Faites sauter les verrous ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2568 du 05/02/2005 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2568 du 05/02/2005
 

EXERCICE EN MILIEU CARCÉRAL

Actualité

Enquête

e 18 janvier 1994 était promulguée la loi déléguant au secteur hospitalier public la santé des détenus. Dix ans après, la place du pharmacien au sein de ce dispositif n'est pas toujours bien identifiée et reconnue. Pourtant, dans la relation complexe qui lie le détenu au médicament, la présence du pharmacien prend toute sa signification. Etat des lieux.

L'idée de la loi de 1994 est remarquable : pouvoir assurer aux détenus une qualité de soins équivalente à l'extérieur. » Dix après son application, Laura Harcouët, pharmacienne des hôpitaux, qui exerce à plein temps à la prison de la Santé à Paris, salue toujours l'apport indéniable de cette loi. « Elle a permis à certains d'entre nous d'exercer notre vrai métier. »

Chacun des 175 établissements pénitenciers est en effet désormais jumelé avec un hôpital pour les soins somatiques grâce à la mise en place des unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA). Leurs champs d'action couvrent la médecine générale, la prescription et la distribution de médicaments, ainsi que les examens de laboratoire et de radiologie.

A la prison de la Santé, à Paris, l'approvisionnement et la distribution de médicaments se fait sous la responsabilité de la pharmacie de l'hôpital Cochin depuis 1996. Une antenne pharmaceutique est implantée au coeur même de l'unité de consultation et de soins ambulatoires. Quelques marches en colimaçon à gravir, des portes verrouillées et gardées par des surveillants à passer, un ou deux digicodes à taper, et vous voilà enfin dans les locaux de la pharmacie. C'est un vaste couloir blanc, ensoleillé, jalonné de portes bleu océan. Sans les barreaux aux fenêtres et le grillage sous la verrière, on oublierait presque que l'on se trouve en prison. Ici travaillent quatre préparateurs en pharmacie à temps plein, un élève préparateur, un praticien hospitalier responsable et trois vacations de praticiens attachés.

Eviter les trafics.

Avant 1996, la pharmacie était sous la responsabilité d'un pharmacien gérant, rémunéré à l'année de façon symbolique. Sa présence était d'ailleurs, selon ses successeurs, tout aussi symbolique. Le personnel : un pharmacien du contingent à mi-temps assurant les commandes de médicaments auprès des laboratoires et la préparation de certains traitements, deux surveillants pénitentiaires sans qualification particulière et deux détenus. Cette petite équipe était alors sous l'entière responsabilité de l'administration pénitentiaire. Les surveillants préparaient les fameuses « fioles » : un magma mélangeant les médicaments prescrits, dilués dans un peu d'eau du robinet et distribués par les infirmières sous la responsabilité de surveillants. Pour le week-end, ces fioles pouvaient être préparées jusque trois jours à l'avance. On comprend mieux l'enthousiasme du personnel de santé (et des détenus) à la création des UCSA.

Historiquement, ces « dilutions » avaient pour but de limiter les trafics au sein de la prison ainsi que les tentatives d'autolyse (fréquentes à l'époque où les seuls hypnotiques disponibles étaient des barbituriques). Au départ, les détenus devaient, en théorie, absorber leur traitement devant l'infirmière. Ensuite, il s'est agi de récupérer les fioles vides avant d'en distribuer de nouvelles.

Désormais la pharmacie de la Santé assure la préparation nominative des médicaments somatiques et psychotropes après validation de toutes les prescriptions par un pharmacien (plus de 250 ordonnances par semaine). La distribution est effectuée par une infirmière ou un préparateur, chaque jour, dans des petits sachets nominatifs. Un système informatisé, des locaux agréables et adaptés, du personnel en nombre, une écoute et une bonne entente avec le médecin de l'établissement pénitentiaire, Laura Harcouët a conscience, en étant à plein temps, de « faire partie des pharmaciens d'UCSA privilégiés ». Un privilège réservé aux grosses structures. La Santé comptait en juillet dernier 1 450 détenus, contre 950 il y a deux ans.

Les plus petites structures n'ont pas toujours cette chance. A Compiègne, par exemple, où la prison compte une centaine de détenus, aucun poste officiel de pharmacien n'existe. Isabelle Dagrenat, pharmacienne au centre hospitalier de Compiègne, prend sur son temps pour préparer les 50 à 60 ordonnances faxées par le médecin de la maison d'arrêt. L'UCSA bénéficie cependant d'un trois quarts temps de préparateur. Les médecins généralistes, spécialistes et psychiatres effectuent leurs vacations dans la semaine, faxent les ordonnances qui sont visées par un pharmacien. Des sachets nominatifs sont ensuite préparés.

Deux fois par semaine, ces sachets sont renvoyés dans des caisses fermées aux trois infirmières de la prison qui s'occupent de la distribution. Cette dernière est effectuée tous les jours de la semaine, excepté le week-end. Sur place, une armoire à pharmacie contient un stock de médicaments courants. Une fois par mois, le contenu de cette armoire est vérifié par un préparateur qui fait un compte rendu de sa visite au pharmacien et au cadre infirmier. Il est cependant prévu pour cette année d'informatiser ce réseau d'approvisionnement et de distribution du médicament.

La prison de Nice, qui compte six fois plus de détenus que Compiègne, ne dispose pas pour autant de pharmacie au sein de son établissement. L'UCSA bénéficie de 0,2 pharmacien et d'un préparateur. Silvère Dumas, pharmacien à l'hôpital Pasteur, le déplore : « Deux infirmières passent leur temps à préparer et délivrer les médicaments. » Car si la prescription est nominative, la délivrance reste globale. Impossible de faire autrement avec un seul préparateur pour 600 détenus ! Quant à l'armoire à pharmacie, elle est vérifiée deux à trois fois par an !

Changer la méthodologie.

Mais, selon Laura Harcouët, le problème d'effectif n'est pas prêt d'être résolu. « La grille du personnel pharmaceutique n'a pas été réévaluée alors qu'elle devrait l'être. Rien n'a changé en termes d'attribution du personnel. » Le « temps préparateur » est en effet toujours défalqué du « temps infirmier ». En pratique, un préparateur dans une UCSA équivaut à une infirmière en moins ! Le choix est souvent vite fait. A la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, on recensait en 2001, pour l'ensemble des UCSA, 24 équivalents temps plein de pharmaciens (tous les postes étant couverts) et 95 temps plein de préparateurs en pharmacie.

Le manque de personnel n'est pas le seul problème. « Dans le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, il est notifié que lorsqu'une pharmacie est implantée au sein d'un établissement pénitentiaire, celle-ci doit être située en dehors des locaux de détention, déplore Laura Harcouët. C'est tout à fait dommageable car on ne peut pas imaginer une pharmacie au fond de la prison, séparée de l'UCSA. Il est évident qu'elle doit être intégrée à l'unité médicale ».

C'est pour tenter d'y remédier que Laura Harcouët a formé un groupe de travail d'une dizaine de représentants des différents établissements pénitenciers français afin de réfléchir sur une nouvelle version du guide méthodologique. Un exercice d'autant plus difficile qu'il s'appuie sur le Code de la santé publique et sur les procédures pénales. Mais néanmoins indispensable car l'actuel guide méthodologique, tout comme la loi de 1994, ne reflète pas une connaissance du métier de pharmacien. « Il manque une individualisation du fonctionnement de la pharmacie, et donc, dans de nombreux cas, les pharmaciens sont oubliés », regrette Laura Harcouët. Preuve de la méconnaissance du métier, le guide recommande qu'en cas de prescription nécessaire de médicaments non agréés aux collectivités, il appartient à la pharmacie de se les procurer. Chose légalement impossible ! La seule solution serait d'obtenir une dérogation pour les approvisionnements de pharmacie hospitalière pour les UCSA.

Manque de personnels.

Les exemples de ce type ne manquent pas, à en croire le nombre de marque-pages de couleurs qui jalonnent l'exemplaire du guide de Laura Harcouët. Corriger ces erreurs : elle en a fait son cheval de bataille. Un tour de France des pharmaciens des UCSA lui a permis de se rendre compte des différences entre établissements pénitenciers. « Pourquoi les médecins qui exercent en prison sont-ils rarement à plein temps ? », s'interroge-t-elle. Car c'est bien là le nerf de la guerre : le manque de personnel. François Bes, de l'Observatoire international des prisons (OIP), rejoint cet avis. « Il y a pénurie de médecins et de psychiatres à la prison des femmes de Rennes. Ce sont des surveillantes qui distribuent les médicaments faute de postes d'infirmières, certifie-t-il. C'est le règne de l'arbitraire, chacun fait sa petite cuisine. Quand l'hôpital investit et considère l'UCSA comme un véritable service, ça fonctionne. Mais ce n'est pas toujours le cas. »

20 à 30 % des « entrants en mauvaise santé.

Et de l'autre côté des barreaux, quel est le vécu des détenus face au médicament ? « Ils sont très demandeurs », souligne Laura Harcouët. Les dernières études révèlent qu'entre 20 et 30 % des « entrants » sont jugés en mauvaise santé, « avec parfois des découvertes de pathologies graves ». Notre consoeur de la Santé y voit l'occasion pour les pharmaciens de jouer leur rôle de santé publique. A son arrivée, chaque détenu reçoit un numéro de Sécurité sociale. Il a également droit à une visite médicale. « Nous effectuons une vraie prise en charge, une sensibilisation des détenus. Nous avons aussi un rôle d'éducation, d'information. Par exemple, une prescription de substitut nicotinique peut motiver le détenu en prison. A sa sortie, il aura au moins arrêté quelque temps, et on sait que plus on essaye d'arrêter, plus on a de chances de réussite. »

En 2003, le quart des entrants en prison a déclaré au moins deux consommations à risque parmi les suivantes : consommation importante de tabac (au moins 21 cigarettes quotidiennes), consommation excessive, régulière ou discontinue d'alcool, utilisation prolongée et régulière de drogues illicites dans les 12 mois précédant l'incarcération ou traitement psychotrope en cours à l'arrivée. Cette même année, les médecins ont prescrit une consultation spécialisée en psychiatrie, en alcoologie ou en toxicomanie à près d'un entrant sur cinq. « Certes, les pathologies sont relevées à leur entrée, mais c'est dans le suivi des soins qu'il y a souvent problème », souligne François Bes, qui regrette un manque de communication entre l'administration pénitentiaire et les services de santé : « Prenez l'exemple d'un toxicomane extrait très tôt le matin pour le tribunal. Il y a de fortes chances que la pharmacie n'ait pas été prévenue et qu'il n'ait pas sa dose de méthadone. Il va donc se présenter à l'audience en manque, je vous laisse imaginer le résultat... »

Manque d'hygiène dans les cellules.

L'OIP s'alarme également au sujet des fouilles de cellules durant lesquelles les médicaments peuvent être confisqués, des transferts non signalés aux personnels de santé, des libérations sans préparation à la sortie, sans lien avec un service hospitalier à l'extérieur..., autant de causes d'interruption de traitement qui, même si elle n'est que de quelques jours, peut avoir de graves conséquences.

Et puis il y a les soins de tous les jours, la « bobologie ». Là encore, le détenu est confronté à la lourdeur administrative. « Lorsque vous avez mal au crâne, raconte François Bes, vous devez faire une demande écrite de consultation médicale. » Sans oublier les problèmes d'approvisionnement de la pharmacie. Les médicaments non agréés aux collectivités y sont bannis. Certaines pilules contraceptives ne sont pas agréées par exemple, tout comme les traitements contre les verrues. Autre problème : selon l'OIP, 110 établissements français sont jugés vétustes. « A Fleury-Mérogis, le médecin recommande de prendre sa douche chaussé pour éviter les mycoses », assure François Bes.

Dix ans après la loi de 1994, de chaque côté des barreaux, chacun s'accorde pour saluer les avancées en matière de santé. En ce qui concerne le médicament, il reste néanmoins de grosses lacunes, qui pourraient être comblées si les métiers de pharmacien et de préparateur étaient mieux considérés et mieux connus des autorités en charge des protocoles.

Chiffres

- 175 établissements pénitenciers.

- Au 1er juillet 2003, on comptait 60 963 personnes détenues dans les prisons françaises.

- 175 unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA).

- 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR).

- 24 équivalents temps plein de pharmaciens

- 95 équivalents temps plein de préparateur en pharmacie.

- 16 établissements possèdent un centre spécialisé pour toxicomanes (CSST).

Des lacunes dans la prise en charge de la toxicomanie

Dans son rapport 2003 des conditions de détention en France, l'Observatoire international des prisons relève qu'entre 1998 et 2003, le nombre de détenus sous traitement de substitution est passé de 2 % à 7,8 %. Malgré cette amélioration, des lacunes existent encore. Seuls seize établissements possèdent un centre spécialisé de soins pour toxicomanes (CSST). Pour les autres, les soins relèvent d'un centre extérieur.

La mise en oeuvre de traitements de substitution progresse mais continue à se heurter à l'opposition de certains médecins. « C'est un problème important, rapporte François Bes. En prison, on n'a pas le choix du médecin et, pour des traitements de substitution, cela peut s'avérer critique. » Et dans le cas où un traitement de substitution est prescrit, une fois encore il peut y avoir conflit entre le rôle de l'UCSA et celui du service médicopsychologique régional. Sans oublier les obstacles réglementaires de l'établissement pénitencier. « Les impératifs de la sécurité priment toujours sur le reste, déplore François Bes, y compris sur les impératifs médicaux. »

Un rapport sur la prise en charge de la toxicomanie en Picardie indique que, par peur des trafics de médicaments, « le corps médical passe outre son rôle de soignant et met en place un système de contrôle supplémentaire autour de la distribution des traitements de substitution ». Inversement, il arrive que ce soit la justice qui se méprenne sur le rôle des soignants en prison. « Quant un juge condamne un toxicomane à de la prison ferme pour qu'il se fasse soigner, on peut se demander si c'est le rôle de la prison », s'interroge François Bes.

Huit détenus sur dix souffrent d'au moins un trouble psychiatrique

A l'occasion des 10 ans de la loi du 18 janvier 1994, un colloque était organisé à Paris le 7 décembre dernier. L'occasion de tirer un bilan du travail accompli. L'accent a été particulièrement mis sur les soins psychiatriques. D'après une étude présentée lors de ce colloque, 80 % des détenus sont en souffrance psychique. Les prévalences projetées établissent que 40 % des détenus souffrent de dépression et 33 % d'anxiété généralisée, 20 % présentent une névrose traumatique et 17 % une agoraphobie. Enfin, 7 % souffrent de schizophrénie (versus 1 % dans la population en général).

26 services médicopsychologiques régionaux (SMPR) assurent les soins psychiatriques en prison. Là encore, un manque de personnel ne permet pas de suivre l'ensemble des établissements pénitentiaires. Les petites structures doivent donc s'accommoder de vacataires. L'Observatoire international des prisons (OIP) dénonce la facilité qu'ont certains à utiliser massivement les médicaments comme camisole chimique. « Il y a aussi le médecin qui ne soigne plus mais qui aide à supporter l'enfermement », souligne François Bes, de l'OIP.

Quant aux grosses structures qui bénéficient de SMPR, il faut alors s'accommoder de collaborations parfois défaillantes entre les unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) et les SMPR. Parfois pour de simples questions administratives. A la prison de la Santé, à Paris, le SMPR est rattaché au CHS Sainte-Anne alors que l'UCSA est une antenne de l'hôpital Cochin. Un casse-tête pour la pharmacie lorsqu'elle doit rendre des comptes financiers à l'hôpital Cochin sur des dépenses pharmaceutiques faites par un médecin d'un autre établissement hospitalier. Le colloque de décembre dernier a d'ailleurs relevé ces difficiles relations marquées par des « logiques de territoire ».

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