépines (67,2 % contre 54,7 %). L'utilisation du bromazépam (Lexomil) et de l'alprazolam (Xanax) augmentent particulièrement au détriment du flunitrazépam (Rohypnol), classé comme stupéfiant au cours de la période et dont la délivrance est désormais très encadrée.

S'agissant des antidépresseurs, dont la part progresse de 7 %, l'usage des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) est multiplié par trois, ceux des antidépresseurs tricycliques divisé par trois. La corrélation avec les ventes de médicaments est évidente. « Entre 1991 et 1997, les ventes de tranquillisants en France ont baissé de 9,9 %, celles des antipsychotiques sont restées stables tandis que celles des antidépresseurs progressaient de 42,5 %, constate Frédérik Staikowsky. De même, en 1991, il se vendait en France 7,6 millions d'unités pour les ISRS et 25 millions en 1997. »

Parmi les antalgiques, le paracétamol seul ou en association reste de loin le plus utilisé (68 % et 63,8 %), mais les morphiniques voient leur part de responsabilité augmenter, passant de 9,6 % durant la première période à 25,7 % dans la seconde. « C'est le résultat direct des campagnes de lutte contre la douleur lancées par le ministère de la Santé et donc de l'accroissement des prescriptions », selon Frédérik Staikowsky.

Chloroquine, buflomédil, colchicine et antidépresseurs tricycliques : Attention danger !

Ces molécules, même si elles sont très peu utilisées dans les TS, s'avèrent particulièrement dangereuses et, dans certains cas, conduisent inévitablement à des décès. « La chloroquine (Nivaquine) est redoutable, rapporte Corinne Pulce, toxicologue au centre antipoison de Lyon. La Nivaquine 100 mg est vendue par boîte de 20 ou de 100. A 2 g il y a déjà une intoxication modérée, avec 4 g c'est l'intoxication grave, souvent létale. On y est très vite et la posologie normale suffit à se procurer la dose nécessaire à son suicide. » Les effets de la chloroquine ont été dévoilés au grand public à travers le livre Suicide mode d'emploi, même s'il a été très vite retiré de la vente après sa publication. « La gravité de l'intoxication aiguë à la chloroquine tient à ses manifestations cardiovasculaires. Un arrêt cardiaque peut survenir dans les 30 minutes qui suivent l'ingestion. La mortalité hospitalière est de l'ordre de 10 % et ce chiffre ne tient pas compte des décès à domicile, détaille Chantal Bismuth, chef de service émérite, consultante en toxicologue au CHU Fernand-Widal. Les gens ingèrent des médicaments en pensant qu'ils auront une mort plus douce. Ce n'est pas le cas. La chloroquine en particulier provoque des souffrances atroces. »

Le buflomédil (Fonzylane, Loftyl Gé) est aussi fréquemment cité parmi les médicaments « tueurs ». « Le buflomédil est responsable de surdosage rapidement atteint du fait de son indice thérapeutique très étroit, remarque Corinne Pulce. La dose critique est de 50 mg/kg. Cette intoxication met très rapidement en jeu le pronostic vital par des manifestations neurologiques et cardiovasculaires. Le traitement relève de l'urgence extrême. La gravité de ces intoxications devrait conduire à réévaluer le rapport bénéfice/risque de ce médicament. » Autre souci, dont les centres de pharmacovigilance se sont fait l'écho récemment dans une de leurs publications : la ressemblance des comprimés de Fonzylane avec certaines présentations d'ecstasy, dont profiteraient les dealers...

Troisième type de médicaments donnant du fil à retordre aux équipes d'urgentistes : les antidépresseurs tricycliques (Anafranil, Laroxyl, Tofranil...). « La mortalité hospitalière est importante, jusqu'à 20 %, note Frédérik Staikowsky, médecin urgentiste à l'hôpital Tenon (Paris). Les troubles cardiovasculaires induits sont particulièrement importants et difficiles à prendre en charge, notamment chez les personnes âgées. » Des ingestions de l'ordre de 20 mg/kg se sont déjà avérées fatales.

Quant à la colchicine, au-dessus 0,8 mg/kg la mortalité est de 80 % par défaillance cardiocirculatoire ou choc hémorragique. Heureusement, les cas sont très rares.

Le suicide dans le monde

Le suicide est à l'origine de près d'un million de décès annuels. Selon les estimations, ce nombre pourrait atteindre le million et demi d'ici 2020. En 2001, le nombre de décès par suicide a dépassé le total combiné des décès par homicide (500 000) et consécutifs à des faits de guerre (230 000).

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